Oeuvres de Turgot – 178 – Le commerce des grains

1775

178. — LE COMMERCE DES GRAINS.

1. Arrêt du Conseil permettant l’entrée par le port de Marseille des grains nationaux destinés à la consommation de la Provence[1].

[D. P., VII, 152.]

(L’Arrêt du 13 septembre 1774 n’ayant pas statué sur l’exportation des grains et le port de Marseille étant réputé étranger, la ville de Marseille n’a pu profiter des grains introduits dans son port ; l’entrée y est permise sur acquits-à-caution.)

14 janvier.

Le Roi, en établissant, par l’Arrêt rendu en son Conseil, le 13 septembre 1774, la liberté du commerce des grains dans l’intérieur du Royaume, a eu pour objet d’assurer, entre ses différentes provinces, la communication nécessaire pour subvenir par l’abondance des unes aux besoins des autres ; S. M., ayant cru devoir, par des motifs de prudence, différer de statuer sur la liberté de la vente hors du Royaume jusqu’à ce que les circonstances soient devenues plus favorables et le port de Marseille, ayant toujours été réputé étranger par rapport au commerce et ayant, en conséquence, toujours joui de la liberté indéfinie de vendre toutes sortes de grains à l’étranger, il en est résulté, par une conséquence nécessaire, que l’introduction des grains nationaux n’a pu être permise dans la ville de Marseille, puisque les grains une fois introduits dans ce port auraient pu, sans obstacle, être transportés à l’étranger. Mais S. M. est instruite que cette défense, dont l’objet n’a été que d’empêcher les grains nationaux de passer à l’étranger nuit à l’approvisionnement de plusieurs cantons de l’intérieur de la Provence, qui étant plus à portée de Marseille que d’aucun autre port, sont privés de la ressource des grains qu’ils pourraient tirer des autres provinces du Royaume, ou ne peuvent les recevoir que par des voies longues, détournées et difficiles et, par conséquent en les payant beaucoup plus cher. Cette interdiction du passage des grains du Royaume par Marseille empêche les grains de la Provence même, et en particulier du territoire d’Arles où la récolte a été assez abondante, de parvenir dans les cantons les plus disetteux et même dans la capitale de la province, où le commerce les porterait facilement et ferait diminuer le prix de la denrée si la voie de la circulation par Marseille était ouverte. Ces considérations ont fait penser à S. M. que, si la destination des grains nationaux pour le port de Marseille ne pouvait pas être autorisée sans donner lieu à la sortie des grains hors du Royaume, il était néanmoins indispensable et conforme à la justice qu’elle doit à tous ses sujets, de rendre le passage par cette ville libre aux secours destinés à approvisionner l’intérieur du Royaume, et d’établir à cet effet une forme qui, sans donner lieu à la sortie des grains pour l’étranger, put rendre facile leur introduction par Marseille dans l’intérieur de la Provence. S. M. a reconnu avec satisfaction qu’il était facile de parvenir à ce double but, en ordonnant que les grains expédiés des différents ports du Royaume pour Marseille et destinés pour l’intérieur de la Provence soient munis d’un acquit-à-caution pour le premier bureau, par lequel les marchandises entrent dans le Royaume en sortant de Marseille.

À quoi, étant nécessaire de pourvoir… Il sera libre à toutes personnes de transporter dans l’intérieur de la Provence des grains nationaux, même en les faisant passer par le port de Marseille. Les acquits-à-caution qui seront délivrés dans les ports où les grains auront été chargés seront à la destination du bureau de Septèmes et autres bureaux de l’intérieur de ladite province, et que ceux à qui lesdits acquits-à-caution auront été donnés seront tenus d’introduire dans ladite province et par lesdits bureaux les quantités portées dans leurs chargements et y faire décharger les acquits-à-caution, aux peines portées par l’ordonnance des fermes[2].

2. Lettre à l’évêque de Tarbes[3].

(Félicitations pour les mesures prises contre l’épizootie. — Le Gouvernement ne fait plus d’achats de grains.)

[A. N., F12 151.]

14 février.

J’ai reçu, M., la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 29 du mois passé. Je vois avec plaisir que, par les précautions que vous avez prises, votre diocèse a été préservé du fléau qui règne aux environs. Ce n’est véritablement qu’avec de la fermeté que l’on parvient au succès désiré. J’ai rendu compte au Roi de l’éloge de celle qu’a eue M. De Formet, maire de la ville de Tarbes. S. M. m’a chargé de vous marquer combien elle en était satisfaite.

Elle consent volontiers à faire payer le tiers de la valeur des bêtes qui auront été assommées, ainsi qu’elle y a consenti pour les bêtes tuées dans les autres provinces. Vous pourrez vous adresser à M. l’Intendant qui a reçu les ordres nécessaires à cet effet.

À l’égard du blé que vous désireriez qui put être distribué aux habitants, S. M. n’en fait plus acheter ; c’est à la province à faire pourvoir aux besoins de ses habitants comme elle le jugera le plus convenable. Mais si elle se porte à ordonner quelque distribution, je crois qu’il vaut mieux que ce soit en argent qu’en grains.

3. Lettres à l’Intendant de Caen (De Fontette) au sujet d’une émotion populaire à Cherbourg.

[A. Calvados, C. 2681.]

Première lettre.

(L’émotion a été provoquée par des exportations de grains opérées par le service de la Marine. — Ordre de sévir.)

Versailles, 14 mars.

J’ai reçu, M. les éclaircissements que vous m’avez adressés[4] au sujet de l’émotion populaire qu’ont occasionnés, sur la fin de l’année dernière, dans la ville de Cherbourg les embarquements que le Sr De Barry, garde des magasins des vivres de la Marine, a été chargé de faire et d’envoyer par mer et par acquit-à-caution dans d’autres places du Royaume pour le service de la Marine.

Je vois, M., que, ni les officiers municipaux, quand ils en ont été requis, ni même le lieutenant de police ne se sont mis en peine de contenir le peuple, de s’opposer à ses violences, ni de les réprimer. Le Sr De Barry, n’ayant point eu, de la justice ordinaire, les secours qu’il avait droit d’en attendre et, étant par état attaché à l’Administration, c’est par les voies de l’Administration qu’il convient de le mettre à l’abri de pareilles insultes et de protéger ses opérations qui sont essentielles pour le service de S. M.

Malgré ce que vous me marquez du Sr Guiffard, qui m’a écrit lors de cette émeute, je ne vous dissimulerai pas qu’un homme qui s’est permis de m’écrire avec la chaleur que le Sr Guiffard a mise dans son Mémoire, me paraît très suspect de n’avoir pas été plus réservé envers le peuple, et de l’avoir excité, ou par des propos, ou par quelques-uns des écrits qui se sont répandus, et je pense qu’il est à propos que vous lui enjoigniez d’être plus circonspect à l’avenir.

Quant au nommé Pierre Sorel, l’injonction que vous vous proposez de lui faire ne me paraît pas suffisante ; il est, ainsi que Jacques Cavelier, chef des séditieux et ils doivent être tous deux punis. Je compte demander au Secrétaire d’État de la province de vous adresser les ordres du Roi pour que Cavelier soit détenu, comme vous me le proposez, dans les prisons de Carentan pendant deux mois et Pierre Sorel pour un mois dans un autre lieu.

