Lettre sur les avantages de la concurrence dans le fret

Guillaume-François Le Trosne, Sur les avantages de la concurrence dans le fret, Journal de l’agriculture, du commerce et des finances, 1766, tome VII (novembre 1766)


LETTRE À MONSIEUR B., ou Réponse de M. LE TRONE, avocat du Roi au Bailliage d’Orléans, au Mémoire contre la concurrence qui commence le Journal d’Octobre 1765.

Permettez-moi, Monsieur, de reprendre avec vous la dispute commencée sur la concurrence du fret. Presque d’accord sur les points qui doivent être regardés comme les éléments de la matière, il nous sera beaucoup plus facile de nous entendre. La question principale dégagée d’une foule de questions incidentes, se trouvera réduite à des termes plus simpleset la solution en pourra paraître moins éloignée,

Vous êtes trop éclairé, Monsieur, pour ne pas sentir l’importance de la valeur des denrées par rapport à la culture du sol, que vous convenez être la vraie et peut-être la seule source de l’opulence. Si vous retranchiez ce peut-être, nous ferions parfaitement d’accord sur ce point important, et la question dont il s’agit, serait bientôt décidée entre nous. La décision ne tient donc actuellement qu’à un doute : dès que vous balancez sur l’unité de la source du revenu, vous ne faites aussi que balancer entre l’exclusion et la concurrence. Pourrais-je être assez heureux pour dissiper ce doute, et vous présenter des moyens assez prépondérants pour fixer votre détermination.

Je m’attacherai donc uniquement à établir ce principe, que je crois rigoureusement vrai dans toute son étendue, et que je regarde comme la base de la science économique. En effet, si une nation agricole ne subsiste que par fon revenu, et n’a d’autre source de revenu et de richesses que la terre, tout est dit ; elle n’a d’autre intérêt que celui de l’accroître, et ne peut avoir d’intérêts contraires à ménager. Il ne s’agira plus que de prouver que la concurrence dans le fret, est un moyen propre à accroître la valeur, et par conséquent le revenu ; et vis-à-vis de vous, Monsieur, je ne prendrais pas même la peine de l’établir. Vous êtes trop instruit pour ne pas l’apercevoir, et vous en convenez, page 10.

« La liberté du commerce des grains, dites-vous, doit être considérée sous deux points de vue différents et très distincts, d’où naissent deux principes.

Le premier principe est purement relatif à la culture du sol, que je crois la vraie et peut-être la seule source de l’opulence. Sous ce point de vue, tout autre intérêt doit céder à celui d’accroître, et d’améliorer le produit de nos terres.

Mais le second principe suit immédiatement, et s’il n’a pas la priorité sur la culture, il ne mérite pas moins de faveur ; c’est le commerce, dont l’objet simplifié peut être défini la science d’exporter le superflu, et de procurer le nécessaire.

Sous le premier point de vue, et d’après le premier principe, il faut convenir avec M. le Trosne, que nous devons établir la concurrence entre les voituriers nationaux et les étrangers, et ne pas restreindre l’exportation, pour profiter du mince bénéfice de la voiture.

Mais ce principe isolé n’est applicable, dans la généralité, qu’à s une nation purement agricole, et qui n’est que cela ; car si la nation n’est pas purement agricole, elle aura d’autres intérêts à ménager que ceux de son agriculture ; et le gouvernement de cette nation devra avoir toujours la balance à la main pour peser les différents intérêts, et écarter les moyens favorables seulement à l’agriculture, et destructifs de ses autres ressources. [1]

Or, je ne connais point de nation qui soit purement agricole. » [2]

Je m’en tiens, Monsieur, à cette portion de votre Mémoire. Le surplus ne présente que des conséquences, qui tomberont d’elles-mêmes, fi je parviens à réfuter le principe dont elles dérivent.

Vous considérez, Monsieur, la liberté du commerce des grains, relativement à la culture, et ensuite relativement au commerce. Vous distinguez ces deux choses, comme présentant un double point de vue ; vous les mettez même en opposition. Il s’agit de savoir ce que vous avez entendu par le mot commerce sur lequel se sont élevées tant de disputes, faute de l’avoir exactement défini. Permettez-moi d’exposer mes principes, avant d’entrer dans la discussion.

