Frédéric Bastiat dans le journal Le Monde, pour la réédition de Maudit argent et La vitre cassée

1-BASTIATA propos de la réédition de : Frédéric Bastiat, Maudit argent !, suivi de La Vitre cassée, postface par Damien Theillier, chez Berg International Editeurs, 55 pages, 7 euros. (Acheter sur amazon.fr)

Quand Bastiat découvrait les anticipations rationnelles
LE MONDE | 26.06.2013
Par Philippe Arnaud

Non, il n’est pas vrai que les libéraux confondent argent et richesse. La preuve ? Ce petit texte du polémiste français Frédéric Bastiat (1801-1850). C’était l’époque où les économistes n’avaient pas encore délaissé l’art de la conversation. Maudit argent ! a la forme d’un dialogue, souvent brillant. Il a été publié dans le Journal des économistes en 1849.

Pourquoi maudire l’argent ? demande Frédéric Bastiat. Parce qu’on l’assimile à la richesse. En période de crise, les hommes politiques disent : “Si le peuple souffre, c’est qu’il n’a pas assez d’argent. Il faut en faire.” Et ils créent du “numéraire fictif”. Bien avant que l’économiste américain Robert Lucas ne théorise le mécanisme des anticipations rationnelles, Frédéric Bastiat montre comment fonctionne la “mystification” monétaire. Supposons, dit-il, que des individus se réunissent dans une pièce pour jouer à un jeu d’argent, au moyen de jetons. Quel mal y a-t-il à augmenter, au début du jeu, le nombre de jetons en circulation ? Pendant la durée de la partie, au moins, ils auront l’illusion de gagner plus. A la fin du jeu, ils en seront quittes pour une “déception bénigne”.

DANGEREUX DE TROMPER LE PEUPLE

La réponse de Bastiat à ce “sophisme” est double. Premièrement, il est dangereux de tromper le peuple, dit-il. “C’est un grand mal, pour un peuple, qu’une espérance déçue.”Deuxièmement, les victimes sont “les pauvres, les gens simples, les ouvriers, les campagnards”. Quand la valeur de la monnaie change arbitrairement, en effet, toutes les “duperies” sont possibles. Qui en profite ? Les “habiles”, écrit Bastiat, c’est-à-dire ceux dont c’est le métier d’observer les fluctuations des prix. Autrement dit, face à l’inflation, certains hommes sont plus égaux que d’autres.

Ce texte est suivi d’un autre, La Vitre cassée, où Bastiat critique le sophisme selon lequel “il faut que tout le monde vive. Que deviendraient les vitriers si l’on ne cassait jamais de vitre” ? Bastiat était réservé sur la notion de destruction créatrice*. Voilà pourquoi, sans doute, l’Autrichien Joseph Schumpeter jugeait qu’il n’était pas économiste*.

*Analyse critique de Damien Theillier à propos de cet article

Bien que tout à fait élogieux, cet article commet une erreur fondamentale à la fin. Contrairement à ce qu’affirme  le journaliste du Monde, la notion de “destruction créatrice” n’a strictement rien à voir avec “La vitre cassée” de Bastiat…

En effet, Joseph Schumpeter parle de destruction-créatrice à propos de la disparition de secteurs d’activité économique suite à la création de nouvelles activités plus rentables. En d’autre mots, il s’agit de l’innovation et de la concurrence des nouveaux produits face à des produits moins innovants, menacés de déclin et, à terme, de disparition.

Sur ce point, Bastiat n’aurait rien à redire, c’est un constat tout à fait banal, qu’on trouve chez lui à de nombreuses reprises dans les textes consacrés à la concurrence. Schumpeter n’a rien inventé. Simplement Bastiat avait un style littéraire et non mathématique…

Or dans “La vitre cassée”, Bastiat ne parle pas du tout d’une destruction consécutive au marché mais d’un accident, comme un tremblement de terre, ou un incendie… Et il ne se demande pas si la création de valeur entraîne une destruction mais bien au contraire si la destruction entraîne une création de valeur. Et sa réponse est non ! Car réparer une vitre cassée fait peut-être travailler un vitrier (c’est ce qu’on voit) mais la dépense du propriétaire sera pour une lui une perte sèche. Ces 220 euros (par exemple) qu’il a donné au vitrier, s’il n’avait pas eu de vitre cassée, il aurait pu les utiliser pour s’acheter des livres, un costume (c’est ce qu’on ne voit pas) et il aurait ainsi contribué à l’emploi et à la croissance, sans perdre sa vitre…

A lire aussi : la page sur Bastiat dans le hors-série du magazine Capital : Les 30 plus grands génies de l’économie

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4 Réponses

  1. Vladimir Vodarevski

    Totalement débile! L’article du Monde, bien sûr. Les anticipations rationnelles sont développées dans le paradigme de la synthèse, qui n’a rien à voir avec Bastiat. Idem pour la vitre cassée et la destruction créatrice. L’auteur de l’article se place sur un plan très conservateur, surtout préservons l’existant. Quant à Schumpeter, c’était un ardent défenseur de la synthèse, donc opposé à un économiste comme Bastiat. Que d’ignorance!

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  2. Montenay

    Très bien ! J’avais eu la même réaction, mais ai eu la flemme d’écrire au Monde. L’avez-vous fait ?

    Quelque temps auparavant, un journaliste du Monde avait fait un article sur le Tea Party, où il racontait que ses interlocuteurs citaient un dénommé Bastiat qu’il supposait donc d’extrême droite. Ce jour-là je n’avais pas la flemme, et ai envoyé un message vigoureux. C’est peut-être pour cela que Le Monde a voulu « se rattraper » ensuite…

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