Un discours de M. Bright

En 1883, John Bright, l’ancien compagnon d’armes de Richard Cobden au sein de l’Anti-corn-law-league, cette association victorieuse qui inaugura une ère de libre-échange en Angleterre, revient dans un discours sur les accomplissements du passé et les fruits qu’ils ont portés. Ce discours est aussi pour son traducteur, Ernest Martineau, l’occasion d’insister sur les bienfaits de cette politique du libre-échange intégral et radical, qu’il promeut lui-même en France, quarante ans après ses maîtres intellectuels.

Lettre sur la paix

Quelques années avant la guerre franco-prussienne de 1870, les difficultés s’amoncellent déjà et font craindre à l’horizon la rupture de la paix. Pour Frédéric Passy, plus tard premier Prix Nobel de la paix (1901), l’heure est urgente : il faut, dit-il, se liguer pour la paix, promouvoir l’idée de la paix et la faire dominer les esprits, si l’on veut s’épargner les désastres de la guerre.

L’énigme de l’échec russe de Lemercier de la Rivière

Brouillé avec le ministère de son pays et laissé sans ressources après l’intendance en Martinique, le physiocrate Lemercier de la Rivière connut une gloire littéraire immense avec la publication de L’ordre naturel et essentiel des sociétés politiques (1767). Recommandé par Diderot, il fut invité à la cour de Russie par Catherine II pour participer à la réforme des lois. Ce fut un échec, dont on s’est longtemps mal expliqué les causes, et qu’un récent livre tâche d’examiner. Sa conclusion est que Catherine II, qui se piquait de philosophie et de modernisme, recula vite devant l’énergie réformatrice du physiocrate ; en politique avisée, elle se voulait avant tout pragmatique et méfiante.

La liberté d’écrire sur les affaires de l’État

« Il ne faut pas s'y tromper : toutes les grandes opérations, en matière d'administration, ont besoin d'être aidées de l'opinion publique, ou du moins ne peuvent réussir si elles ont l'opinion publique contre elles. Or, il n'y a point de moyen plus prompt pour diriger cette opinion, que la voie de l'impression, surtout lorsqu'on ne veut montrer aux hommes que la vérité, et qu'on ne cherche que leur bonheur. »

La rapide croissance des dépenses publiques en France

Dans son article hebdomadaire de L'Économiste Français (11 mai 1878), Paul-Leroy Beaulieu attaque la folie dépensière des gouvernements de son temps. « La Chambre cède à un entraînement imprudent vers les augmentations de dépenses, écrit-il ; elle ne tient qu'un compte médiocre du contribuable ; il semble que ce personnage soit pour elle un être abstrait, qui n'ait ni chair ni os, qui ne subisse aucune privation, aucune gène et dont on puisse tirer, sans manquer à la justice, tout ce qu’il peut produire. »

Chômage des dimanches et jours fériés, par Charles Renouard (1865)

« Ayons des jours périodiques de repos légal, car ils sont indispensables à l’ordre civil des sociétés ; félicitons-nous de pouvoir, dans leur désignation, concilier avec les conseils de la science économique le respect dû aux préceptes religieux ; encourageons, propageons et pratiquons l’obéissance à des règles dont la vie de tout le monde doit se trouver bien ; mais reconnaissons qu’il n’est, à ces fins, ni juste, ni utile de pousser la loi à sortir de sa sphère, et d’ériger en délits ou contraventions des actes dont il serait sage de s’abstenir, mais qui, considérés en eux-mêmes, n’apportent à la liberté et aux droits de personne ni blessure ni entrave. »

Le problème du pétrole en France

Il y a un siècle, la fin du premier conflit mondial démontrait, outre le besoin d’une organisation de la paix mondiale, la fragilité de l’équilibre économique de la plupart des nations européennes, fortement dépendantes, pendant la paix mais surtout en cas de guerre, des approvisionnements en pétrole des États-Unis ou d’ailleurs. Aux yeux de nombreux économistes libéraux français, des impératifs de sécurité nationale semblaient légitimer un contrôle réglementaire de l’État sur la production et l’importation de pétrole en France. Un tel contrôle serait aussi un moindre mal, disait-on, en comparaison d’un monopole public sur le pétrole, dont l’idée était alors agitée.

Éloge du divorce

Dans un passage de son roman Delphine (1803), très fortement teinté par les récriminations proto-féministes faites à la société du temps, Germaine de Staël proposait un authentique éloge du divorce. Elle le représentait comme la liberté donnée à des couples malheureux de vivre un avenir plus serein, et arguait en sa faveur en rejetant cette morale du sacrifice que le christianisme répand, disait-elle, à sa suite.

Les désavantages politiques de la traite des nègres

Dans la deuxième livraison de son périodique publié sous forme de volume (pour éviter la censure des journaux proprement dits), Charles Dunoyer examine la question de l’esclavage des Noirs dans les colonies. Il le repousse aisément comme une monstruosité au point de vue de la morale et du droit. Politiquement, cependant, il note que l’abolition, qui est dans l’intérêt économique de l’Angleterre, n’est pas autant dans le nôtre, à cause de circonstances particulières à nos colonies et à notre commerce. Mais il n’en recommande pas moins chaudement la suppression immédiate de l’esclavage. 

Quels reproches peut-on faire à l’Exposition universelle ?

En 1867, Paris accueille pour la deuxième fois l’Exposition universelle. Cet évènement divise toutefois au sein des libéraux français : si certains y trouvent un symbole de fraternité des nations et de libre-échange, qui ne peut pas être acheté trop cher, d’autres lui reprochent son coût, son organisation, et ses conséquences économiques. Comme plus tard pour les Jeux Olympiques, on lui reproche ses larges subventions publiques, que les principes du libéralisme devraient, dit-on, toujours condamner.