Les productions de la terre accordées à nos travaux, sont des biens par leur nature, mais elles n’obtiennent la qualité de richesses, que par le besoin que les autres hommes en ont ; elles acquièrent par la demande, une valeur vénale, qui fait qu’elles tiennent lieu les unes des autres, qu’elles se représentent réciproquement, et affurent à celui qui les possède la jouissance des autres productions contre lesquelles il voudra les échanger. Du blé représente du bois, du vin, de la viande, etc. ; et plus il est recherché, soit à raison de sa rareté, soit à raison d’une plus grande consommation, plus il a de valeur, c’est-à-dire, plus la même quantité de blé représente une plus grande quantité des autres denrées. L’introduction de l’argent n’a rien changé à la nature des choses, il est devenu, par une convention générale, l’équivalent de tous les biens, et le représentant de toutes les valeurs ; mais il ne s’obtient que par l’échange, et ne sert lui-même qu’à échanger. L’échange, proprement dit, et la vente, procure le même effet ; mais la vente a l’avantage d’être ordinairement plus commode : l’argent sert de gage, pour acheter des productions de valeur égale à celles que l’on a données lorsqu’on en aura la volonté, ou à obtenir les services dont on a besoin.

Quand la valeur vénale que les productions acquièrent par la facilité de les échanger les unes contre les autres, surpasse les dépenses nécessaires pour les obtenir de la terre ce qui est au-delà de ces dépenses forme un produit net. Cet excédent est le fruit et la récompense du travail de la culture, et n’est accordé qu’à ce travail. Tout autre est stérile, et loin de donner un produit net, ne paye pas même les avances et les salaires de ses agents, qui ne peuvent être remboursés que par le prix des productions. Cet excédent ne coûte rien à personne, c’est un don du ciel, sans lequel nul ne vivrait sans travailler personnellement à la terre, et tous les autres besoins de la société ne pourraient être remplis : c’est lui qui fournit te revenu, la dîme et l’impôt, et qui, mis en circulation par le propriétaire, le décimateur et le Souverain, nourrit et vivifie toute la société, et par le moyen de la consommation, retourne tous les ans au cultivateur qui doit le faire renaitre.

C’est donc la valeur vénale des denrées, qui met le cultivateur en état d’étendre son travail au-delà de sa consommation, de retirer les avances, et en outre un produit net, qui nourrit le surplus des citoyens. Or, c’est le commerce qui va chercher la valeur.

En général le commerce n’est autre chose que le débit des productions da territoire, qui se fait par le moyen de l’échange. Mais le commerce est de deux sortes : celui de propriété qui s’exerce immédiatement entre le vendeur de la première main et l’acheteur consommateur, sans frais ni perte pour l’un ni pour l’autre ; et le commerce de revendeur qui se fait par le moyen de personnes interpolées qui achètent pour revendre, et qui pour prix de leurs avances et de leurs soins, gagnent une rétribution.

Le commerce extérieur a peu d’étendue au-delà du commerce intérieur, mais le premier influe tellement sur le dernier, par rapport aux prix des productions dans toute l’étendue du commerce intérieur, que la moindre gêne et la moindre surcharge en frais dans le commerce extérieur, cause à la nation un dommage immense, de sorte que tout privilège exclusif, quelque indifférent qu’il paroisse, cause à la nation mille fois plus de mal qu’il ne produirait de bien aux commerçants. Ce serait brûler le bois pour accroître le profit de ceux qui vendent les cendres.

Les frais du commerce de revendeur, causés tant par l’intervention d’un agent interposé, que par l’éloignement, sont pour le vendeur une suppression de valeur première ; ces frais surajoutés au prix de la chose, la renchérissent en pure perte pour le vendeur originaire qui n’a reçu que le prix de la première vente, en pure perte pour l’acheteur qui est obligé de les rembourser, sans acquérir rien de plus que ce qui a fait la matière de la première vente. L’un et l’autre supportent cette perte, et la partagent. Le propriétaire de la denrée aurait vendu davantage, si la consommation avait été plus proche de lui ; le consommateur aurait acheté moins cher, s’il eût été plus voisin de la production, et dès lors aurait été en état de consommer davantage en ce genre ou en d’autres. Par ce moyen la cherté causée par les frais, devient une double perte pour la valeur et pour le revenu qui en dépend, perte directe sur le prix de la première vente ; perte indirecte sur la quantité de la consommation. Cette perte ne peut être comparée avec le prétendu avantage d’un privilège exclusif, et ne peut jamais être compensée par la consommation qui résulte du transport des denrées

Le commerce d’exportation doit donc être défini un service public nécessaire, mais dispendieux, qui consiste à acheter des denrées ou marchandises, aux lieux de leur production, à les transporter et à les revendre aux lieux de leur conformation.

