Discours du 21 janvier 1846 sur la corruption électorale

Discours du 21 janvier 1846 sur la corruption électorale

[Moniteur, 22 janvier 1846.] 

 

M. LE PRÉSIDENT. Gustave de Beaumont a la parole sur le premier paragraphe dont je donne lecture : 

« La chambre des députés se félicite avec vous de l’état général de la France. L’accord des grands pouvoirs et le maintien de notre politique d’ordre et de conservation assureront de plus en plus le développement régulier de nos institutions, l’affermissement de nos libertés et les progrès de la prospérité nationale. » 

M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Messieurs, quoique je fusse d’avis que, pour l’utilité et le bon ordre de la discussion, il pût être convenable de séparer la discussion générale des questions particulières, je comprends cependant que la chambre, au jugement de laquelle je me soumets, ait pensé autrement que moi, et ait pu croire même que cette séparation n’existait réellement pas. 

En effet, on vient de discuter tout à l’heure une difficulté grave de la politique extérieure. Plus tard, dans l’ordre des articles qui suivront, des questions appartenant également à la politique étrangère seront discutées ; on vous révélera des fautes graves, on vous signalera de grandes imprudences, de grands périls. Eh bien, ces périls, ces fautes, ces imprudences, ce sont des conséquences dont la cause première est la politique intérieure. 

Ainsi, ce qu’on vient de discuter tout à l’heure, la politique déplorable qu’à mon avis suit en ce moment le gouvernement vis-à-vis de l’Amérique du Nord, est une conséquence de quoi ? précisément du système adopté par la politique intérieure, qui est la cause première de tout le mal. 

Nous sommes donc précisément, par le débat qui vient d’avoir lieu, ramenés à la question de politique intérieure, dont je demande à la chambre de l’entretenir un instant. (Parlez ! parlez !) 

Je ne sais si la chambre a été saisie tout entière de la même impression que moi ; mais ce qui m’a frappé dans ce débat qui a duré deux jours, et pendant lequel tant d’orateurs déjà ont été entendus, c’est que, orateurs de l’opposition ou orateurs ministériels, tout le monde attaquait cette politique, et que personne n’osait la défendre. (Murmures au centre.) 

Je ne crois pas qu’ici des réclamations s’élèvent ; je ne les croirais pas fondées ; je me les expliquerais mal. Je me rappelle parfaitement les noms des orateurs qui ont parlé. De tous les partis, de tous les côtés de cette chambre, des voix se sont élevées, et je ne crois pas que vous prétendiez placer parmi les orateurs de l’opposition l’honorable M. de Peyramont qui, avec une énergie, avec une loyauté qui l’honorent, est venu flétrir à cette tribune des actes que n’a pas niés le gouvernement, tout en couvrant cependant leur principal auteur. Je ne crois pas que vous prétendiez non plus ranger parmi les orateurs de l’opposition, l’honorable M. de Gasparin, qui, avec la même loyauté, avec la même énergie, est venu combattre ce système des influences qu’on a appelé, avec raison, la politique des intérêts privés, à l’aide de laquelle on étouffe la politique des intérêts généraux du pays. 

Il me semble, Messieurs, qu’il est impossible que le gouvernement, que la chambre s’en tiennent aux impressions qui ont été produites. 

Serait-il possible que la chambre s’en tînt à des discours sur ce point, et que, passant à des votes, on laissât indécise la question de savoir quels sont ceux qui s’associent à ce système, quels sont ceux qui au contraire le repoussent ? 

Je sais que l’on dit : Sans doute il y a quelques faits singuliers, quelques actes blâmables ; mais comment imputer au ministère un système général de gouvernement fondé sur ces procédés illégaux et ces influences singulières ? 

Eh bien, Messieurs, je précise la question, et je ne crois pas que, dans l’état des choses, on puisse nier que telle ne soit en effet la base sur laquelle repose toute la politique du gouvernement. 

M. de Gasparin vous disait hier que peut-être, à côté des faits qui s’étaient révélés, viendraient se produire quelques doctrines audacieuses qui tendraient à les justifier. 

Mais, Messieurs, la doctrine s’est produite, elle ne s’est point fait attendre, elle a précédé les faits ; on a fait plusieurs fois allusion à un discours fameux prononcé par M. le ministre des affaires étrangères dans un banquet célèbre. 

Je crois qu’il serait utile, pour ne point s’égarer, d’en reproduire les termes mêmes, et vous verriez que c’est tout simplement cette théorie qu’attendait M. de Gasparin, que c’est la doctrine même à l’aide de laquelle on prétend justifier les faits particuliers qui sont attribués au cabinet. 

Ici une simple observation comme préface. 

Il y a, il faut le reconnaître, dans la manière de faire de M. le ministre des affaires étrangères et dans celle de M. le ministre de l’intérieur, une différence. Il faut le reconnaître, M. le ministre de l’intérieur n’attache pas de prix précisément à faire précéder ou suivre ses actes d’une théorie : il agit, il fait sa politique ; tantôt il nie, tantôt il avoue dans la mesure qui lui convient ; mais il ne tient pas à justifier par des préceptes, par de belles doctrines, par de grands principes, les actes de sa politique. 

