Lettre d’Alphonse Vivier à Ernest Martineau

Lettre d’Alphonse Vivier à Ernest Martineau

[Fonds privé.]

Cognac, 21 avril 1902

Mon cher ami,

Enfin, ça y est. Il ne fallait rien moins que votre nomination quoique tardive à la Présidence de La Rochelle pour blanchir quelque peu à mes yeux — si c’est possible — l’actuel grand Maître de la Justice.

Je croyais bien que celui-là encore allait s’en aller, comme les autres, en vous posant un vulgaire lapin.

Et c’est précisément ce dont je me lamentais jeudi pour vous avec Frédéric Passy qui a regretté autant que moi votre absence.

Il a été encore parfait malgré ses 80 ans dans sa conférence ici : il avait été superbe la veille au soir à Angoulême sur « la guerre ». Je vous en envoie un compte rendu sommaire. Dans le prochain n° du « Moniteur de Cognac » vous en trouverez des extraits plus complets et d’ici quelque temps je la publierai intégralement, car j’avais un sténographe, et j’ai déjà retranscrit ladite conférence dans son entier.

Quel merveilleux vieillard. Vous ne sauriez croire quel plaisir intime j’ai eu à le recevoir.

Vous voilà donc enfin Président, et dans ma bonne ville de La Rochelle.

Si la présidence n’était pas en soi une charge insupportable, car vous allez être tous les jours harcelé par les hommes d’affaires qui essayeront à qui mieux mieux de vous mettre dedans et de surprendre votre religion, je vous souhaiterais de rester dans votre nouveau poste jusqu’à l’heure de la retraite, mais vous serez moins absorbé par le devoir professionnel quotidien comme Conseiller, et c’est la robe rouge que je continue à désirer pour vous.

En attendant, avec tout ce monde de « robins » je vous engage dès le premier jour à montrer de l’autorité, de la décision, de la fermeté, sinon et rapidement vous aurez la main gagnée et tout le monde vous mangera bientôt dans la main. La fonction exige que M. le Président soit bien M. le Président.

Comme milieu, vous savez un peu ce qu’est le milieu rochelais : agréable, de relation facile, mais plutôt un peu gourmé. N’hésitez pas à abandonner résolument et tout de suite le col rabattu pour prendre le col droit qui sied mieux à la fonction présidentielle et la cravate blanche. Il faut prendre le monde comme il est, et à La Rochelle on est plutôt un peu formaliste. Or, il ne faut pas mettre la forme contre soi. Je connais mon milieu — en étant.

Sur ce, avec tous mes hommages à Madame Martineau, derechef, mon cher Ami, tous mes chaleureux compliments.

Et bien cordialement vôtre.

 Alph. Vivier

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