La pauvreté en France : les « non-dits » du rapport gouvernemental, par Renaud Filleule

IEM-cover - frontChaque année, l’Institut économique Molinari organise, avec le soutien de 24h Gold, l’Université d’automne en économie autrichienne, rassemblant les spécialistes français de l’école autrichienne pour discuter de quelques-uns des grands sujets de notre temps, selon le prisme d’auteurs comme Ludwig von Mises, Friedrich Hayek ou Murray Rothbard. L’édition 2014, dont l’ensemble des conférences a été édité par l’Institut Coppet, portait sur la pauvreté. Dans sa conférence, Renaud Filleule explore les conclusions et la méthodologie d’un rapport gouvernemental de 2012 sur la pauvreté en France.  Il s’avère que, malgré sa prétention à l’objectivité, le rapport pèche par une vision biaisée de la notion de pauvreté et peint par conséquent un tableau inexact de l’état du problème dans notre pays. B.M.


La pauvreté en France : les « non-dits » du rapport gouvernemental

 Renaud Filleule

 

Bonjour à tous, je suis ravi d’être ici pour cette quatrième édition de l’Université d’automne en économie autrichienne. Merci beaucoup aux organisateurs, aux sponsors également. Le thème de ces journées, dans ce cycle de conférences, ce sera donc la pauvreté.

Je vais pour ma part vous parler d’un rapport gouvernemental sur la pauvreté. C’est un rapport qui a été préparé par deux ministères, le ministère des affaires sociales et de la santé, et le ministère délégué chargé des personnes handicapées et de l’exclusion. Ces deux ministères ont préparé en 2012 — ou plutôt juste après l’élection du nouveau président de la République, j’imagine, le nouveau gouvernement a préparé un rapport qu’il a présenté au parlement en décembre 2012.

Les auteurs du rapport par contre ne sont pas connus : ils ne sont pas cités, on ne sait pas exactement qui sont les auteurs, mais je présume que ce sont les experts de ces deux ministères.

Dans cette première séance, nous allons pouvoir étudier les concepts de base autour de la pauvreté, donc ce sera vraiment aussi une séance introductive, afin de voir comment le gouvernement français cadre la question de la pauvreté, comment est-ce qu’il l’analyse, com-me est-ce qu’il la présente, quelles sont pour lui ses causes, et quels sont les remèdes.

Nous commençons donc par les deux définitions, qui sont aussi deux façons de mesurer la pauvreté. Vous avez ce que l’on appelle la « pauvreté monétaire », et nous allons voir précisément ce que cela signifie. Vous avez ensuite la « pauvreté en condition de vie ». Ces deux conceptions, ces deux définitions, ces deux mesures, se distinguent, en principe au moins, par le fait que la pauvreté monétaire est une pauvreté définie en termes relatifs, alors que la pauvreté en conditions de vie est sensée mesurer une pauvreté en niveau absolu. Je dis est sensée, parce qu’en pratique, je doute que ce soit vraiment le cas.

Bien entendu, quand on pense au concept de pauvreté, on pense immédiatement à la question des conditions de vie. Donc on raisonne implicitement sur une pauvreté en termes absolus, définie par des conditions de vie particulièrement difficiles. Mais en pratique, dans la quasi-totalité des discussions du rapport, il ne sera question que de la pauvreté en termes monétaires, et non pas de la pauvreté en conditions de vie. Donc on le verra, jusqu’au bout cela pose des problèmes, parce que la pauvreté est implicitement définie comme une pauvreté en condition de vie, mais en réalité, concrètement dans le rapport, c’est uniquement ou presque uniquement la pauvreté monétaire et relative dont il sera question.

Alors, qu’est-ce qu’on appelle la pauvreté « monétaire » ? On la calcule à partir d’un seuil. Certains d’entre vous connaissent probablement ce calcul. Ce seuil, c’est 60% de la médiane des niveaux de vie. Donc on a un calcul très précis, en principe très rigoureux, qui permet de calculer ce seuil. Je vais vous le détailler ici. On calcule le niveau de vie d’un individu : revenu disponible du ménage, divisé par le nombre d’unités de consommation du ménage. Qu’est-ce que c’est que le revenu disponible, calculé en euro ? C’est le revenu d’activité, du patrimoine, auquel on ajoute les prestations sociales (retraite, chômage, etc.) et on retranche les impôts directs, donc l’impôt sur le revenu, la taxe d’habitation, la CSG, et la CRDS. Donc on retranche ces quatre impôts, qui sont uniquement les impôts directs, donc on retranche les impôts directs mais on ne retranche pas les impôts indirects. Donc on ne tient pas compte ici de la TVA, de la taxe sur les produits pétroliers, des taxes sur l’alcool, sur le tabac, etc. : ceux-là sont pris en compte dans la définition du revenu disponible.