M. le ministre des affaires étrangères, dans son austérité philosophique (Rumeur), attache, lui, au contraire, un prix particulier à mettre toujours ses actes, même quand ils ne sont pas bons, d’accord avec des doctrines honorables, élevées et grandes ; il veut des théories qui appuient ses actes, alors même que ces actes ne sont pas parfaitement légitimes. 

Voici donc, Messieurs, la théorie que l’on attendait. Vous le savez et tout le monde sait, et on l’a dit cent fois, toute cette politique des intérêts privés se réduit à ceci : il y a de certains intérêts matériels, les routes, les canaux, les salles d’asile, les écoles ; ensuite les intérêts privés, les bourses, les places : toutes ces faveurs, c’est avec cela qu’on fait ce que l’on nomme la monnaie électorale. Eh bien, on donne tout aux uns, on refuse tout aux autres. (Approbation à gauche et dénégations au centre.) 

On ne se borne pas à cela, on établit que cela est bien, que cela est légitime. M. le ministre des affaires étrangères, précisément, établissait lui-même cette doctrine. Il est bon, a-t-il dit dans un autre banquet, car il paraît que c’est dans les banquets surtout que M. le ministre des affaires étrangères aime à proclamer ses doctrines de moralité (Murmures au centre) : « Il est juste que les hommes qui prêtent leur appui, un appui ferme et sincère à la politique qui convient aux intérêts généraux, en recueillent les fruits pour leurs intérêts locaux. » 

C’est là la première théorie ; vous allez voir un progrès : tout à l’heure vous allez voir l’intérêt individuel paraître ; on n’en est jusqu’à présent qu’aux intérêts locaux. Plus tard, complétant sa pensée, M. le ministre des affaires étrangères, dans un banquet qui n’est que la conséquence du premier, s’exprime ainsi : « Les libertés publiques sont chaque jour pratiquées, prouvées, développées. Vous assistez aux débats des chambres : croyez-vous qu’il manque quelque chose à la liberté de la tribune ? Vous lisez les journaux : la liberté de la presse vous paraît-elle opprimée ? Vous faites de fréquentes élections : vous apercevez-vous qu’elles soient l’œuvre de la corruption et de la violence ? Parce que je vous ai quelquefois aidés à réparer vos églises, à construire vos presbytères, vos écoles, à assurer une carrière à vos enfants (Rires à gauche.), avez-vous cessé de voter librement, consciencieusement ? vous sentez-vous des hommes corrompus ? » (Nouveaux rires sur les mêmes bancs.) 

Deux observations d’abord sur la doctrine. 

Messieurs, ce débat est très grave, malgré la circonstance à laquelle je l’emprunte. Vous savez que, dans les pays libres, c’est un usage consacré que des banquets aient lieu dans l’intervalle des sessions, où les hommes politiques produisent librement, honorablement leurs doctrines. Je n’attaque pas le lieu de la réunion, j’attaque les paroles qui y ont été prononcées. 

Messieurs, permettez-moi d’abord deux observations. 

N’êtes-vous pas frappés comme moi de ce qu’il y a d’édifiant dans cette consultation adressée par M. le ministre des affaires étrangères à tous ces honnêtes électeurs, buralistes, percepteurs, boursiers qui l’entourent, et auxquels il adresse solennellement cette question : « Vous sentez-vous corrompus ? » et tous en chœur répondant : « Nous ne nous sentons pas corrompus » (Rires) ; et, fort de cette consultation, M. le ministre des affaires étrangères poursuit la bonne politique. 

Autre réflexion. N’admirez-vous pas la fière et grande générosité aristocratique avec laquelle M. le ministre des affaires étrangères parle des bourses données, des subventions accordées, de l’argent donné pour réparer les églises ? Donné ? Avec l’argent de qui faites-vous ces libéralités, je vous prie ? Avec l’argent du Trésor public ; et vous venez étaler votre libéralité aristocratique… (Interruption.) 

Prenez garde, il y a sous la question que je pose en ce moment quelque chose de très grave qui se passe ainsi en France et en Angleterre. 

Oui, en Angleterre, il y a des riches qui exercent dans les élections une mauvaise influence en dépensant beaucoup d’argent. Je ne parle pas d’argent donné pour prix des suffrages, ce serait de la pure corruption ; mais je parle de l’argent dépensé en œuvres utiles, en secours charitables, en travaux d’utilité publique : c’est une influence mauvaise, même dans cette mesure. Mais enfin il y a une limite ; cette limite, c’est que cet argent est celui de qui le donne. Mais quelle est la limite quand c’est dans le Trésor public, dans le coffre de l’État que vous puisez ? Elle n’existe pas. Vous voyez tout de suite la différence immense. 

