Découverte de 400 nouveaux articles de Molinari — Partie 1 : Récit d’une découverte

Au cours de sa carrière, Gustave de Molinari a revendiqué (de manière assez floue) sa participation au Courrier Français, dans lequel Frédéric Bastiat publia aussi quelques textes. Pour la première fois examiné, ce périodique se trouve contenir plus de 400 articles du jeune Molinari, principalement sur le libre-échange, mais aussi sur quelques thèmes dont il avait raison de ne pas s’enorgueillir.  

Aujourd’hui, nous détaillons l’examen de sa participation à ce journal. Nous publierons ensuite la liste complète de ces nouveaux articles, avant de les diffuser eux-mêmes un par un.

 Ce travail de recherche et de publication s’est opéré dans le cadre des Œuvres complètes de Molinari, sous la direction de Mathieu Laine.


LE COURRIER FRANÇAIS

 

I.

Sur le détail de la collaboration de Gustave de Molinari au Courrier français

 

La collaboration de Gustave de Molinari au Courrier français ne représente pas, en soi, un secret. Toutefois, la manière, à la fois floue et incomplète, avec laquelle elle fut revendiquée par l’auteur lui-même, tout au long de sa carrière, nous invitait à accorder à ce problème une plus grande attention.

Les mentions de sa participation, trouvées dans ses œuvres, sont en effet lacunaires et parfois contradictoires. En 1849, dans une note aux Soirées de la rue Saint-Lazare, Molinari cite d’abord un « Appel aux ouvriers » qu’il publia dans le Courrier Français du 20 juillet 1846, sans s’étendre sur sa participation à ce journal. Quatre ans plus tard, le Dictionnaire de l’économie politique, dont il est un des rédacteurs et qui doit donc être bien informé[1], lui prête une participation à la rédaction du Courrier français au cours des années 1846 et 1847. [2] Or dès 1859, à l’occasion d’une controverse avec la presse, au cœur de laquelle on lui prêta des expériences journalistiques de jeunesse pour le moins compromettantes, Molinari rectifia les faits et écrivit de manière claire : « Après avoir collaboré d’une manière accidentelle à quelques journaux ou recueils de peu d’importance, j’ai débuté dans la presse parisienne en 1845, comme rédacteur chargé de la partie économique du Courrier français, journal de l’opposition constitutionnelle. » [3] Dans Pourquoi j’ai retiré ma candidature (1859), il ajouta en annexe un programme qu’il avait composé en 1846 et qui fut publié dans le Courrier français du 28 juin 1846. Deux ans plus tard, il republiait plusieurs de ces articles tiré du même journal dans les Questions d’économie politique et de droit public (2 volumes, 1861) : le « droit électoral » (28 juin 1846), l’« Appel aux ouvriers » (20 juillet 1846) ainsi que deux lettres à Frédéric Bastiat sur le libre-échange (21 et 27 septembre 1846).

À ce stade, la revendication est peu claire. Sa collaboration date-t-elle de 1845 ou de 1846 ? Et s’il était le spécialiste économie du journal de 1845 à 1847, ne doit-on pas s’attendre à ce qu’il ait publié bien d’autres articles que les quelques textes de l’été 1846 dont il assume la paternité ?

Dans la suite de sa carrière, Molinari ne va jamais lever cette ambiguïté, bien au contraire. En 1878, dans sa préface aux Lettres d’un habitant des Landes de Frédéric Bastiat, il raconte comment, « dans les premiers mois de 1846 », il fit la rencontre de l’auteur de Cobden et la Ligue, qui venait remercier les rédacteurs du Courrier français de la recension élogieuse qu’ils avaient faite de son livre. Que Molinari occupât alors les bureaux du journal fait présager une participation quelque peu suivie ; mais là encore, les indications restent sommaires. Elles sont même incorrectes, puisque en 1901, lors d’une réunion de la Société d’économie politique, Molinari racontera ce même épisode de la première rencontre, mais en s’incluant davantage dans le récit, disant que Bastiat « arrivait de Mugron et venait me remercier d’avoir rendu compte de son livre Cobden et la Ligue dans le Courrier français. » En d’autres termes, Molinari était l’auteur du compte-rendu.

En écrivant en 1893, Molinari fait chanceler à nouveau nos hypothèses : dans son livre sur les Bourses du travail, il cite un article paru en trois parties dans le Courrier français, entre octobre et novembre 1844, pour prouver son antériorité sur tous les autres auteurs ayant évoqué la question au milieu du siècle. À ce stade, les bornes de sa participation au journal sont plus que jamais douteuses, et l’ampleur de sa participation, quant à elle, n’est jamais dévoilée. La situation est critique.

Manquant d’éléments concrets, il nous restait l’alternative évidente de feuilleter les pages du Courrier français, à la recherche du nom de Molinari. À cela s’oppose toutefois, d’emblée, une vraie difficulté, à savoir l’anonymat de la très grande majorité des articles. À l’exception de l’étude en trois parties parue en 1844, aucun des articles revendiqués par Molinari au cours de sa participation suivie au Courrier français n’est signé, et l’expédient d’attendre que son nom apparaisse au bas d’un texte est donc exclu pour nous.

Toutefois, à examiner attentivement les numéros du Courrier français, on remarque bien, à quelques très rares reprises, la mention du nom de Molinari. Ces indications peuvent nous servir.

Il y a d’abord son étude signée, publiée en octobre-novembre 1844 sous le titre d’« Études économiques ». Compte tenu du fait que les contributeurs extérieurs au journal signaient leurs articles, pour les distinguer de ceux provenant de l’équipe de rédaction, on peut conclure qu’à cette époque Molinari n’était pas membre de la rédaction, et qu’il y entra plus tard — avec plusieurs hypothèses de datation : dès la fin 1844, à la suite de ce premier texte ; en 1845, comme il l’écrit dans Pourquoi j’ai retiré ma candidature ; ou en 1846, comme l’affirme le Dictionnaire de l’économie politique.

