La recherche des fonctions publiques. Par Charles Dunoyer (1830)

Source : Dunoyer, Charles, Nouveau traité d’économie sociale, ou simple exposition des causes sous l’influence desquelles les hommes parviennent à user de leurs forces avec le plus de LIBERTÉ, c’est-à-dire avec le plus FACILITÉ et de PUISSANCE (Paris: Sautelet et Mesnier, 1830), vol. 1, Cap. X, pp. 365-405.

Introduction par David Hart

Charles Dunoyer et son collègue Charles Comte ont découvert l’économie politique libérale classique lorsque leur journal Le Censeur a été contraint de fermer en 1815. Au cours de cette période de « loisirs forcés », ils ont lu les écrits de Jean-Baptiste Say, en particulier la nouvelle édition enrichie de son Traité d’économie Politique (2e éd. 1814). Ce travail eut un effet profond sur leur façon de penser. Dunoyer comprit que l’économie politique fournissait une explication satisfaisante des phénomènes sociaux. Il comprit en particulier que les nations atteignent la paix et la prospérité lorsque les droits de propriété et le libre-échange sont respectés. Au contraire, quand ces principes ne sont pas respectés, les nations régressent dans la guerre, les conflits et l’appauvrissement. C’est la tentative de fusionner ces deux aspects, le juridico-politique et l’économique, qui occupa Dunoyer pour le reste de sa vie et le conduisit à forger une nouvelle théorie plus robuste qui eut un impact profond sur les libéraux qui devaient venir après lui.

CHAPITRE X.

Liberté compatible avec la vie des peuples chez qui nulle classe n’a plus de privilèges, mais où une portion considérable de la société est emportée vers la recherche des places.

§ 1. Une grande révolution, opérée en France il y a quarante ans, y détruisit, à peu près radicalement, l’ordre social que je viens de décrire. Toutes les distinctions d’ordre furent effacées, toutes les hiérarchies artificielles abolies, toutes les influences subreptices annulées, toutes les corporations oppressives dissoutes.

Il ne faut pourtant pas dire, comme on l’a fait si souvent et si faussement, que l’on passa le niveau sur les têtes. Il ne fut sûrement pas décidé que les hommes de six pieds n’en auraient que cinq, que la vertu serait abaissée au niveau du vice, que la sottise aurait sa place à côté du génie, que l’ignorance et le dénuement obtiendraient dans la société le même ascendant que la richesse et les lumières: bien loin de chercher à détruire les inégalités naturelles, on voulut, au contraire, les faire ressortir en ôtant les inégalités factices qui les empêchaient de se produire.

C’étaient les hommes du régime précédent, c’étaient les apôtres du privilège, qui avaient été de vrais niveleurs. Dans leurs classifications arbitraires et immuables, ils ne tenaient aucun compte des prééminences réelles, et ils voulaient que l’on fût grand ou petit, bon ou mauvais, habile ou sot, par droit de naissance. C’est contre cette égalisation absurde et forcée que fut dirigée la révolution: elle brisa le niveau que des mains oppressives tenaient abaissé sur les masses; et, sans prétendre assigner de rang à personne, elle voulut que chacun pût devenir tout ce que légitimement il pourrait être, et ne fût jamais dans le droit que ce qu’il serait dans la réalité.

Le moyen qu’elle prit pour arriver à ce but était simple: il fut décidé tout uniment que nul ne pourrait être gêné dans l’usage inoffensif de ses facultés naturelles; que toutes les carrières paisibles seraient ouvertes à toutes les activités; que toutes les professions, tous les travaux, tous les services légitimes seraient livrés à la concurrence universelle. C’est en cela que consistait le nouvel ordre social qu’elle proclama.[1]

§ 2. Que la liberté existât virtuellement au fond d’un tel ordre de choses, c’est ce qui ne paraît pas pouvoir être mis en doute. Cet ordre nouveau permettait, en quelque sorte, aux facultés humaines de prendre un développement illimité; assurait le progrès des mœurs, par cela même qu’il assurait celui des lumières et du bien-être; il excluait enfin toute violence. Mais en même temps il froissait trop d’intérêts illégitimes pour qu’il pût aisément s’établir; et, d’ailleurs, il y avait dans les mœurs publiques une passion, parmi beaucoup d’autres, qui seule aurait suffi pour l’empêcher de se fonder, quand même il n’aurait pas rencontré dans celles qu’il comprimait une aussi grande résistance. Je veux parler de l’amour des places et de cette tendance presque universelle qu’on avait contractée de chercher l’illustration et la fortune dans le service public.

Que le public eût considéré le gouvernement, la police du pays, son administration, sa défense, comme une chose qui intéressait les citoyens, qui les regardait tous et sur laquelle il importait qu’ils eussent tous les yeux ouverts; qu’il l’eût envisagé comme une entreprise d’intérêt public, qu’il fallait adjuger aux plus dignes et aux meilleures conditions possibles, comme tous les travaux publics, ce n’est pas là qu’eût été le mal, et ce n’est pas la chose que je signale.

Mais, en pensant qu’en effet on devait, sans nulle distinction de naissance, adjuger le service public aux meilleurs citoyens et aux conditions les meilleures pour la société, chacun songeait un peu à y prendre une part directe et aux meilleures conditions pour soi; chacun, à l’imitation des classes qu’on en avait dépouillées, était assez disposé à l’envisager comme une ressource; chacun voulait y puiser quelque chose de la richesse et du lustre qu’il avait toujours répandus sur ses possesseurs. Toutes les professions étaient déclarées libres; mais c’était vers celle-là, de préférence, que se dirigeait l’activité; la tendance des idées et des mœurs était d’en faire en quelque sorte un moyen général d’existence, une carrière immense, ouverte à toutes les ambitions. Or, c’était cette tendance qui seule aurait suffi pour dénaturer le nouvel ordre social, quand toutes les passions de l’ancien régime ne se seraient pas liguées pour le détruire. [2]

§ 3. On sait d’où était venue cette disposition. Quoique les classes laborieuses eussent acquis diverses sortes de privilèges, la position sociale des classes gouvernantes était restée, comme je l’ai dit, incomparablement la meilleure. Leurs professions étaient celles qui conduisaient le plus sûrement et le plus rapidement à la fortune; elles étaient les seules, d’ailleurs, qui donnassent l’illustration. L’industrie, en passant dans le domaine royal, n’avait pas cessé d’être roturière: c’était déroger que de faire le commerce; il n’y avait de nobles que les travaux de service public. Ainsi l’avaient décidé les classes qui s’en étaient réservé le monopole; et, à cet égard comme à beaucoup d’autres, c’était d’elles encore que le publie recevait ses idées. Il y avait donc toute raison pour qu’on préférât le pouvoir à l’industrie: aussi la tendance avait-elle été, de tout temps, d’abandonner les professions privées pour l’exercice des fonctions publiques. Les classes laborieuses n’étaient pas encore assez avancées pour comprendre que la dignité véritable n’est pas tant dans la profession qu’on exerce que dans ce qu’on y apporte de lumières et de sentiments élevés; elles ne voyaient de gloire qu’à se rapprocher des classes dominatrices, qu’à leur appartenir, qu’à participer à leurs privilèges; il était fort peu d’hommes, parmi elles, qui ne fussent prêts à troquer contre un titre, un brevet, un emploi public, la fortune qu’ils avaient péniblement acquise dans l’exercice des professions privées; on allait de toutes parts au-devant de ces sortes d’échanges, et le pouvoir avait beau multiplier les offices, il ne suffisait qu’à grand’peine à l’empressement des solliciteurs: « Le roi, disait Colbert, ne peut pas créer une charge, que Dieu, tout aussitôt, ne crée un sot pour l’acheter. »