Il y a en Angleterre des influences de fortune, mauvaises, dangereuses pour un gouvernement libre, qui s’exercent de cette manière. Oui, il y a une aristocratie très puissante qui pèse par ses richesses sur la vérité, sur la sincérité du gouvernement représentatif ; mais cette aristocratie est divisée, mais il y a des whigs riches, comme il y a des toryes riches : il y a des radicaux riches, et tandis que les whigs exercent une mauvaise influence avec leur fortune, les torys aussi exercent avec leur fortune une influence analogue, et tendent ainsi à se paralyser, à se combattre les uns les autres. Il arrive ainsi souvent que des hommes, placés en apparence dans dans une même situation sociale, combattent pour des principes différents, et que, dans un conflit d’influences également mauvaises, la cause de la liberté est soutenue et triomphe. Mais, ici, où sera le contrepoids ? Quel est celui qui pourra lutter contre le parti aux affaires puisant dans le Trésor public pour distribuer un fonds qui n’est pas équitable, un fonds immense qui n’a pas de limite ? Il y a là un immense danger : voilà pourquoi on ne saurait comparer les conditions du gouvernement dans ces deux pays. 

Et voilà pourquoi quelques membres de cette chambre avaient tort de sourire à l’observation que je faisais, que M. le ministre, en définitive, dans ses libéralités, puisait tout simplement dans les coffres de l’État : ils avaient tort ; car c’est précisément un des grands dangers de notre gouvernement, que le parti qui est aux affaires ne trouve aucune limite dans la faculté discrétionnaire qui lui appartient de puiser dans le Trésor public. 

J’éprouve le besoin de préciser encore plus le débat : je crois qu’il y a eu, qu’il y aura toujours des abus du genre de ceux dont on parle. J’en suis convaincu, il y en a eu avant le ministère du 29 octobre, il y en aura après le ministère du 29 octobre ; cela tient à la nature des choses. Oui, il y aura toujours des grâces mal placées, des injustices commises, des excès de pouvoir. 

Le mal n’est pas là ; le mal n’est pas dans les faits particuliers qui se produisent ; le mal n’est pas dans des accidents : le mal est dans le système qui tend à présenter ces faits comme légitimes ; le mal est dans l’organisation régulière d’influences irrégulières ; il est dans l’espèce d’ordre mis dans ce désordre ; il est dans les maximes qui tendent à faire de ces influences mauvaises des procédés habituels et légitimes de gouverner. Voilà le mal, et c’est pour cela qu’il y a un danger si grand dans la théorie que contiennent les paroles de M. le ministre des affaires étrangères. 

La conséquence de la théorie est celle-ci, et vous allez le comprendre tout de suite. Avant que la théorie soit faite, les actes dont il s’agit passant pour mauvais, leur auteur s’en cache, et il les pratique le moins qu’il peut ; mais quand la doctrine les a prouvés bons et honnêtes, oh ! alors, le fait prend un caractère différent : désormais on fera consciencieusement et au grand jour, ce qu’on a fait avec remords et en cachette. Au lieu de s’en cacher on s’en honore, parce qu’on a pour soi un principe. 

Il en résulte une autre conséquence ; la voici : quand il est convenu que c’est chose bonne, légitime, au lieu d’être chose mauvaise, irrégulière, ou d’être un accident passager, le mal est rapide à se généraliser, et on le voit se produire partout. Alors ce n’est pas seulement le ministère de l’intérieur chargé de faire les élections et de donner des preuves d’habileté de main, ce n’est plus lui seulement qui sera le grand artisan du système de la politique des intérêts privés ; tous les ministères alors seront obligés d’y coopérer, et ils y seront obligés non point par suite de ces faiblesses accidentelles dont je parlais tout à l’heure, et auxquelles tout le monde est sujet, mais en conséquence même du principe qui leur fera une loi d’y contribuer. 

Et ici je me bornerai à citer deux faits. Mon Dieu ! je comprends la fatigue de la chambre, et je l’épargne le plus possible. (Parlez ! parlez !) Peut-être aussi me sait-elle gré de la situation que j’ai acceptée et qui me donne quelques titres à son indulgence. 

Je ne citerai que deux faits ; je ne veux pas dire tout ce que j’aurais à dire, tout ce que j’ai là. 

À gauche. Dites ! dites ! 

Je ne crois pas d’ailleurs qu’en ce qui concerne les élections, il soit nécessaire d’ajouter des faits nouveaux à ceux qui ont été produits ; je ne crois pas que je puisse sans affaiblir revenir sur cette discussion où ont été établis des faits énormes, impossibles à croire, comme on l’a dit. (Rumeurs au centre.) 

Une voix. C’est vrai ! 

M. GUSTAVE DE BEAUMONT. C’est l’expression dont s’est servi M. de Peyramont. 

Des faits énormes, impossibles à croire s’ils n’étaient pas prouvés, lorsque ces faits ont été ici constatés par des orateurs de toutes les nuances, et ont placé M. le ministre de l’intérieur dans cette situation déplorable où j’ose dire que l’on n’avait jamais vu jusque-là le gouvernement, ne niant pas les faits qui lui étaient révélés non seulement par la tribune, mais par des communications intimes dans lesquelles il devait avoir confiance ; ne niant pas ces faits, et cependant obligé de reconnaître que leur auteur est toujours placé à la tête d’un département et investi de la confiance du pouvoir. 

