Entretien avec François Guillaumat. Seconde partie

Suite de l’entretien avec François Guillaumat, par Grégoire Canlorbe.

Grégoire Canlorbe: Ce que vous appelez « la Loi de Bitur-Camember » établit, par une combinaison du raisonnement à l’équilibre  et des règles de la comptabilité,  que « la redistribution politique (i.e. qui viole la propriété naturelle) détruit en tendance une richesse équivalente à celle qu’elle vole. » Pourriez-vous revenir sur les éléments de démonstration fondamentaux à l’appui de cette loi ?

 GuillaumatFrançois Guillaumat: Ce qui a déclenché  la découverte de l’Egalité de Bitur-Camember  c’est,  si je me souviens bien,  l’erreur (assez incompréhensible de sa part)  commise par Anthony de Jasay dans L’état,  où celui-ci,  tout en démontrant à juste titre  que les avantages politiques de la redistribution doivent nécessairement disparaître sous l’effet de la concurrence politique,  affirme par ailleurs qu’il serait plus rentable d’« investir »  dans la politique  que dans la production réelle.  « — Mais non »,  me suis-je récrié :  « il n’y a jamais de rentabilité  supérieure garantie,  pas plus dans la politique qu’ailleurs ».  Et de développer,  calqué sur le sien  mais éliminant cette erreur,  un raisonnement sur la disparition des profits économiques de la redistribution  sous l’effet de la concurrence politique.

Bitur-camemberLorsque j’ai exposé ma conclusion à Henri Lepage,  il m’a dit qu’il avait déjà vu quelque chose comme ça chez les théoriciens des Choix publics.  Un peu dépité,  je suis resté sceptique :  à la fois  parce qu’il est bien connu pour savoir,  comme l’avait noté Buchanan,  tirer des écrits des auteurs  des conclusions auxquelles eux-mêmes n’avaient pas vraiment pensé  et parce qu’Alain Wolfelsperger,  alors le meilleur professeur possible de Théorie des Choix Publics  au DEA d’Economie Appliquée  de Jean-Jacques Rosa,  ne m’en avait fait aucune mention,  alors qu’une conclusion aussi symbolique ne devrait pas passer inaperçue.

Finalement, grâce à Bertrand Lemennicier, j’ai retrouvé  l’article de Tullock  où celui-ci introduit effectivement une notion de pseudo-investissement,  mais de manière passablement confuse :  étant à la fois pseudo-expérimentaliste et (de ce fait, implicitement)  utilitariste, il appelle « Social cost »  ce pseudo-investissement — ce qui est doublement fallacieux et,  ne cherchant même pas à définir correctement les contours de la spoliation légale, abandonne de ce fait à l’observation ultérieure  le soin de déterminer l’ampleur des gaspillages y associés.

Il n’est donc pas parvenu,  et ne pouvait pas aboutir à l’Egalité de Bitur-Camember,  laquelle affirme que,  si on fait abstraction de l’incertitude,  on doit postuler l’existence d’une égalité stricte,  de type comptable,  entre la richesse que les hommes de l’état volent  et la richesse qu’ils détruisent par leurs interventions.

Bien au contraire,  ceux qui prétendent « mesurer le coût »  de l’action politique et qui,  étant pseudo-expérimentalistes,  s’en tiennent aux « chiffres » disponibles,  non seulement sous-estiment gravement cette destruction,  puisqu’ils l’évaluent au voisinage d’un tiers de la richesse volée au lieu de 100 %,  mais ne peuvent le faire  qu’au prix de Sophismes Pseudo-Comptables auxquels la Démonstration de Bitur-Camember échappe totalement,  puisque c’est uniquement dans le chef de l’entrepreneur politique  et non à partir de statistiques  que s’y fait  l’évaluation des coûts  comme celle des avantages.

