Micro-finance et sortie de la pauvreté, par Nikolay Gertchev

IEM-cover - frontChaque année, l’Institut économique Molinari organise, avec le soutien de 24h Gold, l’Université d’automne en économie autrichienne, rassemblant les spécialistes français de l’école autrichienne pour discuter de quelques-uns des grands sujets de notre temps, selon le prisme d’auteurs comme Ludwig von Mises, Friedrich Hayek ou Murray Rothbard. L’édition 2014, dont l’ensemble des conférences a été édité par l’Institut Coppet, portait sur la pauvreté. Dans sa conférence, Nikolay Gertchev étudie le phénomène du micro-crédit et de la micro-finance, système sans intermédiaire, sensé aider les habitants des pays pauvres à se lancer dans des activités entrepreneuriales permettant d’élever leur condition. Il s’avère cependant que les faits ne suivent pas les bonnes intentions des promoteurs du micro-crédit comme Mohamad Yunus. B.M.


Micro-finance et sortie de la pauvreté

par Nikolay Gertchev

Bonjour.

Comme d’habitude je suis très heureux d’être à l’Université d’automne en économie autrichienne, et j’espère que vous le serez également.

On a évoqué différentes questions relatives à la pauvreté ce matin, la pauvreté en France, la pauvreté à l’étranger, dans les pays en voie de développement. Cette après-midi je continuerai cette étude de la pauvreté en la mettant en rapport avec la finance, notamment la micro-finance, pour étudier quel pourrait être l’impact des micro-crédits sur la réduction de la pauvreté.

Je commencerai d’abord par détailler et décrire ce phénomène de la micro-finance : comment est-il apparu, en quoi consiste-t-il, comment s’est-il développé ? Je vous donnerez aussi quelques chiffres pour savoir de quoi nous parlons. J’essaierai ensuite dans un deuxième temps de vous exposer la défense de cet outil soi-disant révolutionnaire, selon Mohamad Yunus, pour réduire la pauvreté. Puis j’analyserai cette nouvelle réalité macro-économique, telle qu’elle nous est présentée : je l’analyserai sur les bases de l’économie autrichienne, une analyse macro-économique qui malheureusement est absente. Il y a beaucoup d’articles sur le micro-crédit, il y a beaucoup de recherches, mais ce sont toujours des recherches au cas par cas, micro-économique, sur des cas en Bolivie, au Mexique, qui comparent les revenus d’une population qui bénéficie du micro-crédit avec les revenus d’une autre population qui n’en bénéficie pas. Et on verra d’ailleurs que ces études très partielles ne sont pas concluantes.

Donc il y a véritablement besoin d’une analyse macro-économique, et l’économie autrichienne nous donne les moyens de mener à bien cette analyse macro-économique. Et puis en conclusion je finirais sur le résultat. S’agit-il vraiment d’un outil de création de richesse, ou est-ce simplement un projet de redistribution de revenus ?

Alors, voyons d’abord ce qu’est le micro-crédit, ce qu’est la micro-finance en général.  Le terme initial était celui de micro-crédit, mais maintenant on parle plutôt de micro-finance. Cela désigne l’offre de services financiers, soit de prêts, le micro-crédit, soit d’épargne, la micro-épargne, et parfois les deux sont liés, soit d’assurance, la micro-assurance, tout ça pour les plus démunis.

Ainsi, il y a un lien supposé ici : les plus démunis seraient exclus du secteur financier dit formel, autrement dit les banques commerciales. Et le micro-crédit ce serait l’offre de services financiers aux exclus des banques commerciales.

Alors de nos jours cela a été introduit au Bangladesh par Mohamad Yunus dans les années 1970, puis très vite appliqué partout dans le monde, et ça a été un franc succès. L’année 2005 a été déclarée par l’ONU année internationale du micro-crédit. En 2006, la Grameen Bank, avec Mohamad Yunus, ont reçu le Prix Nobel de la Paix. Grameen signifie village, donc Grameen Bank signifie simplement la banque des pauvres, la banque des gens qui vivent à la campagne.

Et cela nous a été présenté par Yunus comme une véritable révolution, un phénomène nouveau. Alors, est-ce le cas ? Si nous regardons historiquement, en fait pas du tout. En vérité, le micro-crédit s’apparente à ce que l’on trouve déjà en Europe au XVIIe siècle avec les tontines rotatives. Qu’est-ce que les tontines rotatives ? C’est une société où une vingtaine de personnes déposent une petite épargne, mettons que chacun dispose de 100€, et par période décidée, des mois ou des semaines, chacun des vingt participants peut obtenir cette somme totale déposée sous forme de prêt. Il peut l’utiliser. Et à la fin de la période il doit retourner la somme et une autre personne peut l’utiliser. Donc il s’agit de mettre ensemble des petits montants d’épargne pour les utiliser à tour de rôle pour des investissements.

Les coopératives de crédit ont véritablement été popularisées par M. Raiffeisen, qui a donné une connotation chrétienne, et cela a été repris en France par un certain Louis Durant, avocat de Lyon, qui a créé, à la fin du XIXe, début du XXè siècle, 4 000 caisses mutuelles ouvrières et rurales, toujours d’inspiration chrétienne.

Ce sera intéressant de revenir sur ce phénomène pour voir pourquoi ces caisses apparaissent. C’est une question intéressante et j’aurais l’occasion d’évoquer une hypothèse à la fin de mon exposé. Et ce sont ces caisses ouvrières et rurales qui vont donner naissance au crédit mutuel d’aujourd’hui, qui en 1950 obtiendra une forme plus comparable à celle des banques commerciales. Mais à l’origine en fait c’étaient des petites banques de villages, de communes, de diocèses, qui recevaient une petite épargne et qui prêtaient aux notables de la commune à tour de rôle.

