Études sur les Économistes financiers du dix-huitième siècle

Études sur les Économistes financiers du dix-huitième siècle. Tome I de la Collection des principaux Économistes. Compte-rendu par Joseph Garnier (Journal des économistes, août 1843)


ÉTUDES SUR LES ÉCONOMISTES FINANCIERS DU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

Tome I de la Collection des principaux Économistes, un seul volume, grand in-8° de 1 000 pages, contenant : VAUBAN, Projet d’une Dîme royale. — BOISGUILLEBERT, le Détail de la France ; le Factum de la France ; Opuscules divers. — JEAN LAW, Considérations sur le numéraire et le commerce ; Mémoires sur les Banques ; Lettres, etc. — MELON, Essai sur le commerce. — DUTOT, Réflexions politiques sur les finances. Précédés de notices historiques sur chaque auteur, et accompagnés de commentaires et de notes explicatives, par M. EUGÈNE DAIRE[1].

Le premier tome de la Collection des principaux Économistes est un magnifique volume qui nous pénètre de reconnaissance pour l’imprimeur, l’éditeur et le commentateur. C’est le premier sentiment que nous avons éprouvé en le voyant, et nous devons dire que notre satisfaction n’a fait que s’accroître en le lisant. Quand on a exploré pendant quinze ans l’étalage de tous les bouquinistes de la capitale, épiant avec une sournoise ardeur l’occasion de sauver de la pluie et du soleil quelques-uns de ces ouvrages remarquables, presque inconnus dans nos bibliothèques ; quand on s’est trouvé heureux de lire de nobles protestations, de grandes vérités, où commençait à poindre la science dans de pauvres petits volumes poudreux, rongés par les vers, maculés par toutes sortes d’infusions et imprimés d’une manière encore barbare, on comprend la joie de celui qui voit réunis, sous une forme si commode et si belle, cinq auteurs et dix ouvrages de premier ordre, au moment où il n’est plus possible de retrouver la plupart d’entre eux.

Si l’éditeur de la collection des économistes, collection qui n’est pas seulement une belle entreprise en librairie, mais encore un grand service rendu aux publicistes et à la science, ne pouvait, pour inaugurer son œuvre, mieux choisir que les travaux d’Adam Smith et de Jean-Baptiste Say[2], il ne pouvait non plus mieux composer le premier tome qu’avec les précurseurs de la doctrine de Quesnay, amendée et fécondée quelques années après par le philosophe écossais.

Ce premier volume est une bonne fortune pour l’économiste jaloux de remonter à l’enfance de la science, pour le publiciste qui voudra connaître les faits d’une autre époque, enfin pour l’historien qui y trouvera traitées d’une manière spéciale et approfondie les questions d’intérêts matériels et de finances qui ont de tout temps été d’une importance majeure dans la politique et les révolutions des États. Car si l’impôt, comme l’indique le titre général de cette partie de la collection, fixa principalement les regards de ces penseurs, ils abordèrent aussi la plupart des questions qui sont encore aujourd’hui l’objet de nos recherches. Ce sont les premiers qui ont raisonné la richesse, c’est-à-dire qui ont fait acte de science, et je ne vois pas pourquoi on ne reculerait pas jusqu’à eux, jusqu’à Boisguillebert surtout, la paternité dont l’honneur a été exclusivement attribué à l’illustre penseur de l’entresol de Versailles. Quesnay a dogmatisé bien davantage, il est vrai ; mais ce n’est pas là son plus grand mérite, et si rechercher la vérité et la rencontrer constituent le travail du savant, les économistes financiers ont réellement fait de la science. Ainsi donc, la reproduction de leurs travaux, ignorés par la plupart des publicistes et de ceux qui ont écrit en économie politique, pourrait bien avoir pour premier effet de déplacer d’un demi-siècle l’origine de l’économie politique.