Une fois qu’on dispose du revenu disponible, on calcule le nombre d’unités de consommation. Cela est assez simple : le premier adulte compte pour une unité de consommation, donc si vous avez un adulte célibataire, le ménage est défini comme une unité de consommation. S’il y a d’autres personnes de plus de 14 ans, elles comptent pour une demi-unité de consommation, et si vous avez des enfants de moins de 14 ans, 0.3 unité de consommation.

Donc vous avez calculé votre revenu disponible, et votre nombre d’unités de consommation dans le ménage. Bien entendu, dans un ménage, tous les membres ont absolument le même niveau de vie, d’après ce calcul. Le niveau de vie de chaque individu est ainsi calculé.

Ensuite, il reste à calculer la médiane des niveaux de vie. Pour ceux d’entre vous qui ne sont peut-être pas mathématiciens ou matheux, la médiane, quand vous considérez l’échelle des niveaux de vie du plus bas jusqu’au plus élevé, c’est le nombre qui va couper exactement en deux cette distribution. C’est-à-dire qu’il y aura autant d’individus au-dessus de la médiane que d’individus au-dessous. Cela c’est la médiane, et vous avez un nombre en euros. Vous calculez les 60% de ce nombre, et vous avez le seuil de pauvreté. Et les personnes qui sont en-dessous de ce seuil sont définies comme pauvres monétairement, et au-dessus, non pauvres monétairement.

Certainement, le nombre de 60% est un petit peu arbitraire, on le voit. Mais on calcule également d’autres pourcentages. On calcule le seuil de pauvreté en général à 60% et à 50%. L’INSEE se limite à présenter ses résultats, et ils peuvent aussi assez facilement le calculer, très facilement même, à 40% et à 70%. Donc on pourrait éviter un petit peu l’arbitraire des 60% en prenant en compte d’autres paramètres.

Sur ces bases, il existe des disparités régionales. On peut calculer le taux de pauvreté dans chaque région. Et surtout cet indicateur de pauvreté est un indicateur relatif, c’est-à-dire que bien entendu si vous êtes dans un pays riche, les niveaux de vie seront élevés, et les 60% de la médiane donneront un niveau de vie relativement élevé. Pareillement, si vous êtes dans un pays pauvre voire très pauvre, les 60% de la médiane donneront un niveau de vie extrêmement bas.

Donc cet indicateur, c’est un indicateur relatif, qui mesure essentiellement une inégalité, et non pas un véritable niveau de vie, en termes d’accès à des biens, à des services, etc.

Alors ensuite, la pauvreté en condition de vie. Ici, les statisticiens, ou toutes les personnes qui étudient ces questions, ont élaboré une grille d’analyse, qui permet de définir cette pauvreté en condition de vie, à partir de quatre rubriques : contrainte budgétaire, retard de paiement, restriction de consommation, et difficulté de logement. Nous allons les passer rapidement en revue ici.

La contrainte budgétaire d’abord. Vous avez six items, ou six carences comme on les appelle : est-ce que vos remboursements, les remboursements de vos emprunts, dépassent un tiers de vos revenus ? Dans ce cas-là vous avez une carence. Est-ce que vous avez des découverts bancaires chaque mois dans les 12 derniers mois ? Est-ce que vous avez des revenus généralement inférieurs aux dépenses courantes ? Cela signifie qu’il n’existe aucune épargne à disposition. Est-ce que, dans les douze derniers mois, il a fallu puiser au moins une fois dans vos économies afin de pourvoir à vos dépenses courantes ? Et puis il y a aussi une question sur l’opinion : on demande aux gens est-ce que vous trouvez que financièrement c’est difficile, qu’il faut s’endetter pour pourvoir à ses dépenses courantes, et ainsi de suite.

Donc ça c’est la contrainte budgétaire. Ensuite vous avez les retards de paiements. C’est l’impossibilité de payer toute une série de factures, que ce soit des factures d’eau, d’électricité, etc., le loyer, le versement d’impôts.