Ce sont des institutions qui existent de nos jours un peu partout dans le monde. Le conseil mondial des coopératives de crédit recense 57 000 coopératives, pour un total d’encours de 11 000 000 de dollars avec 208 000 000 clients. Le taux de ces coopératives de crédit, qu’on appelle en anglais credit unions, aux États-Unis et au Canada, est d’environ 50%. Donc environ 50% de la population aux États-Unis et au Canada a un compte dans une coopérative de crédit. En Irlande c’est 76%, à Chypre 100%. Donc ce sont véritablement des institutions financières qui existent partout dans le monde, qui ont une origine occidentale et chrétienne, de la fin du XIXe siècle, et qui ne sont absolument pas une invention nouvelle de la part de M. Yunus.

Donc le micro-crédit, l’idée est tout simplement de créer une coopérative de crédit et de la focaliser sur les petits crédits. C’est ça l’idée. Ce sont des crédits qui ont une valeur moyenne à l’origine de 20$, aujourd’hui entre 100$ et 1000$. Ce sont des crédits de très courte durée, un an, un an et demi, et qui peuvent être rallongés, c’est-à-dire que la personne peut emprunter de nouveau si elle rembourse bien son crédit. Élément essentiel, et je vais revenir sur cet élément, ce sont des crédits octroyés sans hypothèque, parce que par définition ce sont des gens pauvres par conséquent ils n’ont pas d’actif, ils n’ont rien à donner en gage. Et ce sont des crédits qui sont garantis par un groupe, ça peut être un groupe de 5 personnes, ça peut être un groupe de 20 personnes, mais il y a une caution solidaire et illimitée entre les membres de ce groupe d’emprunteurs, alors qu’il n’y a qu’un seul bénéficiaire du crédit jusqu’au remboursement, et ensuite une autre personne. Ce sont des crédits qui sont remboursés véritablement chaque semaine, ou parfois une fois par mois si le groupe fonctionne vraiment bien. Et à chaque fois il y a des réunions — j’aurais l’occasion de revenir sur ces réunions. Donc les gens doivent se déplacer à une distance parfois d’une heure ou de deux heures de marche, à la campagne, pour se réunir, examiner les comptes, rembourser le paiement hebdomadaire, et revenir ensuite dans leur village d’origine.

Les taux d’intérêt varient, parfois c’est 20% par an, parfois 30% par an, il arrive qu’il soit supérieur à 100% par an ; c’est un point qui a été critiqué par Yunus. Parce qu’au départ, nous le verrons, c’étaient des prêts bonifiés, parce qu’il y avait beaucoup de subventions, donc des taux d’intérêts en-dessous du marché, en dessous de ce que ces taux auraient été sur le marché.

De nos jours il y a une tendance à la commercialisation de la micro-finance, avec des taux très élevés, qui seraient expliqués par les frais administratifs élevés liés au petit montant des crédits. Parce qu’il faut toujours traiter les dossiers de crédit, pour des petits montants de crédit, les coûts administratifs s’y ajoutent et cela résulte dans un intérêt assez élevé.

Ce sont des crédits qui sont présentés comme très performants, donc qu’il y a très peu de relations défaillantes ou douteuses dans ces portefeuilles de micro-crédit. Soi-disant il n’y aurait que 2% de ces portefeuilles qui seraient à risque ou impayés. C’est parfois discuté, mais la vérité est que les micro-emprunteurs ont plutôt tendance à rembourser leurs crédits.

Il y aurait 115 000 000 micro-emprunteurs, donc il s’agit d’un phénomène assez large. Et cela toucherait à peu près 0,5 milliard de personnes, en incluant les membres des familles. Une grande partie de ces emprunteurs sont des femmes, des femmes qui habitent à la campagne. Selon certains écrits, entre 85 et 90% des micro-emprunteurs seraient des femmes, surtout pour les crédits octroyés par les ONG. On le verra tout à l’heure.

L’encours total de ces micro-crédits, pour donner une idée de la chose, représente environ 200 milliards de dollars. À l’échelle internationale, c’est une somme plutôt modique, soit 0.3% de la production mondiale, si on peut se fier à ce genre de statistiques. Et à l’origine le micro-crédit fut conçu pour prêter des fonds de roulement à des micro-entrepreneurs. Mais en réalité, et tout le monde s’accorde là-dessus, la moitié de ces crédits servent à la consommation courante, surtout lorsque ces crédits sont accordés à des femmes. On se rend compte en effet qu’une plus grande partie de l’augmentation du revenu est utilisée pour la consommation et l’habillement des enfants, alors que si c’est un homme qui le reçoit, alors une plus grande partie est investie dans une production quelconque. Donc la littérature fait une distinction entre la réduction de la pauvreté et l’encouragement de la croissance. Les gens qui veulent réduire la pauvreté sont des militants pour prêter à des femmes, parce que cela améliore la condition présente ; ce qui disent non, il faut une action de moyen long-terme, ils militent pour que les micro-crédits touchent essentiellement les hommes, parce que c’est ça qui résulterait dans un revenu plus élevé à l’avenir. C’est intéressant.

Il existerait quand bien même des différences entre hommes et femmes. Même ces gens là le reconnaissent.