« Où l’abus des places s’est-il étendu plus loin qu’aujourd’hui en France? écrivait le marquis d’Argenson, il y a près d’un siècle. Tout y est emploi, tout s’en honore, et tout vit des deniers publics. Gens de finance et de robe, administrateurs, politiques, gens de cour, militaires, tout prétend satisfaire son luxe par des emplois, et des emplois très-lucratifs. Les jeunes gens ne savent que faire s’ils n’ont pas de charge. Il faut donc que tout le monde se mêle d’administration: par-là l’État est perdu. Chacun veut dominer le public, rendre service, dit-on, au public, et personne ne veut être de ce public. Les abus sensibles de cette vermine augmentent chaque jour, et tout dépérit. »[3]

Le marquis d’Argenson faisait ces remarques en 1735, quelques années après qu’il fut appelé au ministère. Depuis, l’abus dont il se plaignait ne fit que croître. A mesure que le tiers-état devint plus puissant et plus riche, les fonctions publiques furent plus convoitées, et chaque jour on conçut plus d’aversion et de jalousie contre les privilèges des classes qui en faisaient le monopole.

§ 4. On conçoit donc avec quelle impétuosité la multitude dut se porter vers le pouvoir, lorsque La révolution vint renverser les barrières qui en défendaient l’approche au grand nombre, et le déclarer accessible à tous.[4] Il était odieux, il était criant que quelques familles eussent joui seules jusqu’alors de ses avantages. La justice voulait que tout le monde y eût part; et au lieu de le considérer, ainsi que le prescrivait la raison, comme une chose indispensable sans doute, mais naturellement onéreuse, et à laquelle il était désirable que la société n’eût à appliquer que le moins possible de son temps, de son activité et de ses ressources, on fut réduit à l’envisager comme une source commune de bénéfices, où chacun devait pouvoir aller puiser, et d’où en effet un nombre immense de personnes voulurent bientôt tirer leur subsistance.[5]

« Du sein du désordre et de l’anarchie, dit un publiciste, on vit sortir une nuée de petits administrateurs despotes, couverts de l’encre et de la poussière des dossiers, la plume sur l’oreille, le considérant à la bouche. Cette armée dressa ses bureaux en manière de tente sur toute la surface de la France. C’est à tort qu’on en attribue la création à Napoléon; lorsqu’il parut, elle était déjà en pleine activité… Mais Napoléon n’eut garde de détruire un ordre de choses qui servait merveilleusement la centralisation du pouvoir, et paralysait toutes les indépendances particulières. »[6]

Bien loin de combattre les passions ambitieuses et cupides, le chef du gouvernement s’appliqua à les enflammer; il en fit son principal moyen d’élévation et de fortune; il agit constamment comme si la nation, en proclamant l’égale admissibilité de tous les citoyens à tous les emplois, n’avait voulu qu’étendre à tous le droit de tirer sa fortune du public, qui avait été précédemment le patrimoine d’une classe. Il est vrai qu’on n’était que trop disposé à sentir ainsi l’égalité. On l’a encore été davantage après la chute de l’empire. Nous avons vu le plus libéral de nos ministères, le ministère de 1819, entreprendre de justifier l’énormité des dépenses publiques, en disant que l’égalité politique devait nécessairement enchérir le gouvernement.[7] Nous avons vu les écrivains les plus recommandables excuser et presque défendre la disposition du public à prospérer par l’industrie des places. Qu’importe, après tout, semblaient-ils dire, que le personnel du gouvernement soit plus ou moins nombreux, que son action s’exerce avec plus ou moins d’intensité et d’étendue, que ses dépenses soient plus ou moins considérables, si d’ailleurs il est conforme à l’esprit de la société, si sa conduite est droite et dirigée au bien public? « La véritable économie ne se laisse pas toujours réduire en chiffres. Il y en a beaucoup à élire ses députés, à discuter ses lois, à jouir de la sûreté des personnes et des biens, de la liberté de la presse, lors même que la machine qui procure ces avantages coûte fort cher. »[8]

§ 5. Les objections se présentent en foule contre cette doctrine. Je vais m’attacher à une seule qui les renferme toutes. Il y a économie, dit-on, à dépenser beaucoup en frais de gouvernement, si l’on obtient, à la faveur de cette dépense, la sûreté des personnes et des biens, la liberté de l’industrie et de la pensée. Mais la question est justement de savoir si, lorsqu’un gouvernement coûte fort cher, il peut procurer ces avantages; s’il n’est pas contradictoire de vouloir à la fois être libre, et dépenser beaucoup en frais de gouvernement. C’est ce que ne se demandent pas les honorables publicistes dont je parle, et c’est pourtant ce qu’il serait essentiel d’examiner. C’est aussi la recherche que je vais faire. Mon objet ici est de savoir quelle est la liberté dont peut jouir un peuple qui a aboli tout privilège, déclaré toute profession libre, mais dont l’activité reste particulièrement tournée vers l’exercice du pouvoir, qui dépense en frais d’administration et de gouvernement une portion très-considérable de son temps, de ses capitaux, de son intelligence, de ses forces.

§ 6. J’accorderai volontiers que cette nouvelle manière d’être comporte plus de liberté que celle qui a été décrite dans mon dernier chapitre. Par cela seul que toutes les distinctions de caste y sont abolies, que nulle corporation n’y fait le monopole d’aucune sorte de travaux, que toutes les professions y sont livrées à la concurrence; il est aisé d’apercevoir que les facultés humaines y doivent prendre plus d’essor, que les mœurs y doivent devenir plus pures, qu’elles y doivent être moins violentes; que par conséquent il y doit avoir, de toute manière, plus de liberté.

L’état de la France depuis le commencement de la révolution offre de ceci des preuves éclatantes. Ce qu’elle a gagné en industrie, en lumières, en richesses, par le seul fait de l’abolition des corporations et des privilèges, et malgré les obstacles qu’ont mis à ses progrès la passion des places et le régime dispendieux et oppressif qu’il est dans la nature de cette passion de faire naître, est véritablement incalculable. Elle a donc fait, sous ce premier rapport, de grands progrès en puissance et en liberté.

En même temps que ses habitants ont acquis plus de lumières et de bien-être, ils ont pris de meilleures mœurs. C’est un fait que tout observateur impartial sera disposé à reconnaître. Il n’est pas d’homme de bonne foi qui, ayant vu les Français sous l’ancien régime, et les comparant à ce qu’ils sont devenus depuis la révolution, ne convienne qu’ils sont aujourd’hui plus occupés, plus actifs, plus soigneux de leurs affaires, mieux réglés dans leurs dépenses, moins livrés au libertinage, au faste, à la dissipation, plus capables, en un mot, de faire, par rapport à eux-mêmes, un usage judicieux et moral de leurs facultés. Ils sont donc encore, sous ce rapport, devenus beaucoup plus libres.