Il est de la plus grande importance que vous vous fassiez rendre un compte exact de la conduite que les officiers municipaux et le lieutenant de police ont tenu pendant cette émeute et, s’ils sont répréhensibles, comme je le crois d’après la lettre du Sr De Barry, dont vous avez copie, je ne pourrai me dispenser de prendre les ordres du Roi contre eux-mêmes pour ne s’être pas opposés aux violences qui se sont commises par la populace, qui a insulté le Sr De Barry et qui a cassé les vitres de sa maison. Il était du devoir du lieutenant de police de faire arrêter les coupables, ou du moins d’informer contre eux pour parvenir à les connaître. Toute autre conduite en pareille circonstance ne peut servir qu’à provoquer le trouble et le faire accroître, bien loin de l’apaiser ; et l’impunité enhardit toujours ceux qui voudront se livrer à cet excès. Je vous prie donc de vous informer des motifs qui ont pu porter ce lieutenant de police à se relâcher de son devoir en différant de suivre la plainte du Sr De Barry et en souffrant que Sorel, Cavelier, Saint-Martin, horloger de campagne, Lafresne, cordonnier, et sa femme, et Larivière, menuisier, fissent des quêtes pour défrayer les deux premiers du voyage qu’ils se proposaient de faire à Paris et qu’ils ont fait effectivement pour y présenter les placets dont je vous ai donné connaissance. Pourquoi cet officier, après le départ de Sorel et de Cavelier, a-t-il laissé continuer les quêtes par les trois autres particuliers ? Pourquoi il n’y en a-t-il pas eu un seul qui ait été arrêté ni même contenu ? Ils méritent cependant d’être punis et vous voudrez bien me donner les renseignements nécessaires pour prendre à leur égard les ordres du Roi à l’effet de les détenir prisonniers pendant quelque temps dans les prisons différentes que vous m’indiquerez.

Il vous reste encore à m’informer si l’embarquement des grains destinés pour le service de la Marine a été fait nonobstant l’opposition qui y a été mise par les habitants de Cherbourg. Et, s’il n’a pas été exécuté, vous devez faire usage des moyens qui vous ont été indiqués pour assurer cet embarquement qui intéresse le service du Roi. C’est pourquoi il est à propos que vous fassiez prévenir le Sr De Barry que, s’il est chargé par sa compagnie d’envoyer des grains par le port de Cherbourg, pour les autres ports du Royaume, il pourra les faire embarquer en vous demandant main forte s’il en est besoin ; et alors vous voudrez bien vous adresser au commandant de la province pour avoir les troupes qui seront nécessaires.

Deuxième lettre.

(Mise en prison des meneurs.)

10 juin.

J’ai, M., en conséquence de la lettre que vous m’avez écrite le 26 mars, demandé à M. Bertin de vous adresser les ordres du Roi pour faire mettre Cavelier dans les prisons de Carentan pour quatre mois, Pierre Sorel pour un mois dans les prisons de Valognes, et les nommés Saint-Martin… Lafresne… et Larivière… dans celles de Cherbourg pour quinze jours. Cet exemple qu’il est nécessaire de faire pour ne pas laisser impunie la sédition que ces particuliers ont excitée, suffira sans doute pour les contenir et pour en imposer au peuple[5].

4. A. C. cassant les ordonnances des officiers de police de La Rochelle.

[D. P., VII, 209.]

(Visites domiciliaires contraires à la liberté du commerce des grains.)

7 avril.

(Les officiers de police avaient ordonné la visite dans les greniers de grains venant de l’étranger, et en avaient suspendu la vente pour une autre visite être faite après quinze jours.)

S. M. a reconnu que ces officiers ont excédé le pouvoir qui leur est confié ; qu’ils ont même contrevenu aux lois données par S. M. pour accorder au commerce des grains la liberté qui lui est nécessaire ;

que le pouvoir attribué à des juges de police ne s’étend pas jusqu’à faire visiter les grains que l’on garde dans les magasins ; qu’en aucune occasion, que sous aucun prétexte, ils ne peuvent se permettre d’ordonner de telles visites, parce que des grains gardés dans des magasins ne peuvent jamais nuire au public ;

que c’est au commerçant, dont les grains ont souffert dans le trajet quelque dommage, à déterminer s’il doit, ou s’il veut, faire les dépenses nécessaires pour le réparer, et la manière et le temps qu’il emploiera pour y parvenir, sans qu’aucun juge de police puisse ni faire visiter ces grains, ni lui fixer un délai pour les remettre dans un meilleur état, ni constater par une procédure qu’il ne les y a pas rétablis ; que l’intérêt du commerce est à cet égard la seule règle qu’il doive suivre ; qu’il peut user de sa chose comme il lui plaît, et qu’aucun juge ne peut violer ce droit de la propriété ;

que la vente même de ces grains ne peut pas être interdite ; qu’elle est souvent nécessaire ; qu’elle est utile ; qu’elle ne peut être nuisible ;

que cette vente est souvent nécessaire ; que l’usage, autorisé par l’Ordonnance de la Marine, est dans le commerce de faire assurer les marchandises que l’on transporte par mer et même sur les rivières navigables, moyennant une prime d’assurance proportionnée à la valeur de la cargaison et donnée à des compagnies ou à des particuliers qui, sous le nom d’assureurs, prennent le péril sur eux ; qu’en conséquence les avaries sont à la charge des assureurs, pourvu qu’elles ne proviennent point du vice propre de la chose, et qu’elles arrivent par quelque accident de mer ; mais que, pour que les assurés puissent en exiger le remboursement, il est nécessaire qu’ils prouvent non seulement qu’il y a une avarie, mais quelle en est l’évaluation ; que, suivant la pratique usitée dans les amirautés du Royaume, auxquelles la connaissance des avaries est attribuée privativement à tous autres juges par les articles III et XV du titre II de l’Ordonnance de la Marine, il y a deux manières de procéder à cette évaluation : ou par experts nommés par le juge de l’amirauté, ou par la vente publique des grains avariés, et d’une partie de ceux qui n’ont souffert aucun dommage, ensuite de laquelle on connaît la différence entre la valeur des uns et des autres grains et on fixe l’indemnité ; qu’ainsi il peut arriver que le juge de l’Amirauté ordonne la vente ; qu’il y aurait donc contradiction entre l’ordonnance du juge de l’Amirauté et celle du juge de police ; que celle du juge de l’Amirauté devrait prévaloir, parce qu’il est seul compétent en cette matière, et que la vente des grains peut être nécessaire et forcée ;

que l’usage reçu dans les places du Nord, d’où sont venus les grains que les juges de police de La Rochelle ont défendu de vendre, rend cette vente encore plus nécessaire ; qu’on n’admet point dans ces places l’évaluation des avaries par expertise ; qu’on y exige qu’elle soit établie par vente publique ; que, sans cette formalité, les assureurs avec lesquels le chargeur a traité dans ces places refuseraient de payer l’indemnité ; que tel est usage de leurs tribunaux ; qu’ainsi, défendre la vente de ces grains, c’est ôter la réciprocité d’assurances et, par conséquent, de commerce entre le Royaume et les États étrangers ;

que cette vente est utile ; qu’elle l’est aux grains eux-mêmes, parce que les partager par la vente, c’est multiplier le nombre de personnes occupées à les soigner et à les rétablir, en accélérer, en faciliter et en assurer le rétablissement ; elle l’est au peuple, qui, en lavant ces grains et les faisant sécher, ou les mêlant avec d’autres grains, se procure une subsistance convenable et cependant moins chère ; elle l’est au commerçant lui-même, qu’elle exempte des frais de manutention ;

