Intervention du 15 mai 1844 sur l’emprisonnement des femmes

Intervention du 15 mai 1844. — Sur l’emprisonnement des femmes.

[Moniteur, 16 mai 1844.]

 

La parole est à M. Gustave de Beaumont. 

M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Messieurs, je reconnais que l’amendement de l’honorable M. Carnot pourrait être adopté sans que la loi fût détruite, et je reconnais également que s’il y a une réforme urgente à faire dans nos prisons, ce n’est pas dans les prisons de femmes. 

Je n’en ai pas moins la profonde conviction que l’amendement qui vous est proposé est mauvais, et qu’il serait utile de le rejeter. 

Je ne pense pas, comme l’honorable préopinant, que les femmes dans les prisons subissent une autre influence que celle qu’y subissent les hommes ; je crois que cette influence, dans les deux cas, est pernicieuse. J’irai même plus loin et, m’appuyant sur l’autorité de personnes dont l’expérience est grande, je dirai que la corruption qui résulte du contact mutuel est peut-être plus funeste aux femmes qu’aux hommes. 

Je ne crois pas, Messieurs, que l’honorable M. Carnot ait opposé des raisons bien solides au système présenté par le gouvernement et la commission. 

L’honorable M. Carnot vous a rappelé les chiffres relatifs aux récidives et à l’augmentation des crimes ; je ne veux pas revenir sur ce point. Quant à l’augmentation des crimes, je n’en ai pas les chiffres ; j’ai seulement celui des délits imputés à des femmes. Or, en 1835, la statistique criminelle constate qu’il y eu 32 000 délits imputés à des femmes, et ce chiffre était arrivé, en 1841, à 37 800. Voilà donc un accroissement ; je ne l’attribuerai pas à la corruption des prisons, mais il me sera permis de dire qu’on ne peut tirer de ce chiffre aucune espèce de conclusion. 

Les femmes condamnées ont peut-être plus d’intérêt que les hommes à être séparées cellulairement. 

Pour une première raison, la voici ; c’est que c’est surtout aux femmes qu’il importe, quand elles rentrent dans la société, de ne point y reparaître avec la souillure du crime et le souvenir des peines attachées à leurs crimes ; cela est important, surtout parce que la femme n’a pas d’autre asile que la famille. Quand elle rentre dans la société, elle ne peut pas, comme l’homme, disparaître, se transporter d’un lieu à un autre ; il faut qu’elle revienne se placer près de son mari et de ceux qui lui sont chers. Voyez alors le danger qu’elle court, si elle vient à être reconnue par des compagnes de prison, qui viennent la flétrir de nouveau, en lui rappelant le souvenir d’une détention commune, et troubler ainsi une existence qui avait recommencé à être honnête. 

Je dis que ces relations, si dangereuses pour les hommes, le sont plus encore pour les femmes, car évidemment ici le péril qu’elles retrouvent dans la société est plus grand pour elles que pour les hommes. 

Les personnes qui visitent aujourd’hui les prisons de femmes déplorent l’impuissance où elles sont de ramener à des sentiments honnêtes ces créatures dégradées, toujours prêtes à tourner en moquerie la charité même qui vient à leur secours. 

Pourquoi ces moqueries ? parce qu’elles sont réunies ensemble. Supposez un instant qu’elles soient isolées, la charité qui vient les secourir dans leurs cellules devient sainte et respectable. 

Le régime cellulaire est donc encore plus nécessaire pour les femmes que pour les hommes. 

Par ces considérations, je repousse de toutes mes forces l’amendement de l’honorable M. Carnot, non pas au nom de la commission dont je n’ai pas l’honneur de faire partie, mais en mon nom personnel. (Aux voix ! aux voix !)

A propos de l'auteur

Gustave de Beaumont est resté célèbre par sa proximité avec Alexis de Tocqueville, avec qui il voyagea aux États-Unis. Son œuvre, sur l'Irlande, les Noirs-Américains, ainsi que ses nombreux travaux académiques et politiques, le placent comme un auteur libéral sincère et généreux.

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