Ernest Teilhac, L’oeuvre économique de Jean-Baptiste Say (1927)

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INTRODUCTION

De J.-B. Say l’on parle beaucoup. L’on en parle beaucoup sans l’avoir lu, et pour n’en point dire du bien ; les qualités de sa doctrine l’ont si vite répandue en lieux communs que s’est émoussée sa finesse. Si, par hasard, on le lit, on en dit alors du mal ; si transparente est sa pensée qu’il faut un œil singulièrement exercé pour voir autre chose que le jour à travers.

De cette double faute les étrangers se rendent le plus aisément coupables. Mais s’ils distinguent mal J.-B. Say de ses médiocres successeurs, c’est que le plus souvent ceux-ci l’ont mal dégagé d’Adam Smith, son grand prédécesseur. Si nous assistons au début du dix-neuvième siècle à l’escamotage de l’économie politique française par l’économie politique anglaise, la responsabilité première en incombe aux économistes français ; charge lourde, car cet effacement d’une économie politique devant une autre économie politique recouvre, par le triomphe d’une classe, l’effacement de l’économie sociale devant l’économie politique, de l’économie sociale de J.-B. Say devant l’économie politique Maltho-Ricardienne. La portée nationale de ce mouvement nous laisserait presque indifférent, si elle ne coïncidait avec sa portée humaine. Un tel aveuglement, en France même, devant cette traditionnelle réalité française qu’est l’idéal frappa d’impuissance pendant un siècle l’économie politique.

Non seulement les économistes français commirent la faute de bel et bien négliger l’héritage légué par J.-B. Say, mais aussi celle de s’être presque laissés dépasser par l’étranger dans un premier essai de restitution. Certes l’appréciation qu’un Dühring (1), un Mac-Leod (2) ou un Taussig (3) porte sur J.-B. Say est aussi peu fondée que celle de M. Turgeon (4), de M. Schatz (5) ou de M. Gemahling (6). Le professeur Ely (7), dont le traité fait autorité aux Etats-Unis, est assez superficiel pour ne pas mentionner une seule fois dans une histoire abrégée de l’économie politique, parmi des médiocrités sans nombre, le seul nom de Say ou de Proudhon. Mais, après la belle étude de Ferrara, après les courageuses affirmations de Jevons et de Cannan, après les suggestions de Böhm-Bawerk, après l’intelligent travail de Boucke, le pas en avant fait par MM. Rist et Gonnard ne nous semble pas suffisant. Et, si la théorie de Walras, reprise par M. Antonelli, reste un vivant témoignage, si les pressentiments de M. Gide sont singulièrement pénétrants, si les travaux de M. Aftalion constituent la plus admirable des contributions théoriques, si enfin les études de M. Allix, aussi remarquables que celles d’Elie Halévy dans un domaine voisin, ont dégagé le sens historique de l’œuvre de Say, son sens théorique n’a été, à notre connaissance, entrevu que par un Américain : Davenport (8).

La tâche dont nous avions à tenter l’accomplissement se posait très nette. Il s’agissait ni plus ni moins de coordonner et parachever ces tendances, en rapprochant peut-être au point de les confondre le sens historique et le sens théorique de l’œuvre de Say, en montrant que, l’effacement au cours du XIXe siècle de l’économie politique française devant l’économie politique anglaise recouvrant l’effacement de l’économie sociale devant l’économie politique, le problème historique, national, relatif se résout dans le problème théorique, humain, absolu, et que vivante est la doctrine de Say.

Pour ce faire nous n’en avons pas moins suivi une méthode strictement historique. Nous nous sommes avancés au milieu des événements non seulement pas à pas mais dans le dédale des textes mot à mot. De l’homme à l’œuvre, de l’œuvre à nous, tel est d’un trait le plan que nous avons suivi. En d’autres termes, nous n’avons logiquement étudié l’économie sociale de J.-B. Say qu’après J.-B. Say lui-même et avant son rôle dans l’évolution de l’économie politique. Et, si le problème historique se résout dans le problème théorique, n’est-ce point au fond parce que la théorie elle-même, essentiellement relative, nous est finalement apparue comme une histoire, lente description d’une spirale telle que derrière Jean-Baptiste se dresse grandissante l’ombre géniale de Jean-Jacques.

(1)   V. GIDE et RIST, Histoire des Doctrines, 4e éd., 1922, p. 136.

(2)   V. H. D. MACLEOD, The History of Economics, New-York, 1896, p. 111.

(2)   V. F. W. TAUSSIG, Wages and Capital, New-York, 1896, p. 157.

(3)   (4) V. C. TURGEON, La valeur d’après les économistes anglais et français, 2e éd., 1921. ; Conception économique de la richesse et du capital. Travaux juridiques et économiques de l’Université de Rennes, t. VIII, 1923.

(4)   V. A. SCHATZ, L’individualisme économique et social, 1907, p. 153 et s.

(5)   V. P. GEMAHLING, Les Grands Economistes, 1925, p. 145.

(6)   V. R. T. ELY, Outlines of Economics, 3e éd., New-York, 1919.

(7)   V. HJ. DAVENPORT, Value and Distribution, Chicago, 1908, p.107 à 120.

TABLE DES MATIERES

Première Partie – L’homme et L’œuvre

La vie privée, La vie publique, L’entrepreneur, Le professeur, Les idées générales de J.-B. Say, Le sens de la loi des débouchés : la monnaie, La portée politique de la loi des Débouchés, La portée politique de la loi des Débouchés, La biologie sociale

Deuxième Partie – Les origines et L’influence

Des physiocrates à J.-B. Say, D’Adam Smith à J.-B. Say, J.-B. Say et la formation de l’économie sociale en France, J.-B. Say et la formation de l’économie politique en Angleterre, J.-B. Say et la formation de l’économie politique en France, J.-B. Say et l’économie sociale renaissante de France en Amérique, L’apogée de la tradition française dans Henry George, La ruine de la tradition française après George, De l’équilibre économique à la loi des débouchés, De la loi des débouchés à l’équilibre social

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