Les restrictions de consommation, ensuite, cela veut dire que vos moyens financiers ne vous permettent pas de maintenir le logement à une bonne température, de vous offrir une semaine de vacances par an, de remplacer les meubles hors d’usage, d’acheter des vêtements neufs, de manger viande tous les deux jours — viande, poisson, ou substitut végétarien, évidement, dans le politiquement correct — de recevoir des invités une fois par mois, d’offrir des cadeaux une fois par an, et d’avoir deux paires de bonnes chaussures. Ce sont les carences en termes de consommation.

Et vous avez pour terminer les difficultés de logement. Est-ce que le logement est surpeuplé ? Là il y a encore des critères très précis : nombre de mètres carrés par personne en fonction de l’âge des individus, absence de salle de bain à l’intérieur du logement, absence de toilettes à l’intérieur du logement, absence d’eau chaude, ou absence de chauffage, logement trop petit, difficile à chauffer, humide, ou bruyant.

À partir de ces 27 critères, vous êtes considérés comme pauvre en condition de vie si vous avez, si vous subissez 8 carences. Si vous subissez au moins 8 carences dans ces 27, vous êtes comptabilisés comme pauvres en condition de vie.

Mais comme je l’ai dit tout à l’heure, la quasi-totalité du discours sur la pauvreté ne porte pas sur cet indicateur là, mais porte sur la pauvreté monétaire.

Voyons maintenant les résultats, les résultats du rapport. Bien entendu, le rapport apporte toute une série de statistiques, et là je n’en donne qu’une toute petite partie.

Pour 2010, le seuil de pauvreté monétaire à 60% était de 964 euros courants par mois. Le nombre de personnes sous le seuil était de 8.6 millions. Le pourcentage de la population, en 2010 était à 14,1%, en 2012 à 13.9%. La population pauvre en condition de vie en 2011 représentait 12.6% de la population, et là c’est sur l’indicateur qu’on vient de voir, la pauvreté en condition de vie.

Et puis vous avez ce que l’on appelle dans le rapport le « halo de pauvreté ». Parce qu’il y a un phénomène un peu curieux, c’est que la population des gens qui sont pauvres du point de vue monétaire et ceux qui sont pauvres en condition de vie en réalité ne se recoupent pas. Elles ne se recoupent que pour un tiers à peu près.

Donc quand vous ajoutez la population pauvre en condition de vie à la population pauvre monétairement, vous atteignez à peu près 20% de la population c’est-à-dire une personne sur cinq. C’est ce qui est appelé le halo de pauvreté.

On pourrait penser a priori que ce sont les mêmes populations et en fait non, et même elles se recoupent relativement peu, ce qui est une observation intéressante.

Bien entendu, le rapport indique également l’évolution depuis 1996. Vous avez en 1996 un taux de pauvreté monétaire à 14.6% de la population, puis une tendance à la baisse. Là j’ai repris les données de façon très schématique : on observe une tendance à la baisse jusqu’à 2004, aux alentours de 12.5 à 13%, puis une période de stabilité, puis avec la crise économique, c’est très net, on a une remontée du taux de pauvreté de 13 à 14%, de 2008 à 2010, et une stabilité comme on l’a vu tout à l’heure en 2012 à 13.9%.

Alors voilà pour une présentation très brève des résultats du rapport. Et maintenant, nous passons à la question des non-dits du rapport.

Un premier point, c’est celui du roulement, du turnover, au sein de la catégorie des pauvres. C’est un point qui n’est jamais abordé dans le rapport, c’est le fait que les gens qui sont dans la catégorie des pauvres, ils fluctuent, c’est-à-dire que vous avez en permanence, chaque année, des gens qui entrent dans cette catégorie, et des gens qui sortent. Ce ne sont pas les mêmes. Et bien souvent dans les discussions sur les inégalités, quand on présente soit ce type de pourcentage de pauvreté monétaire, soit les indicateurs de pauvreté en fonction du décile ou du quintile d’appartenance, du 10% ou 20% des personnes les plus pauvres, implicitement on interprète ces données en termes de classes sociales, c’est-à-dire que les pauvres c’est les pauvres. Ils sont pauvres, ils étaient pauvres, ils seront pauvres : c’est le mêmes. On procède comme si c’était une sorte de caste ou de classe sociale au bas de la société. Or ce n’est pas vrai du tout. Vous avez une fluctuation permanente et un roulement permanent au sein de cette catégorie, avec des gens qui entrent et des gens qui sortent.

