Œuvres de Turgot – 048 – La corvée des chemins

48. — LA CORVÉE DES CHEMINS[1].

1. — Exemptions à accorder aux habitants de Limoges.

Lettre à Trudaine lui demandant des instructions.

[Vignon, Études historiques sur l’administration des travaux publics, III, 57. Extrait.]

Limoges, 15 décembre.

M., permettez-moi de vous consulter sur quelques doutes relativement aux corvées et aux exemptions qui doivent être accordées à certains lieux. Je trouve dans ma généralité plusieurs villes qui y sont assujetties et d’autres qui en sont exemptes, sans que je sache pourquoi, ni quels sont à cet égard les principes de la jurisprudence du Conseil. C’est pour connaître ces principes que j’ai recours à vos lumières.

L’exemption des corvées est-elle une suite nécessaire de l’exemption de taille, en sorte que toute ville exempte de taille, et dont l’imposition se lève sous le titre de subsistance ou subvention doive être exempte de corvée ? Parmi les villes taillables, n’y a-t-il aucune distinction à faire des capitales de province, des villes épiscopales, de celles où il y a présidial ou élections ?

La ville de Limoges est taillable et n’est point assujettie aux corvées. La ville d’Angoulême y avait été assujettie par une Ordonnance de M. de la Millière : elle y forma opposition devant M. de Marcheval et se fonda sur ses anciens privilèges accordés par Charles V et confirmés depuis par les Rois ses successeurs. Ces privilèges consistent dans l’exemption de toutes tailles et impôts et dans un droit de corvée que la ville exerce sur les paroisses de la campagne à deux lieues aux environs…

D’après les titres que cette ville produisit, M. de Marcheval déchargea ses habitants de la corvée. Son ordonnance ne pourrait être détruite que par la tierce opposition ou par l’appel au Conseil de la part de quelqu’une des communautés de la banlieue. Mais je n’ai nulle envie d’assujettir à la corvée les habitants d’une ville considérable, dont le mécontentement pourrait avoir des suites par la facilité qu’ils auraient à exciter la réclamation des Compagnies[2]. Ce que je désirerais beaucoup, ce serait, en cas qu’on ne put porter d’atteinte à leur droit de corvée ou qu’il fut prudent de remettre à un autre temps à l’attaquer, de me servir de la crainte où serait la ville d’être assujettie aux corvées, pour l’engager à composer avec moi et à ne faire aucun exercice de ce droit pendant tout le temps que les paroisses qui y sont sujettes pourront être occupées aux travaux de la grande route, ce qui n’ira certainement pas à deux ans. Avant de m’ouvrir avec le maire sur cette idée, je serais bien aise de savoir ce que vous pensez sur l’exemption de corvée accordée à la ville, et je vous serai infiniment obligé de vouloir bien m’envoyer votre réponse aux questions que je prends la liberté de vous adresser sur toute cette matière.

II. — Projet de suppression de la corvée.

Lettre à Trudaine lui soumettant un premier projet.

[Vignon, III, 58 ; extrait.]

Limoges, 15 décembre.

M, je me fais un devoir de vous rendre compte d’un plan que j’ai imaginé relativement au travail des corvées dans ma généralité, et sur lequel, comme sur toute autre chose, je serais infiniment flatté d’obtenir votre approbation.

Je sais que vous ne vous êtes jamais porté qu’à regret à charger le peuple d’un fardeau aussi pesant que celui des corvées, et je vous ai entendu dire que vous auriez préféré la voie d’une imposition dont le produit aurait servi à payer les travailleurs, sans la crainte trop bien fondée que les besoins de l’État n’engageassent à divertir ses fonds, et qu’ainsi le peuple ne fût chargé d’un impôt perpétuel sans jamais profiter de l’avantage qu’il doit attendre de la confection des chemins.

Je crois avoir trouvé un moyen d’alléger presque entièrement le fardeau de la corvée en payant tous ceux qui y sont employés à proportion de leur travail, et cela, sans aucune imposition sur la province ; au moyen de quoi, il n’y aura point à craindre que les fonds en soient jamais divertis à d’autres objets. Voici mon plan :

[Ce plan dont on trouvera un exposé détaillé plus loin dans une lettre à Trudaine, consistait : 1° à accorder aux corvoyeurs, à proportion du nombre de journées, des diminutions d’impôts, dans la forme des diminutions pour la grêle ;

2° à décharger la paroisse de la somme des diminutions accordées à ses habitants ;

3° à répartir l’ensemble des diminutions sur toutes les paroisses de la Généralité.