Enfin, ils sont devenus plus libres aussi parce qu’ils se sont fait réciproquement moins de violence, parce que des uns aux autres ils ont usé plus équitablement de leurs facultés. Il n’a plus été au pouvoir d’un homme d’empêcher qu’un autre ne pût gagner honnêtement sa vie. Nul n’a élevé la prétention de faire exclusivement ce qui ne nuisait à personne, et ce qui, par cela même, devait être permis à tous. Ce que ce changement a fait tomber d’entraves; ce qu’il a fait cesser d’oppositions, de haines, de rivalités, de procès, de guerres intestines; ce que, par cela même, il a mis de facilité et de liberté dans les actions individuelles et dans les relations sociales ne pourrait être que très-difficilement et très-imparfaitement apprécié.

Je pourrais, si je voulais insister, donner de la vérité de ces résultats des preuves de détail innombrables. Mais d’abord les progrès de notre puissance industrielle sont si patents, que nul ne songe à les contester; et, quant à ceux de nos mœurs, sont-ils moins évidents parce qu’on est plus disposé à les mettre en doute? Il est des traits auxquels on les reconnaît aisément. Que sont devenus tous ces poètes licencieux qui faisaient autrefois les délices de la meilleure compagnie? Pourquoi les Boufflers, les Parny, les Bertin, les Gentil-Bernard, les Piron, n’ont-ils pas un successeur dans nos jeunes poètes? c’est que le libertinage n’est plus de bon ton. Les liens de famille sont plus forts, plus respectés: il n’est plus plaisant de porter le désordre dans un ménage; on rit moins des maris trompés; on méprise davantage les suborneurs: qui cherche aujourd’hui à passer pour un homme à bonnes fortunes? D’une autre part, les dépenses sont plus sensées: si l’on n’a pas encore une probité politique bien sévère, si l’on n’est pas très-délicat sur les moyens de tirer de l’argent du public, du moins dissipe-t-on moins follement celui qu’on lui vole. Tout possesseur de sinécures songe à économiser; les courtisans font des épargnes; on ne bâtit plus de grands châteaux; on démolit beaucoup de ceux qui restaient. Les grands seigneurs ne traînent plus à leur suite cette nombreuse valetaille, qui débauchait par passe-temps les paysannes de leurs terres et des autres lieux où ils passaient. La dépense pour le logement, la table, les vêtements, le service domestique, est infiniment mieux entendue. Voilà pour ce qui est des habitudes privées. Quant à la morale de relation, les progrès ne sont pas moins manifestes. On est peut-être moins cérémonieux, moins complimenteur; mais on se respecte mutuellement davantage; les hommes de tous les rangs ont plus de valeur. Surtout on méprise et on maltraite moins les classes inférieures: de beaux messieurs ne s’aviseraient pas aujourd’hui de distribuer des coups de canne à des cochers de fiacre, comme il était de bel air de le faire, et comme on le faisait impunément, à Paris, avant la révolution. On ne vit plus dans la même familiarité avec son valet de chambre; mais, si on ne le met pas dans le secret de ses faiblesses, on ne le traite pas non plus avec la même dureté. On a cessé également de faire des confidences à ses gens et de les battre: on est beaucoup plus, à tous égards, dans la mesure de la justice et des convenances envers ses inférieurs. En même temps, il y a infiniment moins de distance entre toutes les classes: personne, il y a quarante ans, n’eût osé prendre le costume d’un état supérieur au sien; un notaire n’était pas reçu dans les bonnes maisons; à peine un homme riche admettait-il son médecin à sa table; l’agent de change du trésor royal n’osait se permettre le carrosse, et allait en voiture de place, quoiqu’il fût riche à millions, etc., etc. Tout cela est bien changé. Nous sommes tous vêtus de la même manière; nous recevons tous la même éducation: le fils du prince du sang et celui du riche épicier fréquentent les mêmes écoles, et concourent pour le même prix. Aucune classe, aucune profession n’est tenue dans un état de dégradation systématique; nous ne distinguons plus les hommes que par le degré de culture. Sans doute l’homme riche ne fait pas sa société du crocheteur, du porte-faix; mais ce n’est pas que leur travail lui semble méprisable, c’est que leurs esprits sont différents, c’est qu’ils n’ont pas les mêmes mœurs, le même langage. Il n’est pas d’utile profession qui ne paraisse honorable, exercée par des hommes capables de l’honorer.

Il n’est donc pas douteux que, depuis l’abolition de l’ancien régime, depuis la suppression des ordres, des corporations, des privilèges, des monopoles, on n’ait fait, en général, de ses forces un usage plus étendu et mieux réglé, et qu’on ne soit devenu par conséquent beaucoup plus libre.

§ 7. Mais, en même temps, il faut reconnaître que la convoitise des places a beaucoup diminué les effets de cette grande réforme, et en général qu’il y a dans cette passion, surtout lorsqu’elle est devenue très-commune, d’immenses obstacles à la liberté. Commençons par observer le changement qu’elle produit dans l’économie de la société, et l’ordre de choses tout nouveau qu’elle tend à substituer à l’ancien régime des privilèges.

Dans ce nouvel étal social, il n’y aura plus de classes, d’ordres, de corporations, de communautés; mais, à la place de ces agrégations diversement privilégiées, la passion que je signale va élever une administration gigantesque qui héritera de tous leurs privilèges; ce qui était affaire de corps deviendra affaire de gouvernement; une multitude de pouvoirs et d’établissements particuliers passeront dans le domaine de l’autorité politique.[9] Cet effet est naturel, il est inévitable, on l’a assez pu voir chez nous. A mesure que les passions ambitieuses ont attiré plus d’hommes vers le pouvoir, le pouvoir a graduellement étendu sa sphère. Il a multiplié non-seulement les emplois, mais les administrations. On compterait difficilement le nombre de régies qu’il a créées pour ouvrir des débouchés à la multitude toujours croissante des hommes zélés, et surtout désintéressés, qui demandaient à se vouer à la chose publique: régie des tabacs, des sels, des jeux, des théâtres, des écoles, du commerce, des manufactures, etc. Il a peu à peu étendu son action à tout; il s’est ingéré dans tous les travaux avec la prétention de les régler et de les conduire. On n’a plus trouvé sur son chemin les syndics des corporations; mais on a eu devant soi les agents de l’autorité. Dans les champs, dans les bois, dans les mines, sur les routes, aux frontières de l’État, aux barrières des villes, sur le seuil de toutes les professions, à l’entrée de toutes les carrières, on les a rencontrés partout. Le premier effet de la passion des places a été de les multiplier au-delà de toute mesure: cette passion a fait prendre à l’autorité centrale des développements illimités.

