Compte-rendu du séminaire d’Alain Laurent, le 7 avril 2011

Par Benoît Toussaint et Damien Theillier.

Les “libertarian-conservatives”.

Être conservateur : pour conserver quoi et pourquoi ?

Le mot “conservatism” est souvent employé pour désigner toute l’aile droite des courants de pensée américains. Parfois c’est le terme “libertarianism”. D’où une certaine confusion.

Par ailleurs, se réclamer du libéralisme et du conservatisme pose un gros problème du point de vue libéral. Pour des penseurs tels que Hayek ou Ayn Rand, les conservateurs étaient assimilés à des étatistes. Selon Hayek, dans Constitution de la liberté p. 393, il y a une différence fondamentale entre conservatisme et libéralisme classique. Le libéral accepte les changements sans appréhension. Pour le conservateur, l’ordre n’est pas spontané mais il apparaît comme décrété par l’Etat.

Du point de vue d’Ayn Rand (Capitalism, the unknown ideal. Le chapitre intitulé « Conservatism an obituary »), les conservateurs sont des ennemis, au même titre que les liberals.

C’est ce rejet du conservatisme qui poussa J. Buchanan à écrire un ouvrage en 2005 intitulé Why I too am not a conservative (« Pourquoi moi non plus je ne suis pas conservateur »).

Le père du « New conservatism » américain est Russell Kirk. Mais Kirk est un traditionaliste anti-individualiste, pas un libéral.

Pour Irving Kristol, « Les néo-conservateurs sont des liberals qui se sont heurtés à la réalité ». Selon lui un néo-conservateur veut aller de l’avant (en réponse à Hayek). Dans Two Cheers for Capitalism, paru en 1978, Kristol souligne la valeur fondamentale du capitalisme qui permet de créer de la richesse. Kristol y souligne aussi que « l’analyse économique », doit aller de pair « avec une philosophie politique et morale, et avec une pensée religieuse ».

Charles Murray est un autre grand nom du conservatisme-libéral. Son livre Losing Ground attaque l’État-Providence et les programmes sociaux.

De son côté Frank Meyer, rédacteur en chef au magazine National Review, a développé le concept de fusionnisme : conciliation entre le meilleur de la pensée libérale et de la pensée conservatrice. C’est Frank Meyer qui a inventé les termes « libertarian-conservative » et « fusionism » dans son livre In Defense of Freedom (recueil de ses articles dans NR).

Le premier homme politique à faire la synthèse entre libéralisme classique et conservatisme est Barry Goldwater en 1964 : « L’Etat doit s’arrêter à la chambre à coucher des individus ». Le Tea Party s’inscrit aujourd’hui dans la continuité de ce mouvement.

Margaret Thatcher fut aussi une authentique libérale-conservatrice.

Que veut conserver un libéral conservateur ? La constitution des pères fondateurs mise à mal par les liberals et tout ce qui protège la liberté individuelle : le droit de porter des armes, un droit pénal rigoureux…

Pour le penseur Michael Oakeshott : être conservateur est une « disposition d’esprit ». On accepte le changement avec prudence pour ne pas perdre la “familiarité” avec son environnement : ce qui signifie : pas de révolution, mais pas de statut quo non plus : « que tout change pour que rien ne change ».

A lire

Pour compléter ce tableau, l’Institut Coppet a publié une traduction inédite de Lee Edwards sur la politique du fusionnisme : Frank Meyer et Barry Goldwater.

Républicains et conservateurs doivent se souvenir, déclarait Dick Armey, leader parlementaire majoritaire de 1995 à 2003 et lui-même libertarien, que « le mouvement conservateur moderne est une fusion des tendances conservatrices sociales et fiscales, unis dans leur croyance en un gouvernement limité. [Nous] devons garder les deux dans la bergerie ».

Selon Frank Meyer, libertarian-conservative, le principe de base du fusionnisme est que « la liberté de la personne [est] la fin centrale et fondamentale de la société politique. » Pour lui, l’État n’a que trois fonctions limitées : la défense nationale, la préservation de l’ordre domestique, et l’administration de la justice entre les citoyens.

Mais Meyer a aussi défendu l’idée que les préceptes religieux et traditionnels ont été nécessaires pour soutenir la liberté. Celle-ci ne peut pas subsister dans le contexte relativiste-matérialiste de la pensée moderne. Dans l’expérience américaine, la liberté et la foi sont conjointes et non séparés.

A lire aussi : Nisbet sur les conservateurs et le libertariens

Bibliographie :

Alain Laurent, Le libéralisme américain, histoire d’un détournement. Les Belles Lettres, 2006.
Lee Edwards, Goldwater: The Man Who Made a Revolution (Washington, D.C.: Regnery Publishing, 1995)
George H. Nash, The Conservative Intellectual Movement in America Since 1945 (Wilmington, Del.: ISI Books, 1996)

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