L’ennemi caché de l’économie de marché

L’Institut Coppet attire l’attention de ses lecteurs sur cet article qui rappelle Frédéric Bastiat : de faux entrepreneurs tentent de fausser le marché en obtenant de l’État des privilèges et des protections contre la concurrence. La recherche de rente remplace la recherche de profit. La portes est alors ouverte à des interventions sans fin et à des redistributions au bénéfice de certains individus ou groupes, au détriment d’autres, moins bien organisés.

Par Gabriel Gimenez-Roche, professeur et responsable du département économie du Groupe ESC Troyes, maître de conférences à Sciences Po Paris.

Publié le 25 novembre 2011 sur 24HGold

Mises et Schumpeter l’avaient déjà remarqué. L’ennemi le plus dangereux de l’économie de marché n’est pas nécessairement l’État. Celui-ci n’est qu’un instrument dans les mains de ceux qui occupent les postes clés du pouvoir. Il ne s’agit pas non plus des opposants les plus virulents à l’égard de l’économie de marché car ceux-ci sont faciles à repérer lors de leur entrée sur la scène politique. En effet, n’est-il pas notoire qu’il faut se méfier de ses amis ? La cinquième colonne dans le camp de l’économie de marché n’est autre que son plus grand héros : L’entrepreneur !

Comment l’entrepreneur – force-motrice de l’économie de marché – peut-il devenir la force-destructrice du système socio-économique qui a rendu possible son ascension ?

Les actions des individus peuvent toutes se solder par une réussite ou un échec et nul ne sait à l’avance si ce sera l’un ou l’autre. Nous agissons dans la plus grande incertitude. Or, les individus ne contrôlent pas bon nombre de facteurs qui structurent pourtant leurs actions individuelles, en particulier les actions des autres individus qui peuvent venir contrecarrer les leurs ou au contraire les aider à atteindre leurs buts. Quelles que soient les capacités intellectuelles d’un individu, il ne peut que se faire une idée approximative des  conditions sociales changeantes de son action.  Et pourtant, certains individus prospèrent dans ces conditions d’incertitude et arrivent même à se spécialiser dans l’évaluation de l’évolution des conditions sociales de l’action.

Ces individus-entrepreneurs cherchent à gérer l’incertitude, en associant d’autres individus à leurs projets, tout en évitant de leur faire subir cette forte incertitude. Ils produisent ainsi de la richesse tout en associant d’autres individus – les propriétaires des facteurs tels que travail et biens de capital – dans ce processus créatif. Pour ce faire, les entrepreneurs accumulent un capital capable de financer des facteurs productifs. En cas de réussite, ce capital augmentera et permettra donc une éventuelle expansion de la production existante ou la création de nouveaux processus productifs.

Cependant, certains entrepreneurs estiment que la compréhension du  comportement de leurs clients, de leurs fournisseurs, de leurs concurrents, et des autres agents qui influencent positivement ou négativement leur réussite, ne suffit pas. Ils concluent que la meilleure façon de faire face à l’incertitude est de contrôler directement les conditions sociales dans lesquelles leurs entreprises évoluent. Une partie de leur capital sera alors utilisé pour obtenir des privilèges auprès de l’État afin de réduire l’incertitude sociale qu’ils subissent.

Ces « entrepreneurs » vont chercher à obtenir par la force ce qu’ils réussissaient auparavant à avoir grâce à leurs compétences entrepreneuriales. Les concurrents seront ainsi évincés du marché, non parce qu’ils sont moins bons mais parce qu’ils n’ont pas su obtenir les faveurs de l’État. Les consommateurs n’auront plus d’autre choix que de se fournir auprès des entreprises sélectionnées par l’État.

La symbiose entre l’État et les entreprises privilégiées peut parfois atteindre un tel niveau que  les deux se confondent. L’État obtient de nouveaux marchés pour ces entreprises de façon politique et les soutient financièrement en cas de mauvaise passe (au détriment des contribuables). De leur côté, les entreprises privilégiées n’hésitent pas à employer d’anciens hauts fonctionnaires et autres technocrates, en guise de remerciement pour les privilèges reçus ou dans l’espoir de futurs privilèges. Les entreprises privilégiées n’oublieront pas non plus d’investir dans les projets gouvernementaux qui servent aussi bien les intérêts de leurs partenaires politiques que les leurs.

Ce type d’entreprise est un casse-tête pour les défenseurs de l’économie de marché. Comment démontrer les avantages et la réussite des entreprises non-privilégiées et les bienfaits de l’économie de marché quand les exemples les plus visibles de réussite et de pérennité « entrepreneuriale » sont ceux de grandes corporations étroitement liées à l’État ?

La réponse consiste à montrer que la réussite de ces entreprises privilégiées, loin d’être une réussite entrepreneuriale, n’est rien d’autre qu’un transfert de la charge entrepreneuriale sur les épaules du contribuable.

Quand une entreprise réussit « grâce » à l’aide de l’État, ce n’est pas le signe que le système capitaliste a besoin de l’État pour survivre. C’est plutôt la preuve que ces faux entrepreneurs  ont besoin de s’approprier l’argent des contribuables pour pouvoir survivre. La vraie  réussite n’est pas de prospérer via les moyens politiques, mais bel et bien de former du capital productif à même de réduire par les moyens économiques l’incertitude à laquelle font face les individus.

A lire aussi : C’est le marché qui est faussé (Les Echos)

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