Ce que Piketty n’a pas vu

piketty fotoTraduction par Soufiane Kherrazi, Institut Coppet

Source : What Piketty Misses par 

Le livre de Thomas Piketty, Le Capital au XXIème siècle, est un best-seller mondial qui a suscité plus de réactions de la part d’universitaires et d’intellectuels publics que tout autre livre d’économie ces derniers temps. Google comptait vers la moitié de Mai 12,5 millions d’entrées sur Piketty et son travail.

Cependant, aucune de ces nombreuses réactions n’a fait remarquer que les statistiques si volumineuses de Piketty sont d’une pertinence limitée pour sa conclusion néo-marxiste sur l’inéluctable montée des inégalités, des troubles sociaux, et sur l’effondrement des économies de marché actuelles. Les statistiques qu’il utilise sont, en fait, des aperçus sur la répartition des revenus et des richesses formés à partir d’un échantillon dont la composition peut changer dépendamment de l’aperçu que l’on en fait.

Ce qui est plus pertinent pour l’évaluation des problèmes qu’il prédit, sont les données qui retracent l’évolution des revenus des mêmes individus dans le temps, et ce n’est qu’au cours de ces dernières années que les gouvernements ont commencé à publier ce genre de données. Aux États-Unis, ces données ont été amassées par le Trésor. Au Canada, des données similaires ont été publiées par Statistics Canada, sans que les médias leur accordent une quelconque attention. L’Institut Fraser avait déjà rendu public son étude sur ce sujet.

En effet, les données contenues dans l’étude canadienne surprennent : sur les 100 travailleurs qui se situaient en 1990 dans le quintile de revenu le plus bas, 87 ont progressé, 19 ans plus tard,  pour se situer au niveau des quintiles de revenu élevés, et dont 21 travailleurs ayant atteint même le quintile le plus haut. Cette mobilité des revenus se traduit aussi dans le sens descendant. En effet, sur les 100 Canadiens se trouvant dans le quintile de revenu le plus élevé en 1990, 36 ont reculé, 19 ans plus tard, pour se trouver dans les quintiles inférieurs.

Une autre information importante contenue dans les données de l’Institut Fraser réfute complétement les nombreux rapports sur la prétendue disparition de la classe moyenne. En 1990, les mêmes familles canadiennes qui avaient des revenus moyens corrigés de l’inflation dans le quintile le plus bas, ont vu leur revenu augmenter de 280% en 2009. Tandis que celles situées dans le quintile supérieur -les riches- n’ont connu, pendant cette même période, qu’une progression de 112% seulement. Pour les trois quintiles restants, les revenus moyens ont augmenté de 153%. En toute évidence, ces données montrent que les Canadiens sont devenus plus riches, les pauvres encore plus, et la classe moyenne non seulement elle s’enrichit au même rythme que les riches, mais fait beaucoup mieux que ceux-ci.

Cette dynamique de distribution des revenus révélée par ces statistiques résulte principalement du cycle de vie du revenu : la rémunération et la productivité sont faibles lorsque les travailleurs entrent sur le marché du travail, augmentent avec l’âge et l’apprentissage, et diminuent ensuite avec le handicap, lié à l’âge, et la retraite.

Le cycle de vie du revenu des individus s’explique également par des influences de court terme sur la capacité de travailler, comme les maladies et les décisions personnelles concernant l’éducation des enfants, la formation continue, et les changements de mode de vie. En occident, notamment  dans les économies de marché, l’impact de ces événements sur le revenu est limité à travers l’accès aux prestations de sécurité sociale et les assurances privées.

Ainsi, les revenus élevés ont tendance à avoir des sources temporaires (dans des périodes limitées) en raison d’événements non récurrents, comme la réalisation des gains en capital, des primes de rendement, et même des gains de loterie. C’est le cas des sportifs professionnels, des acteurs des « meilleurs films », des auteurs des « meilleures ventes », et même les managers qui gagnent des revenus élevés sur de courtes durées. Les données de Statistics Canada montrent aussi qu’au cours de ces dernières années, les meilleurs gagnants (le top 1%) n’avaient pas ces revenus à ces niveaux cinq ans avant. Les données de Forbes montrent que seulement 10% des milliardaires de l’année 1982 figuraient encore sur la liste de 2012, même après ajustement de l’inflation pendant des 30 dernières années.

Sur un autre plan, la récente croissance exceptionnelle des plus hauts revenus -le fameux 1%- est due en grande partie à la croissance du marché pour leurs services, qui, elle aussi, due à l’introduction de nouveaux médias électroniques, la mondialisation et la croissance des revenus de leurs publics : les sportifs professionnels, les créateurs et les artistes atteignent aujourd’hui un public de millions de personnes au lieu de centaines dans les spectacles ou de milliers dans les salles de cinéma.

La mondialisation du commerce a augmenté la taille des firmes et relevé la valeur des participations que les managers endossent à leurs bénéfices. Une firme avec un chiffre d’affaires local de 100 millions $ peut payer son responsable de ventes, devant augmenter le volume des ventes de 1%, moins bien que ce qu’elle peut payer après que la mondialisation lui relève son volume de ventes à 10 milliards de dollars. Les gains de Bill Gates et Steve Jobs et ceux de leurs dirigeants auraient été beaucoup plus faibles si leurs innovations n’avaient été vendues qu’aux États-Unis et non dans le monde entier.

Piketty a donc utilisé des données erronées en avançant que les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent. Les statistiques sur la mobilité des revenus montrent que les deux –riches et pauvres- s’enrichissent, et que les pauvres le font plus rapidement que les riches. Piketty attribue aussi, et à tort, l’essentiel de la croissance des disparités en matière de distribution des richesses à une excessive épargne profitant essentiellement aux riches, alors qu’en réalité celle-ci est le résultat des révolutions technologiques récentes et de la mondialisation des affaires qui profite aux super-mangers ainsi qu’aux entrepreneurs innovateurs à l’instar de Gates et Jobs.

Enfin, la position de Piketty favorable aux impôts confiscatoires sur le revenu et sur le patrimoine en vue de prévenir les événements « potentiellement terrifiants » est contestable, surtout pour le cas des pays occidentaux, où la majorité s’attende bien à des hausses de revenus et de patrimoines tout au long sa vie, et où l’assurance sociale protège les revenus des temporaires et permanents nécessiteux.

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