Cet effet en a entraîné d’autres. Plus les attributions du pouvoir se sont étendues, et plus les dépenses ont dû s’élever. En même temps que le personnel de toutes les administrations s’est augmenté, les frais de tous les services se sont accrus. Il serait long de considérer ces accroissements de dépense dans tous leurs détails; mais observons-les dans leur ensemble. C’est sûrement une chose curieuse que de suivre la filiation des lois de finance depuis le commencement de ce siècle, et de voir comment, d’un budget énorme, il est né tous les ans un budget un peu plus colossal. De 1802 à 1807, les dépenses se sont élevées de 500 millions à 720; elles ont été de 772 en 1808, de 788 en 1809, de 795 en 1810; elles ont atteint un milliard en 1811; elles l’ont passé de 30 millions en 1812, et de 150 millions en 1813. En 1814, la France, rendue à la paix et à ses anciennes limites, n’a pas pu ne pas réduire ses frais de gouvernement; cependant, ces frais sont restés proportionnellement plus considérables, et le budget a toujours continué a suivre son mouvement de progression: de 791 millions en 1815, il a été de 884 en 1816. d’un milliard 69 millions en 1817, et a touché à 1,100 millions, en 1818. Rendu, alors, par le départ des étrangers, à des proportions moins effrayantes, il est pourtant resté beaucoup plus fort qu’il ne l’était avant leur arrivée; et, tandis qu’il ne s’était élevé qu’à 791 millions en 1815, il s’est trouvé de 845 en 1819, de 875 en 1820, de 896 en 1821, de plus de 912 en 1822, et voilà qu’il dépasse encore un milliard; c’est-à-dire que les dépenses sont redevenues aussi fortes qu’elles l’étaient en 1812, lorsque la France mettait l’Europe à contribution, qu’elle était d’un grand tiers plus étendue, qu’elle touchait à Lubeck et à Rome, qu’elle avait six cent mille hommes sous les armes, et qu’elle faisait la guerre sous Cadix et à Moscou.[10]

Où le chapitre des dépenses croît ainsi, on sent que celui des voies et moyens resterait difficilement stationnaire. Il n’y aura pas d’expédient dont on ne s’avise pour tâcher de soutirer tous les ans au public un peu plus d’argent. Aucune source ne paraîtra assez impure pour qu’on rougisse d’y puiser; aucun impôt, assez immoral pour qu’on craigne de le fonder ou de le maintenir. Toutes les denrées, toutes les industries, toutes les transactions, toutes les jouissances, tous les mouvements, pour ainsi dire, seront soumis à quelque genre de rétribution. On imaginera de se faire une ressource de l’arriéré, et d’enfler ses dettes pour pouvoir accroître ses dépenses. On percevra, sous divers prétextes, des rétributions qu’aucune loi n’aura autorisées. Le génie de la fiscalité, pour surprendre les revenus du public, revêtira successivement toutes les formes. Non content d’épuiser les revenus, il se mettra, par des emprunts, à attaquer les capitaux, et l’on pourra voir, en peu d’années, croître de plusieurs milliards la dette nationale.[11]

Ce n’est pas tout. A mesure que les passions cupides étendront ainsi les empiétements et les dépenses, elles voudront, pour se mettre plus à l’aise, pervertir toutes les institutions. Plus elles tendront à rendre l’administration fiscale, et plus elles seront intéressées à rendre le gouvernement despotique. On les verra, à chaque nouvelle révolution, à chaque changement de régime, s’efforcer de corrompre ou de fausser tous les pouvoirs, créer des lois d’élection frauduleuses, interdire la discussion aux corps délibérants, ôter la publicité à leurs séances, transformer les jurys en commissions, substituer des juges prévôtaux à la justice régulière, livrer l’élection des conseils généraux et municipaux aux fonctionnaires responsables, que ces conseils doivent surveiller; ne pas se donner de relâche enfin qu’elles n’aient subjugué tous les corps destinés à protéger les citoyens, et ne les aient convertis en instruments d’oppression et de pillage.

Ajoutons, pour compléter le tableau de ce régime, qu’avec lui et par lui se fortifieront les passions qui l’engendrent, et qui sont les plus propres à le perpétuer. Plus s’agrandit la carrière des places, et plus les places sont avidement recherchées. Il arrive à cet égard ce qui arrive à l’égard de toute branche d’industrie qui vient à ouvrir de nombreux débouchés à l’activité générale: la foule se tourne naturellement de ce côté. Il y a même une raison pour qu’on se porte vers le pouvoir avec plus d’empressement qu’on ne ferait vers aucune autre profession. Il faut, pour se pousser dans les voies de l’industrie, des talents et des qualités morales qui sont loin d’être également indispensables dans les voies de l’ambition. Le hasard, l’intrigue, la faveur, disposent d’un grand nombre d’emplois. Dès lors, il n’est plus personne qui ne croie pouvoir en obtenir; le gouvernement devient une loterie dans laquelle chacun se flatte d’avoir un bon lot; il se présente comme une ressource à qui n’en a point d’autre; tous les hommes sans profession prétendent en faire leur métier, et une multitude presque innombrable d’intrigants, de désœuvrés, d’honnêtes et de malhonnêtes gens, se jettent pêle-mêle dans cette carrière, où bientôt il se trouve mille fois plus de bras qu’il n’est possible d’en employer.

Enfin, tandis que ce régime va fomenter dans tous les rangs de la société la cupidité qui l’a fait naître, il détruit partout le désintéressement et le courage qui seraient capables de le réformer. Ne cherchez ici ni esprit public, car il n’y a pas de public; ni esprit de corps, car il n’y a plus de corps; ni indépendance individuelle, car que peuvent être les individus devant le colosse formidable que l’ambition universelle a élevé? De même que tous les corps se sont fondus dans une corporation, toutes les volontés semblent s’être réduites à une seule. Il n’y a de personnalité, d’existence propre, que dans l’administration. Hors de là, rien qui vive, qui se sente, qui résiste: ni individus, ni corps constitués. N’espérez pas que des pouvoirs élevés, n’allez pas croire qu’un Tribunat, un Corps Législatif, un Sénat, mettent à défendre les intérêts du public le courage que, dans d’autres temps, les corporations les plus faibles et les plus obscures mettaient à garder leurs privilèges particuliers: l’esprit de sollicitation qui a envahi les derniers rangs de la société règne dans les ordres supérieurs avec encore plus d’empire; électeurs, députés, sénateurs, tout est descendu au rôle de client, et les postes les plus éminents ne sont envisagés que comme des positions particulières où l’intrigue a plus de chances de fortune, et où les bassesses sont mieux payées.

Voici donc ce que la passion qui a été de nos jours la plus populaire, la passion des places, tend naturellement à produire: sous le nom d’administration, je ne sais quel corps monstrueux, immense, étendant à tout ses innombrables mains, mettant des entraves à toutes choses, levant d’énormes contributions, pliant par la fraude, la corruption, la violence, tous les pouvoirs politiques à ses desseins, soufflant partout l’esprit d’ambition qui le produit, et l’esprit de servilité qui le conserve… Il ne s’agit plus que d’examiner ce que, sous l’influence de ce corps et des passions qui l’ont créé et qui le font vivre, il est possible d’avoir de liberté; ce que peuvent être l’industrie, les mœurs, les relations sociales, et, en général, toutes les choses d’où nous savons que dépend l’exercice plus ou moins libre de nos facultés.

§ 8. Je reconnaîtrai de nouveau que l’industrie est ici moins comprimée que sous le régime des privilèges: le pouvoir ne lui oppose pas autant d’entraves que lui en opposaient les corporations; il n’est pas aussi porté à resserrer ses mouvements, et n’y met pas le même zèle. Cependant que d’obstacles ne trouve-t-elle pas encore dans ce nouvel état!