Je dis que tout ce que je pourrais ajouter sur ce terrain ne ferait qu’affaiblir ce qui a été dit jusqu’à présent. Je me borne, je le répète, à des faits empruntés aux autres ministères, et vous allez voir comment. 

Messieurs, on a beaucoup dit dans ces derniers temps, et c’est une triste vérité, que, de tous les ministères, celui qui devrait être le plus étranger aux manœuvres électorales et à la pratique, je ne dirai pas de la corruption, mais des mauvaises influences, (À gauche. Dites ! dites !) c’est le ministère de la justice. (Mouvement.) 

Ne croyez pas que je vienne rappeler ici la question des annonces judiciaires : tout ce qu’on a dit là-dessus demeure, mais je voudrais simplement porter à cette tribune un fait qui est à la connaissance de tout le monde. 

Une magistrature petite de nom, mais grande par son caractère, la magistrature des juges de paix, est désormais convertie en un instrument politique. (Dénégations au centre.) 

À gauche. C’est évident ! 

M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Oui, je suis convaincu que sur tous les bancs de cette chambre (car je sais quelles sont vos dénégations, elles ne sont qu’apparentes ; au fond elles ne sont pas sincères…) ; oui, je ne crains pas de dire que, sur tous les bancs de cette chambre, on a le sentiment que cette magistrature si respectable, si populaire, qui intéresse à un si haut degré tous les justiciables ; eh bien ! cette magistrature, si grande par son institution, a été détournée de son origine et de sa mission. 

Oui, il faut le dire, on tend chaque jour davantage à faire des juges de paix des courtiers d’élections. (Vives réclamations au centre. — À gauche. Oui ! oui ! c’est vrai !) Et voulez-vous que je vous en donne des preuves ? 

Comment peut-on en juger, si ce n’est par les choix de M. le garde des sceaux ? Vous sentez que je ne veux pas demander à cette tribune une enquête sur tous les juges de paix de France, mais le hasard a fait tomber à ma connaissance un choix récent de M. le garde des sceaux, qui a causé dans la localité où il s’est produit un sentiment d’indignation si grand, qu’il est dans mon droit et dans mon devoir d’exposer ici mon sentiment. 

Dernièrement une place de juge de paix était vacante dans le canton de Rosay, département de Seine-et-Marne, arrondissement de Coulommiers. Eh bien, M. le garde des sceaux a nommé à cet emploi, malgré les avertissements qui lui avaient été donnés, un homme dont je suppose que tout le mérite était d’être un agent électoral bien dévoué, car assurément il n’en avait pas d’autre. Cet homme, dont on a fait un juge de paix, était notoirement, aux yeux de tous ses concitoyens, signalé, dans son canton, à l’opinion publique par des faits qui n’étaient pas propres à appeler sur lui la bienveillance du gouvernement. (Murmures au centre.) 

Un jugement du tribunal de première instance de Coulommiers avait suspendu de ses fonctions cet homme, pendant qu’il était avoué ; et voici les considérants du jugement, si vous voulez les connaître. (Oui ! oui !) 

Il s’agissait tout simplement de l’inculpation d’avoir surpris un jugement au tribunal par une production déloyale de pièces. Voici comment s’exprime le jugement : « Considérant qu’en sa qualité de demandeur, *** n’a pu ignorer l’irrégularité des pièces sur lesquelles il fondait sa demande ; qu’ainsi son intention évidente était d’obtenir un jugement du tribunal à l’aide de pièces qui seraient irrégulières ; faisant application des art. 102 et 103 du décret du 30 mars 1808, suspend M. *** de ses fonctions pendant huit jours, et le condamne à tous les dépens…. » 

Et, après le jugement de suspension qui éveille l’attention de la justice, le procureur du Roi du tribunal de Coulommiers demande qu’une instruction soit suivie contre la personne dont je parle. L’instruction est commencée, des témoins sont entendus. Il est vrai qu’on décide qu’il n’y a pas lieu à suivre ; mais les charges paraissaient si graves au procureur du Roi, qu’il demande l’arrestation de l’inculpé : celui-ci est écroué, le 7 juillet 1830, dans la maison d’arrêt de Coulommiers. Pensez-vous que le magistrat qui a commandé ces poursuites fût un homme peu circonspect, violent dans ses actes, habitué à des procédés acerbes ? Ce magistrat était M. Garnier du Bourneuf, actuellement directeur des affaires civiles au ministère de la justice. 

Lorsque vous avez eu besoin de vous éclairer sur le caractère du candidat, M. Garnier du Bourneuf, placé dans vos conseils, a pu vous donner tous les renseignements qui vous étaient nécessaires. 

M. MARTIN (DU NORD), garde des sceaux. Il me serait bien facile de dire que j’ai besoin de prendre des renseignements sur un fait isolé qui est ainsi articulé à la tribune ; mais je répondrai sur-le-champ par un fait qui, à coup sûr, expliquera parfaitement la nomination qui vient d’être attaquée : c’est que non seulement j’ai ignoré le jugement dont on vient de parler, mais ce jugement n’a pas paru avoir aux yeux du tribunal l’importance qu’a voulu lui donner l’honorable préopinant, puisque le tribunal de Coulommiers a présenté lui-même ce candidat en première ligne, et qu’il n’a été nommé que sur cette présentation et sur celle des chefs de la cour royale. 