Laissons Faire, n°42, février 2022

Au programme de ce nouveau numéro : Le Journal des économistes. Caractère et historique de cette publication jusqu’au début de l’année 1847, par Benoît Malbranque. — Lettre inédite sur l’individualisme, par Yves Guyot (vers 1902). — Des largesses de l’État envers les industries privées, par Louis Reybaud (1842). — L’immigration et l’éventualité de la dénationalisation de la France, par Paul Leroy-Beaulieu (1913). — Recension critique : Œuvres complètes d’Alexis de Tocqueville. Tome XVII, Correspondance à divers, volume 1 sur 3, Gallimard, juin 2021.

Le Journal des économistes, une plateforme de débats

Le Journal des économistes (fondé en 1841), organe de l’école libérale française d’économie politique, qui accueillit certaines des plus grandes contributions d’auteurs comme Frédéric Bastiat, Gustave de Molinari, Charles Coquelin, Joseph Garnier, Adolphe Blanqui, J.-G. Courcelle-Seneuil, et tant d’autres du même calibre, passe traditionnellement pour représenter la voix de l’orthodoxie libérale et radicale dans un paysage académique en construction et provisoirement sans grand concurrent. Cette image qui lui est restée ne correspond pas, néanmoins, à la réalité. Loin d’avoir constitué un véhicule de dissémination d’une doctrine libérale pure, fixée dans le marbre, et qu’il ne se serait agit que de clamer sur tous les tons, le Journal des économistes accordait en vérité une large place au débat contradictoire et accueillait avec bienveillance les doctrines les plus opposées. De fait, la position libérale radicale, brillamment portée par plusieurs esprits de premier rang, dont le nom est resté célèbre, était à peine dominante dans ses pages. Des démarches concurrentes, réformistes, modérées, conservatrices, parfois même distinctement interventionnistes, trouvaient aussi bien leur place, donnant au recueil un caractère unique.

Les chemins de fer constituent-ils un monopole naturel ?

Devant la Société d’économie politique (1883), le socialiste Charles Limousin détaille les raisons pour lesquelles, selon lui, l’industrie des chemins de fer doit échapper à la fois à la liberté absolue et à la mainmise absolue de l’État, qui serait du communisme (qu’il repousse), et il finit par recommander des dispositions spéciales pour les employés actuels de la régie des chemins de fers français. Le reste de l’assemblée ne se prononce pas sur le premier point, malgré les oppositions connues de certains ; mais sur le second, le droit commun est préféré.

Idées d’un citoyen presque sexagénaire sur l’état actuel du royaume de France, comparées à celles de sa jeunesse (1787)

À la veille de la Révolution française, le physiocrate Nicolas Baudeau poursuit sa critique des institutions financières de l’Ancien régime, dont il réclame le renversement ; non toutefois, dans une optique républicaine ou démocratique, mais comme moyen de sauver une monarchie qui lui paraît le fondement naturel d’une économie libre et prospère.

Mirabeau, un économiste grand seigneur, par L. Cabantous

Le marquis de Mirabeau, bras droit de Quesnay au sein de l’école physiocratique, fut comme son mentor un homme à paradoxes, fait remarquer Louis-Pierre-François Cabantous dans une conférence de 1867. « Singulier mélange d'obstination aristocratique et de zèle novateur, il réunit tous les contrastes dans sa personne et dans sa conduite. » Il est, selon l’auteur, le représentant de ces économistes grands seigneurs, libéraux par tempérament mais sans consistance.

La tendance à une moindre inégalité des conditions

Dans son livre remarquable, De la répartition des richesses et de la tendance à une moindre inégalité des conditions, Paul Leroy-Beaulieu s’attache à récuser les prophètes de malheur qui promettent à l’ouvrier une condition de plus en plus déplorable, face à la richesse croissante des propriétaires terriens et des industriels. Dans la conclusion de son volumineux ouvrage, il revient sur quelques-unes des raisons qui prouvent, selon lui, que l’avenir amènera une inégalité toujours moindre des conditions, du moins si l’État ne vient pas paralyser ce mouvement.

Des anciennes corporations d’arts et métiers en France

Sous l'Ancien régime, l'artisanat et le commerce étaient enserrés dans le système ultra-réglementaire et monopolistique des corporations, qui paralysait le progrès économique et asservissait producteurs et consommateurs. À ceux qui réclamaient en son temps un retour à la réglementation des métiers, Charles Renouard traçait, dans le Journal des économistes de mars 1843, le sinistre tableau des corps d'Ancien régime. — « Pour être fort contre le monopole, écrivait-il, il faut étudier le passé, le remuer souvent, en tracer des tableaux fidèles. Le passé abonde en enseignements profitables aux esprits les plus progressifs ; il permet à qui le connaît de demander à ceux qui le regrettent et le réclament en quelle année de toute notre histoire ils prétendraient se placer pour y trouver à l'industrie une condition meilleure qu’aujourd’hui. »

Oeuvres complètes de Gustave de Molinari (Volume 6)

Œuvres complètes de Gustave de Molinari, sous la direction de Mathieu Laine, avec le soutien de M. André de Molinari, et avec des notes et notices par Benoît Malbranque. — Volume 6. Après les tremblements de la révolution de 1848, Gustave de Molinari renouvelle la défense de la liberté et de la propriété, notions si attaquées, en étendant le champ d'application du libéralisme traditionnel. Ses théories dites anarcho-capitalistes, sur la privatisation des fonctions régaliennes de l'État et la liberté des gouvernements, sont exposées dans le Journal des économistes puis la même année dans les Soirées de la rue Saint-Lazare, et font date dans l'histoire du libéralisme.