que cette vente ne peut être nuisible ; que ce n’est pas la vente des grains qui peut nuire au peuple ; que c’est la fabrication et la vente du pain ; que ce n’est donc que sur la vente et la qualité du pain que doit veiller la police ; que porter les prohibitions jusqu’à la vente des grains, c’est empêcher que les grains les plus détériorés ne puissent être employés à des pâtes, des colles, des poudres nécessaires à la société civile ; obliger d’y substituer des grains mieux conservés, c’est diminuer les subsistances ;

qu’ainsi les juges de police de La Rochelle, par les visites, les défenses, les procédures qu’ils se sont permis d’ordonner, ont excédé leur pouvoir ;

qu’ils ont contrevenu aux lois données par S. M. sur le commerce des grains ; qu’ordonner qu’après quinzaine il serait fait une nouvelle visite de grains venus de l’étranger, c’est obliger le commerçant qui les a reçus à les garder au moins pendant quinzaine, puisqu’il est tenu de les représenter, à l’expiration de ce délai, aux experts chargés de les visiter ; qu’ainsi le commerçant ne peut ni les faire ressortir, ni en disposer ; que néanmoins les Lettres patentes données par S. M. le 2 novembre 1774 ordonnent, article IV, qu’il sera permis à tous ses sujets, et aux étrangers qui auront fait entrer des grains dans le Royaume, d’en faire telles destinations et usages que bon leur semblera ; même de les faire ressortir sans payer aucuns droits, en justifiant que les grains sortants sont les mêmes qui ont été apportés de l’étranger ; que les juges de police de La Rochelle ont donc contrevenu aux Lettres patentes de S. M. ;

que les ordonnances rendues par ces juges de police sont encore contraires aux vues que S. M. s’est proposées dans ses Lettres patentes ; elle a cherché à y encourager le commerce, à l’exciter à apporter des grains dans le Royaume ; et que ces ordonnances tendraient à le repousser et à le détourner : en conséquence de la pleine et entière liberté que S. M. lui a accordée, plusieurs négociants ont envoyé des grains étrangers dans le Royaume, notamment à Marseille, Bordeaux, La Rochelle et Nantes ; que toutes ces importations utiles, mêmes nécessaires, cesseraient ; que le commerce qui, lorsqu’il a souffert quelque perte par des accidents de la mer, mérite, par cette considération, d’être encore plus affranchi de toute inquiétude, fuirait les lieux où ses malheurs mêmes l’exposeraient à des visites, à des inhibitions, à des procédures ; que S. M. doit au maintien de son autorité, au bien de ses peuples, à la sûreté de la subsistance de son royaume, de réprimer des entreprises si nuisibles, et de marquer aux négociants qui font venir des grains étrangers la protection qu’elle leur a accordée et qu’elle est résolue de leur conserver dans toutes les occasions…

À quoi voulant pourvoir, … le Roi casse les Ordonnances… [6].

5. Lettre à l’Intendant de Champagne sur les primes à l’importation dans sa généralité.

[A. Marne. — Neymarck, 39 et s.]

(Effets des primes à l’importation sur le pays récepteur et sur le pays expéditeur. — Le taux des primes doit être modéré. — Les formalités doivent être réduites.)

Paris, 7 avril.

Les observations que vous m’avez communiquées, M., dans notre dernière entrevue au sujet des gratifications que je vous avais proposé de donner à tous les commerçants qui apporteront des grains dans quelques villes de la Champagne m’ont engagé à m’occuper de nouveau de cet objet ; et, après y avoir réfléchi, je crois qu’il y a un moyen de concilier le bien qui doit en résulter, pour l’approvisionnement de votre généralité, avec le ménagement qui peut être nécessaire pour éviter que votre ordonnance ne produise dans la Lorraine et le pays Messin, d’où les grains doivent venir, une impression désavantageuse.

Je ne puis pas me persuader que l’annonce publique de primes pour la Champagne puisse exciter dans cette province la crainte de la disette, et y porter les propriétaires à resserrer leurs grains ; au contraire, les primes destinées à attirer les grains des provinces voisines font craindre aux propriétaires des grains sur les lieux une abondance prochaine ; ainsi, elles portent ces propriétaires à les mettre en vente, les détournent de les resserrer, d’où il résulte qu’avant même que des grains n’arrivent des provinces voisines, que quoiqu’il n’en dut pas arriver, elles produisent une diminution, moins par la concurrence des grains voisins que par celle des grains de la province. Il résulte encore de là qu’il est possible que les primes ne produisent aucune révolution dans les grains des provinces voisines et que cependant elles remplissent le but que l’on se propose dans la province que l’on veut secourir. Il n’est donc pas certain que les gratifications que je vous propose d’accorder diminuent les subsistances dans le pays Messin et dans la Lorraine et il est néanmoins certain qu’elles paraîtront les augmenter dans la Champagne, en accélérant la vente de celles qui sont dans l’intérieur de cette province.

Vous voyez donc, M., que l’usage des primes produit par lui-même dans la province pour laquelle on les accorde plutôt la crainte de l’abondance que la terreur de la disette ; il s’agit seulement d’examiner si elles ne peuvent pas opérer une impression fâcheuse dans les provinces d’où on veut attirer les grains : et je crois qu’on peut la prévenir en évitant de donner dans ces provinces de la publicité au parti que l’on a pris d’accorder des primes pour la province voisine ; vous pourrez ne pas envoyer votre ordonnance dans la Lorraine et le pays Messin et vous réduire à en informer MM. de la Galaisière et de Calonne, et leur demander d’en instruire leurs subdélégués dans les différents départements, afin qu’ils donnent les certificats nécessaires aux commerçants qui pourraient les demander et qui seraient dans le cas de les obtenir, sans donner aucun ordre pour afficher votre ordonnance ni la rendre autrement publique. Je regarde, M., ce tempérament comme très propre à concilier le bien de votre généralité avec ce que peut exiger la situation du pays Messin et de la Lorraine. J’y ajoute pourtant qu’il est nécessaire, dans ce point de vue, de diminuer les gratifications que je vous ai proposé d’accorder. Un taux très haut dans ces gratifications pourrait, en effet, faire une trop grande impression soit sur les esprits, dans votre généralité, soit sur les grains des provinces voisines ; vous êtes d’ailleurs à portée par la connaissance particulière du local, de connaître quelle gratification suffit pour exciter le commerce à apporter et faire craindre la concurrence aux propriétaires des grains sur les lieux, et je vous laisse entièrement le maître de les fixer et de les diminuer.

Ainsi, je vous prie de donner le plus tôt qu’il vous sera possible votre ordonnance pour accorder les gratifications que vous fixerez par quintal de blé de seigle, à ceux qui, du 15 de ce mois au 1er juillet prochain, apporteront de ces sortes de grains du pays Messin et de la Lorraine à Reims, à Chalons et à Troyes, vous bornant à donner connaissance aux intendants de ces provinces de votre ordonnance qui n’y sera pas affichée, et à laquelle on ne donnera d’ailleurs aucune publicité dans ces deux provinces.

P. S. — Je vous envoie, M., le projet d’ordonnance qui était joint à votre lettre du 3 de ce mois ; vous voudrez bien en supprimer les endroits que j’ai soulignés.