Les journées d’homme devaient être arbitrées à 7 sols en été et 5 sols en hiver ; celles d’une voiture à deux bœufs, à 40 et 30 sols. Il aurait été alloué aux syndics, pour surveiller le travail, des gratifications de 20 à 60 livres au lieu de 6 livres.]

Par les calculs que j’ai faits, je compte pouvoir employer chaque année 90 000 journées d’hommes ou 10 000 à neuf jours chacun, avec un nombre de voitures proportionné. C’est moins qu’on n’en a employé lorsque le travail des corvées était poussé avec vivacité ; mais, comme les travailleurs, soutenus par la gratification journalière et animés par une espérance plus forte, seront plus exacts et plus laborieux, je ne doute pas qu’ils ne fassent beaucoup plus d’ouvrage en moins de temps…

Je me flatte de pouvoir ainsi, malgré la guerre, achever en peu d’années toutes les routes commencées dans la Généralité.

Je crois mon idée avantageuse, mais j’en serais bien plus sûr si vous en jugiez comme moi, et je vous serais vraiment obligé si vous vouliez bien m’apprendre ce que vous en penserez.

Note sur l’état des travaux publics dans la généralité.

[A. L., autographe.]

PONTS ET CHAUSSÉES.

La caisse générale est de 3 600 000 l. La Généralité paye 120 000 l. pour les Ponts et chaussées ; cette somme est portée à la caisse générale. M. Trudaine en fait la distribution suivant les besoins des provinces. La Province est sur l’état pour 60 000 l. par an, laquelle était exactement payée avant M. de Silhouette. Depuis, on porte au Trésor royal la moitié de la caisse générale[3]. Il ne reste en tout que 1 800 000 l. et la Province n’a plus que 30 000 l. Dans ces circonstances, il est presque impossible d’entreprendre d’ouvrages d’art, attendu que les appointements d’employés, frais de corvées et entretien d’outils absorbent la plus grande partie de cette somme.

Cependant, il y a des parties d’une nécessité absolument urgente, entre autres, le Pont des Malades, près d’Uzerche, et le chemin bas auprès d’Angoulême.

ROUTES.

Toutes les routes de la Généralité sont ouvertes sur 48 pieds d’ouverture, 6 pieds de fossé de chaque côté, et derrière on réserve une banquette pour les arbres. Les arbres ne sont plantés encore qu’en très peu d’endroits.

1° De Paris à Bordeaux par Angoulême, la plus intéressante de toutes et la plus avancée. Tous les ouvrages d’art faits, à l’exception des ponceaux du tour de la ville.

2° La traverse de Lyon à Limoges, ouverte en 1758, poussée faiblement à cause des circonstances.

3° De Paris à Toulouse, par Limoges, traversant la Généralité pendant 50 lieues. La poste est établie sur les trois routes ci-dessus ; sur la première et la troisième, pour toutes sortes de voitures et, sur la seconde, pour des bidets seulement.

4° De Limoges à Bordeaux. La poste y est établie pour toutes sortes de voitures.

5° De Limoges à Angoulême, ouverte dans toute sa longueur sur 60 pieds de largeur[4]. Point de poste ; on veut y établir une messagerie ; M. de Ml[5] s’y oppose, parce que cela gênerait le commerce. Cette route a été totalement négligée depuis M. de Tourny. Il est indispensable d’y travailler tout à l’heure. Tous les endroits de la route auxquels il est indispensable de travailler sont garnis de matériaux.

6° De Limoges à Poitiers, ouverte, mais en mauvais état. Il faudrait s’entendre avec M. l’Intendant de Poitiers pour y travailler de concert.

Plus, une multitude de routes de troupes.

Il serait à souhaiter qu’on pût engager les bureaux de la guerre à faire passer les troupes sur les routes publiques. Mais il faudrait s’entendre avec les Intendants circonvoisins, afin qu’ils fissent retomber les troupes dans les routes convenues.

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[1] Voir ci-dessus, p. 32.

[2] Les Parlements et autres Cours.

[3] C’est ce qui arrivait inévitablement pour les budgets spéciaux ou caisses particulières, ainsi que l’indique la lettre ci-dessus. Le trésor s’emparait des ressources et les appliquait aux besoins généraux.

[4] Largeur fixée par l’Arrêt du 5 mai 1720 pour les grands chemins royaux.

[5] De Marcheval.

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