Observez d’abord que, plus ici l’esprit d’ambition est fort, et plus l’esprit d’industrie y doit demeurer faible. Ces deux esprits ne sauraient animer à la fois la même population. Ils ne diffèrent pas seulement, ils sont contraires: le goût des places exclut les qualités nécessaires au travail. On n’a pas assez remarqué à quel point l’habitude de vivre de traitements peut détruire en nous toute capacité industrielle. J’ai vu des hommes remplis de talent et d’instruction pratique s’affecter profondément de la perte d’un emploi qui était loin de leur donner ce qu’ils auraient aisément pu gagner par l’exercice d’une profession indépendante. La possibilité de se créer une fortune par un usage actif et soutenu de leurs facultés productives ne valait pas, à leurs yeux, le traitement exigu, mais fixe et assuré, qu’ils avaient perdu. Ils ne supportaient pas l’idée d’être chargés d’eux-mêmes, de se trouver responsables de leur existence, d’avoir à faire les efforts nécessaires pour l’assurer; et avec des facultés réelles et puissantes, ils ne savaient de de quoi s’aviser pour subvenir à leurs besoins. Ils étaient comme ces oiseaux élevés dans la captivité, et qui n’ont jamais eu à s’occuper du soin de leur nourriture: si on leur donnait la liberté, ils ne sauraient comment vivre, et seraient exposés à périr au milieu des moissons.[12]

Le goût des places altère donc profondément les facultés industrielles du peuple qui en est infecté. Il détruit en lui l’esprit d’invention et d’entreprise, l’activité, l’émulation, le courage, la patience, tout ce qui constitue l’esprit d’industrie.

Il est, sous ce rapport, d’autant plus nuisible, qu’il domine principalement les classes supérieures, et qu’il prive ainsi les arts utiles du concours des hommes qui pourraient le plus contribuer à leur avancement.

Et il ne leur nuit pas seulement en leur enlevant le secours des classes que leur fortune et leur position sociale mettraient le mieux à même de les servir, il leur fait un tort encore plus grave, peut-être, en ce sens qu’il détourne d’eux une portion beaucoup trop considérable de la population.[13]

Joignez que les hommes dont il les prive sans nécessité ne sont pas seulement annulés, mais rendus nuisibles: leur activité n’est pas uniquement dérobée à l’industrie, elle est dirigée contre elle. Comme les offices nécessaires ne peuvent suffire à les occuper, il en faut créer d’inutiles, de vexatoires, dans lesquels ils ne font que gêner les mouvements de la société, troubler ses travaux et retarder le développement de sa richesse et de ses forces.

C’est peu de leur enlever les hommes, il leur fait perdre aussi les capitaux. Chaque nouvelle création d’emplois entraîne une création correspondante de taxes nouvelles, et l’industrie, déjà privée des services des individus que l’ambition jette sans nécessité dans la carrière des places, est encore obligée de faire les fonds nécessaires pour entretenir ces individus dans leur nouvel emploi.

Notez encore que ces fonds, de même que ces individus, ne sont pas seulement perdus pour l’industrie, mais employés contre elle. Ils servent à gager non des oisifs, non des possesseurs de sinécures (il n’y aurait que moitié mal), mais des hommes à qui on veut faire gagner leur argent, et dont l’activité s’épuise en actes nuisibles; de sorte qu’elle est dépouillée de capitaux considérables, et qui contribueraient puissamment à ses progrès, pour voir, en retour, son développement contrarié de mille manières.

Enfin, comme de lui-même un tel ordre aurait quelque peine à se maintenir, il faut, pour le mettre à l’abri de toute réforme, arrêter autant que possible l’essor de la population; détruire en elle toute capacité politique, tout esprit d’association, toute aptitude à faire elle-même ses affaires; empêcher, du mieux qu’on peut, qu’elle n’apprenne à lire, qu’elle ne s’instruise, qu’elle ne parle, qu’elle n’écrive; et l’industrie, déjà très-affaiblie par l’argent qu’on lui prend et les fers qu’on lui donne, se trouve encore privée de ce que l’activité de l’enseignement, celle des débats publics et l’esprit d’association sous toutes ses formes pourraient lui communiquer de force et de liberté.

Je ne prétends point donner ici une idée complète du dommage que cause à l’industrie la fureur des places; il faudrait pour cela connaître la quantité d’hommes qu’elle détourne inutilement de ses travaux, et pouvoir dire en même temps ce que ceux-là mettent d’obstacle à l’activité de tous les autres; il faudrait savoir ce qu’ils leur enlèvent de fonds, ce qu’ils leur imposent de gênes, ce qu’ils leur font souffrir de violences; il faudrait pouvoir estimer le temps qu’ils leur font perdre, les distractions qu’ils leur causent, le découragement qu’ils leur inspirent. Tout cela n’est guère susceptible d’évaluation; mais quand je dirais que, par l’ensemble des lois fiscales et des mesures compressives que la passion que je signale a fait établir en ce pays, la puissance productive de ses habitants a été quelquefois réduite de moitié, je ne sais si je ferais une estimation bien exagérée du sous ce rapport, elle lui cause.[14]

§ 9. Si tel est le tort que cette passion fait aux arts, elle n’est guère moins funeste à la morale. Quand elle n’aurait d’autre effet que de retarder les progrès de la richesse et de l’aisance universelle, elle serait déjà un grand obstacle au perfectionnement des mœurs; mais elle va directement à les corrompre, parce qu’elle enseigne de mauvais moyens de s’enrichir. Des citoyens elle fait des courtisans; elle étend les vices de la cour à toute la partie de la société qui a quelque instruction et quelque activité politique; où devrait régner l’industrie elle fomente l’ambition; à l’activité du travail elle fait succéder celle de l’intrigue; un ton obséquieux, des habitudes uniformément ministérielles, se communiquent à tous les rangs de la société: flatter, solliciter, mendier, n’est plus le privilège d’une classe, c’est l’occupation de toutes; plus il y a de gens qui se vouent à ce métier, et plus, pour l’exercer avec fruit, il y faut déployer de savoir-faire: on met de l’émulation dans la bassesse; on s’évertue à s’avilir, à se prostituer. Les mœurs, sous d’autres rapports, ne sont pas meilleures; à la servilité des courtisans on joint leurs habitudes licencieuses, leur goût du faste et de la dissipation; la débauche se propage sous le nom de galanterie; le luxe accompagne la luxure; on est guidé dans ses dépenses, non par ce désir éclairé d’être mieux, c’est-à-dire plus sainement, plus commodément, plus confortablement, qui naît des habitudes laborieuses et qui les encourage, mais par le vain désir de briller, d’en imposer aux yeux: on n’aspire pas à être, mais à paraître. Il a été aisé d’observer la plupart de ces effets du temps de l’empire, à cet âge classique de l’ambition, où l’amour des places régnait sans partage, où chacun voulait être quelque chose, et où l’on n’était quelque chose que par les places; où la recherche et l’exploitation des places étaient la principale industrie du pays, la véritable industrie nationale. On a pu voir alors, dis-je, ce que cette industrie peut mettre de frivolité, de corruption, et surtout de servilité dans les habitudes d’un peuple: notre caractère retient encore, à plus d’un égard, les fâcheuses empreintes qu’il reçut en ce temps, et il faudra plus d’une génération pour qu’elles s’effacent.

