Le projet français de monopole de la vente de l’alcool (30 janvier 1886)

Le projet français de monopole de la vente de l’alcool, L’Économiste Français, 30 janvier 1886


LE PROJET FRANÇAIS DE MONOPOLE DE LA VENTE DE L’ALCOOL

Nous avons consacré, il y a quinze jours, quelques réflexions générales et préliminaires au monopole du tabac, tel qu’il s’est constitué et qu’il existe en France, et au projet allemand de monopole de la fabrication de l’alcool. Mais voici qu’en France, ce nouveau plan fiscal, qui est originaire de notre pays et qui nous revient d’Allemagne, reprend faveur. On l’étudie, on en parle, ou le prône, on en attend 1 200 millions de francs, tout au moins 1 milliard 50 millions de francs, soit, affirme-t-on, 800 millions de plus-value relativement à ce que retirent de cette denrée les pouvoirs publics en France. Le monopole de la vente de l’alcool serait donc un secret merveilleux. Notre confrère M. Alglave, qui en est l’inventeur et le propagateur et que M. de Bismarck a pillé, auquel il a enlevé sa marque de fabrique, à la mode allemande, M. Alglave peut se vanter d’avoir trouvé la bouteille inépuisable. De cette bouteille particulière, en effet, puisqu’elle est d’une nature si spéciale et si ingénieusement organisée qu’elle défie toute fraude, s’échapperaient, pour se déverser sur le monde et sur la France, tous les biens : la santé d’abord, qui n’est pas le moindre, et que ne viendraient plus compromettre des alcools pernicieux, impurs et mal fabriqués ; la sécurité publique, qui profiterait de ce que le délire alcoolique et les vices de toute nature qu’entretiennent les mauvais alcools auraient disparu ou se seraient réduits ; l’équilibre du budget ordinaire, que M. Sadi Carnot nous promet avec une touchante candeur et une bonne volonté méritoire, mais dont les sceptiques regardent la réalisation comme ajournée aux futurs contingents ; la dotation du budget extraordinaire, pour lequel on n’a plus de ressources et dont on commence à être las ; l’application, en outre, des fameuses réformes démocratiques tant promises : suppression des octrois, péréquation, par voie de réduction, de l’impôt foncier, abolition de l’impôt du sel et de l’impôt du vin, diminution des trois quarts des droits sur les ventes d’immeubles et disparition de la taxe sur les transports en grande vitesse. Voilà tous les inappréciables bienfaits que contiendrait la petite bouteille inventée par M. Alglave. À l’inverse de la boîte de Pandore qui, ouverte, lâchait sur le monde tous les maux, ladite bouteille, de découverte récente, couvrirait la planète de biens. Comme il serait injuste qu’un tel bonheur échût à un seul pays et que les autres en fussent éternellement privés, comme, d’ailleurs, les nations sont aussi moutonnières que les hommes, après l’Allemagne et la France, voici la Belgique, affirme-t-on, qui s’enquiert du fameux procédé. On découvre que la Norvège était sournoisement, sans en rien dire, en possession du monopole de l’alcool depuis quelques années : seulement, l’exploitation en était confiée aux mains d’une compagnie particulière. Nous nous attendons à ce que d’un jour à l’autre les sociétés de tempérance du Royaume-Uni et de la grande République américaine s’émeuvent et provoquent une agitation pour introduire aussi dans leur pays le monopole de l’alcool. Le monde entier suivra. Bref, M. Alglave aura eu ce rare bonheur qu’ayant fait sa découverte il y a déjà cinq ou six ans au moins et n’avant trouvé aucun disciple autour de lui il aura suffi de ce grand disciple étranger M. de Bismarck, pour valoir à son idée le succès le plus soudain et le plus universel.

Quoiqu’il soit assez singulier pour un philosophe de voir les démocraties modernes, après tant d’efforts pour implanter solidement dans le sol toutes les libertés aboutir pour dernier mot et pour solution suprême au monopole, celui que l’on nous vante aujourd’hui s’offre sous des dehors si attrayants et avec une telle accumulation de promesses qu’il vaut la peine de l’étudier de près. Examinons donc attentivement ce prodigieux secret. 