M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Je sais très bien que toutes les fois qu’un fait est produit, quelle que soit sa gravité, on peut toujours y répondre. Je le sais. (Exclamations ironiques au centre.) Je vais prendre, non plus un fait…. 

À gauche. Mais celui-là est très bon ! 

M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Je vais prendre un autre fait que vous ne puissiez pas commenter à votre manière. 

M. GUYET-DESFONTAINES. Voulez-vous me permettre, sans sortir de ce fait, de faire remarquer à M. le garde des sceaux que ce n’est pas le tribunal qui fait les présentations, c’est le président. Eh bien, le président actuel et le procureur du Roi étaient-ils ceux qui étaient au tribunal de Coulommiers quand le fait s’est passé ? 

M. LE GARDE DES SCEAUX. Qu’importe ! (Interruption.) En supposant que les nominations aient été faites sur la présentation du président du tribunal, est-ce que, si ce fait avait eu l’importance qu’on vient de lui donner, les magistrats qui sont à la tête du tribunal n’auraient pas connu ce fait et n’en auraient pas tenu compte dans l’appréciation de la position du candidat ? 

M. GUYET-DESFONTAINES. Comment ! le fait n’était pas grave ! la suspension d’un officier ministériel pour production de pièces irrégulières faites dans l’intention de surprendre la religion d’un tribunal ? 

Je m’étonne d’un pareil langage dans la bouche de M. le garde des sceaux. 

M. DE BEAUMONT. Voici maintenant un fait que vous pourrez sans doute commenter, mais dont vous ne nierez pas du moins l’exactitude, car il est émané de vous-même. (Bruit.) 

J’ai dit que tous les ministres étaient successivement conviés à apporter leur tribut et leur influence à la grande œuvre de ce qu’on appelle la bonne politique, c’est-à-dire, à mon sens, la politique qui n’est pas celle du pays. Vous savez tous la part qu’y prennent les agents financiers par la manière dont ils aident les bons électeurs dans leurs recherches pour se faire placer sur les rôles, et par les difficultés qu’ils suscitent aux mauvais électeurs, c’est-à-dire à ceux qui pensent comme nous ; vous savez également de quels secours ils sont dans les moments de lutte électorale. 

On sait également que le ministère des travaux publics lui-même, qui pendant longtemps, il faut le reconnaître, s’était tenu dans une sphère étrangère aux influences électorales, subit désormais le sort commun, mais j’ose dire que personne n’avait pu suspecter jusqu’à quel point serait poussé l’abus de son influence. 

Oui, personne ne l’avait pu penser, et je me bornerai, pour le prouver, à rappeler l’effet qu’a produit dans le pays la lettre écrite par M. le ministre des travaux publics au secrétaire général d’un ministère, lettre par laquelle M. le ministre des travaux publics a cru pouvoir se créer un moyen d’influence en faveur du fonctionnaire dont je viens de parler, en lui accordant quoi ? une chose qu’il ne pouvait refuser…. (Hilarité générale et prolongée.), une chose que M. le ministre des travaux publics ne pouvait pas refuser, parce qu’elle n’était qu’une exécution scrupuleuse, littérale et forcée de la loi. (Nouvelle interruption.) 

Voici la lettre qu’a écrite M. le ministre des travaux publics à celui dont je parlais tout à l’heure : 

« Monsieur le secrétaire général, 

Vous m’avez fait l’honneur de m’entretenir de l’intérêt qui s’attache à l’achèvement de la route n°91, de Grenoble à Briançon, dans la traversée du département des Hautes-Alpes. Je m’empresse de vous annoncer qu’en arrêtant la répartition du crédit spécial, porté à la seconde section du budget de l’exercice 1845, en vertu de la loi du 30 juin dernier, j’ai affecté une somme de 100 000 fr. à la partie de cette roule située entre les Fréaux et le Loutaret. 

« Je me félicite d’avoir pu donner cette satisfaction à un intérêt que vous avez bien voulu me recommander… » 

Voix au centre. Eh bien ! 

M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Attendez, et vous allez voir ! 

Je ne sais pas si la chambre saisit bien la question. Je me suis probablement mal expliqué, c’est ma faute ; je vais tâcher de me faire comprendre mieux. 

La chambre, le 30 juin dernier, a voté une loi d’après laquelle elle a affecté 36 millions pour l’achèvement des lacunes existant dans les routes royales, et 41 millions pour la rectification des pentes. 

Il y a une différence dans ces deux lois votées. Pour l’une des sommes votées pour les rectifications des pentes, le ministre reste investi d’un certain arbitraire dans le choix des localités où les fonds seront employés. 

Quant aux lacunes des routes, la somme de 36 millions a été votée avec un tableau annexé à la loi, et qui détermine de la manière la plus précise l’emploi qui sera fait des sommes votées, et spécifie les lacunes qui devront être achevées. (À gauche. Très bien !) 