Des éléments existent pour nous aider. Ainsi, le 13 décembre 1844, le Courrier français mentionne en passant, mais avec des éloges, la nouvelle brochure de Molinari sur les Compagnies religieuses et de la publicité de l’instruction publique. Ici, le nom de Molinari n’est suivi d’aucun titre le rattachant au journal, contrairement à l’annonce de ses Études économiques (Courrier français, 11 février 1846) dans laquelle il est présenté comme un collaborateur.

Pour fixer la date d’entrée de Molinari comme rédacteur habituel dans le journal, nous avons encore une autre mention à examiner. Le 7 décembre 1845, nous retrouvons en effet le nom de Molinari cité parmi les collaborateurs du journal après le rachat par Xavier Durieu. À cette date, et selon l’organigramme publié, les questions économiques se répartissent entre trois collaborateurs : l’économie politique, pour Molinari et Latour-Dumoulin, et l’économie agricole, pour Jacques de Valerres. Dès le lendemain, le nom de Latour-Dumoulin disparaît et Molinari se retrouve seul associé à la rubrique économie politique, Valerres conservant l’économie agricole. À cela nous devons conclure qu’à cette date Molinari fait partie de l’équipe éditoriale et qu’a priori les articles anonymes d’économie politique insérés à partir de décembre 1845 seront sortis de sa plume.

Mais Molinari fut-il intégré à l’équipe en décembre, au moment du rachat par Xavier Durieu, ou faisait-il déjà partie de l’équipe de rédaction depuis plusieurs mois ? À cela, nous sommes capables de répondre de manière assez claire, car l’article revendiqué par notre auteur, la recension de Cobden et la Ligue, nous le retrouvons publié (toujours anonymement) en deux parties en septembre 1845, c’est-à-dire bien avant le changement de propriétaire. Dès lors, il apparaît que Molinari faisait bien partie de l’équipe dès avant le rachat de la fin novembre et l’installation de la nouvelle équipe.

Reste à fixer avec autant de précision que possible le début de sa participation. Ici, il est à craindre qu’une affirmation certaine demeure impossible. Le plus probable, néanmoins, est qu’ayant envoyé ses « études économiques » vers octobre 1844, et le rédacteur en chef ayant été assez satisfait pour les insérer dans le journal — malgré leur dimension intimidante et problématique pour une publication dont le nombre de lignes est fixé — Molinari se soit vu proposé une collaboration plus suivie. Les premières traces que nous pouvons déceler d’une éventuelle participation remontent à la toute fin du mois de décembre 1844. D’autres articles, qui offrent des similitudes très frappantes avec les autres productions revendiquées du jeune Molinari, s’échelonnent régulièrement pendant toute l’année 1845, jusqu’à l’article revendiqué de septembre, et à la mention univoque de sa participation en décembre.

Nous retrouvons alors un fil plus certain. À partir de décembre 1845, Molinari est en charge de la partie économique et il se consacre en priorité à la défense de la liberté des échanges. Ses articles, très réguliers, couvrent une grande diversité de sujets, et par les liens discrets qu’ils établissent les uns avec les autres, ils présentent un maillage assez reconnaissable de compositions économiques. En tout, sur les années 1845-1846, nous ne distinguons pas moins de 400 articles qui peuvent être attribués à Gustave de Molinari.

Évoquons pour finir l’autre borne limite, c’est-à-dire la fin de la participation de Molinari au Courrier français. Il n’est pas plus aisé de la déterminer que le temps de ses premières participations. Surtout, cette fin s’insère dans un récit très curieux, et peu connu, celui de la querelle de Molinari avec le réseau des libre-échangistes français. Entre septembre et octobre 1847, celui-ci exprime en effet publiquement ses désaccords de méthode et de doctrine avec les autres représentants du mouvement en faveur de la liberté des échanges, y compris son maître, Frédéric Bastiat. Il décide de ne plus participer à l’agitation quotidienne et ses articles de défense du libre-échange dans le Courrier français cessent. Critique envers les réalisations de l’Association pour la liberté des échanges, il se fixe, quant à lui, une autre mission : l’examen des faits, des statistiques, et la mise en avant de propositions pratiques. Ce sera l’objet de ses études sur le tarif dans la Revue Nouvelle.

À partir de novembre 1846, les articles que l’on peut raisonnablement attribuer à Molinari se font de plus en plus rares. La Revue Nouvelle puis le Journal des économistes l’occuperont désormais.

Benoît Malbranque

————————

[1] Étant donnée l’implication de Molinari dans ce projet de publication, il est difficile d’imaginer que la notice sur lui ait pu transmettre autre chose qu’une information qu’il ait donnée ou qu’il ait au moins validée. En outre, la pratique courante des éditeurs du Dictionnaire était d’envoyer une sorte de formulaire aux personnes sur lesquels ils souhaitaient écrire une notice, en leur demandant des précisions sur leurs publications. Il subsiste de nos jours au moins deux exemples de telles lettres types, l’une envoyée à Proudhon, l’autre à W. T. Thornton.

[2] Dictionnaire de l’économie politique, volume 2, article « Gustave de Molinari », Paris, Guillaumin, 1853, p. 197.

[3] Lettre de Gustave de Molinari au rédacteur en chef du Travail National, 20 juin 1859, insérée dans ledit journal en date du 25 juin 1859. La phrase se trouve également dans la brochure Pourquoi j’ai retiré ma candidature, Bruxelles, 1859.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publié.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.