Avant l’analyse des économistes financiers, nous interpellerons M. Daire sur l’influence qu’il leur a donnée. Après avoir indiqué la filiation de leurs idées, de celles des physiocrates et enfin de celles de Smith, il dit[3] : « C’est sous cette triple influence que s’accomplit la Révolution française et que la société, se dépouillant pour toujours de sa vieille enveloppe féodale, s’élança, fière et radieuse, dans la carrière du travail et de la liberté. » Évidemment M. Daire s’est laissé entraîner par l’admiration. Que la lecture de Vauban, de Boisguillebert et des physiocrates ait éclairci les idées de tous ceux qui les avaient lus, rien de plus naturel ; mais qu’ils soient la cause de la Révolution de 1789, voilà ce qu’il est difficile d’admettre. Les économistes ont occupé une place distinguée dans la phalange philosophique, section de Voltaire ; mais la Révolution se fût faite sans eux ; et, par le fait, ils n’y ont pas pris grande part, si l’on en juge par l’ignorance (toujours à propos de la science de la richesse) des constituants et surtout des conventionnels. La Révolution n’agissait que sous l’inspiration des idées mercantiles et de la Balance du commerce, avec d’autant plus d’entraînement que ces préjugés s’encadrent parfaitement dans le langage patriotique de la nationalité exclusive. C’est encore ce que nous observons aujourd’hui, où les publicistes les plus avancés prêchent l’exécration de l’infâme Albion, surtout parce qu’elle pousserait la perfidie jusqu’à vouloir de nos vins en échange d’une foule de produits dont elle nous inonderait. D’ailleurs Smith venait à peine de publier son livre (fin de 1775), et la traduction de Roucher, datée de 1790, ainsi que celle du citoyen Blavet, qui parut un peu avant dans un journal et fut réimprimée en 1800, ne pouvaient produire les brillants résultats dont parle M. Daire. Les économistes physiocrates et ceux de l’école de Smith n’ont donc rien de positif à réclamer dans ce grand événement social, qui a son point de départ dans la doctrine du Christ. C’est par figure de rhétorique qu’on peut dire qu’ils ont émancipé le travail ; car ils ne sont entrés que d’une manière imperceptible dans le fait de cette émancipation ; mais ils ont scientifiquement analysé la légitimité et les conséquences heureuses de cette émancipation ; c’est ainsi que nous leur sommes redevables d’une puissante découverte, c’est ainsi que nos neveux en éprouveront encore plus de reconnaissance, lorsqu’ils seront imbus de vérités inconnues de nos pères et de la plupart d’entre nous.

Je passe à l’examen du premier des économistes financiers.

Sous le titre : Projet d’une dîme royale, Vauban a fait imprimer, en 1707, un Mémoire ayant pour but de faire ressortir les avantages d’un impôt unique calculé au vingtième du revenu de chaque citoyen, et qui n’aurait jamais dépassé le dixième. L’idée est simple, le mémoire est court ; mais c’est un chef-d’œuvre de clarté et de probité, rempli de faits et d’enseignements précieux. Se fondant sur les avantages relatifs de la perception de la dîme ecclésiastique et sur les brigandages des financiers à propos des autres impôts, l’illustre maréchal proposait l’établissement d’une dîme royale sur tout ce qui pouvait donner un revenu dont il classait les sources de la manière suivante :

Ier Fonds. Fruits de la terre.

IIe Fonds. Produits des maisons des villes et des gros bourgs, des moulins, de l’industrie, des rentes sur le roi ; des gages, des appointements, des pensions, et de toute autre sorte de revenus.

IIIe Fonds. Le sel.

IVe Fonds. Le revenu fixe, provenant des domaines, des parties casuelles, francs-fiefs, douanes, de quelques impôts volontaires et non onéreux.

