Ébauche du jeune Bastiat sur le caractère des Romains (1830)

Comme nous l’avons illustré à l’entrée Rome Antique de Frédéric Bastiat de A à Z, le recueil de citations réalisé par l’Institut Coppet, Bastiat était très critique envers les institutions et les mœurs des Romains et refusait absolument de les présenter comme un modèle à suivre, en quelque sens que ce soit. Dans une ébauche retrouvée par Prosper Paillotet et insérée dans les Œuvres complètes (tome 4, p.454-455 puis 490-491), le jeune Bastiat exposait vers 1830 des idées semblables.


Ébauche non datée (avant 1830) sur le caractère des Romains

Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, tome IV, p.454-455 puis 490-491

L’éloignement ne contribue pas peu à donner à des figures antiques un caractère de grandeur. Si l’on nous parle du citoyen romain, nous ne nous représentons pas ordinairement un brigand occupé d’acquérir, aux dépens de peuples pacifiques, du butin et des esclaves ; nous ne le voyons pas circuler, à demi nu, hideux de malpropreté, dans des rues bourbeuses ; nous ne le surprenons pas fouettant jusqu’au sang ou mettant à mort l’esclave qui montre un peu d’énergie et de fierté. — Nous préférons nous représenter une belle tête supportée par un buste plein de force et de majesté, et drapé comme une statue antique. Nous aimons à contempler ce personnage dans ses méditations sur les hautes destinées de sa patrie. Il nous semble voir sa famille entourant le foyer qu’honore la présence des dieux ; l’épouse préparant le simple repas du guerrier et jetant un regard de confiance et d’admiration sur le front de son époux ; les jeunes enfants attentifs aux discours d’un vieillard qui endort les heures par le récit des exploits et des vertus de leur père…

Oh ! que  d’illusions  seraient  dissipées  si  nous  pouvions  évoquer  le passé, nous promener dans les rues de Rome, et voir de près les hommes que, de loin, nous admirons de si bonne foi ! …

(Ébauche inédite de l’auteur, un peu antérieure à 1830.)

OC4, 454-455

***

Dans l’ébauche à laquelle nous avons emprunté la note précédente (page 454), l’auteur examine ces deux questions :

   1° Si le renoncement à soi-même est un ressort politique préférable à l’intérêt personnel ;

   2° Si les peuples anciens, et notamment les Romains, ont mieux pratiqué ce renoncement que les modernes.

   Il se prononce, on le pense bien, pour la négative sur la première comme sur la seconde. Voici l’un de ses motifs à l’égard de celle-ci :

   « Lorsque je sacrifie une partie de ma fortune à faire construire des murs et un toit, qui me préservent des voleurs et de l’intempérie des saisons, on ne peut pas dire que je sois animé du renoncement à moi-même, mais qu’au contraire, j’aspire à ma conservation.

 « De même lorsque les Romains sacrifiaient leurs divisions intestines à leur salut, lorsqu’ils exposaient leur vie dans les combats, lorsqu’ils se soumettaient au joug d’une discipline presque insupportable, ils ne renonçaient pas à eux-mêmes ; bien au contraire, ils embrassaient le seul moyen qu’ils eussent de se conserver et d’échapper à l’extermination dont les menaçait sans cesse la réaction des peuples contre leurs violences.

   « Je sais que plusieurs Romains ont fait preuve d’une grande abnégation personnelle, et se sont dévoués pour le salut de Rome. Mais cela s’explique aisément. L’intérêt qui détermina leur organisation politique n’était pas leur seul mobile. Des hommes habitués à vaincre ensemble, à détester tout ce qui est étranger à leur association, doivent avoir un orgueil national, un patriotisme très exalté. Toutes les nations guerrières, depuis les hordes sauvages jusqu’aux peuples civilisés, qui ne font la guerre qu’accidentellement, tombent dans l’exaltation patriotique. À plus forte raison les Romains dont l’existence même était une guerre permanente. Cet orgueil national si exalté, joint au courage que donnent les habitudes guerrière, au mépris de la mort qu’il inspire, à l’amour de la gloire, au désir de vivre dans la postérité, devait fréquemment produire des actions éclatantes.

   « Aussi, je ne dis pas qu’aucune vertu ne puisse surgir d’une société purement militaire. Je serais démenti par les faits, et les bandes de brigands elles-mêmes nous offrent des exemples de courage, d’énergie, de dévouement, de mépris de la mort, de libéralité, etc. — Mais je prétends que, comme les bandes de pillards, les peuples pillards, au point de vue du renoncement à soi-même, ne l’emportent pas sur les peuples industrieux, et j’ajoute que les vices énormes et permanents de ceux-là ne peuvent être effacés par quelques actions éclatantes, indignes peut-être du nom de vertu, puisqu’elles tournent au détriment de l’humanité. »

(Ébauche inédite de l’auteur, un peu antérieure à 1830.)

OC4, 490-491

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