Le traitement de la bourse la plus favorisée

Ernest Martineau, Le traitement de la bourse la plus favorisée (Annales Économiques, 20 avril 1891)


Le traitement de la bourse la plus favorisée

Connaissez-vous, lecteur, cette ingénieuse définition, par voie descriptive, du système dit de protection du Travail national : 

« La protection est un pot percé d’un trou au fond : quand on y verse de l’argent, l’argent passe par le trou et s’en va dans la bourse des grands propriétaires et des gros industriels. Plus le trou est grand plus il y passe d’argent : le bill Mac Kinley a été fait pour agrandir le trou. »

C’est aux États-Unis, pays d’invention par excellence, qu’on a trouvé cette curieuse définition. Bien comprise, elle nous permet d’apprécier l’habileté de nos néo-protectionnistes et de voir comme ils savent tirer parti de tout.

Ainsi, ils abandonnent le régime des traités de commerce, ils n’en veulent plus entendre parler, et cependant ils lui empruntent, pour l’adapter au système économique nouveau, une de ses clauses les plus importantes, la clause célèbre dite le traitement de la nation la plus favorisée.

En la détachant du régime des traités, ils l’introduisent dans leur système en se bornant à une légère modification : cela s’appelle pour eux le traitement de la bourse la plus favorisée.

Quelles sont les bienheureuses bourses qui doivent bénéficier de la clause dont il s’agit ? C’est ce que la définition américaine précise suffisamment pour qu’il ne soit pas nécessaire d’approfondir ce point.

Les autres, celles de la masse du peuple, on devine à quel traitement elles seront soumises ; c’est le régime des saignées chroniques qui leur est réservé, en sorte qu’au bout de quelque temps, on verra ces pauvres bourses desséchées, anémiées, et ce sera, pour l’ensemble desdites bourses, le pendant de la grande névrose des individus dans cette fin de siècle.

Mais alors, cet état d’anémie des bourses des uns se combinant avec la pléthore dans la bourse des autres, qui sait si la nécessité d’un dégorgement pour ces dernières ne se fera pas sentir ?

E. MARTINEAU

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