Après avoir établi le chiffre probable produit par chacun de ces fonds, et la manière d’asseoir le nouvel impôt, Vauban donne, dans une seconde partie, des tables pour faire voir jusqu’où peuvent aller les augmentations « sans trop fouler les peuples. » Il compare la dîme royale à la dîme ecclésiastique, dont la perception se faisait alors avec une plus grande équité relative ; réfute les objections, donne la nomenclature de tous les exempts ou privilégiés qui ne payent pas l’impôt et qui devraient le payer, indique les moyens de faire des relevés de la population, et finit par signaler, dans un dernier chapitre inédit, les raisons secrètes des ennemis de son projet.

Voici les revenus des fonds en nombres ronds.

Ier fonds. La grosse dîme au XXe 60 000 000 fr.
IIe. L’industrie au XXe 15 400 000
IIIe. Le sel à 18 liv. le minot 23 400 000
IVe. Le revenu fixe 18 000 000
Montant de la Dîme royale au XXe 116 800 000 fr.

Voici maintenant la progression des augmentations possibles des trois premiers fonds, le quatrième étant fixe.

La dîme royale au vingtième, et le sel à 18 liv. — 116,8 millions.

1re augmentation, de 1 dixième, le sel à 19 l. 4 s. — 127 millions.

(la suite de ce tableau n’est pas repris ici.)

les sixième et suivants. trop forts.

« Et que voudrait-on faire, disait-il, d’un revenu qui pourrait monter à plus de 180 millions ? S’il est bien administré, il y en aura plus qu’il n’en faut pour subvenir à tous les besoins de l’État, quels qu’ils puissent être ; s’il l’est mal, on aura beau se tourmenter, tirer tout ce qu’on pourra des peuples, et ruiner tous les fonds du royaume, on ne viendra jamais à bout de satisfaire l’avidité de ceux qui ont l’insolence de s’enrichir du sang des peuples. »

Ce chiffre de 180 millions est bien minime en comparaison de nos budgets annuels, mais il ne représente pas la valeur réelle indiquée par Vauban, en monnaie de nos jours. Voici la nature des corrections qu’il devrait subir pour se rapprocher de la vérité.

Puisqu’avec 19 millions d’habitants le maximum d’impôt devrait être               180 millions

Avec 55 millions, il pouvait être de                                                                552

Comme les francs du temps de Louis XIV auraient eu une valeur moitié plus grande, il faudrait ajouter la moitié de cette somme, soit                                                          166

Ce qui donnerait                                                                                               498

Et si les revenus actuels sont supposés doubles, l’impôt s’élèvera à                     996

c’est-à-dire au fameux milliard de la restauration et plus, s’il était prouvé que les revenus ont plus que doublé, ou que les francs aient baissé davantage de prix.

Nous nous bornons à ces simples observations. Nous ignorons si l’on pourrait se procurer des documents suffisants pour lever entièrement la difficulté. M. Daire, dans ses notes, en voulant citer la dette publique en 1715, à la mort de Louis XIV, la porte du chiffre de     2 045 millions

à                                                                                                                   0,081 d°

de notre monnaie, ce qui ferait une augmentation de moitié en sus, « d’après, dit-il, la valeur du marc d’argent de 1684 à 1716. » Nous ne faisons aucune réflexion, n’ayant pas le pouvoir de vérifier le fait. Mais que ces données soient ou non exactes, il n’en est pas moins vrai que les 180 millions doivent être modifiés dans ce sens.

La dîme de Vauban devait remplacer surtout l’imposition et la levée des tailles, des aides et des douanes provinciales, la capitation, les affaires extraordinaires. La taille correspondait à nos contributions foncière, personnelle et mobilière. On appelait aides les droits sur les boissons. La capitation était, en principe, une taxe personnelle et directe en proportion égale sur le revenu, à laquelle les hautes classes s’étaient peu à peu soustraites. On entendait, par affaires extraordinaires, les emprunts, la vente des offices, des lettres de noblesse, la coupe des forêts, la création des loteries, la détérioration des espèces, etc., ressources, comme on dit aujourd’hui, dont quelques-unes font encore partie du répertoire des financiers. Il va sans dire qu’il n’est question ici pour Vauban que des impôts dus à l’État, des revenus du roi. Les peuples, et surtout le peuple, avaient encore à solder la dîme ecclésiastique, qu’on évaluait, en 1789, à 105 millions, plus la kyrielle des redevances locales et seigneuriales.