Voyons quelques données. C’est difficile de trouver des données, mais il existe ce que l’on appelle le MIX Market, qui recense la grande majorité des entreprises de micro-crédit, donc des coopératives de micro-crédit. Les dernières données sont de 2012. Ce n’est pas la totalité de tous les encours. Il y aurait des encours de prêts d’environ 100 milliards de dollars, essentiellement dans l’Amérique Latine et dans l’Asie de l’est. Il y aurait environ 100 millions d’emprunteurs, qui se trouveraient pour moitié en Asie du Sud. Voici pour les grandes statistiques.

On pourrait regarder par pays. Les grands pays bénéficiaires du micro-crédit c’est la Chine, le Pérou, la Colombie, en termes d’encours. Évidemment il faudrait comparer cela à la taille du pays, pour voir dans quelle mesure le micro-crédit a ou pourrait avoir une influence quelconque. Pour la Chine on voit bien que c’est peu important, mais dans des pays comme la Bolivie, le Cambodge, la Mongolie, le Kosovo, le micro-crédit représente environ 20% du PIB, donc cela risque d’être plus conséquent, et cela peut avoir une certaine importance.

Je reviendrais sur ce point, mais aujourd’hui la structure de ces entreprises de micro-crédit, de ces coopératives de crédit, est telle qu’elles se financent également par les dépôts, et ce n’était pas le cas à l’origine. C’est un point intéressant et je vais revenir dessus.

Si nous regardons un peu le total de leur bilan, pour un total d’actif de 140 milliards, il y a 100 milliards de prêts, qui sont financés à auteur de 90 milliards par des dépôts, une collecte de dépôts que les défenseurs du micro-crédit appellent la micro-épargne. Nous, en économistes autrichiens, nous verrons comment il faut l’appeler. Pour finir, signalons des fonds propres d’environ 20 milliards et des emprunts d’encore 20 milliards.

Je voudrais juste mentionner que, pour l’instant, les dépôts semblent être une partie prééminente dans le financement du micro-crédit.

Alors, concrètement, comment ça marche ? Concrètement, voilà, il y a un monsieur qui arrive dans un village, sur ce qui semble être les ruines d’un cycle économique préexistant. Il réunit une vingtaine de femmes qui vont former un groupe. Qu’est-ce qu’il leur distribue ? Des billets. Donc c’est surtout des prêts en monnaie locale. Donc c’est ça le micro-crédit, c’est une distribution de monnaie locale, contre un contrat. Ces dames ont également des papiers indiquant les conditions, les taux d’intérêt, ainsi de suite. C’est la première phase de micro-finance.

Dans la deuxième phase de la micro-finance, ces femmes commencent par acheter quelques matières premières et à travailler. Ici le micro-crédit est alloué à l’artisanat, et ces femmes tissent des paniers, ou ça pourrait être une petite activité d’irrigation de riz. Cela pourrait être de la vente ambulante d’objets, mais ça reste très restreint. Donc on les voit travailler ensemble, en commun. Ça c’est également un point important.

La dernière et troisième phase, maintenant, le monsieur arrive où les femmes se retrouvent la semaine d’après, pour rembourser. Le monsieur tient les comptes avec une calculette à côté, et explique la situation à chacun, en présence de tout le monde — puisque tout le monde est solidaire pour le crédit qu’il doit rembourser, donc tout le monde doit être au courant. Cette connaissance de l’état des comptes de tout un chacun permet également d’avoir une pression sociale pour rembourser, et beaucoup de personnes expliquent que les femmes sont la cible principale du micro-crédit, parce que la pression est tellement forte qu’elles remboursent toujours, alors que les hommes, apparemment, n’ont pas de problème à ne pas rembourser le crédit et à faire défaut. Ceci aussi est très bien documenté dans la littérature sur le micro-crédit, celle qui émane des gens qui sont défenseurs du micro-crédit.

Qui sont les financiers du micro-crédit ? D’où proviennent ces micro-crédits, ces sources de capitaux ? La première source c’est la source d’origine, et ça le reste toujours en grande majorité, ce sont les donateurs internationaux. Ces donateurs internationaux se sont réunis au milieu des années 1990 dans un groupe qui à l’origine devait être temporaire, créé pour 5 ans, et qu’on appelle le Groupe consultatif d’assistance aux plus pauvres, qui est de fait accueilli par la Banque Mondiale, et qui est devenu un groupe permanent, accueillant aujourd’hui 34 agences nationales d’aide au développement. Il y a des banques au développement, il y a également des fondations privées qui contribuent à ce groupe consultatif.

Les donations peuvent également venir des gouvernements eux-mêmes.

Ces donations sont essentiellement guidées par ce que l’on appelle le outreach, donc l’étendue des programmes, i.e. combien de pauvres sont touchés. Il n’est pas important de savoir s’il y a vraiment de la croissance économique qui s’en suit, l’important est de pouvoir toucher tous les pauvres, de pouvoir distribuer à tous les pauvres, de sorte que leur condition de pauvreté soit réduite.

Depuis un moment, il y a également des fonds d’investissement privés, qui ont aujourd’hui un encours de 9 milliards de dollars. Ils ont leurs propres entreprises de notation, Micro-rating. C’est une entreprise qui note ces fonds d’investissement, qui sont au nombre d’une centaine, enregistrés surtout au Luxembourg et aux Pays-Bas.