1° Dans le préambule, en parlant de l’introduction des grains étrangers, vous ajoutez, « et dont la bonne qualité aurait été reconnue ». Il serait à appréhender que le commerçant ne voulut pas se livrer à cette introduction par la crainte qu’il aurait d’être assujetti à une visite qui serait indispensable pour juger de la bonne ou de la mauvaise qualité et d’être exposé à un refus.

2° Dans l’article 2, pour gagner la gratification, vous exigez la preuve du chargement des grains, de leur déchargement et vente d’iceux. Le déchargement dans les villes de Chalons, Reims et Troyes suffit. Il n’est pas à supposer que des grains qui y seront déchargés en ressortiront pour essayer de nouveaux frais de transport ; la vente n’est pas nécessaire et d’ailleurs la preuve en serait sujette à des inconvénients comme je l’observerai plus bas.

3° Dans l’article 4 qui concerne l’introduction des grains étrangers, vous exigez les mêmes certificats que pour les grains venus de Lorraine et du pays Messin par ces termes : « En outre des certificats ci-dessus qui justifieront l’origine étrangère des dits grains ». Cela est impossible, parce qu’il peut se faire que ces grains viendront de pays où la sortie est défendue et que, sortant frauduleusement, leur entrée en France ne peut être constatée que par les acquits des droits qu’ils paieront à l’entrée du Royaume ; vous ne pouvez donc assujettir qu’à la représentation des acquits.

4° Dans l’article 5, vous ne voulez faire payer la gratification qu’après le déchargement des grains, et la vente de la totalité ou partie d’iceux, laquelle sera constatée par un certificat du commissaire de police ou autre, chargé de la police des marchés. Cette condition est impraticable ; ce serait une gêne à la vente qui ne peut s’allier avec la liberté accordée au commerce, comme je l’ai observé ci-devant sur l’article 2 ; d’ailleurs, la gratification peut être exigée par les voituriers et conducteurs ; il faut donc qu’ils puissent la recevoir après le déchargement pour qu’ils puissent s’en retourner ou vaquer à d’autres transports ; ce serait les consumer en frais que de leur faire attendre la vente de partie ou de la totalité des grains qu’ils auraient apportés et cette vente peut être confiée à des commissionnaires et subordonnés aux ordres des commerçants. On ne peut donc exiger la vente de ces grains pour payer la gratification.

Lorsque vous aurez rendu votre ordonnance, je vous prie, M., de m’en envoyer un exemplaire[7].

6. Arrêt du Conseil suspendant des droits sur les farines à Dijon, Beaune, Saint-Jean-de-Losne et Montbard.

[D. P., VII. 220.]

(Les droits de circulation sont un obstacle au commerce. — En attendant qu’ils puissent être abolis partout, ils seront suspendus dans les localités où les besoins sont les plus grands, sauf indemnité en faveur des titulaires.)

22 avril.

Le Roi, occupé des moyens d’empêcher que les grains nécessaires à la subsistance de ses peuples ne s’élèvent au-dessus du prix juste et naturel qu’ils doivent avoir suivant la variation des saisons et l’état des récoltes, a établi, par son Arrêt du 13 septembre 1774 et par les Lettres patentes du 2 novembre dernier, la liberté du commerce, qui seule peut, par son activité, procurer des grains dans les cantons où se feraient sentir les besoins, et prévenir, par la concurrence, tout renchérissement excessif ; dans les mêmes vues, S. M. a défendu tout approvisionnement fait par son autorité, et par les soins des corps municipaux ou de tous autres corps chargés d’une administration publique, parce que ces approvisionnements, loin de faire baisser les prix, ne servent qu’à les augmenter et qu’en écartant le commerce, ils privent les lieux, pour lesquels ils sont faits, des secours beaucoup plus grands qu’il y aurait apportés, et pallient les besoins sans amener l’abondance.

Mais S. M. a reconnu que, quoique les mesures qu’elle a prises soient les seules qui puissent procurer avec efficacité, avec justice, dans tous les temps, dans toutes les circonstances, le bien de ses peuples, leur effet est arrêté par des obstacles que la circulation des grains éprouve encore dans différents lieux du Royaume ; que les droits établis sur ces denrées, à l’entrée de plusieurs villes et dans les marchés, les y rendent plus rares et, par conséquent, plus chers ; que le marchand doit trouver, dans le produit de la vente de ses grains, le payement du droit ; qu’il est donc obligé d’en demander un plus haut prix, et qu’ainsi le droit lui-même opère un renchérissement ; mais qu’une cherté encore plus grande naît de l’effet que ce droit produit sur le commerce, en l’écartant et le détournant ; que le commerce évite des lieux où il serait obligé de payer des droits et porte, par préférence, à ceux qui en sont exempts ; qu’il craint même l’inquiétude de la perception ; qu’ainsi il ne se détermine à venir dans les lieux sujets à des droits, que lorsqu’il y est appelé par la plus grande cherté ; qu’il n’y apporte même ses denrées que successivement, par parcelles, et toujours au-dessous du besoin, dans la crainte que les grains restant invendus ou la cherté venant à diminuer, le payement des droits ne demeure à sa charge et ne l’expose à des pertes ; de sorte que l’établissement seul du droit occasionne le renchérissement, et éloigne l’abondance qui le ferait cesser.

La circulation ne pourra donc être établie, avec égalité, avec continuité dans tous les lieux du Royaume, que lorsque S. M. aura pu affranchir ses peuples de droits si nuisibles à sa subsistance ; elle se propose de leur donner cette marque de son affection ; mais, en attendant qu’elle puisse accorder ce bienfait à tout son royaume, elle se détermine à en faire, dans le moment, jouir les lieux où des circonstances particulières exigent d’accélérer cette exemption.

En suspendant la perception de ces droits, S. M. n’entend pas préjudicier à la propriété de ceux à qui ils appartiennent ; elle veut leur assurer une pleine indemnité et prendre les mesures nécessaires pour en fixer le payement. À quoi étant nécessaire de pourvoir…

À compter du jour de la publication du présent arrêt, jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné, la perception de tous droits sur les grains et farines, tant à l’entrée de la ville que sur les marchés, soit à titre d’octrois, ou sous la dénomination de minage, aunage, hallage et autres quelconques, sera et demeurera suspendue dans les villes de Dijon, Beaune, Saint-Jean-de-Lône et Montbard ; fait défense à toutes personnes de les exiger, même de les recevoir, quoiqu’ils fussent volontairement offerts, aux peines qu’il appartiendra, à la charge néanmoins de l’indemnité qui pourra être due aux propriétaires ou aux fermiers desdits droits pour le temps qu’ils auront cessé d’en jouir, ou du remboursement du principal auquel lesdits droits auront été évalués, ensemble des intérêts, si S. M. se détermine à en ordonner la suppression.

Fait S. M. très expresses inhibitions et défenses aux propriétaires et fermiers desdits droits, d’exiger de ceux qui introduiront des grains et des farines dans les dites villes, ou qui les apporteront aux marchés, aucune déclaration de leurs denrées, ni les assujettir à aucunes formalités, sous quelque prétexte que ce puisse être, même à cause de l’indemnité ci-dessus ordonnée, laquelle sera fixée sur leurs baux et tous autres renseignements servant à constater le produit annuel du droit.

Autorise S. M. le Sr intendant… dans la province de Bourgogne à ordonner la dite suspension dans toutes autres villes et lieux de la dite province où il le jugera nécessaire ou utile à la liberté du commerce et à l’approvisionnement des peuples.