§ 10. Autant enfin la passion dont j’expose ici les effets peut introduire de dépravation dans les mœurs, autant elle porte de trouble dans les relations sociales. Où domine l’amour des places, les places ont beau se multiplier, le nombre en est très-inférieur à celui des ambitieux qui les convoitent. Dès lors, c’est à qui les aura; aucun parti ne se croit obligé d’y renoncer en faveur d’aucun autre. Bien des gens s’abstiendraient d’y prétendre, si l’on consultait pour les établir l’intérêt du public, qui en veulent leur part, comme tout le monde, du moment qu’elles n’existent que pour satisfaire les ambitions privées. « Puisque la destination du pouvoir est de faire des fortunes, il doit faire la mienne ainsi que la vôtre; s’il n’est qu’une mine à exploiter, pourquoi ne l’exploiterais-je pas aussi bien que vous? Allons, monsieur, vous avez assez rançonné le public; c’est maintenant mon tour; ôtez-vous de là que je m’y mette…; » et voilà la guerre au sujet des places. L’effet le plus inévitable du vice honteux que je dénonce, surtout quand il est devenu très-général, comme c’est ici mon hypothèse, est de faire naître des partis qui se disputent opiniâtrement le pouvoir; et, comme aucun de ces partis ne le recherche que pour l’exercer à son profit, un autre effet de la même passion est de rendre le public également mécontent de tous les partis qui s’en emparent, et de le disposer à faire cause commune avec tous ceux qui ne l’ont pas, contre tous ceux qui le possèdent.

Enfin la passion des places peut agrandir encore le cercle des discordes qu’elle suscite, et à des luttes intestines faire succéder la guerre extérieure. Mère de gouvernements despotiques, elle donne aussi naissance à des gouvernements conquérants: c’est elle qui a détourné notre révolution de sa fin, qui a fait dégénérer en guerres d’invasion une guerre de liberté et d’indépendance, qui a fourni des instruments à Bonaparte pour la conquête et la spoliation de l’Europe, comme elle lui en fournissait pour le pillage et l’asservissement de la France. Il suffit qu’elle élève, en chaque pays, le nombre des ambitieux fort au-dessus de ce qu’il est possible de créer de places, pour qu’elle donne à tout gouvernement qui consent à la satisfaire un intérêt puissant à étendre sa domination, et devienne ainsi, entre les peuples, une cause très-active de dissensions et de guerres.

§11. Cette passion est donc également funeste à l’industrie, aux mœurs, à la paix, à tout ce qui facilite, affermit, étend l’exercice de nos forces. Pour apercevoir d’un coup d’œil à quel point elle lui est contraire, il n’y a qu’à considérer ce qu’elle fait perdre annuellement à l’industrie d’hommes et de capitaux; ce que, par cette dépense énorme et sans cesse renouvelée, elle apporte de retard au développement de nos richesses intellectuelles et matérielles; ce que le pernicieux emploi qu’elle fait faire de ces moyens ravis à notre culture ajoute encore d’obstacles au développement de nos facultés; comment, en arrêtant le progrès de nos idées en général, elle arrête celui de nos idées morales; comment, en nous forçant à rester pauvres, elle fait que nos goûts demeurent grossiers; quel trouble elle met dans nos relations mutuelles; combien elle soulève d’ambitions, combien elle fait naître de partis, quel aliment elle fournit à leurs haines jalouses, quelles luttes homicides elle provoque entre eux, quelle discorde elle entretient entre les citoyens et la puissance publique, quelle extension enfin elle donne quelquefois aux querelles qu’elle suscite, et comment des dissensions d’un seul pays elle peut faire des guerres européennes, universelles.

§ 12. Il y a deux manières de sortir de l’état social que cette passion a produit parmi nous. La première serait de retourner au régime des privilèges, c’est-à-dire à un état où le droit de s’enrichir par l’exercice de la domination serait, comme autrefois, le privilège d’une classe. La seconde est d’arriver au régime de l’industrie, c’est-à-dire à un état où ce droit ne serait le privilège de personne; où ni peu ni beaucoup d’hommes ne fonderaient leur fortune sur le pillage du reste de la population; où le travail serait la ressource commune, et le gouvernement un travail public, que la communauté adjugerait, comme tout travail du même genre, à des hommes de son choix, pour un prix raisonnable et loyalement débattu.

Le premier moyen est celui que l’on tente. Depuis 1815, et surtout depuis 1820, il s’agit, non de diminuer le budget, non de défaire les régies fiscales, non de réduire le nombre des emplois, mais de faire que tout cet établissement administratif, ouvrage des ambitions de tous les temps et des cupidités de tous les régimes, devienne la propriété exclusive, incommutable, des classes qui tenaient autrefois le pouvoir.[15]

Cette entreprise, dont beaucoup de gens s’alarment pour la liberté, me paraît, à moi, destinée à la servir. Il n’y a pas grande apparence qu’elle soit faite dans son intérêt, et je crois bien qu’à la rigueur nous pouvons nous dispenser de reconnaissance; mais je dis qu’en résultat elle la sert. Déjà, elle a commencé à produire dans nos mœurs une révolution très salutaire. En refoulant dans la vie privée une multitude d’hommes intelligents, actifs, ardents, que la révolution avait entraînés vers le pouvoir, on a mis ces hommes dans le cas d’apprendre qu’il est quelque chose de plus noble, de plus généreux, de plus moral et même de plus fructueux que la domination: le travail. Il est impossible de ne pas voir que, depuis quelques années, il se fait à cet égard dans nos dispositions un changement considérable; que les passions ambitieuses nous travaillent moins; que les titres, les rubans, les sinécures, baissent de valeur dans nos esprits; que les arts utiles, au contraire, prennent à nos yeux plus d’importance; qu’en un mot nous cherchons davantage à prospérer par l’industrie. A mesure que nous nous affermirons dans celte manière de vivre, nous en prendrons davantage les mœurs, nous acquerrons de plus en plus les connaissances qui s’y rapportent, nous nous instruirons surtout du régime politique qu’elle requiert, et après avoir noblement renoncé aux places inutiles, le temps viendra, j’en ai l’espérance, où nous ne voudrons plus les payer. Il me paraît donc évident qu’en faisant effort pour nous ramener au régime des privilèges,[16] on contribue à nous pousser vers le régime de l’industrie, et que ce nouveau mode d’existence est celui où nous conduit l’époque actuelle. Ce mouvement d’esprit public est d’un si haut intérêt qu’on me pardonnera, avant de finir ce chapitre, de m’arrêter un instant encore à le constater et à en montrer le vrai caractère.

Je le répète, la réaction politique qui s’opère depuis dix ans, en France et en Europe, en amène une très-heureuse dans les mœurs. Je ne voudrais pour rien au monde approuver l’esprit qui paraît la diriger; je déplore les nombreuses infortunes particulières qu’elle a faites; mais je bénis sincèrement l’effet général qu’elle produit, effet tellement avantageux qu’il suffit, à mon sens, pour compenser amplement tout le mal que d’ailleurs elle peut faire.

La contre-révolution ne vaincra pas la révolution: la révolution est inhérente à la nature humaine; elle n’est que le mouvement qui la pousse à améliorer ses destinées, et ce mouvement est heureusement invincible. Mais la contre-révolution tend à changer le cours de la révolution; d’ambitieuse et de conquérante qu’elle était, elle la rend laborieuse; elle se dirigeait de toutes ses forces vers le pouvoir, elle la contraint à tourner son immense activité vers l’industrie. Il importe de savoir précisément en quoi ce changement consiste.