Les investisseurs institutionnels privés représentent au final environ deux tiers du financement, et le reste vient des agences publiques et des petits investisseurs. Vous-même vous pouvez investir sur la plateforme Kiva, si vous voulez investir 20€ de micro-crédit quelque part en Afrique, on va vous expliquer avec un type standard de personne, souvent c’est une dame qui va tisser. Il y a des cas typiques et vous-même vous pouvez financer ces fonds d’investissement.

Depuis quelques temps il y a une tendance à la commercialisation. Ces coopératives de micro-crédit vont être guidées non pas tellement par leur couverture de la population pauvre mais par la genèse d’un profit. Ceci a été fortement décrié par Yunus, et c’est pour ça d’ailleurs qu’il s’est séparé de la Grameen Bank, qui a maintenant adopté ce modèle de gestion pour le profit. Mais il y a des gens dans la communauté qui apprécient cette nouvelle tendance et qui pensent qu’elle est même nécessaire, parce que dans l’aide internationale au développement, il y a une grande question qui se pose : à quelle activité allouer l’aide, comment décider s’il faut directement construire un hôpital, une école, ou distribuer des crédits aux femmes ? De ce point de vue là, la commercialisation du micro-crédit, donc la recherche d’un profit, permet de dire si l’usage de l’aide internationale profite ou non aux bénéficiaires. Donc il y a des gens qui considèrent que c’est un développement même nécessaire pour s’assurer du bon usage des capitaux investis.

Les fonds qui sont octroyés, les fonds des donateurs internationaux, ce sont précisément les 20 milliards d’actions qu’on a vu, et les 20 milliards de prêts bonifiés.

Les intermédiaires du micro-crédit, ces coopératives de crédit qui sont aujourd’hui groupées dans des grandes banques, comment fonctionnent-ils ? En fait il y en a de deux types. On peut utiliser le fonctionnement de la Grameen Bank et sa propre évolution comme symbole de l’activité de ces coopératives de crédit. Donc il y a la Grameen Bank I, les groupes d’auto-aide — self-aid groups est le terme qui est utilisé en Inde. Ce sont des groupes d’auto-aide, ou des organisations non gouvernementales, c’est le statut légal. Ils fonctionnent à petite échelle, visent une population rurale et féminine et, chose importante, ils sont fortement subventionnés. Toujours en 2007, 62% des coopératives de ce type étaient subventionnées.

Il fut un moment où la Grameen Bank fut prise pour un exemple fabuleux. Aujourd’hui on connait les chiffres. Sur les 12 années de fonctionnement, de 1985 à 1997, donc les douze premières années de fonctionnement de la Gramen Bank, le profit cumulé a été d’à peine 1.5 million, mais c’était encore un profit comptable. La réalité derrière c’étaient des subventions directes et indirectes. Tout ça pour dire que ce sont des coopératives de crédit qui distribuent un crédit en se basant sur des subventions étrangères, grosso modo.

Et il y a le deuxième type de Grameen Bank, donc la Grameen II, le deuxième type de coopératives de crédit, qui en réalité n’est pas autre chose qu’une banque commerciale à petite échelle, et qui a pour clientèle des gens à faibles revenus. Ce sont les 90 milliards de dépôts que l’on a vu dans le bilan consolidé de toutes les coopératives de crédit qui font du micro-crédit.

D’un point de vue autrichien, il y a deux spécifiés à noter. La première, c’est que ce sont des banques à réserves fractionnaires, donc qui ont la capacité de multiplier les liquidités et d’octroyer du crédit bancaire. Et ce sont des banques également qui fonctionnent avec un effet de levier, parce que les capitaux propres sont une partie seulement du total des actifs. Et cet effet de levier, naturellement, amène un profit, ne serait-ce que comptablement. Donc cela remet en cause un point : dans quelle mesure le profit de ces coopératives de nouvelle génération est-il véritablement un indicateur du bon usage de l’aide au développement, quand il s’agit d’un profit artificiellement gonflé ?

Ces entités sont devenues des institutions régulées, supervisées, par un organe de contrôle. Cet organe peut être la banque centrale locale, ou non. En Inde c’est une autre institution, qui ressemble à une banque centrale pour les coopératives.

Quand on regarde le bilan consolidé du secteur du micro-crédit, ces coopératives de crédit à réserves fractionnaires sont en réalité prédominantes, on pourrait dire qu’elles représentent 80% du marché.

Alors pourquoi le micro-crédit a-t-il été considéré comme un outil révolutionnaire ? Quel est l’argument que construit Mohamad Yunus ? En fait, il est très simple, je l’ai exposé ici. Cet argument consiste à dire que les pauvres restent pauvres par manque de financement des activités entrepreneuriales. Ils ne peuvent pas sortir de leur condition de pauvreté parce qu’ils ne trouvent pas de financement pour les entrepreneurs qu’ils peuvent être. Pourquoi ne trouvent-ils pas de financement ? Précisément parce qu’ils sont pauvres. Parce qu’ils sont pauvres, ils n’ont pas d’actif, donc ils n’ont aucun gage à apporter à la banque, au service financier formel, et pour cette raison là ils restent pauvres et n’arrivent pas à sortir de leur condition.

Le secteur informel ne jouera pas forcément le jeu, car il y aura des usuriers. Il accepte que ces gens là trouvent des crédits, mais à des taux trop élevés. Et ces taux trop élevés vont rendre leur activité entrepreneuriale insoutenable sur le long-terme, non viable. Et par conséquent ils n’empruntent finalement pas.