Ce service intermédiaire a souvent été pris pour le commerce lui-même ; mais il n’est qu’un agent et un instrument du commerce de propriété, qui est le premier et vrai commerce qui se fait presqu’entièrement au-dedans, sans l’intervention de l’exportation extérieure. C’est faute d’avoir distingué ces deux commerces, surtout relativement à l’exportation extérieure que les idées les plus simples se sont confondues ; le mot commerce a cessé de signifier la vente de la première main, et est demeuré propre au commerce de revendeur, de sorte qu’on a attribué à celui-ci ce qui n’est vrai que du premier, ou du moins ce qui nest vrai du second, que relativement au premier, et en tant qu’il le soutient et le favorise. Mais les mots sont institués pour signifier les choses, et quand ils font susceptibles de différents sens, on ne peut les définir trop exactement, pour faire disparaître toute ambiguïté et toutes les fausses conséquences que l’on cire des idées implicites qui se glissent dans les raisonnements.

Le commerce de revendeur se fait au dedans ou au dehors de la société ; mais les effets relativement à leur étendue, ne sont pas les mêmes. Au dedans c’est un grand commerce qui n’a fur les prix des productions qu’une influence peut étendue ; au dehors c’est un fort petit commerce, qui assure les prix des productions du pays, et qui a une influence intérieure et générale. On sera peut-être surpris de ce que nous disons que c’est un fort petit commerce, mais on le serait bien davantage, si l’on voyait combien effectivement il est petit en lui-même, combien il est grand dans ses effets, et combien par cette raison tout privilège est nuisible.

Les frontières qui séparent des nations, ne sont point pour le commerce des barrières naturelles, para ce que les nations ne sont point étrangères les unes aux autres, par rapport à la communication des biens ; ce sont toujours des hommes qui échangent leurs productions commerçables avec d’autres hommes, pour leur avantage mutuel. Il ne change pas de nature, soit qu’il se renferme dans l’intérieur d’une province, soit qu’il passe d’un peuple à l’autre pour les servir tous deux. Il n’est toujours qu’une extension et un supplément au commerce de propriété ; il concourt à soutenir la valeur, en augmentant la demande et en procurant l’échange des productions commerçables, car on ne jouit des richesses commerçables que par l’échange.

Voilà, Monsieur, mes principes sur le commerce : vous voyez coma bien je suis éloigné de lui rien ôter de la faveur qu’il mérite. Vous placez son intérêt immédiatement après celui de la culture ; je ferai plus que vous, je le mettrai sur la même ligne ; car tous les travaux en effet doivent marcher et marchent naturellement ensemble dans l’ordre d’une société bien constituée. La liberté générale demande qu’aucun d’eux n’ait de préférence pratique ; elle arrange tout pour le mieux et selon le plus grand intérêt de chacun et du public ; mais que peut-on conclure de là, en faveur des privilèges exclusifs, sur lesquels seuls roule notre discussion.

Le commerce est un moyen pour parvenir à une fin, et cette fin est la valeur des denrées, et l’accroissement de la culture, tout ainsi que la culture elle-même est un moyen pour obtenir les productions.

Comment arrive-t-il donc, Monsieur, qu’en convenant avec vous de la faveur que mérite le commerce, en le plaçant même dans un rang supérieur à celui que vous lui assignez, nous soyons si éloignés dans les conséquences ? Il est vrai que je regarde plus le commerce d’exportation extérieure comme véhicule des valeurs des productions, que comme véhicule des productions mêmes ; et peut-être qu’au fonds c’est là ce qui nous divise ; car cette distinction n’est point du tout favorable aux privilèges exclusifs qui retranchent sur les valeurs, non-seulement le bénéfice qu’ils procurent aux commerçants auxquels ils sont accordés, mais qui étendent ce même retranchement sur toutes les productions commerçables de la nation.