 Pour sa part,  méconnaître l’égalité quasi-comptable  entre la richesse que les hommes de l’état volent et celle qu’ils détruisent  s’apparente à un Sophisme Anti-Comptable,  et c’est d’ailleurs pourquoi c’est la lecture de Frédéric Bastiat,  grand pourfendeur de ces Sophismes Anti-Comptables,  qui m’en a inspiré le nom :

la dénomination de « Bitur-Camember » que je lui ai donnée se réfère à cet épisode des Facéties du Sapeur Camember  où le sergent Bitur colle quatre jours d’arrêt au sapeur Camembert « pour n’avoir pas creusé  un trou assez grand  pour pouvoir y mettre sa terre  avec celle d’un autre trou ».

Georges-LaneDans « Pourquoi pas Bitur-Camember »,  Georges Lane  et moi-même développons non seulement la démonstration de cette égalité quasi-comptable,  mais les raisons pour lesquelles  pour la découvrir  il fallait être  un praxéologiste,  c’est-à-dire  un économiste autrichien,  et un économiste autrichien aussi bien capable  de faire abstraction de l’incertitude que de l’étudier en tant que telle  (dans l’émission de Lumière 101 « Rendre à César »,  nous énumérons un certain nombre des corrections que l’on doit apporter à la science économique une fois qu’on a appris  à y distinguer les phénomènes que l’on doit à l’incertitude  de ceux que l’on doit  aux conditions supposées connues au départ).

Cette égalité,  Vilfredo Pareto  avait failli la découvrir aussi quand,  illustrant le fait que la redistribution politique est nécessairement destructrice,  il faisait remarquer que les receleurs du protectionnisme italien  n’avaient même pas profité  de ce pillage destructeur imposé  à leur peuple.

En effet,  cette égalité tient au fait fondamental qu’il n’y a pas de profit certain,  axiome de la théorie économique  douloureusement connu  des financiers,  et pas plus en politique  que n’importe où  (et c’est le mérite des Théoriciens des Choix Publics  que d’avoir dissipé pour nous cette Illusion de la politique sans coût) :  il s’ensuit que  pour obtenir les avantages de la redistribution politique,  ou pour se soustraire à ses prédations,  chacun sera prêt à subir des coûts à hauteur de l’enjeu  — alors que ces coûts sont perdus pour toute production,  puisque ce dont il s’agit,  c’est de se disputer une richesse  qui doit son existence  à d’autres coûts de production.

Si on fait abstraction de l’incertitude  et raisonne « à l’équilibre »,  ce qui est ultra-courant  et pratiquement nécessaire  pour isoler les effets de l’intervention de l’état de ce qui n’en est pas,  on doit conclure  que ces coûts-là  sont égaux aux avantages attendus,  de sorte que le gaspillage  qu’ils représentent  est égal au pillage  qui en est l’enjeu.

 J’ai découvert par la suite  que cette impossibilité d’un profit certain,  associée à la Démonstration de Bitur-Camember,  a une conséquence directe  peut-être plus importante  que l’Egalité du même nom :  à savoir que la redistribution politique  ne peut jamais atteindre son objectif :  voler les uns au profit des autres – que par accident.

Etant donné ce qu’il en coûte  d’intriguer pour voler les autres  ou pour échapper à leur prédation,  ne peuvent obtenir un avantage net de l’action politique  que les plus chanceux ou les plus malins.  Cela ne veut pas dire  que l’identité de ces profiteurs-là  ne varierait pas  suivant les politiques spécifiquement imposées ;  mais cela veut dire que ces politiques-là ne peuvent pas choisir  ceux qui en profiteront,  alors que c’est bien  ce qu’elles entendaient faire.

Et comme voler les uns au profit des autres  est la véritable  raison d’être de toutes les politiques économiques et sociales,  cela veut dire que les politiques économiques et sociales ne peuvent jamais atteindre leurs véritables objectifs que par accident.  C’est la Deuxième Conclusion de la Démonstration de Bitur-Camember,  appelons-la l’Impossibilité de Bitur-Camember,  et elle constitue  pour la science économique  une disqualification radicale de l’étatisme  qui pourrait décourager les candidats à l’Esclavagisme  s’ils en prenaient connaissance.

