Lettre au nom du comité de la gauche constitutionnelle, en soutien du candidat Ernest de Villiers (1846)

Les membres du Comité de Saint-Flour,

À MM. les électeurs de l’arrondissement.

Messieurs,

Les années précédentes, votre vote était acquis de droit au candidat ministériel. Il était seul. 

Aujourd’hui votre choix est facile : des hommes, tous honorables, tous de l’opposition, recherchent vos suffrages. 

Le moment est venu pour les hommes libres de montrer leur indépendance.

Le seul moyen, croyez-le, d’échapper à une crise révolutionnaire, est d’exclure de la Chambre les députés fonctionnaires publics, ministériels quand même !

M. ALBERT est un homme de notre pays ; vous honorerez en lui le travail ; vous prouverez à vos enfants que, par le travail, seul, sans protecteur, on peut se créer une belle position.

M. Ernest de VILLERS est un avocat distingué du barreau de Paris qui désormais ne peut plus être un étranger pour nous. 

La lettre qui suit fera crouler, nous l’espérons, toutes les imputations mensongères que la calomnie a répandues sur son compte. Veuillez la lire avec attention. Elle émane d’un homme trop haut placé à la Chambre, pour qu’elle n’éclaire pas vos consciences. 

Deux lettres élément flatteuses pour M. de Villers sont en notre pouvoir. Elles émanent de MM. Duvergier de Hauranne et Odilon Barrot. Nous croyons inutile de les publier, étant écrites dans le même sens.

 

COMITÉ DE LA GAUCHE CONSTITUTIONNELLE.

(RÉUNION ODILON BARROT.)

Messieurs et honorables concitoyens,

En l’absence de mon honorable collègue et président de notre comité, M. Odilon Barrot, qui m’a prié de le suppléer, je m’empresse de répondre à la lettre que vous lui avez adressée à la date du 30 de ce mois. Je le fais, d’ailleurs, d’autant plus volontiers, que celui qui en est l’objet, M. ERNEST DE VILLERS, est mon ami personnel, et je suis heureux de l’occasion qui s’offre à moi de vous entretenir particulièrement d’un homme pour lequel je professe autant d’estime que d’attachement. J’éprouve d’abord le besoin de vous exprimer la vive satisfaction avec laquelle notre comité a appris, par votre lettre, l’établissement et le progrès de sa candidature. Quant aux calomnies dirigées contre son caractère, je puis juger par votre lettre que vous et vos amis les avez déjà appréciées à leur valeur. Il importe cependant de les combattre dans l’esprit de ceux qui n’auraient pas encore compris l’intérêt politique qui les a inspirées. Je ne connais pas assez les ministériels de Saint-Flour pour savoir jusqu’à quel point sont bien placées dans leur bouche les imputations de jésuitisme ; mais ce que je puis dire, c’est que cette qualification attribuée à M. de Villers est mensongère. Je lui ai toujours connu les principes politiques qu’il professe, c’est-à-dire un dévouement sincère à nos libertés constitutionnelles. À la vérité, il a et il a toujours eu des principes religieux très arrêtés ; il n’en fait ni mystère ni ostentation ; est-ce là ce qu’on voudrait lui reprocher ? Je ne sais, Messieurs et honorables concitoyens, si vous penserez comme moi ; mais j’avoue que, pour mon compte, je ne saurais voir là un sujet de défiance et moins encore un sujet d’accusation. Je suis d’autant plus à l’aise pour m’expliquer nettement sur ce point, que je ne pense pas comme lui en cette matière. Je n’ai pas toutes ses croyances religieuses, et je tiens, par trop de liens, aux idées philosophiques du XVIIIe siècle pour m’en séparer jamais. Mais, en même temps que j’ai mes idées en matière de religion, je ne trouve pas mauvais qu’on en ait de différentes ; je ne trouve pas mauvais que d’autres croient ce que je ne crois point ; et partout où je vois une foi religieuse sincère, je la respecte profondément. Bien loin d’y voir une objection contre les principes libéraux de celui qui la professe, j’y verrais plutôt une garantie de plus qu’il tiendra les engagements par lui contractés. Quant à l’allégation d’être l’avocat des Jésuites, elle est absurde ; il est connu de tout le monde au palais de justice de Paris, que jamais M. de Villers n’a plaidé ni consulté pour eux.

Me permettrez-vous d’ajouter, Messieurs, que personne ne m’a jamais inspiré plus de confiance qu’Ernest de Villers ; c’est que, pour qui le connaît bien, c’est l’homme essentiellement honnête et consciencieux. Je suis sûr qu’à la Chambre, il votera avec la gauche constitutionnelle ; j’en suis sûr parce qu’il me l’a déclaré nettement ; et j’en étais sûr avant qu’il me l’eût dit. Il a été magistrat sous la Restauration, à l’époque où je l’étais moi-même. Je crois que, pas plus que moi, il n’appelait de ses vœux la Révolution de Juillet ; seulement il était de ceux qui placent les droits du pays avant ceux d’une dynastie, et qui ne se croient pas liés au sort d’une famille, quand cette famille se sépare de la nation. Libéral et constitutionnel par ses principes, exempt de toute ambition personnelle, indépendant de caractère et de position, Ernest de Villers voit dans la dynastie de 1830 le gage de la tranquillité publique, la consécration des principes politiques pour le triomphe desquels la France lutte depuis 50 ans. Mais, comme nous, il croit que, pour jouir pleinement du bienfait de ces conquêtes, le pays a encore des combats à soutenir ; et il est prêt à joindre ses efforts à ceux de l’opposition constitutionnelle pour obtenir l’application sincère de ces institutions qui, loyalement entendues, suffiraient à la France, mais qui, faussées et violées chaque jour par le pouvoir, ne nous donneront bientôt plus que la fiction du gouvernement parlementaire. Tel est, j’en suis sûr, le fond de ses idées : ce sont celles que je lui ai entendu exprimer en toutes circonstances. Ce ne sont pas, que je sache, celles des légitimistes ; ces idées sont, en somme, celles de la gauche constitutionnelle, qui veut un progrès sage, mais continu, précisément pour éviter les révolutions nouvelles, auxquelles on sera fatalement ramené par une marche rétrograde. C’est cette communauté de pensées avec M. de Villers qui nous fait vivement désirer de le voir grossir nos rangs à la Chambre, et y apporter, avec ses votes, l’appui de ses connaissances et de son talent.

Du reste, loin de regretter la violence et l’injustice des attaques dirigées par le parti ministériel contre M. de Villers, nous devons plutôt nous en applaudir. Elles sont l’indice le plus certain du péril que court le député ministériel, et de la conscience qu’ont nos adversaires de ce danger.

Veuillez, etc.,

Gustave de BEAUMONT

Député de la Sarthe.

A propos de l'auteur

Gustave de Beaumont est resté célèbre par sa proximité avec Alexis de Tocqueville, avec qui il voyagea aux États-Unis. Son œuvre, sur l'Irlande, les Noirs-Américains, ainsi que ses nombreux travaux académiques et politiques, le placent comme un auteur libéral sincère et généreux.

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