7. Arrêt du Conseil ordonnant des Primes à l’importation par mer.

[D. P., VII, 226].

(Les primes sont rendues nécessaires par la médiocrité des récoltes en France et à l’étranger. — Des ateliers de charité sont ouverts pour aider à supporter la cherté.)

24 avril.

Le Roi, occupé des moyens d’exciter et d’encourager le commerce[8], qui seul peut, par sa concurrence et son activité, procurer le prix juste et naturel que doivent avoir les subsistances suivant la variation des saisons et l’étendue des besoins, a reconnu que, si la dernière récolte a donné suffisamment des grains pour l’approvisionnement des provinces de son royaume, sa médiocrité empêche qu’il n’y ait du superflu, et que, tous les grains étant nécessaires pour subvenir aux besoins, les prix pourraient éprouver encore quelque augmentation, si la concurrence des grains de l’étranger ne vient l’arrêter mais que la dernière récolte n’ayant point répondu, dans les autres parties de l’Europe, aux espérances qu’elle avait données, les grains y ont été généralement chers, même dans les premiers moments après la récolte qu’ainsi le commerce n’a pu alors en apporter, si ce n’est dans les provinces du Royaume qui, ayant manifesté promptement des besoins, ont éprouvé, dans ces moments même, un renchérissement et qu’il a négligé les autres provinces, parce que les prix s’y étant soutenus, sur la fin de l’année dernière et dans les premiers mois de celle-ci, à un taux assez modique, il aurait essuyé de la perte en y faisant venir des grains qui étaient plus chers ; que lorsque, par la variation des saisons et les progrès naturels de la consommation, les prix ont augmenté dans ces provinces, ils ont également, et par les mêmes causes, éprouvé une augmentation dans les places étrangères ; que, dans la plupart d’entre elles, ils sont actuellement plus chers que dans le Royaume[9] et que, dans celles où ils ont le moins renchéri, il n’y a point une assez grande différence entre le prix de ces places et celui qui a lieu dans les principales villes du Royaume, pour assurer au commerce des bénéfices suffisants ; qu’en conséquence, il paraît nécessaire de l’exciter, en lui offrant une gratification qui rétablisse la proportion entre les avances qu’il doit faire pour se procurer des grains de l’étranger et le produit qu’il en peut espérer par la vente dans le Royaume ;

que S. M. ne doit pas se borner à attirer des grains de l’étranger dans les ports, qu’elle doit exciter à les introduire dans l’intérieur, principalement dans les villes dont la consommation excessive se prend sur les provinces voisines, et y porte le renchérissement ; que Paris et Lyon sont, dans les circonstances actuelles, les seules villes principales qui, n’étant pas pourvues de grains étrangers, doivent tirer des provinces une subsistance qui les dégarnit ; que, si des denrées étrangères affluent dans ces villes, l’augmentation du prix doit naturellement cesser dans les pays qui subviennent à leurs besoins ;

mais que, pour animer ces importations, il est nécessaire de maintenir le commerce dans toute la sûreté et la liberté dont il doit jouir et d’assurer de toute la protection de S. M. les négociants français ou étrangers qui se livreront à ces spéculations utiles.

S. M., en prenant ainsi des mesures pour augmenter les subsistances dans son royaume, ne néglige point de procurer à ses peuples les moyens d’atteindre à la cherté actuelle que la médiocrité de la dernière récolte rend inévitable : elle multiplie, dans tous les pays où les besoins se font ressentir, les travaux  publics ; elle a établi, dans plusieurs paroisses de la ville de Paris, des ouvrages en filature, en tricot, et en tous les autres genres auxquels est propre le plus grand nombre de sujets et elle donne des ordres pour étendre ces ouvrages dans toutes les paroisses. À tous ces travaux, soit à Paris, soit dans les provinces, sont admis même les femmes et les enfants, de sorte qu’ils servent à occuper ceux qui sont le moins accoutumés à trouver du travail et à gagner des salaires, et qu’en offrant un profit et des salaires à toutes les personnes qui composent chaque famille les ressources se trouvent distribuées à proportion des besoins.

C’est en excitant ainsi les importations par la certitude de la liberté, l’attrait des gratifications et l’assurance de sa protection, et en multipliant les travaux publics de tout genre dans les lieux où il est nécessaire, que S. M. se propose d’augmenter la quantité de subsistances dans son royaume, et d’assurer à ses peuples les moyens d’atteindre au prix auquel elles ont pu monter.

À quoi voulant pourvoir…

I. L’Arrêt du Conseil du 13 septembre 1774 et les lettres patentes du 2 novembre dernier seront exécutés selon leur forme et teneur ; en conséquence, fait S. M., très expresses inhibitions et défenses à toutes personnes, notamment aux juges de police, à tous ses officiers et à ceux des Seigneurs, de mettre aucun obstacle à la libre circulation des grains et farines de province à province sous quelque prétexte que ce soit. Enjoint à tous les commandants, officiers de Maréchaussée et autres, de prêter main forte toutes les fois qu’ils en seront requis pour l’exécution des dites Lettres patentes, d’arrêter même les contrevenants et de procéder contre eux, pour être punis suivant les lois et les ordonnances du Royaume.

II. Il sera payé à tous les négociants français ou étrangers qui, à compter du 15 du mois de mai[10] jusqu’au 1er août de la présente année, feront venir des grains de l’étranger dans le Royaume, une gratification de 18 sols par quintal de froment, et de 12 sols par quintal de seigle ; lesquelles gratifications seront payées par les Receveurs des droits des fermes dans les ports où les grains seront arrivés, sur les déclarations fournies par les capitaines de navire, qui seront tenus d’y joindre les certificats des magistrats des lieux où l’embarquement aura été fait, pour constater que lesdits grains auront été chargés à l’étranger, ensemble copie dûment certifiée des connaissements ; et seront lesdites déclarations vérifiées dans la même forme que pour le paiement des droits de S. M.

III. Il sera tenu compte à l’adjudicataire des Fermes du Roi, sur le prix de son bail, du montant des sommes qu’il justifiera avoir payées pour raison desdites gratifications.

IV. Il sera payé à tous ceux, qui, dans l’époque ci-dessus énoncée, feront venir directement de l’étranger ou de quelque port du Royaume des grains étrangers dans les villes de Paris et de Lyon une gratification, savoir : pour Paris de 20 sols par quintal de froment et de 12 sols par quintal de seigle et pour Lyon, de 25 sols par quintal de froment et de 15 sols par quintal de seigle, outre et par dessus la gratification qui sera due et aura été payée dans les ports pour l’importation desdits grains dans le Royaume, supposé qu’ils y soient arrivé dans l’époque prescrite par l’article II ci-dessus…

(Les articles V et VI prescrivent les formalités nécessaires pour constater l’entrée des grains étrangers à Paris et à Lyon.)

VII. Ne pourront les propriétaires des grains étrangers introduits dans le Royaume, ou leurs commissionnaires, après avoir reçu les gratifications énoncées dans l’article II ci-dessus, les faire ressortir, soit pour l’étranger, soit pour un autre port du Royaume, ni par eux-mêmes, ni par personnes interposées, sans avoir restitué auparavant ladite gratification, sauf à la recevoir de nouveau dans le port du Royaume où lesdits grains seront introduits en dernier lieu, pourvu néanmoins qu’ils y rentrent dans l’époque ci-dessus prescrite.