Cette correction est d’autant plus nécessaire, que l’État paye aujourd’hui le clergé et une foule de dépenses qui étaient, dans l’Ancien régime, à la charge des localités. Il est vrai de dire aussi que les impôts payés à l’État sont accompagnés d’une série de centimes additionnels, d’octrois qui en font enfler le chiffre. Mais encore l’État soutient aujourd’hui une armée relativement gigantesque qui absorbe une partie énorme du budget, sans compter l’intérêt de la dette, qui, à tort ou à raison, est bien plus considérable.

Le mémoire de Vauban est, en outre, un modèle en statistique pour tous ceux qui sont appelés à constater des faits, à recueillir des chiffres. On y trouve réunis l’intelligence et la probité, le savoir et la simplicité qui va droit au but et se meut dans les nombres et les documents sans s’y perdre. Les conseils qu’il donne sur la manière de faire des relevés de populations sont encore aujourd’hui fort bons à suivre.

En somme, Vauban a proposé, vers la fin du dix-septième siècle, l’égalité de l’impôt, la suppression des abus de la fiscalité, des douanes provinciales, et une foule d’améliorations dont la plupart sont encore désirées ; telle est, par exemple, la réduction des ports de lettres, qu’il proposait en même temps que la dîme royale. Dans tous ces détails, il a fait preuve d’un profond savoir et d’une vaste érudition acquise, comme il dit, pendant quarante ans d’une vie errante. Cette production est l’œuvre d’un grand citoyen : on y trouve une pureté antique, une grande raison et un véritable sentiment d’égalité encore si rare de nos jours.

Au point de vue des doctrines économiques, le livre de Vauban n’en démontre aucune ; mais il est à remarquer que sa haute raison et son amour pour le bien lui ont donné l’instinct des grandes vérités, plus tard démontrées par les physiocrates, Adam Smith et ses disciples. Ainsi, il a enseigné, plus ou moins directement :

Que le travail est le principe de toute richesse ;

Qu’il doit être libre, c’est-à-dire que les entraves apportées au commerce et à l’industrie produisent de grands maux ;

Que le luxe est défavorable à la production ;

Qu’il ne faut pas encourager l’accroissement des classes improductives.

Il comprenait aussi le rôle de la monnaie, et il semble que ce serait par suite de la lecture du Détail de la France, quoique rien ne prouve que ce génie, qui avait eu l’instinct de l’équité et de la raison à propos des maux causés par les contributions, n’eût pas été également bien inspiré dans un autre ordre d’idées, si son attention s’y était portée.

À propos des finances, tous ses raisonnements prouvent :

Que l’impôt doit être aussi faible que possible ;

Qu’il doit frapper tous les revenus avec une égalité proportionnelle ;

Qu’il faut réduire le plus possible les frais de perception ;

Que les taxes indirectes nuisent à la consommation ;

Que les emprunts ruinent les nations.

Toutes ces propositions ont une portée immense, et l’on trouve dans le Projet d’une dîme royale, à propos d’impôts et de doctrines politiques, une science digne de faire pendant à celle que l’illustre Franklin a mise dans la bouche du bonhomme Richard :

« Il est certain que ce mal (abus dans la force et la levée des impositions) est poussé à l’excès, et que si on n’y remédie, le menu peuple tombera dans une extrémité dont il ne se relèvera jamais. » Avis aux Chambres.