Il y a donc une défaillance du marché. Le marché ne prête pas aux pauvres, qui sont des entrepreneurs en brèche, et cette défaillance, il faut la corriger. Il y a eu une défaillance historique, qui a été l’aide internationale au développement, mais Yunus accepte que cela a été un échec, parce que cela a créé une bureaucratie trop importante, parce que l’aide n’a pas été correctement utilisée, parce que cela a créé des dépendants, comme le professeur Ebrasu l’a noté tout à l’heure, et donc il dit qu’il faut trouver un nouveau système, et le micro-crédit sera ce nouveau système par lequel les gens, en faisant de l’auto-aide, vont se sortir eux-mêmes, ils ne seront plus dépendants. Ils vont tous devenir des entrepreneurs. Ils vont pouvoir générer une activité productrice de revenus, et par ces revenus ils vont pouvoir vivre et sortir de la pauvreté.

Alors comment va-t-on procéder ? Par cette invention des coopératives de crédit, qui est la caution solidaire et illimitée. Comme les pauvres n’ont pas de gage, pas de capital physique à hypothéquer, on va créer ce que Yunus appelle un capital social, qui est donc le crédit du groupe mis ensemble, et c’est cela qu’on va mettre comme garantie à la coopérative de crédit, qui va pouvoir prêter. Cette garantie collective va court-circuiter le problème de l’absence de capital physique, et par ce moyen les pauvres vont pouvoir accéder au financement de entrepreneuriat, et ils vont pouvoir réaliser leurs capacités entrepreneuriales.

Il n’y aura plus besoin de politique de redistribution. Ce sera un petit peu une solution à la pauvreté par soi-même, et le gouvernement ne devra plus intervenir pour distribuer des revenus, parce que les pauvres vont pouvoir générer eux-mêmes ce dont ils ont besoin.

Enfin, chose importante, Yunus veut montrer que les pauvres ne doivent pas être les exclus du secteur financier. Il veut démontrer que les pauvres sont aussi capables d’emprunter et de rembourser. The poors are bankable, c’est ça le terme en anglais. Il veut convaincre la communauté internationale que ce sont des débiteurs qui ont du crédit, qui sont solvables.

Voici la théorie que présente Yunus. Il y a beaucoup d’éléments à discuter. Je ne pourrais pas développer chaque point de son argument, mais je voudrais fournir quelques outils d’analyse autrichienne, pour voir si c’est vraiment vrai, si ça pourrait être vrai ce qu’il dit. J’ai trouvé que le meilleur moyen pour répondre, c’est de se poser la question : d’où vient la création de richesses ? Est-ce que c’est simplement un problème de financement ? Parce qu’au fond c’est cela que Yunus affirme.

J’ai décidé d’attaquer le problème en rappelant ce que sont les crédits. Le crédit, c’est un échange. Si on regarde chez Mises, c’est un échange de biens présents contre des biens futurs. Il y a une personne qui a épargné, qui décide donc de ne pas consommer ce dont elle est propriétaire. Cette épargne consiste en des biens produits, existants aujourd’hui, des biens présents, et une partie de ces biens présents est transférée, par ce que l’on appelle un crédit, contre des biens futurs d’une autre personne dans l’économie. Donc le crédit n’est qu’un échange de biens qui existent, contre des biens futurs, qui eux-mêmes doivent encore être produits par l’économie.

Alors évidemment on est parfois embrouillés, parce qu’on vit dans une économie monétaire, donc il y a des signes monétaires qui circulent. Quel est le rôle de ces signes monétaires ? Puisque le crédit n’est pas en unité de biens réels, le crédit est en unités monétaires, on pourrait ne pas déceler la réalité physique derrière, mais l’utilité de ces signes monétaires ne consiste qu’à donner le pouvoir d’achat à ceux qui empruntent aujourd’hui. Les signes monétaires permettent aux emprunteurs d’attirer précisément les biens épargnés vers eux, en les achetant sur le marché. Donc le crédit monétaire, d’une certaine manière, n’est qu’un voile : derrière le crédit monétaire il y a des ressources réelles.

Le crédit, cet échange de biens présents contre biens futurs, par un moyen d’échange universel qu’est la monnaie, n’augmente pas en soi la quantité de monnaie disponible, il ne fait que transférer et redistribuer les biens qui existent dans l’économie. Et plus de ressources deviennent effectivement disponibles aux micro-emprunteurs, puis-que les micro-emprunteurs reçoivent des signes monétaires, ils attirent soit des facteurs de production, soit des biens. Donc ils peuvent contrôler plus de ressources. C’est vrai, il y a une nouvelle redistribution des ressources dans l’économie, qui est au profit des micro-emprunteurs. Et c’est d’ailleurs là qu’il faut voir l’intérêt du micro-crédit, j’y reviendrais en conclusion.

Donc il y a effectivement un allègement de leurs conditions dans le présent. C’est ça qu’on peut appeler le poverty reduction, le grand objectif du micro-crédit.

Maintenant, pour comprendre les conséquences de ce micro-crédit, à court et à long terme, ces conséquences vont dépendre, fondamentalement, de cette distribution de ressources. Il y a deux côtés selon moi qu’il faut envisager. Le point de vue de l’origine des ressources du micro crédit : d’où viennent les ressources attirées par les micro-emprunteurs ? Et bien sûr quel est l’usage qui en sera fait ?