Voici ce qui figure dans le tableau annexé à la loi, non par le gouvernement qui ne l’avait pas mis, mais par la commission qui l’a exigé, ce dont je l’ai sollicitée. 

Ce tableau établit de la manière la plus nette, la plus détaillée, la part afférente à chaque lacune de route qui reste à construire. 

J’y lis : route n°91, route de Grenoble à Briançon, 2 141 000 fr. seulement pour le département des Hautes-Alpes. 

Que suit-il de là ? C’est qu’entraîné par cette prescription rigoureuse de la loi, M. le ministre, il faut le dire, n’avait qu’une chose à faire : c’était d’exécuter la loi ; c’était de donner l’argent que la chambre avait voté et dont la commission avait fixé la répartition ; il ne pouvait pas même s’attribuer un mérite de bienveillance qui pouvait être dans sa pensée, mais non dans ses actes. (Interruption.) 

Il y a, j’en conviens, quelque chose de plus grave dans cette lettre, c’est l’usage qui en a été fait. 

Plusieurs voix. Voyons la lettre ! 

M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Ce qu’il y a de grave c’est que s’emparant de cette confiance dont le témoignage est si rapide, puisque la loi est du 3 juin et que la lettre est du 13 juillet, s’appuyant sur ce témoignage si rapidement donné, le secrétaire général dont je parle s’est empressé de l’envoyer dans l’arrondissement qu’il avait choisi pour le théâtre de ses espérances électorales. Il l’a envoyée à tous les maires de l’arrondissement accompagnée de la lettre que voici du sous-préfet. (Murmures au centre.) 

Vous allez voir. 

M. MARQUIS. Lisez la lettre sans commentaires, et ces Messieurs seront satisfaits.

M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Voici la lettre adressée à tous les maires de l’arrondissement de Briançon, et je ne sache pas que M. le ministre de l’intérieur l’ait désavouée : 

« Monsieur le maire, je suis heureux de pouvoir vous annoncer que M. Descloseaux, conseiller d’État, secrétaire général de la justice et des cultes, m’informe par une lettre du 4 de ce mois que, sur sa demande, M. le ministre des travaux publics vient d’affecter une somme de 100 000 fr. à la partie de la route royale entre le Freaux et le Sautaret. 

Je joints à ma lettre copie de celle de M. le ministre à M. Descloseaux qui lui annonce cette allocation et se félicite d’avoir pu donner cette satisfaction aux intérêts qu’il avait bien voulu lui recommander. 

Comme moi, vous remarquerez avec plaisir, Monsieur le maire, que M. le ministre a mis de l’empressement à se rendre à ses sollicitations. 

Puisque la loi en vertu de laquelle il a pu agir ne date que du 30 juin dernier, par cet acte bienveillant, M. Desclozeaux témoigne de toutes ses sympathies pour la population briançonnaise… (Vive hilarité à gauche.) Il est d’autant plus digne de toute sa reconnaissance, que depuis trop longtemps, vous le savez comme moi, l’achèvement de cette route avait été négligé, nonobstant toutes les démarches faites jusqu’ici. 

Je vous prie, Monsieur le maire, de donner de la publicité à la lettre… » (Nouvelle hilarité à gauche.) 

M. GUYET-DESFONTAINES Il doit être content, à présent ! 

M. GUSTAVE DE BEAUMONT. « Je vous prie, Monsieur le maire… » (Bruit. — Rumeur.) Attendez, voici le meilleur. (Rires à gauche.) « Je vous prie, Monsieur le maire, de donner de la publicité à la lettre de M. le ministre à M. Desclozeaux, et de la porter surtout à la connaissance de vos administrés, qui, je me plais à le croire, en garderont bon souvenir. M. le ministre a également des droits à notre reconnaissance. » (Interruption. — Bruit.— Le nom ! le nom.) M. le conseiller d’arrondissement délégué. 

Je ne pense pas que M. le ministre de l’intérieur nie que la délégation ait été donné. (Bruit.) J’imagine que personne ne contestera, au banc des ministres, que le conseiller d’arrondissement n’ait été régulièrement délégué. (Mouvement.) 

M. LÉON DE MALEVILLE. Cela a été consigné dans les actes administratifs reçus par M. le ministre. (Bruit. — Rires et exclamations sur quelques bancs.) 

M. G. DE BEAUMONT. Les actes de cette nature, en effet, seraient très gais, s’ils ne tenaient à une cause profondément triste. (Oh ! oh !) Oui, messieurs, oui, elle est triste, et c’est pour cela que j’ai choisi ce fait ; parce qu’il prouve à quel point l’abus, l’excès de cette influence que nous déplorons tous est porté, puisqu’on ne se contente pas de faire valoir, pour l’exercer, les actes qui constituent sérieusement des faveurs qui sont en effet des preuves de bienveillance que les ministres peuvent donner ou refuser à leur gré ; on ne se borne pas à se prévaloir, comme moyen d’influence politique, de toutes les faveurs individuelles, des subventions du budget, de tout, de cette ruineuse quantité de fonctions arbitrairement données et de fonds arbitrairement distribués, et que met entre vos mains cette grande centralisation dont vous faites un si déplorable usage. On ne se contente pas de cela, il faut encore qu’un fonds dont l’emploi est rigoureusement fixé par la loi et dont la distribution ne peut avoir rien d’arbitraire, il faut que ce fonds lui-même vous serve de moyen d’influence électorale. À peine le 30 juin une loi est votée, une loi déterminant même l’emploi de certain fonds, que le 5 juillet vous vous empressez d’écrire à un candidat pour lui fournir un moyen d’influence. (Mouvement au banc des ministres.) 