VIII. Tous navires français ou étrangers chargés de grains et introduits dans les ports du Royaume, seront exempts du droit de fret jusqu’au 1er août prochain, de quelque nation qu’ils soient, et dans quelque port qu’ils aient été chargés[11].

8. Circulaire aux Intendants.

[A. Calvados, C. 2628, 12.]

(Même objet.)

Paris, 28 avril.

Je vous envoie, M., quelques exemplaires d’un Arrêt par lequel le Roi accorde des gratifications à tous ceux qui, à compter du 15 du mois de mai prochain jusqu’au 1er août, feront entrer des grains étrangers dans le Royaume. Je suis déterminé à donner au commerce cet encouragement principalement pour le motif que les grains étrangers étant, dans toutes les places étrangères, presque aussi chers que dans le Royaume, les négociants ne pourraient point en faire importer, si des primes accordées par S. M. ne leur payaient les frais du transport et ne leur faisaient entrevoir un bénéfice.

Vous verrez, par la lecture de l’Arrêt, que S. M. accorde des gratifications particulières à ceux qui importeront à Paris ou à Lyon des grains étrangers, qu’ils viennent directement de l’étranger ou qu’ils soient pris dans un port du Royaume où ils auraient été déchargés. J’ai cru qu’il ne suffisait pas d’attirer les subsistances dans nos ports et qu’il était essentiel d’exciter à les introduire dans l’intérieur ; les villes de Paris et de Lyon m’ont paru celles où il était le plus important de multiplier les subsistances étrangères, afin de ménager d’autant les grains nationaux qu’elles prennent dans les provinces du Royaume. Je vous prie de faire publier et afficher le présent arrêt et de tenir la main à son exécution[12].

9. Lettre à Necker au sujet de son ouvrage sur la Législation et le commerce des grains.

[A. L.]

Versailles, 23 avril.

J’ai reçu, M., l’exemplaire de votre ouvrage que vous avez fait mettre à ma porte. Je vous remercie de cette attention. Si j’avais eu à écrire sur cette matière et que j’eusse cru devoir défendre l’opinion que vous embrassez, j’aurais attendu un moment plus paisible où la question n’eût intéressé que les personnes en état de juger sans passion. Mais, sur ce point comme sur d’autres, chacun a sa façon de penser.

Je suis très parfaitement, M…[13]

Réponse de Necker.

[A. L.]

24 avril.

Monsieur,

C’est le douze mars que mon ouvrage a été remis à l’impression, comme il est prouvé par la date de l’approbation de M. Capronier ; alors il n’y avait pas la moindre cherté nulle part. Si celle qui est survenue depuis, dans quelques endroits, vous avait paru, Monsieur ou à M. le Garde des sceaux, un motif de suspendre la publication de tel ouvrage et que vous me l’eussiez fait connaître, j’aurais eu pour vos volontés une respectueuse déférence. Mais un ouvrage abstrait, modéré pour le fond des idées et circonspect dans la forme, ne peut avoir, ce me semble, aucun rapport avec les passions. Vous me pardonnerez j’espère, Monsieur, l’intérêt et l’empressement que je mets à vous présenter ce qui peut me justifier du petit reproche que vous paraissez me faire ; il est assez fâcheux pour moi de différer de votre façon de penser sur quelques objets de l’économie politique. Je ne voudrais pas que vous me trouvassiez d’autres torts. Votre opinion à cet égard me serait vraiment sensible.

J’ai l’honneur d’être…

10. Lettre à l’abbé de Veri.

[A. L., tirée du Journal de l’abbé de Veri.]

Émeutes à Dijon et à Pontoise.

30 avril.

La fermentation et les manœuvres redoublent ; les émeutes de Dijon sont calmées ; elles avaient été excitées[14]. Je viens d’apprendre qu’à Pontoise le peuple a pillé hier deux bateaux de grains. Je me suis bien dit :

Tu ne cede malis, sed contra audentior, etc.

J’ai montré au Roi votre lettre sur la milice.

Il n’y a rien de nouveau à la Cour.

11. Arrêt du Conseil suspendant le droit de minage à Pontoise.

(Suspension motivée par les contestations auxquelles avaient donné lieu les prétentions des fermiers du droit.)

[D. P., VII, 233.]

30 avril.

Le Roi, étant informé que le droit de minage qui se lève à Pontoise détourne le commerce d’y apporter des grains et, en conséquence, les y fait renchérir, non seulement à cause du droit lui-même que le marchand doit retrouver sur le prix des denrées, mais à cause de leur rareté, qu’il y occasionne ; que même les propriétaires du minage et leurs fermiers, voulant donner à ce droit une extension qui est contraire à sa nature et à son institution, prétendent le percevoir, non seulement dans le marché, mais sur les ports, dans les greniers, maisons, moulins et autres lieux ; de sorte que les grains écartés du marché par la crainte du droit, le sont encore de toute la ville : S. M, pour prévenir cet inconvénient, a, par Arrêt du 20 mars dernier, évoqué à elle et à son Conseil toutes les contestations nées et à naître concernant ledit droit de minage et tous marchands de blé ; mais elle a reconnu que ces mesures ne produisaient pas l’effet qu’elle s’était proposé ; que ces contestations se renouvellent tous les jours, et que les laboureurs et autres propriétaires de grains, pour éviter l’inquiétude que leur font essuyer les préposés à la perception de ce droit, et s’exempter de la nécessité de suivre un procès, préfèrent de le payer, lors mème qu’ils vendent hors du marché, et prennent la résolution d’abandonner ensuite le marché et la ville de Pontoise, et de cesser d’y apporter des grains.

À quoi étant nécessaire de pourvoir…

À compter du jour de la publication du présent arrêt jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné, la perception du droit de minage sera et demeurera suspendue dans la ville de Pontoise ; fait défenses à toutes personnes de l’exiger, même de le recevoir, quoiqu’il fut volontairement offert, aux peines qu’il appartiendra ; à la charge néanmoins de l’indemnité qui pourra être due au propriétaire ou au fermier dudit droit pour le temps qu’il aura cessé d’en jouir, ou du remboursement du principal auquel ledit droit aura été évalué, ensemble des intérêts, si S. M. se détermine à en ordonner la suppression.

Fait S. M. très expresses inhibitions et défenses au propriétaire et au fermier dudit droit d’exiger de ceux qui apporteront ou introduiront des grains ou des farines dans la ville de Pontoise, soit au marché ou ailleurs, aucune déclaration de leurs denrées, ni de les assujétir à aucune, formalité, sous quelque prétexte que ce puisse être, même à cause de l’indemnité ci-dessus ordonnée, laquelle sera fixée sur leurs baux et tous autres renseignements servant à constater le produit annuel du droit…

12. Guerre des farines.

1. Lettres du Roi antérieures au lit de justice[15].

[A. L., originaux. — Abbé Proyart, Louis XVI et ses vertus aux prises avec la perversité du siècle. — Léon Say, Turgot (extraits). — E. Dubois de l’Estang, Turgot et la famille Royale.]

Première Lettre.

2 mai, 11 heures du matin.

