Introduction à la troisième année. Coup d’œil rétrospectif

Introduction à la troisième année. Coup d’œil rétrospectif (Journal des économistes, décembre 1843).


INTRODUCTION À LA TROISIÈME ANNÉE

COUP D’ŒIL RÉTROSPECTIF

Le Journal des Économistes vient d’accomplir sa deuxième année. Le rang qu’à son début il espérait prendre dans la presse périodique sérieuse lui est désormais assigné. Il a tenu les promesses de l’introduction adressée à ses lecteurs dans le premier cahier. Il s’est mêlé à toutes les discussions qui ont agité le pays et les Chambres. Il a le droit de réclamer sa part d’influence dans la solution des grandes questions économiques. Sa récompense est dans l’autorité qu’il a acquise.

Depuis un siècle la France recherche avec ardeur l’amélioration du sort du plus grand nombre, but de la science des économistes. Deux révolutions radicales ont préparé les voies, et les plus grands événements politiques, la guerre, la conquête, l’envahissement du territoire, le retour des gouvernants vers les anciennes traditions administratives, n’ont pas été assez puissants pour détourner la nation de sa marche.

Après chacune des grandes luttes que la France a soutenues, de remarquables travaux ont surgi, qui sont venus attester que les esprits sérieux n’avaient pas perdu de vue la tâche qu’il s’agissait d’accomplir, et l’énergie de l’expression se ressentit alors de l’entraînement général.

La régénération de la société française avait été préparée par les économistes. Ils avaient tant de fois, et sous le régime du bon plaisir, si hautement répété que la liberté est l’âme du travail utile, que tout le monde enfin les avait compris. Tous à l’envi cherchèrent à s’assurer cette liberté. L’édifice des anciens règlements s’écroula. Des bases furent posées ; la liberté du travail fut proclamée, et, comme conséquence inévitable, le travail fut honoré. L’Empire s’établit : il n’avait plus besoin des idées, il leur fit la guerre. Sa tâche fut de mettre de l’ordre dans les immenses faits accomplis.

Cependant l’éducation économique des peuples n’était point achevée. Les anciennes traditions osèrent se produire. Des hommes superficiels et orgueilleux tentèrent de nouveau de soumettre à de capricieuses règles la production de la richesse. On posa partout des limites au travail. On mit des entraves à la production de la richesse. Les efforts des travailleurs furent calomniés ; leur émancipation portait ombrage. Le génie de la création, la puissance de l’homme sur la matière fut soumise à des restrictions, à des lois destinées à varier sans cesse, et sans les précautions de la politique, c’en était fait de la liberté du travail !

Ce fut à cette époque que l’illustre J. B. Say écrivit son livre. Plus tard il professa ses doctrines, et réagit avec éclat contre ce retour à l’erreur. C’est contre les derniers efforts de ces infatigables rétrogrades que s’est levé le Journal des Economistes.

Sa tâche est grande encore et multiple. Notre introduction a développé ce qu’elle doit être. Combattre les fausses doctrines, toutes parées qu’elles sont du voile de la philanthropie et de l’amour des classes pauvres, amour qui ne saurait aujourd’hui constituer le privilège d’aucune école ; démasquer l’intérêt privé couvert du manteau de l’intérêt général ; suivre pas à pas l’administration dans ses actes, le pays, le monde entier dans leurs progrès ; faire descendre la science dans les faits ; discuter au point de vue pratique toutes les questions à l’ordre du jour, sans toutefois oublier jamais le principe théorique ; préparer des matériaux pour toutes les lois, pour toutes les grandes mesures sociales, voilà la mission du Journal des Économistes. Sa collection constate qu’il l’a remplie avec ferveur.

Au milieu de l’éparpillement des idées et des croyances, dans un temps où, comme le disait notre introduction, on compte vingt généraux pour un soldat, où l’orgueil insensé des uns n’est comparable qu’à la timide incertitude des autres, ce n’était pas une chose facile que de réunir quelques hommes disposés à attaquer de front, et souvent au prix de quelque popularité, toutes les erreurs de la multitude, tous les rêves dorés enfants des vagues pensées, tous les contrats sociaux des mille réformateurs modernes.

Cette réunion s’est accomplie cependant. Émus du sort qui menaçait l’économie politique, des hommes élevés à l’école des grands maîtres se sont groupés au sanctuaire de la science. Par quelque chemin qu’ils y fussent arrivés, ils reconnurent que leurs vues et leurs tendances étaient les mêmes, l’amélioration du sort du plus grand nombre. — Ils se sont mis hardiment à la tâche, et si, dans le langage serré et technique des uns, et l’abondance chaleureuse des autres, les esprits superficiels ont cru voir des contradictions, ces anomalies ne sont qu’apparentes, et, dans tous les Mémoires de ce recueil, les plus saines vérités de l’économie politique n’ont pas un instant cessé d’être respectées.

Et pourtant mille questions diverses ont été traitées dans ce journal. La liberté de travailler et de produire a été défendue avec énergie. Le projet d’union avec la Belgique, l’association douanière de l’Allemagne, l’association du Midi, ont maintes fois fourni au journal l’occasion de défendre les principes de la liberté des échanges, que des articles ex professo sur le régime protecteur ont développés.

Les intérêts agricoles, si respectables, ont été défendus par la question des vignobles, celle des défrichements de forêts, celle des bestiaux et des droits d’entrée dans les villes, celle des sucres, dont le journal a présenté la solution adoptée plus tard par les Chambres. Une notice statistique détaillée sur le blé a complété la série des articles relatifs à l’agriculture.