La Démonstration de Bitur-Camember  comprend encore une Troisième Conclusion,  qui paraît d’actualité  étant donnés les problèmes budgétaires auxquels se confrontent force gouvernements,  et qui emploie  dans l’autre sens l’Egalité  de Bitur-Camember : c’est le Théorème d’Omlevaah,  ainsi nommé par référence au soi-disant « économiste » norvégien Trygve Haavelmo qui prétendait exactement le contraire,  et qui affirme que toute baisse simultanée des impôts et dépenses publiques engendre une augmentation de la production  d’égale ampleur.

Evidemment,  les statistiques ne rendront pas compte  de cet accroissement,  puisqu’on vient de voir  qu’elles ne recensent qu’un tiers  des vrais coûts de la politique :  parmi les Gaspillages de Bitur-Camember figurent tant de dépenses que la prétendue « comptabilité nationale »  recense comme autant de « productions »,  et tant d’abstentions de produire  et d’échanger dont par hypothèse aucun recensement n’est possible,  que cette sous-estimation-là  est des plus attendue.

La société,  en revanche,  jouirait à plein de la richesse supplémentaire  qui naîtrait de cette libération partielle  et,  même en la sous-estimant,  les hommes de l’état n’auraient qu’à supputer de combien réduire les impôts  et les dépenses publiques  pour que « la croissance »  les fasse effectivement disparaître,  leurs fameux déficits.

Grégoire Canlorbe: Vous tenez beaucoup à défendre une conception saine de la démocratie, que vous définissez comme un système dans lequel le peuple décide pour lui-même de ses propres affaires.  En ce sens,  dites-vous, la seule démocratie légitime c’est le marché,  qui suppose la propriété naturelle  et que vous opposez à la pseudo-démocratie-socialiste.  La démocratie libérale à la Hayek  ne reste-t-elle pas une alternative viable à la social-démocratie ?

François Guillaumat: Nonobstant sa réfutation de la prétendue « justice sociale »,  Hayek n’était même pas un libéral classique,  comme Hans-Hermann Hoppe l’a démontré  à l’envi.

Et Hoppe,  je le suis complètement dans sa critique de ce qu’il appelle « la démocratie » : nous n’en avons simplement pas choisi  la même définition,  dans la mesure  où je pense encore  que c’est à juste titre  que les gens associent vaguement  « la démocratie » avec l’idée  que « le peuple se gouverne lui-même».

Evidemment,  « le peuple qui se gouverne lui-même »  c’est en réalité l’anarcho-capitalisme et lui seul et,  dans la mesure  où le marché libre est 100 000 fois plus « démocratique »  que n’importe quel système fondé sur le vote,  tout développement d’un pouvoir étatique constitue une régression gravissime  par rapport à cette vraie « démocratie »-là.

Hans-Hermann-HoppeDans le sens de Hoppe,  ajoutons que même les Pères Fondateurs  de la Constitution Fédérale américaine,  celle de 1788,  rejetaient expressément ce qu’ils appelaient « la démocratie » à partir de l’expérience historique,  prétendant avoir fondé  une « République constitutionnelle ».  Il y avait chez eux  une robuste méfiance  à l’égard de tout gouvernement,  qui s’exprime par exemple dans le 2° Amendement,  et qui correspond encore aux Etats-Unis à l’opinion  d’une pluralité  des citoyens,  un peu plus de 40 %.  J’ai pu constater que la seule différence  entre ces citoyens-là,  qui se disent « Conservative »,  et les soi-disant « Libertarians »  est la propension des seconds  à gober la propagande des états  qui se trouvent être ennemis du leur,  tendance qui malheureusement se répand aussi chez nous  avec les progrès de la communication.

Alors,  la démocratie n’est-elle  qu’un de ces « mots-virus » que dénonçait Guy Lardeyret,  un anti-concept par amalgame  dont les interprétations raisonnables ne sont là  que pour faire passer celles qui ne le sont pas ?  Tant que je n’aurai pas trouvé d’autre terme,  plus approprié,  pour décrire un régime politique  où « le peuple se gouverne lui-même »,  je continue provisoirement à m’en servir comme norme  et à appeler « pseudo-démocratiques »  les régimes  qui s’éloignent le plus  de cette norme-là.

