Les Physiocrates (1755-1780)
Première école de pensée économique au monde, la Physiocratie a aussi constitué la naissance de l’économie politique scientifique. Non contents d’avoir fourni à l’économie politique des fondements scientifiques, les Physiocrates firent aussi un effort considérable pour leur popularisation. Comme Murray Rothbard l’a rappelé, ils peuvent être tenus pour les premiers défenseurs d’une théorie économique du libre-échange.
LA PHYSIOCRATIE
L’histoire de la Physiocratie commence en 1757 avec la rencontre de deux hommes. D’un côté est François Quesnay, chirurgien devenu médecin personnel de Mme de Pompadour, la favorite de Louis XV (laquelle oeuvra beaucoup ensuite pour eux). De l’autre est le marquis de Mirabeau, père du révolutionnaire, qui s’était fait connaître avec un livre intitulé l’Ami des Hommes. Les deux hommes débattent et Mirabeau se range aux idées de Quesnay. Dès lors ils vont écrire : Quesnay produit un Tableau économique (1758) schématisant la circulation des richesses dans l’économie, et les deux publient ensemble la Théorie de l’impôt (1759). Après un silence passager, dû à la censure royale — leurs idées n’étaient pas faites pour plaire aux ministres — ils recrutent des disciples : Dupont de Nemours, Abeille, Mercier de la Rivière, Le Trosne, Baudeau. Ils forment une école : ils ont leur journal, les Éphémérides du Citoyen, et se réunissent même chaque mardi chez Mirabeau. Mais dès 1770, après quelques années de succès, leur audience s’affaiblit et ils perdent en force. Le groupe connait ses premières défections et résiste de moins en moins bien aux critiques. Leur journal ne paraît plus régulièrement. C’est la fin de la période active du mouvement, qui continuera cependant à avoir une influence jusque sous la Révolution.
Dans son livre Les économistes français du XVIIIe siècle, Léonce de Lavergne consacre un chapitre aux Physiocrates, qui permet une première immersion. Dans la revue Laissons Faire, des articles ont rappelé l’influence des Physiocrates sur la Révolution française, les qualités de leur journal, les Éphémérides du Citoyen, leur pacifisme, leur admiration pour la Chine, ainsi que leur anti-esclavagisme. Benoît Malbranque a également consacré une conférence aux Physiocrates.
FRANÇOIS QUESNAY
François Quesnay (1693-1770) est resté célèbre dans l’histoire comme le chef de file de la première école de pensée économique au monde : la Physiocratie. Installé à Versailles comme médecin personnel de Mme de Pompadour, Quesnay délaissa à l’âge de 60 ans les questions médicales pour s’intéresser à l’économie. Auteur d’articles économiques dans l’Encyclopédie, il ne tarda pas à se faire un nom sur la scène littéraire, agitant des idées novatrices et défendant le droit naturel et un libéralisme économique en rupture totale avec les institutions et les mœurs de l’Ancien Régime. Toute l’aventure de ce brillant médecin, devenu par la force de ses idées conseiller des princes et chef vénéré d’une poignée d’économistes, est racontée, dans François Quesnay : médecin de Mme de Pompadour et de Louix XV, physiocrate par Gustave Schelle, l’un des plus grands spécialistes des économistes français du siècle des Lumières. À la fin du XIXe siècle, l’économiste Yves Guyot a publié Quesnay et la physiocratie, reprenant les meilleurs écrits de Quesnay à la suite d’une longue introduction où il place Quesnay aux origines du libéralisme économique en France, ce qui est aussi la conclusion d’un article de la revue Laissons Faire.
LE MARQUIS DE MIRABEAU
Physiocrate de la première heure, bras droit de François Quesnay, le marquis de Mirabeau a été oublié et reste dans l’ombre de son fils, le tribun révolutionnaire auquel on a élevé des monuments et dédié des ponts, des places et des avenues. Après avoir acquis la célébrité avec L’Ami des Hommes (1756), Mirabeau rencontra Quesnay et se rangea à la physiocratie, dont il fut dès lors l’un des défenseurs les plus enthousiastes.
On trouvera un chapitre consacré au marquis de Mirabeau dans Les économistes français du XVIIIe siècle de Léonce de Laverne. Un podcast de l’Institut Coppet lui a également été consacré, sous le titre de « Mirabeau, un converti à la cause de la liberté ».
DUPONT DE NEMOURS
Né en 1739, Samuel-Pierre Dupont de Nemours se rapprocha des Physiocrates dès l’âge de vingt-quatre ans. Il devint l’un des proches collaborateurs de François Quesnay, qui, à la vue de son génie et de son jeune âge, plaça beaucoup d’espoirs en lui. Il fut un disciple zélé de la doctrine du parti physiocratique, l’exposant et la défendant dans de nombreux écrits, dont une feuille périodique qu’il dirigea, les Éphémérides du Citoyen. Esprit à l’intelligence profonde et facile, il a été lié à de nombreux personnages de premier plan, comme Turgot ou Jefferson. Vers la fin de sa vie, il fut poussé à l’exil et trouva le bonheur aux États-Unis, où l’un de ses fils devait fonder, avec l’assistance paternelle, la Dupont company, aujourd’hui l’une des plus grandes entreprises au monde, et qui a annoncé en décembre sa fusion avec Dow chemicals.
