L’enseignement chrétien et le socialisme

Jean-Gustave Courcelle-Seneuil. L’enseignement chrétien et le socialisme (Journal des économistes, octobre 1869).


L’ENSEIGNEMENT CHRÉTIEN ET LE SOCIALISME.

Paris, 29 septembre 1869. 

Mon cher Garnier, 

Permettez-moi de répondre quelques mots aux observations que M. Legentil a bien voulu faire sur mon travail relatif aux origines du socialisme.

J’ai dit que le socialisme nous venait de l’antiquité et qu’il était conservé chez nous par les deux enseignements qui conservent la tradition de l’antiquité, savoir l’enseignement classique et l’enseignement chrétien.

M. Legentil me répond comme si j’avais dit que quelque doctrine socialiste était enseignée soit dans les lycées, soit dans l’église, ce qui prouve que je ne me suis pas exprimé assez clairement, bien que j’eusse distingué avec soin le sentiment socialiste de toute doctrine.

Il est vrai que la plupart des socialistes modernes font profession de n’être pas chrétiens et que leur rhétorique laisse quelquefois à désirer. Mais il n’est pas moins vrai qu’ils ont peu inventé et qu’ils ont appris quelque part, même les sentiments qu’ils expriment, et je dis, prenant les choses à un point de vue historique, qu’ils les ont pris dans la tradition antique, toujours admirative pour les temps d’innocence et l’âge d’or, lorsque le tien et le mien étaient inconnus. Il serait long de citer les textes ; je rappellerai seulement que d’après la Genèse, la culture des terres, la construction des villes, la musique et le travail des métaux viennent de Caïn et de sa race, ce qui ne recommande pas plus les inventions d’où la propriété est née que les mandements de quelques évêques n’ont recommandé l’invention des chemins de fer.

Quant au communisme de l’Église de Jérusalem, M. Legentil ne l’ignore pas tellement qu’il ne cite le texte principal qui l’atteste. Il aurait pu ajouter, d’après les Actes des Apôtres et une épître de saint Paul, cités par Fleury, que cette Église ne se suffisait pas, et que, « de toutes les provinces, on envoyait des sommes considérables pour les saints de Jérusalem ».

Sans doute ce communisme différait beaucoup, à certains égards, de celui qu’on nous propose aujourd’hui ; sans doute il y a dans le christianisme bien autre chose que le sentiment socialiste, mais ce sentiment, qui était déjà si accusé dans les livres mosaïques et dans les prophètes, se retrouve dans l’évangile de saint Matthieu (ch. 19), dans l’épitre catholique de saint Jacques et ailleurs.

M. Legentil a pu lire ici même un article du journal le Monde, relatif aux réunions de la Redoute, et qui parlait le même langage que les socialistes. Il serait facile de lui citer des extraits de sermons publiés écrits sur le même ton.

En somme, je conviens bien avec M. Legentil que la convoitise inspire l’envie de prendre les richesses d’autrui ; mais il y a des doctrines qui condamnent l’état de riche et blâment la recherche de la richesse. Ces doctrines préparent la voie à qui veut ramener la société à l’âge d’or et lui donnent une sorte de droit qui légitime ses prétentions dans le très grand nombre des consciences peu éclairées. C’est l’influence de ces doctrines, dont l’existence est constatée par les plus anciens documents historiques et qui vivent encore, que j’avais tenu à signaler. 

Agréez, etc.

COURCELLE-SENEUIL.

A propos de l'auteur

Jean-Gustave Courcelle-Seneuil a défendu toute sa vie la liberté des banques, ce qui lui a valu d'être redécouvert par les partisans récents de ce système. Il a aussi apporté une contribution novatrice sur la question de l'entreprenariat avec son Manuel des affaires (1855), le premier vrai livre de gestion. Émigré au Chili, il y fut professeur et eut une grande influence sur le mouvement libéral en Amérique du Sud.

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