Oeuvres de Turgot – 082 – Lettres à Du Pont de Nemours

82. — LETTRES A DU PONT DE NEMOURS.

VI. (Le concours sur l’impôt indirect. — La paresse de Turgot. — L’amitié. — Le Journal de l’Agriculture, etc. — La concurrence ; la liberté du commerce et de l’industrie. — La classe stérile et les commerçants. — Quesnay et Gournay. — Les encouragements à l’industrie. — La balance du commerce. — Les colonies anglaises. — La paix. — Les nomenclatures par lettres. — Le prix du pain. — L’intérêt de l’argent. — Les deuils de Cour. — Définition de la nation. — Mémoire sur l’impôt anticipé. — Boisbedeuil des Essarts et la Philosophie rurale.)

Limoges, 20 février.

Oui, certes, je suis fâché contre vous, mais c’est de ce que vous m’avez, dites-vous, cru fâché. Où diable avez-vous pu, mon cher Du Pont, prendre une pareille idée ? Il est vrai que je ne vous ai pas plus écrit que vous ne m’avez écrit et que vous n’avez pas reçu directement le programme de l’impôt indirect[1], mais sur ce dernier article, je n’ai nul tort, car il vous a été envoyé avec une lettre du Secrétaire de notre société[2]. Je comptais qu’il serait dans votre Journal[3] où je l’aurais mieux aimé que dans votre Gazette. J’imagine que le secrétaire a oublié le moyen que je lui avais donné d’affranchir le port et qu’ainsi le paquet ne vous sera pas parvenu.

Je crains qu’il n’en soit arrivé autant au Mercure, au Journal de Verdun et au Journal Encyclopédique. Je vous prie d’y suppléer au moyen de quelques-uns des exemplaires que je vous envoie, mais il est inutile d’en envoyer à d’autres journaux. Cela aurait l’air de chercher l’éclat, et la prudence de M. de Sauvigny[4] en serait scandalisée. Il a eu celle de garder les exemplaires qui avaient été adressés sous son couvert à la Société d’Agriculture de Paris, parce que ces matières sortent de la sphère à laquelle la compétence de ces sociétés a été circonscrite par les arrêts de leur établissement qui leur interdisent tout ce qui a trait à l’administration. Ce programme est d’ailleurs une infraction à la Déclaration du 28 mars 1764 qui défend d’écrire sur les finances[5]. Ne trouvez-vous pas cette balourdise plaisante?

Quant à mon silence, il faut d’abord que vous me connaissiez pour un homme très paresseux, et 2° pour un homme très occupé.

Vous avez su la triste besogne qui a consumé tout mon temps pendant le séjour que j’ai fait à Paris l’été dernier[6]. Il en a résulté que toutes mes autres affaires ont été fort arriérées ; en arrivant, il a fallu passer deux mois en voyage pour mon département, ensuite expédier le plus pressé ; à la suite de tout cela est venue une attaque de goutte, et maintenant une malheureuse milice[7] qui va m’occuper tout entier avec la cruelle certitude que tout mon travail ne pourra presque point adoucir l’horreur que ce fléau répand dans les campagnes. Comme on est loin encore de connaître les principes, et de l’ordre naturel, et du droit naturel, et des richesses, et de la puissance des États ! Après cela, veillez bons citoyens, mordez vos doigts, ramez comme corsaires !

Une raison plus forte encore de mon silence, c’est que j’avais trop de choses à vous dire ; il me fallait avoir bien du temps devant moi pour mettre la main à la plume et sans le reproche que vous m’avez fait, j’aurais encore attendu quelque temps. Je doute fort aujourd’hui que je puisse vous dire la centième partie de ce que j’avais emmagasiné dans ma tête, mais il faut avant tout vous parler de vous. Savez-vous que vous faites injure à vos amis en ne leur parlant que de choses spéculatoires. Ce n’est point par ces rameaux extérieurs, j’ai presque dit parasites, que les âmes s’entretiennent et que les hommes s’attachent les uns aux autres. C’est par les choses qui affectent le cœur, par les choses qui font le bonheur et le malheur, que les hommes se reconnaissent les uns les autres pour hommes et pour frères.

C’est à ce titre que je partagerai avec une joie bien sincère tout ce qui pourra vous arriver d’heureux et qu’en me dépouillant de mon propre intérêt, je me réjouis de ce que vous avec trouvé un théâtre plus grand, plus digne de vos talents, plus fait pour vous conduire à la fortune et à la gloire, enfin, où vous serez plus utile que vous n’auriez pu l’être dans notre Limousin. Je me réjouis surtout du bonheur que vous avez trouvé dans une union[8] qui devrait bien être une source générale de bonheur pour l’humanité si la fausse sagesse des hommes n’avait pas su l’empoisonner, mais la manie réglementaire qui s’en est aussi emparée n’a pas mieux atteint son but que dans les autres parties dont elle s’est mêlée, elle a produit les mariages forcés, les divorces, les couvents, les …, comme dans un autre genre elle a produit les disettes et les non-valeurs ; apparemment que vous avez suivi votre goût et c’est déjà un grand bien ; si, avant de vous y livrer entièrement, vous vous êtes donné le temps de la réflexion et de l’examen, c’est encore un très grand bien et, si la douceur et la raison, cette raison de tous les instants sans laquelle l’égoïsme vient corrompre tout et changer l’amitié et l’amour en dégoût et en aversion, si cette raison se soutient des deux côtés, ce sera le bien suprême ; je vous le désire de tout mon coeur.