Sans doute, la pratique des arts, l’étude des sciences, la culture et le perfectionnement de nos facultés ne sont pas des choses nouvelles; mais ce qui est nouveau, c’est la manière dont on commence à envisager tout cela. Autrefois on se livrait bien au travail, mais c’était en vue de la domination; l’industrie n’était qu’un acheminement aux places; la véritable fin, la fin dernière de toute activité, c’était d’arriver aux emplois. Ce n’est pas pour cela, si l’on veut, que la révolution a été faite; mais elle a été faite avec cela: l’amour des fonctions publiques y a joué son rôle; et ce rôle n’a pas été petit, si l’on en juge par les résultats; car ce qu’elle a produit avec le plus d’abondance, ce sont des fonctions et des fonctionnaires: nous l’avons vue inonder l’Europe de soldats, de commis, de douaniers, de directeurs, de préfets, d’intendants, de gouverneurs, de rois.

Il se peut donc bien que jusqu’ici on eût pratiqué les arts; mais je dis que c’était en attendant les places, et comme moyen éloigné d’y parvenir. Le principal effet de la réaction actuelle est de changer cette tendance. Non-seulement la révolution est ramenée au travail par ses défaites, mais elle commence à l’envisager mieux: on n’en fait plus seulement un moyen; il devient la fin de l’activité sociale; on commence à ne plus rien voir au-delà de l’exercice utile de ses forces et du perfectionnement de ses facultés.

Je sais fort bien que cette tendance est loin d’être générale; toutes les passions qui ont gouverné la société la gouvernent plus ou moins encore. La servitude de la glèbe a conservé des partisans; les privilèges en ont encore davantage, et les sinécures infiniment plus. Mais enfin il n’y a pas moyen de se dissimuler que la tendance à l’industrie devient chaque jour plus forte et plus générale; infiniment plus de gens cherchent dans cette voie la fortune, et même l’illustration; on y applique plus de capitaux; on y porte plus de lumières; on y met davantage les sciences positives à contribution; les notions d’économie industrielle se propagent; avec elles se répand la connaissance du régime politique qui convient à l’industrie; enfin ce régime passe de la théorie dans la pratique: c’est d’après ses principes que sont constitués les États-Unis, c’est d’après ses principes que se constituent les nouvelles républiques américaines, c’est d’après ses principes que la monarchie anglaise réforme ses lois: l’Angleterre lève les prohibitions, diminue les impôts, réduit le nombre des places, fait servir le gouvernement à restreindre l’action du gouvernement, et tend ainsi à se rapprocher du régime de l’Amérique. Or, si ce régime a pu franchir l’Océan, n’y a-t-il pas quelques motifs d’espérer qu’un jour il pourra passer aussi la Manche? N’est-il pas permis de croire que la France qui a fait la révolution, après avoir renoncé aux places inutiles, ne se résignera pas toujours à les payer? Cette France ne voudra sûrement pas que tous ses efforts n’aient abouti qu’à doubler ses impôts, qu’à tripler ses entraves, qu’à lui faire payer quatre fois plus de fonctionnaires.[17] Plus elle se corrigera de toute tendance à la domination, et moins elle consentira à rester tributaire d’une classe de dominateurs. Elle deviendra, j’espère, assez forte pour exiger que tout le monde vive, comme elle, par quelque utile travail; et, donnant au pouvoir son vrai titre, celui de service public, il y a lieu de penser que quelque jour elle s’arrangera pour avoir des serviteurs, et non des maîtres.

Je ne crois donc pas me tromper, quand je dis que le monde tend à la vie industrielle, et je me flatte qu’en parlant maintenant de cet état et du degré de liberté qu’il comporte, je n’aurai pas trop l’air de composer une utopie.


[1] Il n’y a que cet ordre déraisonnable, on ne saurait trop le répéter. Ce n’est que par le libre concours de tous les citoyens à tous les genres de services que les hommes parviennent à se classer, ainsi que le demandent la justice et l’utilité commune. Il ne peut y avoir de rangs déterminés d’avance qu’entre les diverses classes d’individus qui doivent concourir à une entreprise quelconque, partout où il faut qu’il existe une certaine subordination pour que le service se fasse, dans une manufacture, dans une administration, dans une armée. Mais établir des rangs entre les membres de la société en général est une chose absolument impossible. Rien, de moins stable que la grandeur, le talent, la moralité, la richesse et toutes les qualités qui pourraient motiver d’abord un pareil arrangement. Ces qualités se déplacent sans cesse; et vouloir assigner d’avance et à perpétuité un certain rang à de certaines familles, ce serait prendre une décision dont les motifs pourraient cesser presque aussitôt que la décision aurait été prise.

[2] J’espère que ceci ne donnera lieu à aucune équivoque. On voit assez ce que je blâme. Ce que je blâme, ce n’est pas l’activité politique, comme quelques personnes ont paru le croire; ce n’est pas la disposition à surveiller la gestion des intérêts généraux de la société; ce n’est pas même le désir de devenir l’homme d’affaires de la société; pourvu que ce soit de son consentement et à des conditions librement débattues avec elle ou avec ses délégués loyalement élus: le vice politique que je signale, c’est la disposition à vivre des ressources du public, à accepter des places sans être sûr qu’elles lui sont utiles, et des honoraires sans trop examiner si, dans un marché libre et éclairé, il consentirait à donner des services qu’on prétend lui rendre le prix que l’on consent à en recevoir.

[3] Mémoires inédits.

[4] C’est ce qu’ont fait toutes nos constitutions, depuis celle de 1791, jusqu’à la charte de 1814 et à l’acte additionnel de 1815. Il n’est pas un de ces pactes sociaux dans lequel n’ait été expressément stipulée l’égale admissibilité de tous les citoyens à toutes les fonctions publiques; tandis qu’il n’en est pas un, si j’ai bonne mémoire, où l’on ait consacré le libre exercice des professions privées: preuve malheureusement trop claire que, jusqu’à ces derniers temps, on à plus tenu à la faculté de parvenir aux places qu’à celle de n’être pas gêné dans son travail.

[5] Je ne voudrais pourtant pas dire que la révolution fut entreprise dans des vues d’ambition. Je crois que ce qu’on voulait avant toute chose, c’était la réforme des abus; mais je crois aussi qu’à cette haine généreuse contre les abus se joignait, dans l’esprit public, une propension très-ancienne et très-forte à parvenir aux places; penchant que la destruction de beaucoup d’industries privées, la défaite et l’émigration des classes anciennement gouvernantes, la nécessité de reformer un gouvernement, celle de défendre la révolution, et d’autres circonstances encore, excitèrent bientôt au plus haut degré.

[6] M. Alex, de Laborde, De l’Esprit d’association, p. 43, prem. édit.

[7] Voir, dans le Moniteur du mois de juin 1819, séances de la Chambre des députés, les discours de MM. Decazes et de Saint-Aulaire, dans la partie de la discussion du budget relative aux traitemens des préfets. — L’égalité politique multiplie sans doute le nombre des citoyens actifs; mais de ce qu’il y a plus de citoyens, il ne s’ensuit pas que le gouvernement doive coûter davantage.

[8] M. Guizot, Des moyens de gouvernement et d’opposition.

[9] C’est ainsi, par exemple, qu’après avoir détruit les corps enseignans et les collèges particuliers, on a créé des écoles publiques avec une direction centrale à Paris, et que les hommes livrés à l’enseignement, d’hommes privés qu’ils étaient, sont devenus des fonctionnaires. Il serait aisé de citer d’autres exemples, et de montrer comment, par l’effet de la passion dominante, une multitude d’états particuliers ont été transformés en offices publics.