Il y a deux origines possibles des ressources attirées par le micro-crédit. Le premier cas est celui d’une épargne réelle, c’est le cas que j’ai mentionné dans mon exemple. Il y a en effet des individus dans l’économie qui décident d’épargner, c’est-à-dire de consommer eux-mêmes moins dans le présent dans l’attente d’une consommation accrue à l’avenir. Cette demande accrue de biens présents par les micro-emprunteurs va de pair avec une demande moindre de la part des épargnants nets. Ainsi il y a des ressources réelles derrières, qui peuvent être utilisées par les micro-emprunteurs. Cela implique de fait une élévation de ce qu’on appelle le fond de réserve d’une économie, qui permet de commencer un processus de production et de le terminer, tout en pouvant s’entretenir soi-même et les ouvriers ou collaborateurs qu’on va mettre à contribution, tout au long du processus de production.

La structure de production, selon les termes autrichiens, va s’élargir. Est-ce qu’elle va s’allonger, il faudrait réfléchir, vu l’activité artisanale et pas très sophistiquée à laquelle sert le micro-crédit. Mais dans tous les cas il y aura une modification des prix relatifs, une redistribution des ressources, et si tout va bien, si le taux d’intérêt reste comme indicateur des meilleurs projets dans lesquels il faut déposer l’épargne rare, a priori ces projets pourraient être terminés, ce qui permettrait un remboursement en termes de biens futurs au profit de ceux qui ont épargné aujourd’hui, donc au profit des créditeurs.

C’est là le premier cas de figure, qui donne une justification non pas seulement au micro-crédit, mais à la finance en général, comme moyen d’interaction inter-temporel entre les individus en société. Le micro-crédit ne fait qu’appliquer ceci à un cas particulier, un peu comme les ateliers de pauvreté le font également à des gens avec une productivité moindre, et ainsi de suite.

Maintenant il y a un deuxième cas, qui est celui de la théorie des cycles économiques de l’école autrichienne, qui est celui dans lequel il n’y aurait pas de réelle épargne nouvelle. Dans ce cas là, le micro-crédit ne consiste qu’en une expansion des signes monétaires, une expansion qui est soit financée par l’extérieur, par les dotations étrangères, les dollars qui arrivent dans l’économie, soit par ces coopératives qui ne font que multiplier les liquidités, qui fonctionnent comme des banques à réserves fractionnaires traditionnelles. Dans ce cas là le fond de réserve ne change pas, on le connait bien. Il y aura une inflation avec des effets de Cantillon. Des effets de Cantillon, qu’est-ce que c’est ? Il faut aussi que je le rappelle pour expliquer pourquoi les coopératives de crédit ont tellement de succès.

Chaque création d’unité monétaire nouvelle a une origine. Il y a quelques premiers bénéficiaires. Les premiers bénéficiaires de chaque nouvelle monnaie peuvent acheter des biens et services dans l’économie, aux producteurs de l’économie, à des prix encore plus ou moins identiques aux prix préexistants. Mais au fur et à mesure que les signes monétaires circulent dans l’économie, les prix augmentent, et ceux qui sont les derniers à recevoIEM-cover - frontir les signes monétaires, n’ont pas pu acheter avant que les prix aient augmenté, et par conséquent ils se retrouvent perdants. Leurs richesses nettes, leurs revenus réels diminuent. C’est ça qu’on appelle les effets de Cantillon, du nom d’un économiste franco-irlandais, qui est le premier à avoir, au XVIIIe, détaillé ces effets de redistribution dans la société, suite à un changement dans la quantité de monnaie.

C’est exactement ce qui se passe dans ce cas. D’autant plus que si les nouveaux signes monétaires sont introduits également par une baisse du taux d’intérêt, qui engendre de nouveaux processus de production, il y a une incompatibilité dans la société, incompatibilité inter-temporelle, ce qui fait que les crédits ne peuvent pas être remboursés, parce qu’il n’y aura pas plus de biens futurs, et cela résultera dans une crise.

C’est la théorie du cycle autrichien, qui explique encore une fois que ceux qui sont les premiers à obtenir les signes monétaires pourraient profiter eux-mêmes d’une augmentation de revenu réel, mais la société dans son ensemble est plus pauvre à la fin parce qu’il y a des biens qui ont été mal alloués.

Ce sont là des généralités sur le crédit, mais quelles sont les origines probables du micro-crédit ? À quoi peut-on s’attendre dans le cas particulier du micro-crédit ? La première chose à noter, c’est que ce crédit ne provient pas de créanciers internes à la petite communauté. Le micro-crédit sert à financer une économie locale on pourrait dire. Ce crédit ne provient pas de créanciers internes à la petite communauté : le Bangladesh des villes, par exemple, ne va pas financer le Bangladesh des villages. Ce n’est pas du tout ça. Soit ce sont des donateurs étrangers, publics ou privés, comme on l’a vu, soit, le cas majoritaire, il s’agit de crédit local, parce que derrière le micro-crédit, il y a l’idée de la micro-épargne : on va récolter la micro-épargne des gens du village, et en même temps on va la prêter à tour des rôles, ou aux notables du village pour ainsi dire. Donc je ne vois pas véritablement d’éléments d’épargne réelle derrière. Soit il s’agit de signes monétaires importés, soit il s’agit de signes monétaires créés sur place.

Maintenant, est-ce que, une fois qu’on a les signes monétaires, même venus de l’étranger, on peut compter sur une épargne venant de l’étranger ? Là il faut quand même voir que le micro-crédit consiste à financer une économie locale, l’objectif n’est pas d’exporter ni d’importer. C’est vraiment, comme on a vu, les dames qui tissent leurs paniers, tout au plus serait-ce vendu à des visiteurs étrangers, mais il ne s’agit pas de vendre cela contre des biens venant de l’étranger. Donc encore une fois il est très douteux que le micro-crédit serve à amener des biens physiques de l’étranger.