Ce qui serait intéressant et important à savoir ici, pour analyser et comprendre ce roulement, ce serait de savoir par exemple quelles sont les personnes qui restent pendant deux années consécutives dans la catégorie des pauvres, ou pendant trois années consécutives, ou pendant cinq années consécutives, donc des gens qui restent dans cette catégorie vraiment de façon durable. Ou alors, sur dix ans, quel est le pourcentage de la population française qui sur dix ans a été la moitié du temps, donc cinq années, dans cette catégorie ? Et là bien entendu les pourcentages de pauvreté seraient beaucoup plus bas. On ne serait certainement pas aux alentours de 14%. Je ne sais pas exactement à quel taux on serait, mais on serait beaucoup plus bas.

Vous avez des enquêtes américaines sur de très gros échantillons, à partir des déclarations d’impôts, donc avec des données relativement fiables, qui montrent qu’il y a un turnover considérable. Sur le dernier quintile, c’est-à-dire les 20% de gens qui ont le revenu le plus bas, vous prenez les mêmes individus vingt ans après, vous en avez au moins un sur trois qui se trouve quasiment en haut. Donc quand on parle de la pauvreté, il ne faut surtout pas penser que les gens pauvres le restent. Bien entendu il y en a qui vont le rester, mais des gens qui vont rester pendant vingt ans dans la catégorie des pauvres, ça représente combien ? Peut-être un sur mille, très très peu. Vous avez au contraire des gens qui montent, parce qu’en réalité la statistique des pauvres va tout simplement refléter le cycle de vie. C’est-à-dire que quand vous terminez vos études et que vous entrez sur le marché du travail, vous avez un salaire qui ne sera pas extraordinaire, c’est normal, vous êtes plutôt en bas de l’échelle. Supposons que vous vous marriez, vous avez des enfants, à ce moment là, si par exemple la femme ne travaille pas parce que les enfants sont en bas âge, vous ajoutez des unités de consommation, les revenus sont relativement faibles, donc forcément la probabilité de passer en-dessous du seuil elle existe, elle est réelle, pour beaucoup de gens. Et puis les enfants grandissent, c’est vrai, mais la personne reste dans l’emploi, elle gagne de l’expérience, son salaire augmente, la femme reprend un emploi, un deuxième salaire s’ajoute, et là vous en ressortez. Ensuite, le niveau de revenu est maximum, en général, juste avant la retraite, et après il baisse.

Donc vous avez tout cet aspect de cycle de vie qui explique une partie des statistiques sur la pauvreté. Et ce que ces enquêtes américaines montrent aussi de très intéressant, c’est en ce qui concerne la catégorie des 1%, les 1% les plus riches. Là aussi il y a une mobilité énorme. Alors malheureusement j’ai oublié de vérifier quels étaient les chiffres, mais je pense qu’au bout de quatre ou cinq ans, vous avez un tiers si ce n’est la moitié des gens qui étaient dans le top 1% et qui n’y sont plus. C’est-à-dire que vous avez un roulement énorme au sommet. Alors bien entendu, vous avez des gens qui resteront toute leur vie dans le top 1%, leurs enfants aussi, etc., mais c’est quel pourcentage ? C’est un pourcentage également très faible. Donc il faut bien penser, sur ces questions de pauvreté, sur la classification de la pauvreté, il faut bien penser qu’il y a un roulement des populations qui est très important, très significatif. Mais pour l’étudier, il faut suivre les individus un par un. On ne peut pas raisonner sur un échantillon et on calcule sur une année donnée combien il y en a en-dessous du seuil de pauvreté, etc. Il faut prendre un gros échantillon et le suivre individuellement au cours du temps, pour savoir comment évoluent les revenus des personnes, dans quelle catégorie elles se placent, comment elles montent, comment elles redescendent, etc. Donc c’est un tout autre type d’enquête qu’il faut mener, mais qui donne une vision tout à fait différente de cette question de la pauvreté et du problème que pose la pauvreté.