[10] Un publiciste allemand, Frédéric Gentz, a entrepris d’expliquer et de justifier les rapides progrès que font les dépenses de gouvernement dans, toutes les contrées de l’Europe, et surtout dans les contrées riches. «Cet accroissement, dit-il, tient au progrès même de la richesse, qui, en même temps qu’elle crée une multitude de. nouveaux besoins, fait hausser le prix de toutes les marchandises. Chaque homme veut dépenser davantage, et, avec la même quantité d’argent, à peine peut-il avoir la moitié de ce, qu’il obtenait il y a cinquante ans. Le gouvernement, comme personne collective, se trouve dans la même position que les individus. A. l’exemple de tout ce qui l’environne, il faut qu’il étende la sphère de ses dépenses, et d’année en année, il est obligé de payer plus cher tous les objets de son immense consommation. » ( Essai sur l’administration des finances et de la richesse de la Grande-Bretagne, p. 12 à 22. )

Ces remarques, toutes spécieuses qu’elles sont, ne justifient point l’extrême accroissement des dépenses publiques. S’il y a des raisons pour qu’elles augmentent, des raisons bien meilleures devraient les faire diminuer. Il n’est point exact de dire d’abord que tout augmente de valeur. Le progrès des arts a fait baisser au contraire le prix de bien des choses. Ensuite, on ne peut nier que le gouvernement, qui est aussi un art, ne fût, comme tous les autres, si on le voulait, susceptible de se simplifier, et par cela même de devenir moins cher. Toute manière de faire la police et d’administrer la justice n’est pas également bonne. A cet égard, comme à tout autre, les méthodes seraient certainement très-susceptibles d’amélioration. Joignez que les besoins publics dont je viens de parler, les besoins de police et de justice, deviennent, à mesure que nous nous civilisons, plus faciles à satisfaire: il faut sûrement moins de peine et de dépense pour maintenir l’ordre au sein d’un peuple laborieux et cultivé qu’au milieu d’une troupe de barbares. Enfin il est une multitude de choses, cela devient chaque jour plus patent, que l’autorité pourrait, avec grand profit pour le public, abandonner aux efforts de l’activité particulière.

Ainsi, en admettant que les services politiques, comme tous les autres, doivent être mieux rétribués aujourd’hui qu’ils ne l’étaient il y a cinquante ans, il y aurait encore de bonnes et nombreuses raisons pour que les dépenses publiques dussent baisser; et si, tout au contraire, elles s’élèvent, cela tient, comme je le dis, au penchant dépravé qui pousse les populations à prendre part aux exactions exercées sur elles, à la sottise qui leur fait souffrir ces exactions alors même qu’elles n’y peuvent point participer, et à la disposition toute naturelle de vieux gouvernemens corrompus à profiter de nos erreurs et de nos vices pour maintenir et accroître de vieux abus.

[11] Au mois d’avril 1814, la dette publique était, en compte rond, de 61 millions; maintenant elle est de 207. Elle s’est donc accrue de 146 millions qui, au taux où est aujourd’hui la rente, font une dette capitale de près de 3 milliards et demi, dont la France a été grevée depuis quinze ans. Il est juste d’observer que cet accroissement provient presque tout du fait des administrations précédentes.

[12] On a d’étranges preuves de cette aversion que des hommes accoutumés à ne pas s’inquiéter du soin de leur subsistance, ont pour tout changement d’état qui mettrait ce soin à leur charge. A ce prix, des esclaves eux-mêmes n’accepteraient pas toujours la liberté. De 1807 à 1811, on a voulu affranchir en Prusse tout ce qu’il y avait de paysans qui étaient restés serfs; et, chose singulière! cet acte de justice et d’humanité a été froidement accueilli de la classe d’hommes qu’il intéressait le plus. Beaucoup de paysans ont mieux aimé demeurer serfs que de perdre ce qu’ils appelaient l’appui de leur seigneur, et de sortir d’une position où leur existence était sûrement très-misérable, mais où elle était pourtant assurée. ( Voy. le Globe du 27 février 1817.)

[13] Non-seulement, par l’effet de ce penchant, on a créé chez nous le plus d’administrations qu’on a pu, mais l’on s’est arrangé pour que, dans chaque administration, il y eût le plus d’emplois possible. L’égalité voulant que tout le monde participât aux bénéfices du pouvoir, on a pensé qu’il fallait moins rétribuer les fonctionnaires et créer un plus grand nombre de fonctions. C’est ainsi qu’on a porté le nombre des juges à cinq ou six mille, et borné à 60 louis le traitement de la plupart de ces officiers publics. Il n’est pas une branche du service public, en France, qui ne rende témoignage de ces efforts pour multiplier les places. Cela s’aperçoit surtout dans l’armée: « Je demande, observait M. Casimir Perrier ( Chambre des députés, séance du a juin 1826 ), quelle est notre situation militaire: elle est, dit-on, de deux cent trente et un mille cinq cent soixante hommes, y compris les enfans de troupes, musiciens, tambours, etc., pour lesquels nous dépensons 190,308,027 fr. Sur ce nombre d’hommes, il y a dix-sept mille huit cent sept officiers et cinquante et un mille quarante-cinq sons-officiers, total soixante-huit mille huit cent cinquante-deux. Il nous reste cent cinquante-neuf mille six cent cinquante-sept soldats, ce qui fait à peu près un officier ou sous-officier pour deux hommes. »

[14] Les taxes, observe un écrivain anglais, font beaucoup moins de bien à l’aristocratie qu’elles sont destinées à enrichir, qu’elles ne font de mal à ceux qui les paient. L’aristocratie ne reçoit pas la cinquième partie des dépenses extravagantes que nous faisons pour nos flottes, nos armées, nos colonies. Un régiment de cavalerie, par exemple, ne lui est avantageux que pour son état-major; mais indépendamment des frais de cet état-major, et pour qu’il existe, il faut aussi que nous supportions la dépense des chevaux et des simples soldats, qui est bien plus considérable. Les vaisseaux de guerre ne sont bons pour l’aristocratie qu’à cause des places d’amiraux, de vice-amiraux, de capitaines, etc.; mais les frais de construction et d’entretien de chaque vaisseau sont énormes pour le peuple. Il en est de même des colonies, qui ne profitent aux privilégiés qu’à cause des places de gouverneurs et des autres emplois administratifs ou militaires des établissemens coloniaux.

Au fond le moyen le plus économique d’entretenir l’aristocratie serait de lui faire des pensions, etc….» (Rev. Britan., t. 10, p. 197 et suiv. )

[15] Je dois observer que ceci a été écrit sous le ministère de M. de Villèle. Je laisse au lecteur le soin de juger jusqu’à quel point ces remarques, sous l’administration présente, peuvent paraître encore fondées. On assurait, sous le précédent ministère, que la grande propriété était intéressée pour 300 millions dans la levée des contributions publiques, et qu’elle tirait 60 fr. du trésor pour chaque écu qu’elle y versait (Labbey de Pompières, Chambre des députés, séance du 13 juillet 1821 ). J’ignore jusqu’à quel point ces proportions ont varié depuis.

[16] Je répète ce qui a été écrit sous un autre ministère.

[17] En 1791 le budget des dépenses n’excédait guère 500 millions; le nombre des emplois et des employés était infiniment moins considérable; il nous restait quelques libertés municipales que nous avons perdues; nombre d’industries et de professions privées étaient moins qu’aujourd’hui dans la dépendance de l’autorité publique.

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