Parlons maintenant de choses plus générales.

Vous me demandez si je suis content de votre Journal[9] et de vous. Vous ne me faites pas cette question de bonne foi et vous savez bien d’avance quelle sera ma réponse. Oui assurément, j’en suis content et plus que je n’avais osé l’espérer. Je n’aurai pas cru que la science économique eût assez germé depuis peu de temps, pour vous fournir un aussi grand nombre d’athlètes.

Je suis surtout content de presque toutes vos notes[10]. Il y a pourtant bien des petits articles sur lesquels j’aurais des réflexions à vous faire ; il n’y a pas de journal qui ne me fournit pas la matière de vingt ou trente pages de notes.

Quelquefois, je trouve que vous ne donnez pas assez d’étendue  à vos principes, que toujours guidés par la marche qu’a suivie notre Docteur[11], toujours appuyés sur la base de l’analyse profonde qu’il a le premier faite de la formation, de la circulation, de la reproduction du revenu, vous ne vous servez pas assez du principe moins abstrait, mais peut-être plus lumineux, plus fécond ou du moins plus tranchant par sa simplicité et par sa généralité sans exception : le principe de la concurrence et de la liberté du commerce, conséquence immédiate du droit de propriété et de la faculté exclusive qu’a chaque individu de connaître ses intérêts mieux que tout autre. Ce seul principe avait conduit M. de Gournay[12], parti du comptoir, à tous les mêmes résultats pratiques auquel est arrivé notre Docteur, en partant de la charrue. Je me ferai honneur toute ma vie d’avoir été le disciple de l’un et de l’autre et la mémoire de celui que j’ai perdu me sera toujours chère, comme celle d’un ami tendre et d’un citoyen enflammé de l’amour du bien public. Je vous vois, faute d’avoir développé l’ensemble des conséquences de ces deux principes et de les avoir fait marcher de front, tourner, comme on dit, autour du pot sur bien des questions. Vous hésitez sur l’article du prix du pain, vous proposez une réforme des tarifs[13] et vous n’allez pas à la racine, à l’abus d’avoir des communautés de boulangers, des statuts, de taxer les denrées comestibles dans toutes les villes du Royaume. Vous êtes si occupés de votre humeur contre l’industrie ; vous vous amusez si fort à lui prouver qu’elle est stérile (question qui n’en est une que par un malentendu, parce qu’elle a été présentée de manière à piquer la vanité des gens industrieux, tandis que bien entendue, elle ne leur présente que des avantages), que vous oubliez de frapper sur toutes les misérables entraves de toute espèce qui enchaînent cette industrie dans toutes ses branches : monopole des communautés, apprentissages, compagnonnages, statuts, règlements des manufactures, bureaux de marque, inspecteurs ; toutes ces iniques et risibles institutions, sur lesquelles M. de Gournay avait fait main basse, se répandent impunément dans toutes vos gazettes où d’imbéciles inspecteurs imputent la chute du commerce à l’inobservation des règlements[14]. Vous êtes les protecteurs de l’industrie et du commerce et vous avez la maladresse d’en paraître les ennemis. Cette pauvre classe stipendiée[15], à laquelle il vous a plu de donner le nom de stérile, parce qu’elle ne produit point de revenu et parce que les valeurs qu’elle produit, étant affectées en entier à la rentrée de ses avances et à la subsistance de ses agents, ne sont ni cessibles, ni disponibles, cette classe et les honnêtes gens qui la composent, croyant qu’on leur dispute l’honneur d’être des citoyens utiles, s’indignent de cet abaissement injurieux et se tueront à prouver qu’ils sont très productifs et que, par conséquent, on a raison de les imposer à la capitation, au compoids cabaliste[16] et au vingtième d’industrie ; ils vous veulent un mal infini des efforts que vous faites pour les affranchir de tous ces honneurs. Voilà ce que c’est que de ne pas s’expliquer et de choisir mal ses termes. Ce n’est pas tout d’avoir raison, il faut être poli. Vous dîtes encore assez mal à propos des injures au commerce et aux commerçants parce qu’au lieu de les diviser en commerçants éclairés qui ne désirent que la liberté et qui, comme vous le dites très bien dans une de vos notes, sont le lien des nations et les médiateurs de la paix universelle, d’avec les petits commerçants ignorants, avides, concentrés dans la très petite sphère de leurs très petits intérêts, très mal entendus, qui sollicitent des monopoles, des privilèges exclusifs, qui craignent la concurrence des étrangers, etc. Vous attribuez aux commerçants en général, ce qui ne convient qu’aux rouliers d’Orléans et aux marchands de chair humaine de Nantes.

