Extraits des lettres d’Yves Guyot à M. et Mme Raffalovich

Correspondance d’Yves Guyot avec M. et Mme Raffalovich (3 volumes)

Bibliothèque de l’Institut, Ms 3681.

Premiers extraits.


Paris, le 28 mars 1886

…… J’ai reçu et lu hier la jolie petite brochure de mademoiselle Sophie : John Bright et Fausset. C’est parfait comme fond et comme forme. J’en dirai, dans le Globe, le bien que j’en pense…


Paris, 26 juin 1886.

….Je vous envoie ma proposition de loi sur la séparation des églises et de l’État ; mais vous n’êtes pas obligée de la lire….


Paris, 19 juin 1886.

…. Vous avez analysé avec une finesse charmante la psychologie de M. Guizot amoureux. Je plains les victimes de ce don Juan protestant. J’aime mieux celui de Molière. M. Guizot est le symbole de l’ennui calviniste : et détestant m’ennuyer, je plains ses femmes. …


Paris, 26 mars 1886.

Carlyle Cottage, Knig’d road, Chelsea.

….Je suis à Londres depuis quatre jours et vais y rester jusqu’à la fin de la semaine. Chaque fois que je revois cette ville prodigieuse, je me sens saisi de plus d’admiration pour le self-help. ….


Paris, le 10 août 1886.

Chère madame,

Je viens de lire vos deux charmants articles sur M. Dostoïevski. Ils m’ont prouvé une fois de plus que vous saviez tout comprendre et que vous aviez toutes les délicatesses du cœur. Je dois dire, à ma honte, que je ne connaissais pas Dostoïevski, mais vous m’avez donné envie de le lire. Je vais aller chez Flou me procurer ses livres. ….


Paris, 21 août 1886.

…. La première question de votre lettre m’a étonné. Avoir le souvenir d’un regard ? Mais certes. Il y a des regards dont je me souviens depuis mon enfance. Vous savez que la mer n’est agitée qu’à la surface et qu’au fond elle est très clame. Je dois avoir un bon fond de stagnation, car j’ai le souvenir tenace de certains mots, de certains gestes, et de certains regards. …

…. J’ai appris la nomination de Mlle Sophie comme membre honoraire du Cobden Club. Je félicite le Cobden Club. ….


Paris, 27 août 1886.

Chère madame,

Je viens de lire les souvenirs de la maison des morts de M. Dostoïevsky. …. L’homme est loup à l’homme, a dit Hobbes. Il est un peu plus. Il apporte le raffinement en plus. Le chat ne torture pas la souris pour se réjouir de ses souffrances. Il joue avec elle, pour s’exercer à la reprendre et à prendre ses compères. L’officier Smekalof n’apparient pas à la race féline, mais bien à la race humaine. ….

Je vous remercie de m’avoir révélé un auteur de cette puissance, mais surtout si rempli d’humanité. …


Paris, 3 septembre 1886.

Chère madame,

Je continue mes investigations dostoievskesques. Vous m’avez, par une chiquenaude, lancé sur une pente, j’y roule. J’avais passé par une phase très claire où je m’étais retrouvé furtivement. Je viens de m’enfoncer dans Krozhaïka. J’en suis sorti comme on sort d’un cauchemar. Je vais me plonger dans Crime et châtiment. En sortirai-je ? ……


Paris, 11 octobre 1886.

J’ai fini Dostoievky. ….


Paris, 16 novembre 1886.

….. Votre affliction de la mort de Paul Bert me prouve, ce que je savais déjà, que vous êtes bonne. Mais Paul Bert a-t-il donc été méconnu et malheureux ? Il a vu réaliser des idées qui lui étaient chères et à la réalisation desquelles il avait contribué. Il a vu, après les périodes du 24 et du 16 mai, la République définitivement implantée en France. Il a pu même apprendre avant sa mort que la loi sur l’instruction primaire avait reçu son complètement indispensable ; et au-dessus des succès personnels, qu’il avait eus comme savant et comme homme politique, je mets les succès collectifs. Il avait pensé. Il avait agi. Je trouve que la vie avait été bonne pour lui.


Paris, le 23 novembre 1886.

…… Si Flaubert a lu votre article sur les Trois coûts, il a dû être profondément humilié, lui qui n’avait qu’une religion, « la forme », et passait une nuit pour adapter un épithète à un substantif ou donner un peu plus de sonorité à sa phrase !….

…. Je vous trouve bien généreuse pour Proudhon. Il m’a toujours paru un charlatan, jouant avec des idées vides, comme les héros de foire jonglent avec de faux poids et des têtes de fer creux. Il montrait ses biceps et annonçait de sa plus grosse voix un tour de force qu’il ne faisait jamais. ….


Paris, 22 janvier 1887.

…. Je ne vous croyais pas si cérémonieuse….. Je considère qu’un des signes du progrès des sociétés est la substitution du fond à la forme. Dans le vieux droit, tout est sacrifié à la forme. Bridoison est un symbole. Plus l’individu se dégage de la cangue primitive, plus, au contraire, il attache de l’importance à la chose elle-même et moins à la procédure. Simplifiez donc la procédure. Ce qui importe, dans les relations de la vie, c’est la sympathie et la confiance réciproques. 


Paris, 31 janvier 1887.

Je regrette d’autant plus de ne pouvoir aller déjeuner chez vous mercredi que vous m’avez dit d’un ton impératif : « je n’aime pas à être refusée », et je suis au désespoir de faire quelque chose qui puisse vous déplaire. Mais j’ai promis à Domunt d’aller déjeuner chez lui ce jour là pour causer de l’association des droits individuels que nous fondons…..


Paris, 3 février 1887.

Chère madame,

À mon grand regret il m’est impossible d’accepter votre aimable invitation pour vendredi soir. C’est le jour de réunion de la Ligue des contribuables et des consommateurs et je ne puis abandonner ces pauvres gens qui sont tout le monde et qui ne savent pas se défendre contre ceux d’entre eux qui veulent vivre à leurs dépens. …..


Paris, 4 février 1887.

….. J’espère que M. Raffalovich vous a envoyé des nouvelles rassurantes de Russie. Dans quelle singulières situation vous vous trouvez ! Quelle chose absurde que la guerre ! Cette politique me rend plus que jamais économiste. J’espère que mademoiselle Sophie est de mon avis. …


Suite à venir….

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