Par conséquent, que peut-on en conclure ? Les résultats les plus probables du micro-crédit, ce serait tout simplement une inflation, une redistribution de ressources existantes, en faisant monter leur prix progressivement, et il créera une rareté qu’on ne voit pas. Nous voyons bien les femmes qui sont occupées à tisser les paniers, mais ces ressources ont été prises à quelqu’un d’autre qui aurait fait peut-être la même chose, peut-être en optimisant le travail. Toutes les photos que l’on nous montre de femmes en train de travailler, derrière il faut quand même voir que s’il n’y a pas de véritable épargne qui vienne de quelque part, il y a forcément une autre dame qui a été mise au chômage, pour ainsi dire. Il y a donc une rareté invisible.

L’amélioration de la condition de certains, ce que l’on appelle le poverty reduction, donc la réduction de pauvreté que l’on voit, elle se fait nécessairement aux dépens d’une réduction de richesse, ou d’une création de pauvreté ailleurs dans la même économie, à proximité.

Alors quelles sont les implications à plus long terme, car c’est cela qui est également intéressant. À plus long terme, il faut se tourner vers les usages probables du micro-crédit, car pour l’instant on ne s’est penché que sur l’origine des ressources attirées physiquement par le micro-crédit. Quels sont les usages possibles du micro-crédit ? Soit c’est une activité productive, donc encore une fois on a vu des exemples, agriculture, élevage, artisanat : il y aura un produit futur, et sa destinée est de rembourser les crédits. La grande question est de savoir : est-ce que cette activité sera assez productive pour permettre de dégager un surplus qui permettra également de continuer cette activité de manière viable pour que les gens se sortent de la pauvreté ? Là encore, grand doute : soit à cause des subventions, soit à cause du crédit monétaire, du crédit bancaire, les signaux d’allocation des ressources dans l’économie ont été brouillés ; le taux d’intérêt a été artificiellement diminué, de sorte que des ressources de ces économies pauvres, donc par définition avec peu de ressources disponibles, soient allouées dans les activités qui sont les moins productives. Ce sont donc des ressources qui ne vont pas dans les ateliers de pauvreté, mais dans ces idylles de tissage de paniers. Certes il n’y aura pas de dumping social avec eux, mais c’est une allocation de ressources moins réussie, vue la rareté des ressources dans l’économie.

Alors comme on ne pourra pas rembourser, puisque ce n’est pas l’usage le plus urgent des ressources, il sera nécessaire de prendre un deuxième crédit, et ainsi il y aura un endettement progressif, et ça c’est quelque chose qui est également détaillé dans la littérature. Il y a beaucoup de femmes qui se retrouvent dans une situation de surendettement, d’incapacité à rembourser, et il y a eu une vague de suicides en Inde pour des raisons d’honneur.

Si le crédit va dans une activité productive, il y aura un résultat futur, mais on peut dire qu’il ne sera pas suffisant, à cause de la mauvaise allocation des ressources. S’il va dans la consommation, comme apparemment 50% du micro-crédit — et ça aussi reconnu par la littérature officielle — là, à l’évidence, c’est une activité improductive. Vu l’état de pauvreté discuté dans la littérature — je n’ai pas été dans ces pays pour pouvoir juger moi-même, mais on peut imaginer que de meilleurs habillements, une meilleure condition de vie, une meilleure nourriture, pourrait augmenter la productivité. Donc dans ce cas là, on peut se demander si c’est vraiment une activité de consommation. On pourrait y voir une activité d’investissement de fait. Mais s’il s’agit vraiment d’une consommation périssable, alors il n’y aura aucun impact à l’avenir. Il y aura une amélioration de la condition présente, au prix d’une diminution à l’état futur.

En soi le micro-crédit c’est donc tout simplement un outil de redistribution des ressources. Sans épargne réelle, il ne peut avoir aucun impact réel sur la réduction de pauvreté. Il peut juste redistribuer les biens. Et la permanence de cette redistribution dépendra d’autres facteurs, de facteurs historiques qu’il faudra étudier au cas par cas.

Mais en parlant d’autres facteurs, je veux évoquer également les aspects non financiers du micro-crédit, qui sont un peu moins connus, mais qui à l’origine étaient vraiment l’essentiel, pour Yunus, du micro-crédit. Yunus développera ensuite cela dans une théorie de l’économie sociale, de l’économie responsable, des entreprises sociales, et il créera une entreprise sociale avec Danone au Bangladesh. C’est le seul partenariat qui existe encore. Yunus a créé dix entreprises et neuf ont fait faillite. Seul le partenariat avec Danone continue. Il s’agit de distribuer du lait fortifié à toutes les familles au Bangladesh.