D’autres fois, je trouve que vous outrez les conséquences de vos principes, parce que vous n’envisagez pas les questions sous un assez grand nombres de faces. Par exemple, vous critiquez le désir de naturaliser les productions et les fabriques étrangères : c’est, dit M. K[17] (p. 9, journal de Décembre), prendre le parti  de vendre à l’étranger pour la même somme qu’on cesse de lui acheter ; il faut donc bien réfléchir avant de se déterminer. Cet auteur oublie ou ignore que l’État n’a aucune réflexion à faire sur les effets d’aucune branche du commerce. L’activité générale et l’usage de tous les bras les plus lucratifs est son seul intérêt ; il ne lui importe en aucune manière qu’on vende une chose ou une autre. Mais il lui importe qu’on fasse chez lui tout ce qu’on y peut faire avec profit, non dans la vue fausse et puérile de gagner sur l’étranger, mais parce que plus on rapprochera la production de la consommation, plus on diminuera, au profit de celui qui produit et de celui qui dépense, ce que prennent sur l’un et sur l’autre les entremetteurs et les voituriers intermédiaires. En général, il faut qu’un grand État ait de tout, à l’exception de ce que le climat lui refuse, et un grand État a toujours de tout quand une mauvaise législation ne s’y oppose pas. Dire qu’il est à présumer que toute industrie qui n’existe pas dans un État n’y est pas avantageuse, c’est ignorer à quel point l’ignorance et la routine conduisent les hommes. Le temps, à la vérité, avec la seule suppression des obstacles, ramènera le niveau de l’industrie et du commerce, naturalisera partout toute industrie et réduira le commerce à n’être que l’échange des choses propres à chaque climat et qu’elle a refusée aux autres. Mais il est bon de hâter ce moment par l’instruction et quelquefois par de légers secours, pourvu qu’ils soient momentanés, appliqués avec discernement, qu’ils n’entraînent aucune préférence décourageante, surtout pourvu qu’il ne soit question, ni de ces privilèges exclusifs odieux, ni de ces barrières fiscales, de ces prétendues combinaisons de droits d’entrée ou de sortie par lesquels on a prétendu changer les commis des douanes en protecteurs du commerce et les financiers en citoyens. Mais pensez-vous donc qu’après que le métier à faire des bas a été établi en Angleterre et a donné un avantage aux ouvriers de ce genre qui a dérangé à cet égard le niveau entre les deux nations, ce n’ait pas été une chose très sage au gouvernement de la France de faire acheter en Angleterre un métier de cette espèce et d’en avoir naturalisé l’usage ? Il y a mille exemples de cette nature. Tous les jours, l’industrie multiplie ses ressources ; on invente, on simplifie, on diminue les frais ; le gouvernement fait très bien d’accélérer les progrès de la lumière et de protéger ceux qui inventent, et ceux qui répandent les inventions des autres nations. C’est une puérilité d’être jaloux de sa prétendue industrie nationale et de la vouloir cacher aux étrangers, mais il est sage de chercher à rompre la barrière que veut élever la jalousie mal entendue de nos voisins.

Je sais bien que tous les achats et les ventes sont toujours au pair à la longue ; mais prenez-y garde, cette proposition évidente dans le principe est susceptible dans le fait de limitations. Tout tend au niveau, mais rien n’y est, pas même la mer. Malgré la liberté des communications, dans l’état actuel, il y a des nations qui s’enrichissent et d’autres qui s’appauvrissent, des nations qui achètent plus qu’elles ne vendent et qui voient par là diminuer leur revenu ; il est vrai que cela ne peut arriver quand la marche de la reproduction du revenu territorial n’est point dérangée, il est vrai encore que ce dérangement de niveau a son maximum et que, par une espèce d’oscillations nécessaires, l’élévation forcée au-dessus du niveau produit, dans la nation qui en a profité, un reflux qui la remet quelquefois au-dessous ; mais il en résulte toujours que, jusqu’à ce que la marche de toutes ces causes compliquées ait été démêlée d’une manière bien nette, il y aura toujours de quoi donner, aux gens qui voudront disputer, des armes pour combattre nos principes et pour les faire paraître des paradoxes. Il en résulte aussi qu’il est très facile de s’écarter, dans le développement des conséquences, de la rigueur logique, de les outrer sans s’en apercevoir et de prêter le flanc à ses adversaires.

Une autre chose qui prolonge et surtout qui aigrit les disputes, c’est la petite attention de discuter avec une logique minutieuse les phrases incidentes de son adversaire en les interprétant, non d’après les suppositions tacites que fait cet adversaire, mais d’après les propres principes de l’interprète et dans la rigueur grammaticale. C’est le moyen de disputer sans s’entendre et de parler beaucoup, en parlant comme on dit à son bonnet, chose qui arrive à des esprits très profonds, mais qui, creusant leurs propres idées avec l’opiniâtreté du génie, ne se sont pas accoutumés de bonne heure à démêler le fil des idées des autres, à les deviner, à chercher la notion précise sous l’expression qui la masque ou parce qu’elle est confuse ou seulement parce qu’elle diffère de la leur. Cet art d’expliquer ses adversaires par eux-mêmes et de démêler les suppositions tacites qui président quelquefois à leur insu à leurs raisonnements et à l’énonciation de leurs propositions est l’art d’abréger les disputes et de dénouer les subtilités de la dialectique en ramenant toujours au vrai point de la question.