Je vois très bien la légèreté avec laquelle vous comptez traiter la question, mais je vais vous répondre peut-être de manière à diminuer votre hilarité. (Rumeurs au centre.) 

Vous n’avez nulle intention, direz-vous, de créer, au profit d’un candidat, un moyen d’influence électorale ; soit : vous ne saviez pas que le secrétaire général du ministère de la justice avait jeté son dévolu sur un pauvre arrondissement où il y a un petit nombre d’électeurs ; vous ne saviez pas cela. C’est un collège pauvre ; il y a là bien des misères, des indigences à exploiter, des ambitions à éveiller et à satisfaire ; vous l’ignoriez. Ce fonctionnaire qui vous sollicitait voulait être député, vous n’en saviez rien ; vous lui écrivez cette lettre, eh bien, voyez l’usage qu’il en fait, qu’en fait un agent du gouvernement ; car vous ne nierez pas qu’un conseiller d’arrondissement, qui a été délégué par le pouvoir, ne soit un agent du gouvernement ; voyez, dis-je, l’usage qu’on en fait et l’interprétation qu’on lui donne. Présente-t-on cela comme un acte officiel ? Non, certes, et la reconnaissance des électeurs est à l’avance provoquée. 

Voilà l’usage coupable qu’on fait d’actes en apparence innocents et pour lesquels M. le ministre des travaux publics s’étonne si naïvement d’être attaqué. 

Je terminerai par la citation d’un seul fait. Je dis qu’on emprunte à tous les ministères, qu’on emprunte à toutes les institutions pour qu’elles aient à fournir leur contingent de mauvaise influence ; on n’en a épargné aucune, pas même la Légion d’honneur. Oui, j’ai besoin ici d’évoquer le souvenir d’un fait qui a longtemps pesé sur ma poitrine et dont j’ai besoin de la soulager. 

Tout le monde se rappelle cette affreuse et en même temps admirable catastrophe d’Afrique dans laquelle ont péri tant de nos soldats. Je disais affreuse, à cause du sang répandu ; je dis admirable, à cause de l’héroïsme qu’elle a mis en lumière. (Très bien !) Vous vous rappelez comment une petite colonne, surprise par une lâche trahison de l’ennemi, a été tout à coup écrasée par des forces immenses ; comment, après avoir perdu 300, 400 et 500 hommes, cette petite colonne, réduite à 80 braves, s’est réfugiée dans le marabout de Sidi-Brahim, où, après avoir lutté pendant deux jours contre un ennemi mille fois plus fort qu’eux, soutenus seulement par leur énergie et par des prodiges de valeur, refusant obstinément de se rendre à un ennemi qui cependant leur offrait la vie sauve, résolus de mourir tous plutôt que de ne pas rapporter leur drapeau à leur chef, ils se font jour à travers les bataillons ennemis, tombent écrasés par le nombre… Enfin quatorze seulement d’entre eux, par une sorte de miracle, rentrent au camp…. 

Leur général, en racontant ces faits, se bornait à dire que c’était là une conduite égale à tout ce que l’antiquité nous avait légué de plus admirable. 

Eh bien, j’en appelle aux sentiments de tous, y a-t-il ici, dans cette chambre et dans le pays, quelqu’un qui ait cru que l’action héroïque de ces braves pouvait ne pas être récompensée à l’instant même par la croix de la Légion d’honneur ! Comment trouver dans les annales militaires mêmes un fait plus beau que celui-là ? 

J’avoue que je n’ai pas douté un moment que tous ne fussent couverts à l’instant de cette croix de la Légion d’honneur, qui quelquefois est avilie, et qu’on avait une si belle occasion de relever ? Eh bien, sur 14, il y en a 4, je crois, qui l’ont reçue. Est-ce qu’on la marchandera aux autres ? (Interruption.) 

M. LE MINISTRE DE LA GUERRE. On a donné toutes les récompenses réclamées. 

M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Le gouvernement est maître assurément de ces distributions, je le sais ; mais permettez-moi d’exprimer le sentiment que j’éprouve quand je vois ce signe de l’honneur si prodigué, quelquefois jeté dans les collèges électoraux. (Murmures.) Oui ! oui ! Eh, mon Dieu ! quelquefois même dans cette chambre elle-même. 

M. GLAIS-BIZOIN. C’est la monnaie la plus facile ! 

M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Je crains qu’on ne vienne à penser dans le pays que, pour obtenir ce signe encore précieux de l’honneur, il vaut mieux rendre de certains services politiques, que les vrais services qui contribuent à la gloire et à la grandeur du pays. 