Nous reconnaîtrons d’abord, sans aucune hésitation, que le mérite de la découverte, au moins dans ces temps récents, revient à M. Alglave ; cela nous dispensera de tout exposé historique. 

M. de Bismarck, en Teuton brutal et en imitateur maladroit, veut introduire en Allemagne, non seulement le monopole de la vente de l’alcool, mais même, en partie du moins, celui de la fabrication : si les distilleries existantes peuvent continuer à fonctionner, de nouvelles ne sauraient s’établir sans autorisation. L’État fixerait d’ailleurs la quantité d’alcool qui pourrait être produite ; il prendrait à son compte tout l’alcool brut indigène et étranger ; il en opérerait l’épuration et la transformation en boissons alcooliques et vendrait ensuite celles-ci au public et aux débitants. Le plan du grand chancelier pour l’alcool se rapprocherait assez de notre organisation pour le tabac. Nous pensons avoir prouvé, il y a quinze jours qu’il n’y a guère d’assimilation entre les deux denrées, et surtout entre les circonstances où est constitué chez nous le monopole du tabac et celles où l’on voudrait établir le monopole de l’alcool.

En Français ingénieux et raffiné, M. Alglave repousse ces procédés grossiers. Il ne veut porter aucune perturbation dans l’important commerce des liquides. Ce qu’il propose, c’est « le monopole de la dernière vente en gros ». Nous ne croyons pouvoir mieux faire que de citer textuellement l’inventeur :

« L’État n’interviendrait aucunement dans la fabrication des liqueurs ni dans le commerce de détail, et les marchands en gros continueraient à commercer entre eux ou avec l’étranger comme aujourd’hui. Seulement, avant d’arriver au débitant ou au consommateur privé, les liqueurs devraient passer par les mains de l’État, et encore pourrait-on toujours échapper à cette obligation en payant une taxe un peu élevée. Les eaux-de-vie communes, qui représentent, sous des noms divers, environ les 95 centièmes de la consommation totale, ne sont que de l’alcool étendu d’eau et teinté quand il doit prendre le nom de cognac. L’État achèterait l’alcool par voie d’adjudications très fractionnées et très multipliées (par exemple par 5 ou 10 hectolitres), adjudications faites chaque semaine dans tous les centres de fabrication, de telle sorte qu’il y aurait autant de ventes distinctes qu’aujourd’hui. La seule différence, c’est que l’acheteur serait toujours le même, l’État ; mais qu’importe, puisque c’est un acheteur sans volonté propre, qui ne peut pas refuser d’accorder sa commande à celui qui offre le plus bas prix. N’est-ce pas, au fond, exactement la même chose que pour les ventes ordinaires sur le marché ? Les fabricants y trouveraient même l’avantage de pouvoir toujours vendre au comptant et d’échapper au jeu des filières. Quant au commerce de gros, il ne serait pas sensiblement modifié à l’intérieur (car lui aussi pourrait soumissionner), et il conserverait toute sa liberté avec l’extérieur. »

Il y aurait bien des points à examiner dans ce court exposé : d’abord, l’auteur admet que l’alcool pourrait parfois arriver dans les mains du consommateur sans passer dans celles de l’État, moyennant que le dernier commerçant payât une taxe un peu plus élevée ; cela ne représente pas une idée fort nette. Quant à toute la liberté des transactions qui serait conservée au commerce en gros, on peut se demander si cette liberté théorique ne serait pas singulièrement amoindrie dans la pratique par toute la surveillance qu’exigerait une denrée que M. Alglave veut taxer à près de 1 000 francs l’hectolitre ou près de 10 francs le litre. Mais ne nous arrêtons pas aux objections de détail et voyons les grandes lignes du projet.