« Les misères d’autrui les touchent peu (les privilégiés) quand ils en sont à couvert, et j’ai vu souvent que beaucoup d’affaires publiques ont mal réussi, parce que des particuliers y ayant leurs intérêts mêlés, ils ont su trouver le moyen de faire pencher la balance de leur côté. »

« Je me sens encore obligé d’honneur et de conscience de représenter à Sa Majesté qu’il m’a paru que de tout temps on n’avait pas eu assez d’égards, en France, pour le menu peuple ; aussi, c’est la partie la plus misérable… ; car c’est elle qui porte toutes les charges. »

« Tout privilège qui tend à l’exemption de la contribution est injuste et abusif. »

« Il est donc manifeste que la première cause de la diminution des biens de la campagne est le défaut de culture, et que ce défaut provient de la manière d’imposer les tailles et de les lever. »

« Tout revenu doit contribuer proportionnellement aux besoins de l’État ; personne ne doute que les rentes constituées ne soient un excellent revenu qui ne coûte qu’à prendre. Il n’y a donc aucune difficulté qu’elles doivent contribuer aux besoins de l’État. »

« … Lesquels (les princes du sang et les enfants de France) ne subsistant tous que sous la protection de l’État, doivent contribuer à son entretien. »

« Le sel est une manne dont Dieu a gratifié le genre humain. »

À propos de ce curieux passage, une note de M. Daire rappelle que le régime adopté contre la contrebande du sel donnait annuellement :

5 700 saisies domiciliaires,

2 000 arrestations d’hommes,

1 800 d° de femmes,

6 600 d° d’enfants!!…

1 100 chevaux saisis,

50 voitures saisies,

500 hommes envoyés aux galères.

« Une considération importante qu’on doit toujours avoir devant les yeux, est que le sel est nécessaire à la nourriture des hommes et des bestiaux, et qu’il faut toujours l’aider et le faciliter, sans jamais y nuire, par quelque raison que ce puisse être. »

« Le droit du contrôle des contrats est trop fort, et il est nécessaire à la société civile de passer des contrats… Il faut modérer le port des lettres d’un tiers, et le fixer de telle manière qu’il ne soit pas arbitraire aux commis de les surtaxer, comme ils font notoirement presque partout, ce qui mériterait bien un peu de galères. »

« Le revenu fixe serait aussi formé de certains impôts qui ne seront payés que par ceux qui le veulent bien, et qui sont, à proprement parler, la peine de leur luxe, de leur intempérance et de leur vanité : ceux qui font consommation d’eau-de-vie, de thé, de café, de chocolat[4], de dorure des habits, d’équipages, d’épées, de perruques, etc., et tous autres objets de pareille nature, qui, judicieusement imposés en punition des excès et désordres causés par la mauvaise conduite d’un grand nombre de gens, peuvent faire beaucoup de bien et pas de mal. »

« Que les exempts privilégiés en auraient porté leur part et payé comme les autres, à la décharge des pauvres et de ceux qui sont sans protection, qui est toujours un grand avantage pour l’État. »

« Entre ceux qui l’approuveront le moins (le projet de dîme royale), messieurs des Finances pourront bien y avoir la meilleure part. » La plupart devenaient inutiles.

« On y trouvera aussi, pour des raisons analogues, les fermiers généraux, les traitants et gens d’affaires ;

« Messieurs du clergé, parce que le roi ne sera plus obligé de les assembler et de leur faire aucune demande, non plus qu’aux autres corps de l’État. La dîme de l’État, dîmant sur tout, dîmera aussi la leur ; …

« La noblesse, qui ne sait pas aussi ce qui lui convient le mieux ;

« Les exempts et les gens de robe » ; ils étaient dîmés ;

« Les receveurs des tailles ne manqueront pas d’y trouver à redire, parce qu’il leur ôtera plusieurs petites douceurs ; …

« Tous ceux enfin qui savent pêcher en eau trouble… gens aimant les pilleries et malfaçons. »

« Peut-être que le peuple criera d’abord, parce que toute nouveauté l’épouvante ; mais il s’apaisera bientôt, quand il verra que cette innovation a pour objet principal et très certain de le rendre bien plus heureux qu’il n’est. »

« Pour conclusion, on ne doit attendre d’approbation que des véritables gens de bien et d’honneur, désintéressés et un peu éclairés. »