Pour vous donner un exemple qui rende mon idée sensible, vous vous êtes voués aux cinq sens de nature pour trouver un sens à une proposition avancée par le très aigre adversaire de M. du Buc[18] (p. 5 au journal de Janvier) ; cette proposition cependant est très claire, et il est impossible de s’y tromper pour peu qu’on fasse attention à la supposition tacite que font également ces deux messieurs et que font aussi presque tous les écrivains, qui, en Angleterre et en France ont agité cette question. Cette supposition n’est autre que le préjugé général que le profit de commerce de nation à nation s’évalue par une balance en argent ou en valeurs représentatives de l’argent. En se bornant à ce point de vue, il est, en effet, évident que l’État ne perd ni ne gagne dans les marchés de particulier à particulier : c’est-à-dire qu’un écu, en passant de la poche de Jacques dans celle de Pierre, citoyens d’un même état, reste toujours dans l’État. Il est très vrai que l’auteur n’a pas voulu dire autre chose que cette trivialité ; il n’a certainement pensé à aucun des développements que vous faites dans vos notes et qui sont tous relatifs à un enchaînement d’idées très vraies, mais totalement étrangères à la supposition tacite qu’il avait dans la tête. Attaquez directement cette supposition et vous détruirez par la racine, et son mémoire, et celui de son adversaire, et ceux de tous les écrivains qui déraisonnent depuis six mois en Angleterre sur cette question, sans qu’on ait seulement soupçonné le moins du monde le seul principe qui peut la décider. Vous n’avez pas même encore tranché le mot dans votre journal, mais cela viendra. Du Buc m’a déjà pris pour un fou, quand je me suis avisé de lui en parler et vous exciterez de beaux cris, mais les Anglais vont vous donner beau jeu et leurs colonies pourront bien décider la question par les faits. Appliquez toujours vos principes à leurs sottises ; elles ressemblent si bien aux nôtres que la leçon ne sera pas perdue pour le public : je serais bien tenté de me mêler de cette dispute, mais il faudrait du temps et j’en manque.

J’aurais apprécié la véritable valeur des colonies pour une nation et je l’aurais réduite à l’avantage d’étendre sa langue dans un plus grand espace. Analysez bien, et vous verrez qu’il n’y a exactement pas autre chose, et cette conclusion me paraît assez plaisante.

Je ne sais si en débitant vos benoîts principes sur la fraternité des nations, vous savez où ils vont. En tous cas, il est bon que bien des gens l’ignorent et laissent à l’évidence le temps de se bien ancrer dans les esprits. On n’aura donc plus le plus léger prétexte pour faire la guerre ; et si la guerre n’est qu’une atrocité sans objet, que deviendront les gens qui s’amusent à jouer à ces espèces d’échecs et qui font tuer les hommes, pour tuer le temps ? Oh ! Voilà de dangereux principes.

J’aurais fort voulu vous envoyer un ou deux petits morceaux pour grossir le nombre de vos correspondants et mériter ma place dans votre alphabet[19], mais j’imagine qu’il est plein jusqu’au Z. Au train que vous prenez, vous serez bientôt embarrassé de cette nomenclature. J’ai envie de vous suggérer un moyen pour sortir de cet embarras : il est fort simple ; au lieu de commencer un second alphabet en doublant les lettres, pour les tripler ensuite, ce qui multipliera bientôt trop les caractères, que ne prenez-vous le parti, après avoir épuisé l’alphabet de combiner successivement chaque lettre avec tout l’alphabet, AA, AB, AC, etc. ; après quoi, vous passeriez à B. : BA, BB, BC, etc. ; à la fin ZA, ZB, etc. ZZ ? Vous prendriez ensuite les lettres trois à trois, AAA, AAB, AAC, etc., ZAB, ZAC ZAZ.

Quoi qu’il en soit, j’ai commencé un petit morceau sur le prix du pain et une réfutation de M. Nisaque[20] sur l’intérêt de l’argentAmicus Plato, magis amica veritas.

J’attendais pour vous écrire que j’eusse fini ces morceaux : mais, tant de choses sont venues à la traverse qu’il faudrait attendre trop longtemps et vous seriez assez nigaud pour me croire fâché.

J’aurais bien encore de petites observations à vous faire ; par exemple, qu’est-ce qu’une question sur le tort que font les deuils[21] aux fabriques, à laquelle on répond en disant que la consommation de la laine est plus utile que celle de la soie ? Cela s’appelle répondre un peu à côté de la question, car le dérangement que causent les deuils est très étranger à l’espèce de matière consommée en noir ou en couleur. Ce dérangement, très réel et très fâcheux, consiste dans le dérangement de toutes les spéculations des fabriques qui, n’ayant pas compté sur un deuil, avaient travaillé pour fournir à la consommation ordinaire qui manque tout à coup. De là, une suspension totale de la rentrée de leurs avances, l’impossibilité de satisfaire aux paiements, les banqueroutes, la perte d’une partie des capitaux ou, si vous le voulez, des avances de l’industrie qu’il faut toujours retrouver ensuite dans la masse générale des capitaux de la nation. En un mot, le dérangement que causent les deuils vient principalement de ce que c’est un changement subit et imprévu dans la marche ordinaire des consommations et, sous ce point de vue, le tort que font les deuils aux manufactures ne saurait être douteux.

Je veux encore vous donner ma définition de nation, parce que vous paraissez porté à confondre l’idée de nation avec celle d’État. Or, j’aime beaucoup qu’en formant la nomenclature d’une science nouvelle, on ne dérange pas celle qui est adoptée dans la langue générale, car ce petit dérangement qui semble peu important donne lieu : d’abord à mille disputes de mots, 2° tend mal à propos à changer le sens reçu des expressions, à dénaturer la langue et à jeter l’obscurité dans les lectures en présentant le même mot sous différents sens, dans des ouvrages différents également estimables. J’appelle donc, avec tout le monde, une nation : une collection de familles et de peuples parlant la même langue. Ainsi, les Athéniens, les Spartiates, les Marseillais, les Macédoniens étaient Grecs ; les Livoniens sont Allemands, même sans être de l’Empire ; les Brandebourgeois, les Saxons, les Autrichiens sont Allemands ; les Génois, les Suisses du pays de Vaud sont Français. Les Pensylvains sont Anglais et le seront toujours, quand même la colonie se séparerait de la métropole, comme un Toscan et un Napolitain sont également Italiens. Le peuple romain faisait la guerre aux Véiens et aux Volsques, mais les Volsques et les Véien occupaient comme les Romains, des cités latines. Un peuple est un assemblage de familles réunies dans un même état ; un état est ce qu’on appelait autrefois une cité, un peuple renfermé dans un territoire et réuni sous un seul gouvernement. Je ne vous donne pas ces définitions comme arbitraires, mais comme fondées sur l’usage général, comme faisant partie du dictionnaire de la langue et j’ai trouvé que vous y manquiez quelquefois en adoptant le mot de nation à la place de celui d’état.

