Adolphe : résumé succinct d’un chef-d’œuvre de concision

Voici un résumé d’Adolphe, le roman de Benjamin Constant, en deux vers de mon invention. Vous verrez qu’il y a tout, j’ose m’en flatter, dans ces deux alexandrins : toute la spécificité littéraire d’Adolphe et toute l’essence de son récit. 


Adolphe : résumé succinct d’un chef-d’œuvre de concision

Par Benoît Malbranque 

(extrait de Laissons Faire, n°24, automne 2016)

Par son peu de pages, par la simplicité du récit, et par cette grande économie avec laquelle les décors sont peints et les personnages décrits, Adolphe mérite pleinement d’être qualifié de chef-d’œuvre de concision. Car c’est aussi un chef-d’œuvre, un classique indémodable, toujours pertinent dans sa concision et profond dans sa sobriété.

Pour le résumer au lecteur, après en avoir entrepris ailleurs une lecture libérale assez inédite, je tâcherais de me conformer à cette vertu de la concision, et je proposerai, pour toute base de mon commentaire du roman, ces deux vers de mon invention :

C’est un jeu dangereux mais je voulais jouer ;
C’est un feu consumant mais je voulais brûler.

Il y a tout, j’ose m’en flatter, dans ces deux alexandrins : toute la spécificité littéraire d’Adolphe et toute l’essence de son récit. Je vais dire rapidement pourquoi.

L’amour, innomé et introduit par l’expression « c’est… », est empreint dans le roman d’une certaine sobriété, qui s’illustre par l’absence de scène d’intimité, la grande réserve dans le choix des mots, et jusqu’à la façon avec laquelle Ellénore fait patienter son amant avant de se donner.

L’amour est un jeu pour Adolphe. Il considère l’amour avec légèreté — où l’on retrouve le côté libertin de Constant, lui aussi détaché et volage.

Il est cependant dangereux, en ce qu’il est plein de périls, qui font le récit, et en ce qu’il conduit à la dévastation : à la mort pour Ellénore, au dépérissement pour Adolphe.

La répétition du « mais je » suggère la puissance de l’action individuelle, dont Constant illustre la portée mais aussi les limites (face à la pression sociale). Son sens est aussi plus étendu : si l’écriture du roman à la première personne du singulier n’est pas une innovation, la manière avec laquelle Constant fait passer tous les évènements et tous les autres protagonistes au crible de la seule vision individuelle d’Adolphe, est elle très caractéristique.

Le « je » nous rappelle aussi que dans Adolphe, Benjamin Constant s’est mis en scène lui-même. Combien de fois n’a-t-il pas en effet vécu ce tiraillement, cette peine que subit Adolphe ? Combien de fois, dans ses Journaux intimes, ne les a-t-il pas confessés ?

L’amour est un feu, en ce qu’il est passion, fièvre ardente, mais en même temps destruction, péril, et finalement mort — nous l’avons dit. L’amour d’Adolphe et d’Ellénore ne se revigore pas de lui-même, et il s’éteint finalement. Mais il ne se consume pas : il consume les autres. Les deux amants, faute d’être parvenus à s’aimer convenablement, finissent par sombrer sous les coups même de cet amour qu’ils n’ont pas su préserver.

Enfin Adolphe voulait brûler, Benjamin Constant voulait brûler, car il y a dans leur cœur un désir d’amour insatiable, quoique pas toujours avoué. Il y a un vide d’amour et de douceur, qui les pousse à la séduction et à la faute. Constant n’étant pas stupide, il y a aussi, dans chacun de ses amours déçus et de ses couples déchirés, une sorte d’inconséquence maladive, de hardiesse maladroite qui témoigne et rappelle l’esprit de mort qui a toujours accompagné l’auteur… et son héros.

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