Alors la mesure de l’évolution de la pauvreté est inadéquate, et ce pour une raison très simple. Je reprends le schéma. Voici l’évolution, donc grosso modo on a ceci. On commence à un petit plus de 14.5% en 1996, on redescend, on remonte avec la crise, etc., c’est ce que l’on a vu. Mais entre temps ? Là, quand on voit ce schéma on se dit, bon, il y a eu une petite amélioration, relativement modeste, mais tout de même ; et puis au fond on est revenu au statu quo d’avant, grosso modo on est revenu à la situation antérieure. C’est tout à fait faux. Parce qu’entre temps qu’est-ce qu’il y a eu ? Il y a eu la croissance économique. Or on peut en tenir compte assez facilement. Si je rajoute la valeur en euros de 2011, donc en euros constant, pour bien refléter la croissance économique, en 1996 le seuil de pauvreté était à 835 euros de 2011, et en 2010 le seuil de pauvreté il était à 984 euros de 2011, donc en euros constant.

Alors maintenant, si on place 835€ de 2011, si on les place en 2010, on est grosso modo aux alentours de 8%. Dans les euros constants, justement, on a annulé l’inflation pour ne tenir compte que de la croissance des revenus réels. Donc on a aujourd’hui, bien entendu grâce à la croissance, même si elle a été relativement modeste, on a des niveaux de vie qui dans la catégorie des pauvres ne sont plus ceux de 1996. C’est un phénomène qui est quand même important et primordial, parce qu’il se rattache justement au véritable niveau de vie, aux véritables conditions de vie, à l’accès aux biens et aux services des individus. Cet accès s’améliore au cours du temps grâce à la croissance économique. Et quand on regarde les statistiques uniquement de l’évolution du pourcentage en pauvreté monétaire, là on ne voit rien du tout. Et donc cet aspect n’est pas du tout pris en compte dans le rapport.

À plus long terme le chiffre va descendre, descendre, descendre. Mais comme ce que l’on étudie c’est un phénomène de pauvreté relative, là il y aura toujours 12%, 13%, 14% de pauvres. Mais ce ne sont plus les mêmes. Or cela reste totalement implicite dans le rapport.

Alors, ensuite vous avez les prélèvements. Ça c’est un résultat quantitatif intéressant de ce rapport. On vous explique que grâce à la redistribution on réduit de 8 points la pauvreté monétaire. Nous avons vu qu’elle est à peu près à 14%, disons, en 2010. Donc ça veut dire que s’il n’y avait pas la redistribution sociale, et on va voir exactement en quoi elle consiste, le pourcentage de la population en dessous du seuil de pauvreté monétaire ne serait pas à 14%, il serait à 14 + 8, donc à 22%.

On nous dit, voilà, la politique de redistribution, elle permet de réduire la pauvreté — sauf que ce n’est pas la pauvreté, c’est l’inégalité, enfin c’est la mesure relative — de 22% à 14%. Et dans ces 8 points qui sont donc gagnés grâce à la politique de redistribution, vous avez 2 points grâce aux prélèvements, et 6 points grâce aux prestations. Puisque ce qu’il se passe dans cette politique de redistribution, c’est qu’on prend de l’argent à certains, disons aux plus riches, et puis on le donne aux plus pauvres.

Alors on va distinguer les deux étapes, d’abord les prélèvements, ensuite les prestations.

On nous explique ce phénomène très curieux, qui est que les prélèvements réduisent la pauvreté de 2 points, la pauvreté monétaire de 2 points. Ici on a l’échelle des revenus initiaux. Donc j’étale les différents niveaux de vie des individus. Vous avez une médiane, un seuil de pauvreté — je les ai représentés à peu près au hasard. À partir de là, vous prélevez des impôts. Bien entendu cela va affecter principalement le haut de la distribution : vous prenez de l’argent aux gens qui sont situés au-dessus de la médiane ou relativement haut dans l’échelle. Donc vous tassez la distribution, bien évidement. Mécaniquement, cela veut dire que vous abaissez la médiane et que vous abaissez le seuil de pauvreté, c’est mécanique. De 2 points : c’est le résultat quantitatif du rapport.

Donc les prélèvements réduisent la pauvreté de deux points. C’est là qu’on voit l’ambiguïté autour du terme de pauvreté, avec le concept d’inégalité — elle saute aux yeux. Ici nous n’avons pas réduit la pauvreté de 2 points, nous avons juste abaissé le seuil. Et non seulement nous n’avons pas diminué la pauvreté mais nous l’avons augmenté, parce que nous avons pris de l’argent. Nous avons accru la pauvreté, même si c’est celle des plus aisés. Et dans le rapport on vous dit : les prélèvements réduisent de deux points la pauvreté monétaire. Alors en toute rigueur c’est exact. Mais après il faut réinterpréter que nous n’avons rien réduit du tout, bien entendu. Nous avons abaissé la valeur mathématique, la valeur numérique de la médiane, et donc du seuil de pauvreté.