L’auteur fait remarquer que sur 1 488 000 hectolitres que le fisc trouve en France le moyen de frapper, il n’en est que 34 000 qui sont de l’alcool de vin, les autres provenant d’autres origines, contenant beaucoup d’impuretés et ayant des propriétés beaucoup plus toxiques. La rectification de ces alcools est aujourd’hui très imparfaite parce quelle elle est très coûteuse et que le commerce privé, suivant la fine remarque de M. Alglave, « ne se décide guère à payer une qualité qui n’est pas apparente ». L’État interviendrait ici comme un grand purificateur. « Il exigerait un certain minimum de pureté qui serait constaté par l’analyse ; il donnerait en prime une quotité déterminée du prix d’adjudication pour chaque degré de pureté supplémentaire, c’est-à-dire pour chaque diminution de la quantité permise d’impuretés, et il amènerait ainsi l’industrie de la rectification à faire des progrès que le commerce actuel ne consentirait jamais à payer ce qu’ils valent ». Tout cela est fort engageant ; les derniers mots, toutefois, donnent à penser. Puisque le commerce actuel ne consentirait jamais à payer tous ces progrès ce qu’ils valent, puisque l’État donnerait des primes, il semble que l’État devra supporter des frais très importants et qu’il ne pourra plus compter sur un prix d’achat de l’alcool à 50 francs l’hectolitre, qui est le prix indiqué par M. Alglave : c’est aujourd’hui, comme on peut le voir en se reportant à notre partie commerciale, à peu près le cours de tous ces alcools grossiers, non épurés, dont M. Alglave nous parle ; quand on leur aura fait subir cette rectification coûteuse, dont il nous entretient aussi, le prix nécessairement devra hausser. Or, tous les bienfaits du monopole reposent sur un prix d’achat très bas, fort peu de frais de gestion, pas de fraude ni de restriction de la consommation, et un prix de vente excessivement élevé. Si l’État a tant qualité pour être équateur de matières premières, on ne voit pas pourquoi il bornerait ses monopoles au tabac, aux poudres, aux allumettes (cette dernière matière n’a guère été améliorée par la suppression du commerce libre) et enfin à l’alcool : il pourrait tout aussi bien monopoliser soit le beurre, soit le chocolat, qui sont l’objet de falsifications innombrables. L’État marchand général en gros, ce serait une conception plus complète.

Quel serait le procédé, en ce qui concerne l’alcool, pour éviter la contrebande ? Voilà un objet que l’on va vendre, comme nous le dira tout à l’heure M. Alglave, vingt fois la valeur qu’il aurait d’après son prix de revient : comment préviendrait-on cette concurrence illicite, mais naturelle, qui s’opère par la fraude ? Un économiste anglais, Senior, vantait les mérites du contrebandier, qu’il appelait « un réformateur radical », aidant la nature des choses à triompher des barrières artificielles et extravagantes établies parle législateur. 

L’État, se trouvant en possession de l’alcool dont il a vérifié la pureté, se borne à l’étendre d’eau au degré voulu et à le mettre « dans des bouteilles d’un quart de litre portant des signes visibles de reconnaissance et construites de façon à être aussi difficiles à remplir que possible après avoir été vidées. Les bouteilles seraient ensuite vendues un franc et expédiées sans aucunes formalités aux particuliers et aux débitants. Ceux-ci recevraient une remise de 10, 15 ou 20%, très supérieure à celle des débitants de tabacs, qui ne dépasse pas 8%, et vendraient les petits verres 10 centimes avec des petits verres de 10 au quart de litre. Ils ne pourraient transvaser l’eau-de-vie dans d’autres bouteilles que celles de l’État, lesquelles constitueraient la quittance de l’impôt ».

Voilà tout le procédé : il repose sur ces deux données : la première, c’est que le débitant vendant le petit verre aujourd’hui 10 centimes, l’État peut réduire sa remise à 10, 15 ou 20% de ces 10 centimes, soit à 2 centimes pour le couvrir de tous ses frais divers, des pertes, etc., et que l’État peut, en outre, imposer le même prix de 10 centimes à tous les particuliers qui aujourd’hui ne se fournissent pas chez le débitant et achètent l’eau-de-vie deux, trois ou quatre fois moins cher que ce prix de 10 centimes qui est celui du dernier détail. L’autre donnée, c’est qu’il sera trouvé ou qu’il a été trouvé une bouteille tellement ingénieuse que l’on pourra la vider mais qu’on ne pourra pas la remplir après l’avoir vidée, ou que du moins le remplissage sera d’une difficulté telle que la contrebande deviendra impossible ou presque nulle.