 S’agissant de normes,  je voudrais insister  sur un critère de jugement  que je ne vois pas assez employer dans le débat public  alors qu’il est un aspect de la cohérence logique,  qui est le moyen de preuve  de la philosophie.

A cette notion nouvelle et fondamentale de Hans-Hermann Hoppe  qu’est la notion d’« intégration forcée »,  « progrès de la pensée sociale dont on ne peut plus faire comme si elle n’existait pas »,  je pense qu’il faut associer  celle du « pseudo-universalisme » :

quand ils usurpent le pouvoir social,  les hommes de l’état imposent,  à la place des contrats que les propriétaires légitimes  avaient volontairement conclus entre eux  pour organiser leur vie en commun,  des règles prétendument « générales »  qui,  du fait de l’usurpation initiale,  ne sauraient être fondées en raison.

Dans une analyse récente, j’ai dit de ces règles générales :

 … c’est dans sa volonté d’imposer des règles uniformes que  l’injustice de l’état apparaîtra d’abord,  puisque la mise en oeuvre du seul principe objectif,  celui du consentement des propriétaires légitimes,  le seul qui soit justifié  parce qu’il est le seul qui ne conduise à aucune contradiction,  doit au contraire se traduire  par une myriade  de règles différentes…

 A mesure  que se développe le pouvoir d’état,  et avec lui l’Irresponsabilité Institutionnelle,  ces règles se détachent de plus en plus du réel,  et les prétendus « principes » qu’elles impliquent  deviennent de plus en plus contradictoires ;  en particulier,  comme Benjamin Constant  l’avait déjà souligné,  dans bien des cas  les  « droits de l’homme »  vont se heurter à ceux du « citoyen »,  de sorte qu’il faudra choisir les uns contre les autres d’une manière  qui ne saurait être  qu’arbitraire  (pour illustrer cet arbitraire  et défendre l’Ersatz des « droits du citoyen »,  j’ai publié, entre autres :  « Burqa et espace public :  les libertariens ne sont pas des libertaires » et « Il n’y a pas d'”immaculée conception de l’espace public. »)

Benjamin ConstantC’est dans cette confusion intellectuelle que l’on passe des 10 premiers Amendements à la Constitution américaine,  documents politiques,  aux prétentions pseudo-universalistes de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789,  puis de cette dernière à la Déclaration Universelle de 1948,  avec la pétition de principe esclavagiste de ses prétendus « droits sociaux ».

Le Pseudo-Universalisme,  consubstantiel  à toutes les conceptions confuses et contradictoires de l’« égalité »,  consiste à présenter  comme des « principes »  ce qui ne peut pas en être  et qui se dissout de ce fait à l’examen rationnel,  le seul principe politique justifié  étant celui de la non agression,  avec la propriété naturelle  et la liberté des contrats  qui s’ensuivent.

J’emploie souvent,  pour qualifier l’attitude des penseurs sociaux  qui refusent d’admettre la vérité en économie comme en politique,  la métaphore de l’hypothétique congrès de mathématiciens  qui se réunirait  pour savoir combien font deux plus deux,  avec entre eux  un accord  aussi absolu que tacite  pour ne pas mentionner  le nombre « quatre ».  Ce congrès-là pourrait se tenir indéfiniment,  et proposer une infinité de réponses,  parce qu’à partir du moment  où vous avez rejeté la vérité,  vous n’avez plus le choix  qu’entre une infinité  de mensonges de plus ou moins gros.  Etant donné que c’est l’existence même de l’état  qui viole la propriété naturelle,  il n’existe aucune possibilité  de justifier rationnellement quelque politique que ce soit,  et il n’est que trop facile de débusquer les contradictions de toute défense  d’une « solution »  étatique.

 J’avais joué dans le passé avec des idées de réforme constitutionnelle,  publiant deux livres du préfet François Lefebvre :  La France et son Droit  et Le pouvoir d’entreprendre.  Cependant,  des réflexions de ce genre ne sont opportunes  que dans la mesure  où elles se réfèrent  à ce dont les gens  ont l’habitude,  tout en visant à atténuer  la Spoliation Légale ;  relativement à la seule norme rationnellement définissable elles s’exposent tout autant à la critique rationnelle que le Socialisme Pseudo-Démocratique,  puisqu’elles acceptent le même principe étatiste  ou plutôt  le même rejet étatiste du véritable principe.