Il faut finir. Il faut pourtant vous parler encore du Mémoire sur l’impôt anticipé que je vous renvoie. Ce mémoire est très bon et très démonstratif pour son objet, mais il n’embrasse qu’un cas particulier de la grande question de l’impôt indirect et quand on a trouvé quelque obscurité à la proposition que l’impôt indirect retombe au double sur le revenu[22], on n’a jamais parlé que de l’impôt indirect invariable et établi depuis longtemps ; on a encore mis de côté les atteintes donnés par l’impôt indirect à la liberté, l’immensité des frais de régie, le gaspillage d’hommes, la contrebande, etc., car sur tous ces objets, il ne peut y avoir de doute, et par exemple, l’abbé Morellet, dans sa dispute, conviendra de tout cela, ainsi que des principes de l’impôt anticipé. Je vous renvoie ce Mémoire et je serais très aise que mon petit Programme donne lieu à l’éclaircissement de la question prise dans sa généralité. Je suis fort aise de savoir que nous aurons d’autres bons athlètes que ceux que vous m’annoncez. Pour moi, ce n’est pas mon affaire. Le résultat pratique est tout décidé pour moi et ce n’est pas une petite besogne que celle que je me suis imposée de développer la marche qu’il faut suivre dans l’exécution pour vaincre les difficultés qui naissent de la nature des choses, les difficultés mille fois plus grandes qui naissent des établissements positifs et des points donnés auxquels on sera forcé de s’aligner malgré qu’on en ait. Il est toujours très nécessaire que le public s’éclaire ; c’est le seul moyen de lever les oppositions qui naîtront de tous côtés de l’intérêt mal entendu.

Je joins à cette lettre un travail assez étendu de M. de Boisdebeuil des Essarts, un de mes subdélégués, à qui j’ai donné la Philosophie rurale[23] à étudier et le seul qui soit en état de l’entendre. Vous verrez, par ses observations, qu’il résiste sur beaucoup de points, mais il mérite d’être éclairé. Je le livre au Docteur et à vous, non pour le balloter dans votre Journal, mais pour dissiper peu à peu ses doutes et en faire un bon prosélyte. Si j’étais à portée de causer avec lui, sa conversion serait bien avancée, mais il demeure trop loin de Limoges et je n’ai pas le temps de suivre cette correspondance dans le détail qu’exige toute dispute. Pour Montucla[24] il est toujours à Grenoble avec sa femme et ne me rejoindra qu’à Paris. Mais il étudie à force et il est ivre d’enthousiasme. Il voit déjà tous les hommes frères et bons amis.

Je vous envoie aussi une lettre pour le Patriarche[25] avec quelques exemplaires du Programme. C’est un hommage qui lui est bien dû.

Est-ce tout ? Non. Voici encore un tome du Journal que vous m’aviez donné en supplément et que je vous renvoie parce que j’ai celui que je croyais avoir perdu.

Adieu, mon cher Du Pont, je vous embrasse et vous souhaite continuation de bonheur et de succès.

P. S. — N’allez pas imprimer ma lettre, car vous me feriez mettre à la Bastille.

Le livre grossirait trop le paquet, ce sera pour une autre fois.

VII. (Sur la lettre précédente.)

Limoges, 25 mars.

Je vous serais obligé, mon cher Du Pont, de me tirer d’inquiétude sur un très gros paquet que je vous ai adressé, il y a environ un mois, sous l’enveloppe de M. le Contrôleur général, et dans lequel était une très longue lettre de douze pages pour vous et une pour le Docteur, avec des exemplaires du Programme et le Mémoire sur l’impôt anticipé. Je vous faisais dans la lettre mon compliment sur votre mariage, et je raisonnais d’ailleurs avec vous assez franchement sur les objets qui vous occupent. Je serais fâché que mes raisonnements fussent tombés dans des mains profanes et vous me ferez grand plaisir de m’en accuser la réception. Je vous adresse celle-ci chez M. votre père, ne voulant pas risquer encore qu’elle se perde.

Je ne raisonnerai pas aujourd’hui avec vous. Je suis tout entier à la belle opération des milices. Quand cela sera fini, je m’acheminerai vers la bonne ville[26] et j’espère avoir le plaisir d’y causer quelques fois avec vous.

Vous savez combien vous devez compter sur mes sentiments.

VIII. (Envoi aux Éphémérides du Programme pour le concours sur l’impôt indirect.)

M. Turgot fait mille compliments à M. Du Pont et le prie de faire passer ce Programme à l’auteur des Éphémérides du citoyen[27], après avoir lu les petites intercalations qui peuvent être utiles pour y donner plus de clarté et que, par cette raison, il serait peut-être bon de communiquer à ceux qui ont le projet de concourir aux prix.

Si M. Du Pont veut accepter et proposer à M. Le Trosne[28] un second dîner pour mercredi, M. Turgot lui en sera for obligé.