Alors bien sûr, ensuite cet argent qui est prélevé on le redistribue, et ce sont les prestations.

Les prestations qui sont prises en compte ici, je les ai noté, ce sont les allocations familiales, les allocations logement, les minima sociaux (le RSA et la prime pour l’emploi). Et en fait le calcul montre que les 6 points de diminution du taux de la population en-dessous du seuil de pauvreté se répartissent ainsi : 2 points grâce aux allocations familiales, 2 points grâce à l’aide au logement, et 2 points grâce aux minima sociaux. Il faut dire que le calcul est relativement simple. C’est sans doute calculé de façon rigoureuse, mais à chaque fois les résultats sont limpides, c’est 2, 2, 2. À noter que tout ce qui est retraite et allocation chômage est déjà pris en compte dans le revenu disponible, qui correspond au calcul initial.

Les prestations réduisent-elles la pauvreté ? Alors là évidemment c’est une question plus délicate. Il est évident qu’à partir du moment où vous prenez de l’argent aux riches et que vous le donnez aux pauvres, bien entendu vous réduisez l’inégalité. C’est évident. Maintenant, est-ce que vous réduisez la pauvreté ? Encore une fois le terme est ambigu. Est-ce que vous permettez aux gens de vivre mieux ? Dans le court terme je dirais oui. Dans le moyen terme cela devient plus discutable. Et dans le long terme, cela commence à être beaucoup plus compliqué.

Ce que j’appelle le court-terme, c’est que si vous partez d’une      situation où vous n’avez aucune redistribution, vous introduisez la redistribution, bien entendu pendant 4-5 ans, peut-être 7-8 ans, peut-être 10 ans, vous allez avoir une amélioration du niveau de vie des plus pauvres. Mais ensuite, l’instance même de redistribution a des effets pervers. Elle peut dissuader les producteurs, puisqu’on leur prend des richesses. Et puis, étant donné qu’on redistribue ces richesses à des gens, ces gens là peuvent choisir par exemple plus de loisir plutôt que de travailler. Donc vous avez des effets désincitatifs sur la production.

À court terme ces effets seront probablement faibles, voire très faibles. Mais plus fonctionne cette institution, plus ces effets s’an-creront dans la société, plus ils désinciteront la production. Et à terme, sur une génération, ou sur plusieurs générations, ils peuvent entraver fortement la croissance économique, c’est-à-dire les niveaux de vie réels des gens.

C’est sans doute vrai pour ce type de prestations et de prélèvements, mais cela le sera encore plus pour le système de sécurité sociale lui-même. Le système de sécurité sociale sur les retraites, sur l’assurance chômage, etc., au moment où vous le mettez en place, je dirais que les gens continuent sur leurs habitudes de comportement. Mais quand ce système s’ancre dans la société, dans le long terme, et là on est dans le long terme, il est évident que c’est un système qui va réduire fortement la croissance. De combien notre système de sécurité réduit-il la croissance par an ? Je dirais au moins un point, un point par an, peut-être plus. Quand vous faites le calcul d’une croissance qui est réduite d’un point par an sur dix ans, vingt ans, trente ans, cinquante ans, les conséquences à long terme sont considérables sur les niveaux de vie réels des gens, sur leur accès réel à des biens et à des services.

Quand je dis un point, c’est juste une évocation. Je ne sais même pas si on peut mesurer l’impact sur la croissance du système de sécurité sociale. Donner une appréciation quantitative paraît très difficile, mais il est certain qu’à long terme, ce type de système, quand il fonctionne pendant trente, cinquante ans, un siècle, a des effets majeurs sur la croissance économique.

Ici nous sommes vraiment dans l’analyse économique, et ce rapport fait complètement l’impasse sur tous ces éléments, qui pour nous sont évidents, qu’il faut absolument prendre ne compte, mais qui sont totalement négligés ici.

Les prestations réduisent-elles la pauvreté ? Les inégalités, oui ; la pauvreté, on peut en douter, surtout à long terme.

Alors quelles sont les causes de la pauvreté ? Quand on lit ce rapport, les causes de la pauvreté restent encore assez mystérieuses. Grosso modo, la crise économique. Et puis également le gouvernement précédent, par sa politique.