Mais il y a quelque chose peut-être de pire encore que la parcimonie avec laquelle vous l’avez donnée, c’est dans la manière de la donner au petit nombre qui l’a obtenue. 

Les journaux nous annonçaient tout récemment encore qu’un de ceux à qui on l’a donnée, l’a reçue la veille de sa mort ; on l’avait fait attendre trois ou quatre mois. 

Ce n’est pas ainsi que vous la donnez quand vous avez à récompenser des services que vous appelez des services politiques. (Dénégation au centre.) 

Messieurs, vous ne comprenez plus le pays, et le pays ne vous comprend plus. (Approbation à gauche.) 

Je rappellerai ce qui est arrivé tout récemment. Un agent anglais qui s’est conduit noblement, honorablement envers la France, qui lui a rendu des services, M. Redmann, dans une occasion triste et mémorable, a obtenu la décoration, et vous avez bien fait de la lui donner. 

M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. Il la mérite, mais il ne l’a pas reçue. (Mouvement.) 

M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Je suis heureux d’apprendre par M. le ministre des affaires étrangères, qu’un fait qui avait été publié n’était pas exact. Non pas que je crois que M. Redmann ne mérite pas la croix de la Légion d’honneur ; mais j’aurais regretté qu’on mît tant d’empressement à la donner à un étranger, quand on la fait attendre si longtemps à des Français qui la méritent. (Murmures au centre.) 

Encore un mot, et je termine. 

Je viens de montrer les conséquences du système que suit le ministère, et qu’il pratique suivant une règle de conduite fondée sur une mauvaise théorie ; j’en ai dit les conséquences : elles me paraissent désastreuses, et créer pour le gouvernement représentatif, le plus grand péril dont il puisse être menacé. 

Aussi, je le déclare solennellement, la condition première de tout concours par moi donné à un cabinet quel qu’il soit, sera un certain nombre d’actes constatant d’une manière nette et incontestable sa volonté de suivre une autre voie et de conduire le gouvernement suivant d’autres principes. 

Je sais très bien, comme je le disais tout à l’heure, qu’il y aura toujours des actes mauvais ; mais alors ce seront des accidents, et ce sera l’exception et non la règle ; je sais très bien que quoi qu’on fasse pour guérir le mal, le mal existera toujours dans une certaine mesure. 

Ainsi, alors même qu’on aura voté une réforme parlementaire, il y aura toujours de mauvaises influences pratiquées sur la chambre ; cependant l’adoption d’une réforme parlementaire aurait cela d’efficace qu’elle constaterait un effort pour repousser les mauvaises influences qui travaillent à fausser le parlement. De même, j’entends très bien que, fît-on une loi contre la corruption électorale, il y aurait encore des cas de corruption électorale ; mais la loi qui aurait été faite contre la corruption électorale, n’aurait pas moins pour effet d’indiquer une autre ligne de conduite, et l’intention de combattre les mauvaises passions qu’on encourage aujourd’hui. C’est pour cela qu’une loi contre la corruption électorale serait nécessaire ; je sais bien aussi qu’alors même qu’on introduirait des modifications à la loi électorale, quand même ou en arriverait à détruire ces petits collèges qui sont un des vices principaux de notre loi électorale ; je sais très bien qu’il existerait encore beaucoup d’influences mauvaises exercées sur les électeurs. 

Mais ce serait déjà un progrès certain que la volonté constatée de combattre les mauvaises influences qui, d’ailleurs, seraient moins puissantes s’exerçant dans un cercle élargi. 

Messieurs, les paroles prononcées par quelques personnes ont pu faire naître chez MM. les ministres l’espérance que l’opposition était divisée. Si cette espérance a été conçue par MM. le ministres, qu’ils se détrompent. Je crois pouvoir le dire hautement, je n’exprime que mon opinion, mais elle est profonde, jamais l’opposition contre le cabinet n’a été plus compacte, plus unie, plus forte. Quoique compacte, elle conserve sans doute ses chefs, ses principes, ses drapeaux distincts ; mais elle est plus forte, parce qu’elle n’a jamais été plus unie ; elle n’a jamais été plus unie, parce que jamais elle n’a plus senti le besoin de l’accord parfait de toutes ses forces. Non ! elle ne donnera point au cabinet la satisfaction de se présenter faible et divisée en présence des bataillons serrés du parti ministériel. 

La lutte sera énergique et vive…… Sans doute tout finira par des votes, dont je n’attends pas la majorité ; mais après le verdict de la chambre viendra celui du pays : c’est en lui que je place mes espérances. (Marques d’approbation à gauche.)

A propos de l'auteur

Gustave de Beaumont est resté célèbre par sa proximité avec Alexis de Tocqueville, avec qui il voyagea aux États-Unis. Son œuvre, sur l'Irlande, les Noirs-Américains, ainsi que ses nombreux travaux académiques et politiques, le placent comme un auteur libéral sincère et généreux.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publié.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.