Les voies de communication n’ont point été négligées. La grande lutte de l’État et des compagnies, dans la question des chemins de fer, a plusieurs fois offert l’occasion d’appliquer les vues émises dans un article spécial sur la centralisation et les dangers de ses écarts.

La question coloniale a eu son ample part dans le Journal des Économistes. L’émancipation des esclaves, le droit de visite, le monopole des gommes, l’occupation des îles Marquises, quelques notes sur la Polynésie, le compte-rendu des derniers événements de la Guadeloupe, et à cette occasion l’histoire de la colonie et son avenir, ont prouvé que le journal n’accepte pas dans tout son rigorisme impitoyable cette dure mais profonde sentence : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe. »

L’état précaire du travail n’a pu échapper aux investigations du Journal des Économistes. Tout en condamnant les inapplicables remèdes que quelques hommes plus généreux qu’instruits proposent, il n’a pu méconnaître le fait de la misère. Il a démontré, par une analyse rapide des mille lois rendues en Angleterre pour la régularisation des salaires, qu’aucun des remèdes proposés aujourd’hui n’est nouveau, que toutes les idées dites modernes ont été tour à tour appliquées, et une suite d’articles intitulés Travail et charité a eu pour but de signaler les faits et de garantir l’avenir des malheurs du présent et des erreurs passées qui les ont causés. Un travail considérable sur les anciennes corporations est venu compléter les preuves déjà données de l’impuissance des règlements.

Les questions financières ont eu leur tour. La loi sur la refonte des monnaies a été discutée avec maturité ; les mesures financières de sir Robert Peel ont été exposées avec clarté ; l’examen comparatif des budgets de 1830 et de 1843 vient de compléter cette série.

La morale économique n’a pas non plus été négligée. De nombreux articles sur le travail des enfants dans les manufactures, sur les pensions de retraite des fonctionnaires civils, sur les monts-de-piété, sur l’exercice de la charité, sur les colonies de Mettray et d’Ostwald, sur la polygamie musulmane et ses effets économiques, ont pris place dans ce recueil. L’enseignement professionnel, l’enseignement secondaire, ont fourni des pages nombreuses à notre collection. Des lettres sur le régime pénitentiaire exposent aux lecteurs l’état actuel de la question dans tous les pays de l’Europe et du Nouveau-Monde.

Les postes, leur réforme probable, les patentes et l’avenir de cet impôt, ont eu leur tour. Une suite d’articles sur les intérêts municipaux, des comptes-rendus des travaux des conseils généraux, initient le lecteur au mécanisme de nos lois actuelles, aux devoirs des citoyens envers la communauté ; c’est la vie publique à son origine : il serait à souhaiter qu’elle fût plus souvent prise au sérieux.

Ces travaux originaux et bien d’autres qui remplissent les six volumes de la collection n’ont pas empêché que le journal ne rendît compte des ouvrages les plus importants qui ont paru dans les matières qui l’occupent. Cette partie critique recevra à l’avenir de notables développements.

Des bulletins spéciaux tiennent le lecteur au courant des faits saillants d’économie industrielle et pratique. Une bibliographie choisie complète ces additions à la collaboration originale.

L’Institut, qui fournit à notre recueil un grand nombre de ses meilleurs Mémoires, devait y avoir le droit de bourgeoisie. Depuis quelques mois, le compte-rendu des travaux de l’Académie des sciences morales et politiques a été ajouté à notre rédaction. Cette Académie comprend sa haute mission. Régularisatrice des travaux, directrice des efforts des penseurs, son opinion est d’un grand poids dans le domaine de la science économique. Nous la voyons avec plaisir descendre aussi dans le domaine des faits, et nous aimons à constater cette tendance utilitaire.

Il appartenait au Journal des Économistes d’honorer la mémoire des hommes enlevés à la science. L’illustre Sismondi a trouvé parmi nos collaborateurs un appréciateur éclairé de ses œuvres, et Buret, ravi si jeune à ses illusions, a donné à son savant ami le triste avantage de déposer sur sa tombe quelques expressions de regret.

L’influence du journal, basée d’abord sur le nom de ses collaborateurs, est désormais assise sur les mémoires qu’ils lui ont confiés. On peut voir par le résumé que nous venons de faire qu’il a souvent pris l’initiative sur les questions les plus importantes. Il a nettement exposé sa doctrine sur chacune de ces questions, et, nous le répétons à dessein, il n’a pas été sans influence sur leur solution. Consulté avec fruit par les journaux et les législateurs, il leur a fourni tous les éléments du travail ; il a déduit pour eux les chiffres et les conclusions qu’ils cherchaient.

Le Journal des Economistes a été accueilli avec faveur à l’étranger. C’est à la modération de ses expressions, à la droiture de ses intentions, à la haute pensée civilisatrice qui l’anime, qu’il doit surtout cet accueil. L’intention de sa rédaction est de le mériter de plus en plus en faisant connaître à la France les institutions économiques des pays étrangers, si dignes d’intérêt, si fécondes en résultats, et en ouvrant ses pages à la collaboration des hommes éclairés de tous les pays. L’économie politique n’est point une science d’exclusion ; son but, il faut le redire encore, est l’amélioration du sort du plus grand nombre. Tous ceux que cette amélioration intéresse sont les bienvenus parmi ses collaborateurs, à quelque nation qu’ils appartiennent.

Rien, au surplus, n’a été négligé pour que le journal reste, dans sa forme, en harmonie avec sa mission. Le nombre de feuilles dont il se compose a constamment dépassé le nombre promis. Aucun recueil mensuel n’a jusqu’à présent été l’objet de plus d’attention, et comme œuvre typographique, il tiendra une place distinguée dans toutes les bibliothèques.

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