Je viens de recevoir, M., votre lettre par M. de Beauvau[16]. Versailles est attaqué et ce sont les mêmes gens de St-Germain ; je vais me concerter avec M. le Mal du Muy et M. d’Affry[17] pour ce que nous allons faire ; vous pouvez compter sur ma fermeté. Je viens de faire marcher la garde au marché. Je suis très content des précautions que vous avez prises pour Paris : c’était pour là que je craignais le plus. Vous pouvez marquer à M. Bertier[18] que je suis content de sa conduite. Vous ferez bien de faire arrêter les personnes dont vous me parlez ; mais surtout, quand on les tiendra, point de précipitation et beaucoup de questions. Je viens de donner les ordres pour ce qu’il y a à faire ici et pour les marchés et moulins des environs.

Louis.

Deuxième Lettre.

2 heures de l’après-midi.

Je viens de voir M. Bertier, M. ; j’ai été très content de tous les arrangements qu’il a pris pour l’Oise et la Basse-Seine ; il m’a rendu compte de ce qui s’était passé à Gonesse et des encouragements qu’il avait donnés aux laboureurs et commerçants de grains pour ne pas interrompre le commerce ; j’ai envoyé ordre à la compagnie de Noailles à Beauvais de se concerter avec lui s’il en avait besoin ; il vient de partir pour Mantes où il trouvera les chevau-légers et les gendarmes à Meulan, qui ont ordre de se concerter avec lui ; il aura de plus de l’infanterie dans ces deux villes. Les mousquetaires ont ordre de se tenir prêts à Paris, selon ce que vous en aurez besoin : les Noirs au faubourg Saint-Antoine peuvent envoyer des détachements sur la Marne, et les Gris au faubourg Saint-Germain, le long de la Basse-Seine[19]. M. l’Intendant m’a dit qu’il ne craignait pas pour la haute Seine et pour la Marne par où il ne vient pas de farine ; pourtant nous les garnirons. Le colonel général se portera à Montereau et à Melun et Lorraine à Meaux[20]. Pour d’ici nous sommes absolument tranquilles ; l’émeute commençait à être assez vive ; les troupes qui y ont été les ont apaisés ; ils se sont tenus tranquilles devant eux. M. de Beauvau qui y a été les a interrogés : les uns ont répondu qu’ils étaient de Sartrouville, de Carrière-Saint-Denis, et les autres ont dit qu’ils étaient de plus de vingt villages ; la généralité disait qu’ils n’avaient pas de pain, qu’ils étaient venus pour en avoir et montraient du pain d’orge fort mauvais qu’ils disaient avoir acheté 2 sols, et qu’on ne voulait leur donner que celui-là. La plus grande faute qu’il y ait eu, que le marché n’ait pas été ouvert ; on l’a fait ouvrir et tout s’est fort bien passé. On a acheté et vendu comme si de rien n’était. Ils sont partis après et des détachements des gardes du corps ont marché après eux pour savoir la route qu’ils tenaient. Je ne crois pas que la perte ait été considérable. J’ai fait garnir la route de Chartres et celle des moulins des vallées d’Orsay et de Chevreuse, avec des précautions pour les marchés de Neauphle et de Rambouillet. J’espère que toutes les communications seront libres et que le commerce ira son train. J’ai recommandé à M. l’Intendant de tâcher de trouver ceux qui payaient que je regarde comme la meilleure capture.

Je ne sors pas aujourd’hui, non pas par peur, mais pour laisser tranquilliser tout.

M. de Beauvau m’interrompt pour me dire une sotte manœuvre qu’on a faite, qui est de leur laisser le pain à 2 sols[21]. Il prétend qu’il n’y a pas de milieu entre leur laisser comme cela ou les forcer à coups de baïonnette à le prendre au taux où il est. Ce marché ci est fini ; mais, pour la première fois, il faut prendre les plus grandes précautions pour qu’ils ne reviennent pas faire la loi ; mandez-moi quelles elles pourraient être car cela est très embarrassant.

Louis.

Troisième lettre. [22]

4 mai.

J’ai vu, M., les lettres que vous m’avez envoyées ; elles marquent bien ce qu’on pense aux environs de Paris ; c’est ce que tout le monde pense ici. Je suis très content que Paris soit tranquille ; nous le sommes ici ; mais à présent ce n’est plus les marchés qu’on pille, c’est aussi les fermes et les granges. Vous ferez bien de faire donner les ordres les plus clairs par M. le Mal de Biron à toutes les troupes d’empêcher le rabais du blé et du pain. M. du Muy a expédié les ordres pour M. le Mal de Biron, telles que vous les demandez : lui et M. de la Vrillière ont les ordres pour envoyer les commandants et les intendants chacun chez eux. Je verrai M. Bertier au Conseil. Pour ce qui est du billet de M. de Montholon[23], je viens de voir M. de Maurepas et M. le Garde des sceaux. Si l’enregistrement est forcé, cela sera une terrible porte aux méchants. Si le Parlement donne des arrêts contre, cela sera encore pire. Aussi, M. le Garde des sceaux a écrit, sous son propre et privé nom, aux meilleures têtes du Parlement qu’il connaît pour tâcher de faire enregistrer de bonne volonté ; sinon, que l’affaire qui est aux commissaires ne soit pas rapportée tout de suite et les têtes se rassureront pendant ce temps-là. Il croit que c’est la peur du peuple qui les retient ; mais il compte qu’ils ne s’opposeront pas à la liberté des grains.

Vous avez à Paris M. de Belbeuf, procureur général[24], à qui vous pouvez en parler et donner des instructions.

J’approuve M. Fargès pour succéder à M. Albert[25].

Louis.

2. Marche des émeutes.

« La disette n’était nulle part. Les provinces où le soulèvement eut lieu n’étaient pas celles où le blé se vendait au plus haut prix. Ceux qui le pillaient n’étaient pas des gens affamés. Ils répandaient par les rues ou jetaient à la rivière les grains dont ils s’étaient emparés.

« Les principaux d’entre eux avaient douze francs dans leur poche et les proposaient aux marchands avant le pillage, soit pour un sac de grains, soit pour un sac de farine… qui vaut ordinairement le double. Quelques-uns avaient de l’or.

« Leur marche était réglée comme si leur projet eut été d’affamer Paris. Sous ce point de vue, elle était parfaitement dirigée, comme par un général expérimenté…

« Ce n’était point une sédition populaire. Elle avait exigé d’assez longs préparatifs et de grandes dépenses : douze francs par tête aux attroupés, des louis aux chefs de bande… On avait imprimé de faux arrêts du Conseil pour autoriser le pillage. On avait fabriqué d’avance et laissé moisir pour le moment de l’explosion du pain composé d’un peu de farine de seigle, mêlée de son et de cendre. On avait répandu ce pain dans les campagnes, à Paris, et surtout à la Cour…[26]

« M. Turgot avait et devait avoir beaucoup d’ennemis… Il avait déjà coupé la racine à de grands profits. Son projet de détruire les jurandes avait inspiré et choquait les intérêts de quelques personnes du plus haut rang qui jouissaient du droit d’en vendre l’exemption. Celui d’ôter les droits sur les grains contrariait d’autres intérêts. On craignait de lui des réformes encore plus importantes dans toutes les branches de l’administration. L’enthousiasme de ses admirateurs, la manie qu’ils avaient de lui supposer et souvent de lui attribuer tous les projets qu’ils concevaient eux-mêmes, devaient semer les alarmes et fomenter les haines…

« Du reste, nulle opiniâtretés, nulle force, nulle animosité parmi les séditieux. Ils faisaient leurs courses en chantant…

« Le complot pouvait cependant avoir des effets très funestes : celui de détruire une grande quantité de subsistances ; celui d’exciter de proche en proche des soulèvements dans toutes les provinces ; celui d’effrayer le commerce et de faire manquer les approvisionnements ordinaires, d’exposer Paris et les autres grandes villes à quelques moments d’une disette réelle…

« Des troupes furent répandues sur tous les points importants, de manière que les séditieux, dont la marche ne pouvait être aussi rapide, trouvaient partout la force une heure avant eux et que le pillage fût réduit à peu de chose.