La meilleure source pour une première appréciation de Dupont de Nemours est le chapitre que Léonce de Lavergne lui consacre dans Les économistes français du XVIIIe siècle. Son oeuvre, dense et profonde, n’a pas fait l’objet d’une présentation générale dans la revue Laissons Faire, mais des articles ont été d’ores et déjà consacré à son opposition aux assignats pendant la Révolution française ; à sa correspondance avec Jean-Baptiste Say ; à son anti-esclavagisme vigoureux et audacieux ; enfin à ses échanges avec Jefferson sur l’éducation.
GUILLAUME-FRANÇOIS LE TROSNE
Physiocrate natif d’Orléans, Guillaume-François Le Trosne composa de nombreuses brochures pour défendre la liberté du commerce des grains, dont des Lettres sur les avantages de la liberté du commerce des grains et un opuscule intitulé La liberté du commerce des grains, toujours utile et jamais nuisible.
Auteur considéré comme mineur au sein de l’école physiocratique, malgré sa vaste connaissance des questions de droit et la qualité de sa défense du libre-échange, il a été oublié par les historiens, même après que Jérôme Mille ait cherché à le faire redécouvrir en composant une thèse sur Un physiocrate oublié : G.-F. Le Trosne. L’Institut Coppet a déjà réédité l’une de ses brochures : De l’utilité des discussions économiques, précédée d’une introduction intitulée « G.-F. Le Trosne ou les ambitions de la science économique ». La revue Laissons Faire contient également, en son deuxième numéro, une étude sur le traitement que fit Le Trosne de la question des vagabonds et des mendiants.
(Parmi les Physiocrates, on doit aussi mentionner Mercier de la Rivière, auteur de L’ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, et qui fut envoyé par Diderot en Russie pour servir Catherine II, comme le raconte Benoît Malbranque dans un article ; ainsi que Nicolas Baudeau, fondateur des Éphémérides du Citoyen, auquel est consacré un court article dans le sixième numéro de la revue Laissons Faire.)
EN MARGE DE LA PHYSIOCRATIE : TURGOT
Tout à la fois philosophe, économiste, et ministre d’État, Turgot est une personnalité d’une envergure considérable. Collaborateur de l’Encyclopédie, ami proche de Voltaire, correspondant régulier de Condorcet, membre, bien malgré lui, de la Physiocratie, Turgot brilla d’une lumière rare au sein de la sphère intellectuelle française de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Tour à tour intendant à Limoges, dans le Limousin, puis ministre sous Louis XVI, il a aussi laissé, comme administrateur, une trace incomparable.
Pour une présentation générale, on tirera profit de l’article « Turgot, une pensée française » de Damien Theillier, ainsi que de l’article consacré par Benoît Malbranque à Turgot dans la revue Laissons Faire. B. Malbranque a également donné une conférence sur Turgot pour l’Institut Coppet. L’étude de référence, à la fois courte et complète, est l’ouvrage Turgot de Léon Say, petit-fils de Jean-Baptiste Say. Plus courte encore est la brochure de Joseph Tissot, Étude sur Turgot.
Sur sa vie, nous disposons d’une source de première main avec l’ouvrage Vie de Monsieur Turgot écrit par son ami Condorcet (voir ici pour quelques extraits choisis). On trouvera des renseignements biographiques dans le Turgot de Léon Say, déjà cité, ainsi que dans le chapitre Turgot des Economistes français du XVIIIe siècle de Léonce de Lavergne. Benoît Malbranque s’est penché plus spécifiquement sur la jeunesse de Turgot dans un article de la revue Laissons Faire et sur son activité d’intendant du Limousin dans une brochure intitulée Le libéralisme à l’essai : Turgot intendant du Limousin (1761-1774). Gérard Minart s’est quant à lui intéressé au passage de Turgot au ministère, lors de cette année décisive pour le libéralisme que fut l’année 1776.
En attendant de rééditer ses Œuvres complètes, l’Institut Coppet a publié séparément les principaux écrits de Turgot. Outre une traduction de jeunesse des Questions sur le commerce de Josiah Tucker, il s’agit du Mémoire sur les prêts d’argent (dans lequel Turgot critique la prohibition de l’usure), les Réflexions sur la formation et la distribution des richesses accompagnées de notes et auxquelles on a joint une étude sur Ko et Yang, les « Chinois de Turgot », pour qui l’ouvrage fut initialement composé. On a de lui également des Lettres sur la liberté du commerce des grains, un Mémoire sur les mines et carrières, une Lettre à l’abbé de Cicé sur le papier-monnaie , une Lettre à l’abbé Terray sur la marque des fers, et enfin un Éloge de Gournay, suivi des Observations sur Gournay par Montaudoin de la Touche.