De quelle manière envisagez-vous donc le commerce, lorsque vous mettez son intérêt en opposition avec celui de la culture ? Ne serions-nous d’avis opposé que parce que vous prendriez le mot commerce dans une acception différente de la mienne ? En ce cas nous ne disputerions que fur les termes. Cependant vous avez pris la précaution de fixer le sens que vous donnez à ce mot : vous définissez le commerce, la science d’exporter le superflu[3], et de procurer le nécessaire. Quoique cette définition soir peu exacte, je ne la contesterai pas, si elle peut servir à nous rapprocher ; je vous prierai seulement d’ajouter avec le plus grand avantage possible pour une nation. D’après cela il semblerait que nous dussions être d’accord sur la question que nous discutons, car la concurrence dans la navigation ne peut avoir d’autre effet que d’étendre les ventes des productions commerçables, de procurer la communication des valeurs, et de diminuer les frais du transport au profit de la valeur, et à l’avantage du commerce en lui-même, qui s’étend d’autant plus qu’il devient moins coûteux : l’exclusion au contraire en nous privant de ces avantages, est opposée aux progrès du commerce en lui même, à la quantité de l’exportation, et à l’accroissement de valeur et de revenu qui pourrait en résulter.

Mais puisque d’après votre définition même, nous sommes d’avis contraire, il faut nécessairement que nous prenions le mot commerce dans un sens différent, et j’ai le plus grand intérêt de démêler ce point, afin de réduire la question à ses véritables termes. Or, j’entends par le mot COMMERCE, l’échange des productions commerçables ; voilà la vraie définition du commerce proprement dit, abstraction faite des moyens intermédiaires, parce que comme moyens, ils doivent tous satisfaire à leur destination qui a pour objet l’échange des productions commerçables. Mais, Monsieur, si vous voulez bien faire attention à la suite et à l’objet de votre mémoire, et au point qui nous divise, vous reconnaîtrez que vous ne parlez ici ni du commerce ou de cet échange, ni même du commerce de revendeur, mais du voiturage auquel vous avez donné le nom de commerce en ce moment.

En effet, Monsieur, si par commerce vous entendiez ici le débit des denrées, vous ne pourriez guères ce me semble, vous dispenser de m’accorder tout ce que j’ai établi jusqu’ici, et de convenir que l’intérêt du commerce s’identifie avec celui de la culture. Mais dès que par commerce vous entendez ici le voiturage, (et par la nature de la dispute, vous ne pouvez entendre autre chose) ; je ne suis plus étonné que vous trouviez son intérêt contraire à celui de la culture ; nous sommes parfaitement d’accord sur ce point ; j’irai même plus loin que vous, car je mettrai aussi l’intérêt du voiturier en opposition avec celui du commerce lui-même. En effet quoique le voiturier soit un agent nécessaire au commerce, son intérêt n’est pas celui du commerce, il y est directement opposé. Il importe au voiturier que le transport soit long, pénible, coûteux, parce que toutes les dépenses qui en résultent font à leur profit ; il importe au contraire au commerce que le transport soit facile, et s’il était possible sans frais[4], car il a moins d’avances à faire, et la consommation en est plus grande. Il importe de même à la culture que le transport soit le moins dispendieux qu’il est possible, parce que la réduction des frais tourne au profit de la valeur, et il importe à la nation que les choses soient ainsi, parce que moins les frais de commerce absorbent du prix des denrées, plus elle a de revenu. La concurrence dans la navigation, dont l’effet serait de modérer les frais du transport, et de multiplier les occasions de vendre, est donc conforme à l’intérêt du commerce, de la culture, et par conséquent de la nation. Vous n’avez pu séparer ces intérêts qu’en changeant la signification ordinaire des termes, et er substituant le commerce au voiturage dans une question où il ne s’agit que du voiturage. Donc l’intérêt du commerce considéré dans la nature dans ses effets, dans son véritable sens, comme débit des denrées, vente, exportation, est nécessairement renfermé dans votre première proposition, d’après laquelle vous convenez vous-même que tout autre intérêt doit céder à celui d’accroître le produit de nos terres, car nous ne pouvons l’accroître qu’en étendant le commerce lui-même, je veux dire la communication des valeurs, et en épargnant sur les frais. Donc votre seconde proposition que vous opposez à la première, ne peut plus présenter que le voiturage, et elle devrait être conçue en ces termes : mais le second principe suie immédiatement, et s’il n’a pas la supériorité sur la culture, il ne mérite pas moins de faveur, c’est l’intérêt du voiturier régnicole, qu’on doit favoriser par cous les moyens possibles, en lui réservant tous les bénéfices qu’on peut lui procurer.

Nous voilà donc, Monsieur, à ce que j’espère, d’accord sur le commerce, qui est bien le point le plus essentiel : notre dispute ne roule plus que sur le voiturage, encore n’est-ce pas sur l’opposition que vous trouvez entre son intérêt et celui de la culture, (car je la trouve comme vous) ; mais sur le trop d’égard que vous avez pour son intérêt, en voulant le faire prévaloir sur celui de la culture.