Cela n’implique pas  que certaines propositions,  comme la décentralisation véritable (donc avec élimination des subventions entre collectivités),  le referendum d’initiative populaire,  le tirage au sort des assemblées délibératives,  la limite au nombre des mandats successifs,  l’interdiction des déficits publics,  l’interdiction de se présenter aux élections ainsi que de voter faite aux Parasites Sociaux Institutionnels,  n’aillent pas dans le bon sens ;  mais la question demeure : comment imposer ces réformes-là,  face à des Esclavagistes Installés  qui n’en veulent pas  — sans comprendre  qu’en vertu de la Démonstration de Bitur-Camember  ils n’y perdraient même pas forcément ?

Grégoire Canlorbe: Vous affirmez qu’on peut prouver par le raisonnement a priori l’existence de Dieu. Pourriez-vous nous en rappeler ici la démonstration ?

François Guillaumat: Le plus remarquable dans les démonstrations de l’Existence de Dieu par l’Ontologie,  cette branche de la métaphysique  qui étudie l’Etre en tant que tel,  c’est à quel point elles sont à la fois ultra-classiques  et largement méconnues ;  pour ma part,  je n’en avais eu qu’un bref aperçu en classe de philosophie dont le professeur,  employé de l’enseignement public,  s’était bien gardé  de nous inviter à tirer les conséquences.

Si j’essaie de reconstituer ce raisonnement,  cela donne à peu près ceci :  notre expérience empirique des êtres nous permet de constater qu’il existe de l’être ;  et comme de rien il ne peut rien sortir,  de cette existence de l’être nous devons conclure que quelque être a toujours existé.  Or,  aucun des êtres que nous pouvons observer n’a toujours existé : nous savons au contraire  qu’ils sont « contingents » : qu’ils ont commencé d’exister, qu’ils cesseront d’exister,  et qu’ils doivent leur existence  à un autre être qu’eux-mêmes.  Il s’ensuit qu’il existe  un Etre nécessaire,  qui a toujours existé,  qui ne doit son existence  à aucun autre,  et qui est lui-même la cause  de l’existence  des êtres contingents.

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Le plus remarquable  c’est que les athées professionnels,  comme Richard Dawkins,  semblent n’avoir aucune idée de ce genre de démonstration,  puisqu’on les voit considérer  comme des arguments en leur faveur,  et triomphalement employer,  des raisonnements  du type :  « si Dieu a créé tous les êtres,  qui donc a créé Dieu ? ».  Ces soi-disant  « experts » ne savent donc même pas que Dieu se définit comme l’Etre Incréé,  de sorte qu’ils volent carrément le concept  faute de connaître sa définition.  Tout aussi cocasse est Leonard Peikoff lorsque, dans The Philosophy of Ayn Rand,  il appelle « the popular notion of God »  d’autres conclusions  de ce même raisonnement ultra-classique  sur l’Etre absolu :  l’Ontologie, Monsieur le Professeur de philosophie,  c’est comme le chinois,  ça s’apprend !

Bien entendu,  je ne fais en l’espèce que suivre,  et interpréter,  l’enseignement de mon bon maître Claude Tresmontant,  que j’ai découvert parce que Guy Sorman,  dans un article du Figaro Magazine,   l’avait présenté  comme l’un des « véritables penseurs de notre temps »,  et qu’il semblait avoir le même rapport  à raison et à la vérité  que… Ayn Rand,  laquelle venait de me démontrer la possibilité  et la nécessité  du raisonnement métaphysique,  même si,  à l’évidence,  elle n’en maîtrisait pas  tous les aspects.

