Anthologie de Wenzel – Jour 20. Comment le salaire minimum rend des emplois hors-la-loi. Par Murray N. Rothbard

RothbardSmileJour 20 de l’anthologie des 30 textes de Robert Wenzel qui vous amènera à devenir un libertarien bien informé : cet article est extrait du chapitre 24 de l’ouvrage de Murray Rothbard Making Economic Sense.

L’Institut Coppet vous propose pour cette rentrée, en partenariat avec Contrepoints, l’anthologie des trente textes libertariens de Robert Wenzel traduite en français. Robert Wenzel est un économiste américain éditeur du site Economic Policy Journal et connu pour son adhésion aux thèses autrichiennes en économie. Cette anthologie regroupe une trentaine de textes qui s’inscrivent quasi-exclusivement dans le courant autrichien et plus généralement dans la pensée libertarienne. Le but principal de cet ensemble bibliographique de très grande qualité est de former au raisonnement libertarien, notamment économique, toute personne qui souhaiterait en découvrir plus sur cette pensée.

Lire les autres articles de l’anthologie libertarienne de Robert Wenzel.


Résumé : Le salaire minimum, revendiqué à la fois par les Républicains et par les Démocrates dans des termes sensiblement différents, produit des effets désastreux sur le niveau d’emploi. En faisant pression sur les bas salaires, et en mettant hors du marché du travail les travailleurs les moins productifs (notamment les jeunes), il crée du chômage et contraint toute une classe d’individus à vivre de l’aide sociale.


Par Murray N. Rothbard

Traduit par Benoît Malbranque, Institut Coppet

Murray N. Rothbard (1926-1995) fut le doyen de l’école autrichienne, fondateur du libertarianisme moderne, et directeur académique du Mises Institute. Il fut également éditeur avec Lew Rockwell du Rothbard-Rockwell Report, et avait nommé Lew Rockwell comme son exécuteur testamentaire.

Il n’y a pas de démonstration plus éclatante de l’identité fondamentale des deux partis politiques [Parti Républicain et Parti Démocrate, NdT] que leur position relativement à la question du salaire minimum. Les Démocrates ont proposé de relever le salaire minimum légal de 3,35 $ l’heure jusqu’au niveau où il avait été élevé par l’administration Reagan lors de ses prétendus jours de jeunesse libéraux, en 1981. Le camp républicain souhaite lui la création d‘un « sous-salaire-minimum » pour les jeunes, qui, en tant que travailleurs marginaux, sont ceux qui, en effet, sont les plus durement touchés par les minima légaux.

Cette position a été rapidement modifiée par les Républicains au Congrès, qui se sont mis à plaider en faveur d’un salaire minimum pour les jeunes qui ne durerait que pour une période de 90 jours, après quoi le taux s’élèverait au minimum le plus élevé des Démocrates (4,55 $ l’heure.) Il a donc été permis, ironie du sort, au sénateur Edward Kennedy, de souligner l’effet économique stupide de cette proposition : inciter les employeurs à embaucher des jeunes, pour les renvoyer au bout de 89 jours, et en réembaucher d’autres le lendemain.

Au final, et c’est peu étonnant, George Bush a fait sortir les Républicains de ce trou en jetant complètement l’éponge, et en se rangeant tout simplement au programme des Démocrates. Nous avions donc les Démocrates proposant une forte augmentation du salaire minimum, et les Républicains, après une série de propositions illogiques, avançant finalement de pair avec ce programme.

En vérité, il n’y a qu’une seule façon de considérer une loi sur le salaire minimum : c’est un chômage obligatoire, tout simplement. La loi dit : c’est illégal, et donc criminel, pour quiconque d’embaucher quelqu’un en dessous du niveau de X dollars de l’heure. Cela signifie, purement et simplement, qu’un grand nombre de contrats salariaux libres et volontaires, sont désormais interdits, et, par conséquent, qu’il y aura une grande quantité de chômage. Rappelez-vous que la loi sur le salaire minimum ne fournit pas d’emplois, elle les proscrit, et que les emplois hors-la-loi en sont le résultat inévitable.

Toutes les courbes de demande sont décroissantes, et la demande pour l’embauche de main-d’œuvre ne fait pas exception. Par conséquent, les lois qui interdisent l’emploi à n’importe quel salaire pertinent pour le marché (un salaire minimum de 10 cents de l’heure aurait peu ou pas d’impact) doivent conduire à proscrire l’emploi et, ce faisant, provoquer le chômage.