IX. (Voyage à Versailles.)

Dimanche matin[29].

Je vais à Versailles, mon cher Du Pont ; ainsi, ne venez pas me demander à dîner. Si pourtant vous vouliez être chez moi à neuf heures et demie, je vous mènerais à Versailles et vous ramènerais le soir, mais je ne pourrais pas diner avec vous chez le Docteur[30]. Répondez-moi oui ou non par le porteur.

X. (Renvoi de Du Pont du Journal de l’Agriculture. — Mémoire de Du Pont sur la Corvée. — Prix à l’Académie de Toulouse. — Le concours sur l’impôt indirect. — La statistique du Limousin. — La population. — Les Éphémérides du citoyen. — La grande et la petite culture. — Questions pour deux Chinois. — Les Réflexions sur les richesses.)

Limoges, 9 décembre.

J’ai reçu à Angoulême, mon cher Du Pont, et votre lettre, et votre Mémoire sur la corvée[31], je n’ai pu y répondre sur le champ et j’en suis fâché, car je vous vois un peu comme une âme en peine séparée de son corps[32], lequel de son côté m’a bien l’air de tomber en pourriture et d’engendrer beaucoup de vermine : corruptio unius, generatio alterius. La doctrine de l’immortalité de l’âme est bien consolante et, quoique vous ayez cessé d’informer le Journal du commerce, j’espère que vous n’y perdrez pas tant que lui.

Je m’étais flatté que vous viendriez faire votre purgatoire en Limousin, mais je vous vois bien des projets intermédiaires[33], pendant l’exécution desquels le temps s’écoule et se perd pour moi. Jamais la matière ne vous manquera et, par conséquent, de projets en projets, de brochures en brochures, vous me laisserez de côté. Cependant, je crois que le travail que vous feriez en Limousin ne serait pas moins utile, soit à vous, soit à la chose, que ce que vous ferez à Paris.

Il y aurait quelques changements à faire, selon moi, à ce Mémoire sur la corvée, mais nous ne pourrons en raisonner qu’à Paris.

Le sujet du prix de Toulouse me paraît avoir un grand défaut, celui d’être trop évident et de prêter par conséquent plus à la déclamation qu’à l’éloquence. Il est plus fait pour Thomas[34] que pour vous, qui avez des dents et à qui il faut autre chose que de la bouillie.

J’aurais bien mieux aimé que vous eussiez travaillé sur l’impôt indirect. Jusqu’à présent, nous avons si peu de chose que nous ne pourrons probablement point donner le prix. J’ai grande envie de le remettre, mais je ne sais si notre Société[35] l’osera. Au reste, sur cet objet comme sur bien d’autres, vous n’en travailleriez pas moins bien pour être en Limousin. Je ne vous presse pas cependant pour ce moment-ci par la raison que moi-même je ne dois pas passer l’hiver en province et que je me rendrai au mois de janvier à Paris, mais ce que je voudrais fort, ce serait que vous vous arrangiez pour achever cet hiver l’ouvrage de M. Méliand[36] afin de pouvoir venir avec moi dans la Province au printemps. Le plan de passer alternativement quatre mois en Limousin et quatre mois en Soissonnais me paraît bien peu propre à faire beaucoup de besogne dans l’une, ni dans l’autre province. D’ailleurs, dans cette espèce d’arrangement, il me semble qu’il faut dépendre du ministre[37] qui, peut-être et très probablement, est fort prévenu contre vous; je vous avoue que j’ai toujours compté me décider de moi-même sans demander d’agrément à personne, par la raison que si ma proposition n’était pas agréée, je me trouverais gêné et embarrassé au lieu qu’à présent je suis le maître de faire ce que je voudrai, sans que personne puisse le trouver mauvais Je ne voudrais donc faire aucune proposition, sans être sûr de réussir, après avoir sondé le terrain par M. de Montigny. Tout cela pourra se décider au mois de janvier, sans cependant que je cesse de regarder notre engagement réciproque comme arrêté dès à présent, ceci pour votre plus grand avantage. Si j’avais pu passer ce mois-ci à Limoges les choses n’en auraient été que mieux parce que vous auriez dressé votre plan pour demander des éclaircissements aux subdélégués et autres personnes capables d’en procurer, ce qui n’est pas commun dans ce pays-ci.

Je vous dois un compliment sur votre réponse au défenseur de l’abbé Expilly[38], que j’ai soupçonné M. de la Michodière ; j’ai été bien content de cette girandole par laquelle vous avez terminé votre feu. Il est heureux qu’abandonnant ce champ de bataille, la troupe économique ait pu se rallier sur-le-champ dans un aussi bon poste que celui des Éphémérides.

Adieu, je vous embrasse et vous prie de dire mille choses pour moi au Docteur.

J’ai barbouillé beaucoup de papier depuis que je ne vous ai vu ; indépendamment d’une explication de la grande et de la petite culture que j’avais faite pour un Mémoire sur les impositions du Limousin qui a été donné, j’ai fait des Questions pour les deux Chinois dont je vous ai parlé et, pour en faire voir l’objet et le sens, je les ai fait précéder par une espèce d’esquisse de l’analyse des travaux de la société et de la distribution des richesses. Je n’y ai point voulu d’algèbre et il n’y a du Tableau économique que la partie métaphysique ; encore ai-je laissé bien des questions à l’écart qu’il faudrait traiter pour rendre l’ouvrage complet, mais j’ai traité assez à fond ce qui concerne la formation et la marche des capitaux, l’intérêt de l’argent, etc. ; c’est un canevas.