Alors il faut voir quels sont les seize principes qui guident toutes les réunions de ces centres d’une vingtaine de femmes. Chaque réunion, à en croire ce que j’ai pu lire, commence par une récitation commune, ou un rappel par le chef de groupe, de ces principes, et j’en ai listé ici quelques-uns. D’abord, tout le monde s’oblige à la discipline, l’unité, l’honneur et le travail. Très bien. Le deuxième principe, c’est qu’il faut avoir une activité d’agriculture, ici avec une préférence pour les légumes. Mais je vois que ce qu’il note d’abord c’est le point de vue de la consommation. Nous allons en manger plein et vendre le surplus. Mais le surplus, s’il y en a. Donc le micro-crédit n’est pas orienté vers les activités marchandes. L’objectif, c’est de créer un groupe d’entraide fermé sur lui-même, qui est auto-suffisant, et s’il y a un surplus, comme un résidu, on va penser à l’existence possible d’un marché. Mais l’objectif n’est pas d’aller vers le marché, vers les autres, l’objectif c’est de s’organiser en ilots indépendants et auto-suffisants. Ainsi il a une préférence pour des familles pas trop larges, qui minimiseront leurs dépenses. Donc pas beaucoup d’investissement, pas beaucoup de consommation. De la pauvreté par conséquent. Parce que la richesse et de meilleures conditions de vie, viennent précisément avec l’usage de biens et services, durables ou non durables. On peut discuter, mais il veut combattre la pauvreté, et déjà au départ il l’accepte comme condition qui doit perdurer — c’est ça qu’il dit quand il dit qu’on doit minimiser les dépenses. Enfin, il faut rester en vie, pauvre, aussi longtemps que possible. Il faut se maintenir en bonne santé.

Il a une préférence pour la pauvreté, l’environnement, les enfants. Alors, un point fort important, qui m’a beaucoup choqué, d’une certaine manière, c’est qu’il rejette, c’est un peu une révolution, le système de la dot. Dans certains pays de l’Asie, l’héritage entre familles se transmet uniquement par les hommes. Et historiquement s’est développé un système de protection privée du sort des femmes, qui est la dot. Et dans ces pays, la dot c’est une épargne qui est constituée par les parents de la femme, qui reste propriété de la femme quand elle se marie. Et c’est un système de protection contre le divorce, c’est un système de protection contre un mari qui ne dépenserait pas suffisamment dans l’éducation de ses enfants. Donc ça donne une certaine liberté de la femme, dans l’économie familiale. Et Yunus est contre ce système. Il y a une raison, j’ai regardé sur internet, apparemment il y a eu des cas d’abus importants où la famille du mari est même allée jusqu’à tuer l’épouse pour récupérer la dot. Mais bon, des vols il y en a partout, il ne faut pas éliminer l’épargne dans la famille parce que quelqu’un a volé l’épargne d’une famille. Il faut voir l’utilité sociale de la dot, qui consiste en réalité à épargner, et donc à transmettre un capital, à l’entretenir. Donc c’est vraiment choquant, pour quelqu’un qui est contre la pauvreté, de ne pas soutenir ce système.

Il est pour la mise en place de grandes œuvres, mais collectivement. Il ne dit même pas together, mais collectively. Donc c’est un système collectiviste qui détache la femme de sa famille, de ses valeurs traditionnelles.

Derrière, soi-disant, cela donnerait du pouvoir aux femmes. Mais la littérature même du micro-crédit remet cela en question, en soulignant certains points. D’abord, que le travail féminin dans ces collectivités, est détourné d’autres activités qui pourraient être tout aussi appréciées, des activités qui pourraient être marchandes ou dans la famille. Cela augmenterait statistiquement les conflits dans la famille, parce que la femme n’est plus présente dans la famille, ne s’occupe plus de la famille. Parfois il faut perdre des heures pour aller à ces réunions, et statistiquement les conflits au sein de la famille augmentent. Après, certaines études sur des cas particuliers dans certains villages montrent que si la femme commence à avoir un revenu potable, les hommes arrêtent de travailler, que les hommes commencent à utiliser les revenus, qu’ils décident de la distribution des revenus, donc en fait toutes les études sur cette question du pouvoir que cela donnerait aux femmes, de l’émancipation des femmes dans ces sociétés, concluent à des résultats pas concluants du tout, et même dans certains cas tout le contraire de ce qui a été espéré.

Alors pour conclure, le micro-crédit est juste un outil, et ne peut pas être une solution à la pauvreté. Ni indépendante ni permanente. Il est clair que le micro-crédit peut alléger la condition de certains, pendant un temps. Il faut se poser la question, pourquoi ces gens là acceptent le micro-crédit, depuis 20 ans, alors qu’il y a quand même des rapports sur leur surendettement, et ainsi de suite ? C’est une piste indiquée par les effets de redistribution de Cantillon, qu’il faut examiner. Il faut voir pourquoi les coopératives sont apparues à la fin du XIXe siècle en Europe occidentale. J’ai un petit peu l’impression que les banques commerciales qui étaient là servaient à financer les grands projets de la bourgeoisie montante, et les derniers à recevoir les injections monétaires, les gens dans les villages, s’appauvrissaient de fait. Et je pense donc qu’il faut voir dans le micro-crédit une réaction de la population rurale contre l’inflation généralisée dans ces pays en voie de développement, et c’était leur outil, en fin de compte, de participer à l’inflation montante, pour diminuer de fait leur état de pauvreté, le fait qu’ils se faisaient exploiter par les centres industriels qui apparaissaient, qui eux avaient recours à tous les crédits. Donc c’est un moyen de redistribuer des revenus, de rééquilibrer un petit peu les effets de redistribution de l’inflation généralisée, mais rien de plus. La littérature en réalité souligne le problème de cette rareté invisible, qui est le point central pour les Autrichiens. Cette étude de 2008 se base sur l’exemple des deux sœurs et de la vache unique. C’est très autrichien. Ils disent il y a deux sœurs, et la sœur qui n’a pas la vache obtient le micro-crédit. Donc elle peut racheter la vache à l’autre sœur. Est-ce qu’il y a plus de lait dans l’économie, est-ce qu’il y a plus de vaches ? non. Eh bien, c’est un petit peu ça le micro-crédit.

Voilà, je vous remercie.

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