Si le salaire minimum est, mettons, porté de 3,35 $ à 4,55 $ l’heure, la conséquence est le licenciement permanent de ceux qui ont été embauchés à des niveaux entre ces deux valeurs. Puisque la courbe de demande pour toute sorte de travail (comme pour tout facteur de production) est fixée par la productivité marginale perçue de ce travail, les personnes qui perdront leur emploi et seront dévastées par cette interdiction seront précisément les travailleurs « marginaux » (les plus bas salaires), par exemple les Noirs et les jeunes, les travailleurs que, précisément, les partisans du salaire minimum disent favoriser et protéger.

Les partisans du salaire minimum et de son augmentation périodique répondent que tout cela n’est que des mots pour faire peur, et que le salaire minimum ne cause pas et n’a jamais causé de chômage. La bonne réponse est de l’élever ; très bien, mais si le salaire minimum est une telle mesure merveilleuse anti-pauvreté, et ne peut avoir aucun effet sur le chômage, pourquoi êtes-vous si mesurés ? Pourquoi aidez-vous les pauvres qui travaillent avec des montants si dérisoires ? Pourquoi s’arrêter à 4,55 $ de l’heure ? Pourquoi pas 10 $ l’heure ? 100 $ ? 1 000 $ ?

Il est évident que les partisans du salaire minimum ne suivent pas leur propre logique, parce que s’ils la poussaient à de telles hauteurs, la quasi-totalité de la main d’œuvre serait sans emploi. En bref, vous pouvez avoir autant de chômage que vous voulez, simplement en plaçant le salaire minimum légal à un niveau suffisamment élevé.

Il est normal pour les économistes d’être polis, et de supposer que les sophismes économiques sont uniquement le résultat d’erreurs intellectuelles. Mais il y a des moments où la politesse est gravement trompeuse, et ou, comme Oscar Wilde l’a écrit : « Dans certaines occasions, dire ce qu’on pense est plus qu’un devoir : c’est un plaisir. » Car si les partisans de la hausse du salaire minimum ont fait tout simplement fausse route malgré leur bonne volonté, ils ne seraient pas arrêtés à 3 $ ou 4 $ l’heure, mais poursuivraient leur logique imbécile dans la stratosphère.

Le fait est qu’ils ont toujours été assez malins pour arrêter leurs revendications salariales minimales au point où seuls les travailleurs marginaux sont touchés, et où il n’y a pas de danger de chômage, par exemple, pour les travailleurs adultes, masculins, blancs, avec ancienneté syndicale. Quand on voit que les plus ardents défenseurs de la loi sur le salaire minimum sont en fait l’AFL-CIO [1], et que l’effet concret des lois sur le salaire minimum a été de paralyser la concurrence des bas salaires des travailleurs marginaux à l’encontre des travailleurs à salaires plus élevés et avec l’ancienneté syndicale, la vraie motivation de l’agitation pour le salaire minimum devient apparente.

Ce n’est qu’un des nombreux cas où une persistance dans un sophisme économique sert de masque pour cacher des privilèges au détriment de ceux qui sont censés être « aidés ».

Dans l’agitation actuelle, l’inflation – soi-disant stoppée par l’administration Reagan – a diminué l’impact de la dernière hausse du salaire minimum en 1981, réduisant l’impact réel du salaire minimum de 23%. En partie à cause de cela, le taux de chômage a chuté de 11% en 1982, à moins de 6% en 1988. Peut-être chagriné par cette baisse, l’AFL-CIO et ses alliés font pression pour remédier à cette situation, et pour augmenter le taux de salaire minimum de 34%.

De temps à autre, les économistes AFL-CIO et d’autres sociaux-démocrates bien informés vont laisser tomber leur masque de sophisme économique et franchement admettre que leurs actions provoquent le chômage. Ils se justifient ensuite en affirmant qu’il est plus « digne » pour un travailleur de bénéficier de l’aide sociale que de travailler à un salaire bas. C’est bien sûr la doctrine de beaucoup de gens sur le fonctionnement de l’aide sociale. C’est vraiment un concept étrange de « dignité » qui a été favorisé par le système verrouillé du salaire minimum-aide sociale.

Malheureusement, ce système ne donne pas aux nombreux travailleurs, qui préfèrent encore être des producteurs plutôt que des parasites, le privilège de faire leurs propres choix.

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Notes

[1] American Federation of Labour – Congress of Industrial Organisations, principal regroupement syndical des États-Unis [NdT]

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