XI. (La statistique du Limousin.)

12 décembre.

Je vous ai répondu trop tôt, mon cher Du Pont, car j’ai reçu une lettre de M. Méliand qui a rompu la glace vis-à-vis du Contrôleur général et qui me mande que le ministre a trouvé la proposition très bonne et l’a chargé de me la faire ; d’après cela, il n’y a plus de difficulté. Je ne sais si j’aurai le temps, avant le départ du courrier, de répondre à M. Méliand et de lui adresser ma lettre à M. le Contrôleur général, mais je ne veux pas différer à vous dire que, puisque vous ne voulez pas être à moi tout seul, j’aime mieux vous partager que de ne vous point avoir du tout. Je crois pourtant que, quand vous aurez fini à Soissons, il faudra vous attacher en entier au Limousin qui a de quoi vous occuper longtemps, sauf à faire quelques excursions dans les provinces voisines. Il faudra, en conséquence, prendre des arrangements pour vous y faire un meilleur sort. Alors, une chose qui me tient fort à cœur et sur laquelle je préviendrai M. Méliand, c’est que vous puissiez venir avec moi en Limousin au printemps prochain pour commencer à former le plan de l’ouvrage et à demander les éclaircissements nécessaires aux subdélégués, etc., ce qui ne sera pas un petit ouvrage. Ce premier travail fait, vous aurez le temps d’aller travailler en Soissonnais en attendant les réponses et vous me reviendrez l’hiver. Alors, vous pourriez amener Mme Du Pont et vous établir ici pour quelque temps. Adieu, je vous embrasse et ne puis vous en dire davantage, car je suis très pressé. Vous pouvez toujours prévenir M. Méliand que j’adopte sa proposition et que je lui écrirai par le premier courrier en lui envoyant ma lettre à M. de L’Averdy, mais surtout arrangez-vous pour pouvoir venir avec moi au printemps. Avez-vous rempli auprès de M. de Mirabeau[39] la commission dont je vous avais chargée en partant ?

XII. (Sur le même objet, avec lettre au Contrôleur général L’Averdy.)

Limoges, 22 décembre.

Je n’ai pu écrire qu’aujourd’hui à M. de L’Averdy, sur votre affaire, mon cher Du Pont ; j’envoie ma lettre à M. Méliand afin qu’il puisse la remettre lui-même et faire donner sur le champ la décision. Je regarde la chose comme faite et je m’en réjouis bien à tous égards.

J’ai reçu un grand mémoire d’Orléans qui, sans doute, est celui de M. de Saint Péravy[40]. Il est bien le meilleur de tous, mais que cela est loin de la netteté et de la précision qu’il faut mettre dans les sciences démonstratives.

J’hésite beaucoup si je donnerai le prix.

Je crains pour M. Butré[41] qu’un mémoire assez croqué et  légèrement saupoudré d’algèbre qui m’est venu de Tours ne soit de lui. M. de Saint-Péravy est infiniment au-dessus. J’en ai un de Caen, dans les bons principes, mais qui ne sont qu’énoncés. J’ai aussi un plaidoyer[42] pour l’impôt indirect, digne de la cause qu’il soutient. Adieu. Je vous embrasse et vous souhaite une bonne santé en 1766 et en 1767.

XII bis. — À M. de L’Averdy, Contrôleur général.

Limoges, 22 décembre.

M., depuis que je suis dans la généralité de Limoges, j’ai cherché, autant que je l’ai pu, à la connaître et je n’avais pas attendu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire au commencement de 1764 pour rassembler les matériaux que j’ai pu me procurer, dans le dessein de former un tableau exact et détaillé de cette province, qui renfermât tous les objets qui intéressent l’administration et surtout l’état de son agriculture, de son commerce et du rapport de ses revenus aux charges qu’elle supporte, mais quelque désir que j’eusse de mettre promptement la dernière main à ce travail, l’immensité des détails dans lesquels il fallait entrer et le peu de secours que j’ai trouvé dans le pays m’ont bientôt fait sentir qu’à moins de me livrer tout entier à cet objet, ce que le courant des affaires dont je suis chargé ne me permettait pas, il était physiquement impossible que je vinsse à bout de faire, moi seul, un ouvrage dont l’exactitude put me satisfaire et vous être de quelque utilité. J’avais, en conséquence, cherché un homme capable de partager avec moi ce travail et d’en suivre tous les détails, j’avais jeté les yeux sur le sieur Du Pont, jeune homme qui venait de donner des preuves de ses talents par un très bon ouvrage sur l’exportation des grains ; il était convenu de venir avec moi en Limousin aussitôt qu’il aurait fini un travail assez semblable sur la généralité de Soissons qu’il avait commencé sous les ordres de M. Méliand. Dans ce temps-là, vous le chargeâtes de la rédaction du Journal du Commerce. Je fis le sacrifice de mon projet à l’utilité dont ce nouveau travail devait être pour le public et pour le sieur Du Pont. Quand j’ai su que celui-ci avait cessé de travailler au journal, je lui ai écrit pour lui proposer de renouer nos anciennes conventions, mais M. Méliand qui en avait eu connaissance alors, vient de m’écrire qu’il a déjà eu l’honneur de vous proposer d’employer en même temps le sieur Du Pont à continuer l’ouvrage entamé dans la généralité de Soissons et à en commencer un pareil en Limousin, que vous avez agréé cette idée et que vous l’avez chargé de me demander si elle me convenait.