Comme le nominalisme,  comme le subjectivisme normatif,  comme l’étatisme,  comme toutes les erreurs majeures de raisonnement,  l’athéisme est hérissé d’occasions  de se rendre compte qu’il est faux,  occasions  dont on ne se rend compte  qu’on les avait manquées  qu’à partir du moment où on en a saisi une  et l’a suivie jusqu’au bout.  Alors,  des occasions de conclure à l’existence de Dieu,  il y en a une infinité possible,  et je vous renvoie  là-dessus aux écrits de Claude Tresmontant  dont certains  sont disponibles en ligne…

Pour ma part,  si je devais  choisir l’observation  la plus simple,  et qui repose sur la plus grande expérience,  je choisirais  celle qui part de la constatation empirique du changement,  alors que,  corollaire de l’axiome que de rien,  il ne peut rien sortir,  aucun être ne peut se donner à lui-même  ce qu’il n’a pas.  Ce que l’expérience nous permet de constater  c’est l’universelle réalité du changement ;  pour reprendre l’expression de Bergson,  d’une création continue d’imprévisible nouveauté.  Or,  du point de vue ontologique,  la question se pose nécessairement :  étant donné  qu’aucun être ne peut se donner à lui-même ce qu’il n’a pas,  comment peut-il apparaître,  dans l’univers sensible,  quelque chose qui ne s’y trouvait pas déjà ?  Du mythe grec de l’éternel retour  au déterminisme strict des laplaciens du XIX° siècle les tenants du monisme métaphysique,  qui ne veulent pas admettre que l’Etre absolu et nécessaire  est autre que l’univers sensible,  ont toujours cherché  à minimiser voire à exterminer cette réalité du changement.  Mais ce parti pris-là,  s’il peut être fécond dans la mesure  où il nous pousse à identifier des lois de la nature qui,  une fois apparues,  ne changent pas,  cette négation du changement  implique une contradiction :  pour reprendre à Hoppe son critère de l’argumentation,  le fait même d’argumenter contre la réalité du changement constitue en soi un fait nouveau de l’univers sensible,  et dans la mesure où il vise à convaincre quiconque,  reconnaît implicitement la possibilité de changer… d’avis.  La réalité du changement est donc axiomatique,  puisqu’on ne peut argumenter contre elle sans contradiction  (on voit ici la puissance  et la portée universelle du critère hoppien de la contradiction pratique,  appliquée à l’argumentation).

La seule réponse logique  est que ce changement-là  est issu d’un autre Etre  que l’univers sensible,  qui y intervient sans arrêt.  A cette idée d’un Dieu qui intervient sans arrêt,  on pourrait objecter qu’elle ressemble par trop à l’idée musulmane comme quoi les lois de la nature  ne seraient « que des habitudes de Dieu ».  Mais c’est une idée orthodoxe  que de dire  que Dieu non seulement nous a créés,  mais nous crée en permanence, comme c’est en permanence  qu’il nous donne  le libre arbitre.

C’est particulièrement vrai de l’information :  l’univers est toujours  de plus en plus informé,  depuis l’apparition des premiers êtres vivants  jusqu’à l’« économie de l’information ».  Il apparaît sans cesse une information nouvelle dans l’univers,  qui n’aurait pu se la donner à lui-même  s’il était le seul Etre.  On salue encore une fois  les efforts  héroïques des savants  expérimentalistes  qui voudraient réduire le nouveau à l’ancien,  et la création d’information à l’opération de lois naturelles immuables ;  mais que font-ils eux-mêmes  en tant que savants,  sinon rechercher une information nouvelle pour la faire apparaître ?  En outre, comme l’a montré Hoppe à partir de… Popper,  c’est pour des raisons logiques  qu’on ne peut pas appliquer la méthode expérimentale à des systèmes  où des informations nouvelles apparaissent sans arrêt.

A cet égard,  le Professeur Tresmontant m’a initié  aux critiques  des explications naturalistes de l’évolution,  qui paraissent beaucoup plus plausibles  une fois qu’on a compris  qu’il n’est nul besoin d’adhérer à une interprétation littérale de la Genèse,  que les géologues contredisent,  pour ne pas prendre Darwin au sérieux,  puisque l’objection que lui faisaient les paléontologues à l’époque,  comme quoi ce qu’ils avaient observé  ne permettait pas de confirmer sa théorie,  n’a pas été réfutée  par les observations ultérieures.

A SUIVRE …

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