À vrai dire, nous ne jouerions pas l’équilibre des finances du budget sur ces deux données, et nous comprenons que M. de Bismarck, cet homme positif et rude, ne s’en soit pas contenté, qu’il ait voulu faire intervenir l’État dans la fabrication même, et surtout qu’il confie la vente au détail à ses agents.

La première donnée, celle qu’on pourra vendre uniformément l’eau-de-vie, d’après un tarif calculé sur le petit verre, étonne de la part d’un économiste comme M. Alglave. L’alcool, en effet, n’est pas une denrée qui, comme le tabac, ne serve qu’à la consommation immédiate : il a, au contraire, une foule d’usages industriels, et il ne faut pas croire que, pour tous ces emplois dans l’industrie, on se serve uniquement d’alcool dénaturé. Non ; sur les 1 488 000 hectolitres d’alcool qui ont été taxés en 1881, une bonne partie était consacrée à des usages industriels. M. David Wells a écrit un chapitre intéressant sur la perturbation portée aux États-Unis dans des industries diverses par des droits très élevés sur l’alcool, et nous avons analysé dans notre Traité de la science des finances ses observations judicieuses. Vouloir donc faire payer à tous, industriels ou buveurs, l’alcool au dernier prix du détail dans les cabarets, et croire qu’il n’y aura rien de changé, cela nous paraît être une illusion.

Quant à la seconde donnée de M. Alglave, la petite bouteille magique, que l’on peut vider, mais que l’on ne peut plus remplir, nous avons en M. Alglave assez de confiance pour croire qu’il est en possession en ce moment d’un mécanisme de ce genre ; mais nous avons aussi assez de foi dans l’esprit ingénieux de nos concitoyens pour penser qu’une fois qu’ils y auront un grand intérêt, ils trouveront à la longue un procédé quelconque pour remplir cette petite bouteille, sans que le fisc puisse l’empêcher, d’alcool frauduleux. Il y a bien d’autres objections à faire. Une qui a du poids a été opposée à M. Alglave dans le sein de la Société d’économie politique de Lyon. Aujourd’hui les débitants achètent l’alcool, de même que le vin, à crédit. L’État se fera-t-il payer comptant la marchandise qu’il leur livrera ? Ce sera l’élimination immédiate du plus grand nombre de ces petits commerçants. Leur fera-t-il crédit ? Mais alors quels inconvénients, au point de vue financier, au point de vue politique ! Comme il sera malaisé de déterminer ces rapports de l’État, unique vendeur, avec les 300 000 ou 400 000 débitants, ses clients forcés, de même, d’ailleurs, que les rapports de l’État, unique acheteur, avec tous les producteurs d’alcool, grands ou petits ! Comme tout cela est encore plus compliqué que la magique bouteille de M. Alglave ! Il n’y a aujourd’hui en France que 40 000 débitants de tabacs ; on compte, au contraire 300 000 ou 400 000 débitants de vin, cafés, restaurants et autres lieux de consommation d’alcool et de liqueurs. Il faudrait alors, croyons-nous, que l’État fît pour le tabac comme pour le vin, qu’il limitât considérablement le nombre des vendeurs au détail, qu’il fît vendre par ses agents directs, soit que ceux-ci n’eussent d’autre origine que la faveur, soit qu’ils eussent acquis les licences par l’adjudication. On a 40 000 bureaux de tabac, il faudrait créer 40 000, ou 60 000, ou 80 000 bureaux d’alcool. Mais croire qu’on pourrait laisser la vente libre ou même la production libre, c’est une erreur que M. de Bismarck, disciple perfectionné de M. Alglave, a trop d’expérience pour commettre.

Venons-en aux calculs sur le rendement de l’impôt. Voici encore textuellement les paroles de M. Alglave :