« Réponse à faire aux plaignants. Tous les sujets d’un État, de quelque condition qu’ils soient, ont l’obligation naturelle de contribuer à le soutenir à proportion de leur revenu ou de leur industrie. S’ils sont raisonnables, ils s’en contenteront, et s’ils ne le sont pas, ils ne méritent pas qu’on s’en mette en peine. »

« Il est certain que le roi est chef politique de l’État, comme la tête l’est du corps humain. Or, il n’est pas possible que le corps humain puisse souffrir lésion en ses membres, sans que la tête en souffre. » ……………………….. Donc « les rois ont un intérêt réel et très essentiel à ne pas surcharger leurs peuples jusqu’à les priver du nécessaire. »

« Le feu roi Henri le Grand, de glorieuse mémoire, se trouvant dans un besoin pressant, sollicité d’établir un nouvel impôt qui l’assurait d’une augmentation considérable, répondit : Qu’il était bon de ne pas toujours faire ce que l’on pouvait, et n’en voulut pas entendre parler davantage. Parole vraiment digne d’un roi père de son peuple, comme il l’était »

Mais nous nous apercevons que nous citerions volontiers tout l’ouvrage. Nous nous arrêtons pour signaler les détails biographiques recueillis par M. Daire sur la famille et la vie de ce grand citoyen, ses immortels travaux militaires et ses nombreux écrits sous le titre modeste d’Oisivetés. On y sera péniblement affecté en lisant l’arrêt du roi du 14 février 1707.

« Vu ledit ouvrage, ouï, etc.

« Le roi, en son conseil, ordonne qu’il sera fait recherche du dit livre, et que tous les exemplaires qui s’en trouveront seront saisis et confisqués, et mis au pilon, etc.

Le malheureux maréchal, porté dans tous les cœurs français, ne put survivre aux bonnes grâces de son maître, pour qui il avait tout fait. Il mourut peu de mois après, ne voyant plus personne, consumé de douleur et d’une affliction que rien ne put adoucir, et à laquelle le roi fut insensible, jusqu’à ne pas faire semblant qu’il ait perdu un serviteur si utile et si illustre (Saint-Simon).

Bien que les autres écrits de ce volume aient aussi une importance majeure, celui de Vauban semble avoir attiré de préférence l’attention de M. Eugène Daire, qui a manifesté son admiration par des notes pleines de savoir, de clarté et de talent, mérites tout à fait dignes de la grandeur du sujet. L’on s’aperçoit facilement que l’esprit et les études de cet écrivain sont dirigés vers les matières financières qu’il semble connaître à fond, ce qui nous fait désirer de lui quelque travail méthodique où nous pourrions puiser une utile instruction. Des chiffres nombreux ont été publiés, des appréciations diverses circulent ; mais nulle part l’impôt et la science des finances ne sont didactiquement enseignés ; nulle part les chiffres ne sont rapprochés, et cette ignorance générale des députés et des contribuables, des principaux ressorts en finances, fait que l’on laisse passer les bévues des ministres incapables, et qu’on n’appuie pas convenablement les améliorations de ceux qui ont la science de leur position.

Notre intention était, en commençant, d’analyser Boisguillebert, Law, Melon et Dutot comme Vauban, mais nous n’aurions pas su apprécier en peu de pages six ouvrages d’une telle portée.

C’est-à-dire, que rien ne peut suppléer à la lecture du riche volume pour lequel nous éprouvons encore une fois le besoin d’adresser nos éloges au savant et consciencieux annotateur.

JOSEPH GARNIER.

 

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[1] Chez Guillaumin, galerie de la Bourse, 5, Panoramas. Prix, 13 fr. 50 c.

[2] Les tomes IV et V de la collection des économistes sont consacrés à Smith, les tomes VIII, IX et X à J.-B. Say.

[3] Page VI.

[4] Ces produits sont aujourd’hui des aliments et non des objets de luxe.

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