Voici le communiqué de presse qui accompagnait le rapport. Donc on est peu de temps après l’élection du président François Hollande et d’un parlement dominé par le Parti Socialiste. On lit : « le rapport annuel souligne le défi important de la lutte contre la pauvreté. 400 000 français supplémentaires y sont confrontés chaque année. » Là c’est l’augmentation qui est liée à la crise économique. « Notre système de solidarité permet de freiner l’augmentation des situations de pauvreté. » On reste dans cette ambigüité fondamentale entre inégalité et pauvreté. « Son efficacité diminue tant le non-recourt aux droits est important ». Donc ça c’est un autre aspect dans ce rapport dont je n’ai pas parlé, c’est le non-recourt. L’un des points majeurs de ce rapport, après une enquête, c’est de montrer qu’il y a beaucoup de gens qui auraient droit à certaines prestations sociales, et qui n’en font pas la demande. Les pourcentages sont quand même assez importants : 35% pour le RSA socle, 68% pour la prime d’activité, et puis même pour d’autres prestations. Il y a des gens qui ont le droit à des allocations sociales, et qui ne les demandent pas. Et tout un aspect du rapport c’est de se demander pourquoi. Est-ce que c’est la complexité, est-ce que les gens ont honte de demander, est-ce que ci, est-ce que ça ?

Et donc la solution contre la pauvreté, pour le rapport, c’est de développer le système de redistribution. Tout simplement.

Si je reprends le fil, parce que là j’ai quasiment terminé, les causes de la pauvreté, c’est les causes de la richesse, car les deux vont ensemble. Et l’analyse économique nous dit que si l’on veut remédier au problème, si on veut trouver les causes, elles sont en France dans un système trop interventionniste, qui réduit la production, qui réduit, comme on le disait tout à l’heure, l’investissement, l’innovation, etc. Toutes les réglementations étatiques, anti-productives, par exemple le salaire minimum, bien entendu, qui empêche à un certain nombre de gens de travailler, bien entendu les 35 heures, qui interdisent aux gens de travailler au-delà d’un certain seuil, tout cela c’est quand même interdire de produire, il faut quand même le dire comme cela. Et puis vous en avez bien d’autres. Si l’on rentrait dans le détail de ces réglementations, on n’en aurait jamais fini.

Les remèdes, j’en ai dit un petit mot tout à l’heure, et puis après on va s’arrêter de toute façon. Le principal remède qui est préconisé par ce rapport, c’est de limiter le non-recours, c’est d’accéder aux personnes qui auraient droit aux prestations sociales, et qui ne demandent pas, donc pour essayer de les convaincre de les prendre, de les accepter, de les demander, etc. Bien entendu, le véritable remède, c’est de libérer la croissance économique. C’est le véritable remède.

Je conclus rapidement. Nous avons affaire à un rapport qui souffre d’une ambigüité permanente entre les concepts de pauvreté et d’inégalité, qui offre une analyse superficielle de la situation, et qui propose des remèdes à courte vue. Et c’est intéressant aussi en ce sens que les gens qui ont préparé ce rapport, ce sont des gens qui certainement ont été formés aux sciences sociales. Pas de doute. Ce n’est pas des biologistes, des chimistes, des ingénieurs. Non, ce sont des gens qui ont été formés aux sciences sociales, et qui manifestement n’ont aucune formation en analyse économique. Rien, du point de vue de l’analyse économique de ces phénomènes qui passionnent et qui mobilisent les économistes depuis trois siècles. Rien ne transparaît dans ce rapport, rien du tout. Donc c’est quand même préoccupant. Alors bien entendu c’est un rapport qui n’émane pas du ministère de l’économie et des finances, c’est les affaires sociales et les personnes handicapées. Mais tout de même, tout de même. C’est faire l’impasse de cette manière sur tout l’aspect économique. Et toute la réflexion approfondie sur les véritables causes de la pauvreté et les remèdes à lui apporter, toute cette réflexion est manquante.

Voilà, je vous remercie.

A propos de l'auteur

L’Institut Coppet est une association loi 1901, présidée par Mathieu Laine, dont la mission est de participer, par un travail pédagogique, éducatif, culturel et intellectuel, à la renaissance et à la réhabilitation de la tradition libérale française, et à la promotion des valeurs de liberté, de propriété, de responsabilité et de libre marché.

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