« Qu’obtiendrait-on en réorganisant l’impôt de l’alcool ? Plus d’un milliard qui ne coûterait pas un centime aux consommateurs puisque le prix du petit verre serait maintenu, comme il l’est aujourd’hui presque partout, à 10 centimes, en prenant quarante petits verres au litre, et en maintenant l’eau-de-vie à 40 degrés, ce qui dépasse la moyenne actuelle. Sur cette base, chaque hectolitre d’alcool pur fournit 250 litres de liqueur qui, à 4 francs le litre, représente 1 000 fr. En 1884, la régie a taxé 1 488 000 hectolitres d’alcool pur qui auraient fait entrer dans le Trésor 1 488 000 000 fr., soit près d’un milliard et demi. Il faudrait en déduire d’abord le prix de l’alcool, environ 50 fr. l’hectolitre : doublons-le pour être large et tenir compte des frais de manipulation et de transport, cela fera 150 millions en chiffres ronds. La remise des débitants à 10% représente à peu près la même somme : c’est donc en tout 300 millions à déduire, et il en reste encore 1 200, ou au moins 1 milliard 50 millions, si on veut porter la remise des cabaretiers à 20%. Ceux-ci, qui perdraient sans doute à la réforme, auraient comme compensation la liberté entière du vin, de la bière et de toutes les autres boissons, qui ne payeraient plus aucune espèce d’impôt. Ce n’est pas le seul impôt qui disparaîtrait avec le nouveau système. Il donne 800 millions de boni sur le produit actuel de l’impôt, qui n’atteint pas 250 millions, etc. »

Ici, M. Alglave énumère tous les autres impôts que l’on pourrait supprimer et dont nous avons donné la nomenclature au commencement de cet article. Il nous est absolument impossible d’admettre les chiffres qui précèdent. Ils contiennent, d’une part, quelques inexactitudes ; d’autre part, des conjectures qui pourraient fort bien ne pas se vérifier, et en tout cas, des lacunes qu’il est facile d’indiquer.

L’alcool rapporte aujourd’hui aux pouvoirs publics plus de 250 millions : car il faut additionner d’abord le droit général de consommation sur l’alcool et les spiritueux, le double décime et demi, le droit de détail et de consommation sur l’alcool pur et autres liquides spiritueux, le double décime et demi sur ces mêmes droits de détail, les droits d’entrée dans les villes sur l’alcool et les autres liquides spiritueux, le double décime et demi à ces droits d’entrée, la taxe unique à l’entrée de Paris sur les eaux-de-vie, esprits et liqueurs. L’ensemble de ces droits, alors que les quantités d’alcool taxées ne montaient qu’à 1 444 000 hectolitres, atteignait 237 millions en 1881. Aujourd’hui ce chiffre a dû augmenter d’environ 6 à 7%. Il y faut joindre aussi les droits de douane sur les alcools étrangers, soit 5 à 6 millions. Il faut ajouter en outre ce que l’alcool produit aux localités sous la forme de droits d’octroi locaux, et l’on verra que l’alcool paie aux pouvoirs publics environ 290 millions de francs. Voilà donc une légère correction à faire aux chiffres de M. Alglave. Il resterait encore, néanmoins, d’après ce dernier, plus de 700 millions de boni.

Pour y arriver, l’auteur suppose que l’alcool, supérieurement rectifié, dont il parle, ne coûtera pas plus cher à l’État que l’alcool ordinaire actuel. Il suppose encore qu’il n’y aura pas de grands frais nécessaires pour les installations de l’État, les magasins nationaux d’alcool, etc., pour les indemnités envers un grand nombre de débitants et même de commerçants en demi-gros qu’il sera nécessaire d’exproprier. Il suppose, ce qui est une hypothèse bien gratuite, que l’augmentation considérable du droit pour tous ceux qui consomment l’alcool autrement que chez les marchands de vin ne restreindra pas la consommation. Il suppose enfin que sa fameuse petite bouteille sera inviolable et qu’il n’y aura pas de fraude, malgré un droit représentant vingt fois environ le prix de revient. Quant à nous, il nous semblerait prudent de retrancher 20% pour la diminution de la consommation, 20% pour la fraude dans un pays de petite culture et de production viticole comme la France, 10 ou 15% pour les frais divers. Resterait-il encore un bénéfice ? Peut-être, mais on pourrait l’obtenir sans monopole. En tout cas, les inconvénients politiques et sociaux du monopole, au point de vue de l’accroissement du nombre des fonctionnaires et du favoritisme, des relations toujours suspectes d’influences diverses entre l’État tantôt acheteur et tantôt vendeur et les particuliers, nous paraissent tellement grands que nous n’hésitons pas le repousser. Ce n’est pas ainsi qu’on accroît la vitalité d’une nation.

Paul Leroy-Beaulieu.

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