Je ne puis hésiter sur cela le moins du monde, puisque j’avais déjà formé ce projet, il y a bien longtemps, et que je ne l’avais sacrifié qu’à regret aux vues actuelles que vous aviez sur le sieur Du Pont. Je ne connais personne qui soit capable d’exécuter un pareil ouvrage que ce jeune homme aussi estimable par l’honnêteté de son caractère que par sa pénétration et son ardeur pour le travail.

Les difficultés qu’il trouvera en Limousin m’auraient fait désirer qu’il se fut livré tout entier à cette seule province, mais je sens que la reconnaissance et la nécessité d’achever un travail commencé sont pour lui un engagement irrévocable avec M. Méliand. D’ailleurs, je crois qu’il peut concilier la fin du travail du Soissonnais avec le commencement du Limousin, dont la base préliminaire sera de tracer un plan de questions et d’éclaircissements à demander. Jusqu’à ce que ces questions soient remplies, il pourra terminer l’ouvrage du Soissonnais, mais comme il me paraît nécessaire qu’il ne perde point de temps pour ce travail préparatoire, je propose à cet effet à M. Méliand de lui laisser la liberté de venir passer avec moi une partie du printemps et de l’été en Limousin. Il pourrait avant et après s’occuper de ce qui concerne la généralité de Soissons.

À l’égard du traitement du sieur Du Pont, il me paraît juste qu’il soit le même que vous lui avez accordé pour la généralité de Soissons, sauf à l’augmenter lorsqu’il ne sera plus employé que dans la généralité de Limoges, car alors il serait trop modique[43].

—————

[1] Programme du concours ouvert par Turgot à la Société d’Agriculture de Limoges.

[2] La Société d’Agriculture de Limoges.

[3] Journal de l’Agriculture qui était une annexe, séparée toutefois, de la Gazette du commerce.

[4] Bertier de Sauvigny, intendant de Paris.

[5] Déclaration provoquée par le Contrôleur général De L’Averdy.

[6] La mort de Mme Turgot mère.

[7] Le tirage au sort.

[8] Le mariage de Du Pont avec Mlle Le Dée de Rencourt.

[9] Le Journal de l’Agriculture.

[10] Du Pont ajoutait des notes à la plupart des articles qu’il insérait dans le journal, surtout lorsque les idées exprimées par les auteurs ne semblaient pas conformes aux doctrines de Quesnay.

[11] Quesnay.

[12] Vincent de Gournay, mort en 1759.

[13] De la taxe du pain.

[14] C’est, malgré Du Pont et malgré les économistes, que les mémoires des amis de la réglementation que critique Turgot étaient insérés dans le Journal de l’Agriculture.

[15] C’est le mot que Turgot a adopté dans son Essai sur la formation et la circulation des richesses.

[16] Mots usités en Languedoc et en Provence, le premier comme synonyme de cadastre, le second, pour désigner une personne intéressée dans le commerce, sans en faire lui-même.

[17] Lettre par laquelle Du Pont signait ses articles.

[18] Du Buc (1717-1795), chef des bureaux des colonies des Deux Indes.

[19] Les articles publiés dans le Journal de l’Agriculture étaient signés de lettres de l’alphabet. Chaque auteur avait la sienne.

[20] Pseudonyme ou plutôt anagramme de Quesnay qui avait écrit sur l’intérêt de l’argent dans un sens favorable à la réglementation.

[21] Les deuils de Cour qui entraînaient pour la population l’interdiction de porter des vêtements de couleur pendant un certain temps.

[22] C’est cette difficulté qui avait amené Turgot à ouvrir un concours sur l’impôt indirect.

[23] Par le marquis de Mirabeau, avec la collaboration de Quesnay.

[24] Turgot voulut le charger, à la place de Du Pont, de la statistique du Limousin.

[25] Quesnay.

[26] Paris.

[27] L’abbé Baudeau qui venait de fonder ce journal.

[28] Économiste, rédacteur du Journal de l’Agriculture, etc…, et auteur de la Liberté du commerce toujours utile et jamais nuisible.

[29] Date incertaine.

[30] Quesnay habitait au Palais de Versailles.

[31] Publié sous le titre de l’Administration des Chemins, d’abord dans les Éphémérides du citoyen, puis à part.

[32] Du Journal de l’Agriculture, du Commerce, etc., dont la rédaction avait été retirée à Du Pont et qui passait aux mains des partisans du système mercantile.

[33] Probablement la Physiocratie et l’Origine et progrès d’une science nouvelle que préparait Du Pont.

[34] Thomas (1732-1785), de l’Académie française, connu par ses éloges déclamatoires.

[35] La Société d’Agriculture de Limoges.

[36] Le chevalier Méliand, Intendant de Soissons.

[37] Le contrôleur général L’Averdy dont les opinions n’étaient nullement conformes à celles que Du Pont et ses amis avaient soutenues dans le Journal de l’Agriculture.

[38] L’abbé Expilly, auteur du Dictionnaire géographique… des Gaules et de la France, avait publié : De la population de la France, Amsterdam, 1765, in-4°

[39] Le marquis de Mirabeau.

[40] Pour le concours sur l’impôt indirect.

[41] De Butré (1724-1805), économiste qui fut employé par le margrave de Bade.

[42] Celui de Graslin.

[43] L’Averdy donna son approbation par lettre à Turgot du 31 décembre.

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