Ainsi, Monsieur, lorsque vous me donnez gain de cause par rapport à l’intérêt de la culture, que vous convenez être la vraie cause de l’opulence d’une nation ; vous me donnez en même temps gain de cause par rapport au commerce des productions, qui attaché à la suite et au service de la culture, ne peut en être séparé. Voilà bien du terrain de gagné, et je rien demande pas davantage. Ex concessis, la concurrence est conforme a l’intérêt de la culture : ex rerum naturâ, elle est conforme à celui du commerce en lui-même ; tout est dit, je vous abandonne volontiers l’intérêt particulier du voiturier régnicole, auquel je sens comme vous que la libre concurrence ne sera pas si avantageuse que l’exclusion en cette partie, et les impôts mis dans les autres, sur la navigation étrangère. Ce n’est pas qu’on ne pût soutenir que l’augmentation du commerce qui résulterait de la concurrence des acheteurs, de la réduction des frais, de l’accroissement de la valeur, et par conséquent de la culture, jointe à la réforme des dispositions de l’ordonnance de la Marine, qui renchérissent notre navigation, ne fût rendre la concurrence réellement plus avantageuse à notre Marine marchande, que ne l’est aujourd’hui l’exclusion. Je suis d’autant plus port à le croire, que j’aime à me persuader que l’exécution des principes de l’ordre naturel, et de la grande loi de la réciprocité du commerce, est généralement utile à tous, et ne pourrait être au détriment de personne.

Au reste que notre Marine marchande ait tort ou raison de désirer l’exclusion, il n’en est pas moins vrai que l’exclusion est contraire à l’intérêt de la culture et du commerce en lui-même, et par conséquent de la Nation ; quod erat probandum. 

Je suis avec respect, Monsieur, etc.

 

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[1] Il ne peut y avoir de moyens favorables seulement à l’agriculture, et destructifs des autres ressources d’une nation. Car c’est l’agriculture qui fait naître tous les travaux secondaires. Ils n’existeraient pas sans elle. Sans culture point de commerce, point de matelots ; point de marine marchande, point de marine militaire, point d’industrie ; il y a plus, point de corps de nation. Les moyens qui paraîtraient favoriser d’autres branches d’occupations, et qui seraient contraires à la culture, seraient destructifs et de la culture et des occupations qui en dérivent, quoiqu’ils pussent être favorables aux particuliers qui en profiteraient. Plus il y aura de valeur, plus il y aura de culture ; et plus il y aura de culture, plus il y aura de commerce : voilà l’ordre naturel et physique que les hommes ne dérangeront jamais. Voici l’ordre inverse, que les hommes sont bien les maîtres de lui préférer, mais à leur détriment ; plus l’exclusion restreindra le commerce, et en renchérira les frais, moins il y aura de culture, et par conséquent de commerce.

[2] Je ne connais non plus que vous, aucune nation qui soit uniquement agricole, par la raison que les productions ne sont pas toujours consommées sur le lieu de la production, et qu’elles ne naissent pas toutes dans l’état propre à remplir nos besoins. Mais je connais beaucoup de nations qui n’ont d’autres ressources ni d’autres richesses à prétendre, que celles qui paissent de leur territoire, et j’en conclus qu’elles ne peuvent jamais avoir à ménager des intérêts contraires à celui de la culture. Je n’en connais aucune qui subsiste autrement que fur le produit de la terre ; et je ne connais chez aucun peuple que ce soit, ni industrie ni commerce dont les salaires et les frais soient payés autrement que sur le produit des ventes de la première main, soit en dépense du revenu, soit en diminution du revenu.

[3] Cette définition est inexacte, parce que le mot superflu n’a ici aucun sens véritable. Tous les produits d’une nation sont destinés à fa subsistance. Ainsi elle n’a pas plus de superflu qu’un vigneron qui a récolté trente pièces de vin. Car s’il en consomme cinq, il ne regarde pas le reste comme superflu, mais comme le seul moyen de se procurer le nécessaire dans les autres genres. Si on lui enlevait ce prétendu superflu, il cesserait de pouvoir vivre. C’est donc la subsistance d’une nation qu’on appelle ici superflue, très improprement, il faut l’appeler commerçable. Je ne puis mieux faire que de renvoyer le lecteur au Journal de mars, page 44 et suivantes, pour l’éclaircissement de cette définition du commerce dans laquelle on l’a présenté comme l’échange du superflu contre le nécessaire. 

[4] Voyez le Journal d’octobre 1765page 76.

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