« Cette pitoyable guerre des farines a empêché M. Turgot d’asseoir les finances sur une Constitution, conciliant les droits et les intérêts des citoyens avec le pouvoir et les lumières de l’autorité.

« Elle a fait manquer l’époque du mois d’octobre 1775 où les projets auraient dû être soumis à l’approbation du Roi et de son principal conseil. Car l’assiette et la répartition de toutes les impositions territoriales et personnelles se faisaient au mois d’octobre et les rôles des contributions étaient alors rendus exécutoires pour un an. Au mois d’octobre de l’année suivante, il y a longtemps que M. Turgot n’était plus dans le cas de proposer ce qu’il avait cru convenable. » (Du Pont, Mém.)

« Pendant les émeutes, Turgot s’était montré supérieur à tous ceux qui l’entouraient. Tous les pouvoirs semblaient suspendus, dit Condorcet. Turgot seul agissait : la vertu et le génie avaient obtenu dans ce moment de crise tout cet ascendant qu’ils prennent nécessairement lorsqu’ils peuvent déployer toute leur énergie. »

Correspondance Métra. — 3 mai. — Depuis quelque temps, on avait remarqué qu’il venait plus de paysans que de coutume aux marchés de Paris et de Versailles. Il en venait même de 15 à 20 lieues à la ronde et ces gens tenaient des discours capables d’émouvoir les esprits de la populace.

Lundi, l’émeute s’est déclarée à Versailles, surtout de la part des femmes.

La police de la Cour et de la ville faisait attention aux mouvements, mais avec circonspection ; les troupes de la maison du Roi restèrent tranquilles. La journée s’est passée sans incident remarquable.

Hier, l’émeute a recommencé plus vivement et la populace tenait des propos qui prouvaient qu’elle était soufflée…

Aujourd’hui, faute d’un nouvel ordre, le pain est revenu au premier prix ; le trouble a recommencé ; les gardes de la maison du Roi ont été répandus par toute la ville et ont crié qu’ils avaient ordre de tirer sur le premier qui remuerait ; la populace s’est éclipsée.

Le Roi n’a pas mangé de tout le jour ; les gens de la Cour se sont mis à l’unisson.

M. Turgot étant encore à Paris, le Roi lui a écrit une lettre très honorable et consolante. »

3. Délibérations du Parlement et Lit de justice.

Lettre du Roi au Premier Président.

[A. L., copie ou plus probablement minute de la main de Turgot.]

2 mai.

Les grains, M., ont été pillés dans plusieurs marchés des environs de Paris avec des circonstances qui me donnent tout lieu de croire que ces émeutes ont été fomentées par des gens mal intentionnés. J’ai pris les mesures les plus efficaces pour assurer les approvisionnements, soit à Paris, soit dans les marchés des environs en faisant cesser les craintes de ceux qui apportent la denrée. Comme toute démarche de mon Parlement dans cette conjoncture ne pourrait qu’augmenter les alarmes, je vous charge de l’instruire que je veille à tout et que mon intention est qu’il s’en rapporte aux soins que j’ai pris et à mon amour pour mes peuples.

Délibération du Parlement du 3 mai.

(Le Parlement avait assemblé les Chambres. Le Premier Président avait arrêté les délibérations, en rendant compte que le Contrôleur général avait passé la veille à son hôtel ; que, peu ému des orages passagers survenus dans divers endroits avant de quitter Paris, il l’avait prévenu du désir du Roi que son Parlement ne se mêlât en rien de cette police.

Le Premier Président avait ensuite fait part de la lettre de S. M. qu’il venait de recevoir où elle lui disait qu’instruite des émeutes arrivées les jours précédents et de celle qui avait lieu en ce moment dans sa capitale, elle allait s’occuper des moyens d’en arrêter les suites ; qu’elle avait déjà découvert en partie d’où provenait la fermentation, occasionnée par des gens malintentionnés ; qu’elle comptait être incessamment instruite de toute cette machination et qu’elle voulait que son Parlement ne traversât point ses vues par une activité dangereuse et mal éclairée.

Sur quoi, le Premier Président fut chargé de se retirer devers le Roi, pour témoigner à S. M. le zèle et la soumission de la Compagnie, pour l’assurer qu’elle s’en rapportait entièrement à sa sollicitude paternelle sur un objet qui causait les alarmes si vives et si générales.)

Ordonnance du lieutenant de police sur la liberté du commerce du pain.

(Relation historique, p. 260.)

3 mai.

Nous ordonnons, ce requérant le Procureur du Roi, que les boulangers auront la faculté de vendre le pain au prix courant. Faisons très expresses inhibitions et défenses à toutes personnes de les forcer à vendre à moindre prix. Enjoignons aux officiers du guet et de la garde de Paris de saisir et arrêter ceux qui contreviendront à la présente ordonnance, pour être punis selon la rigueur des lois. Requérons tous officiers, commandants, de prêter main-forte à son exécution. Défendons à toutes personnes de s’introduire de force chez les boulangers, même sous prétexte d’y acheter du pain, qui ne leur sera fourni qu’à la charge de le payer au prix ordinaire.

Mandons aux commissaires du Chatelet de tenir la main à l’exécution de notre présente ordonnance, qui sera imprimée, publiée, affichée dans cette ville, faubourgs et banlieue, et partout où besoin sera, à ce que personne n’en ignore.

Ce fut fait et ordonné par nous, Jean, Charles, Pierre Le Noir, chevalier, conseiller du Roi.

Ordonnance du Roi sur les attroupements.

(Affichée à Versailles et à Paris, sans date, ni signature, ni lieu d’impression.)

(Relation historique, p. 263.)

3 mai.

Il est défendu, sous peine de la vie, à toutes personnes, de quelque qualité qu’elles soient, de former aucun attroupement, d’entrer de force dans la maison ou boutique d’aucun boulanger, ni dans aucun dépôt de graines, grains, farines et de pain.

On ne pourra acheter aucune des denrées susdites que dans les rues ou places.

Il est défendu de même, sous peine de la vie, d’exiger que le pain ou la farine soient donnés dans aucun marché au-dessous du prix courant.

Toutes les troupes ont reçu du Roi l’ordre formel de faire observer les défenses avec la plus grande rigueur et de faire feu, en cas de violence. Les contrevenants seront arrêtés et jugés prévôtalement sur-le-champ.

Délibération du 4 mai.

(Le Parlement ignorait ce qui se passait à Versailles ; instruit qu’une multitude de pillards, qu’on avait ménagés le jour, mais observés, suivis et arrêtés dans la nuit par les espions de la police, étaient en prison, il jugea de son devoir de connaître de faits intéressant aussi essentiellement ses fonctions ; il crut donc, malgré la lettre du Roi de la veille, devoir s’assembler de nouveau et délibérer sur l’objet capital qui agitait les habitants de Paris.

Plusieurs de ces Messieurs firent des récits de ce qu’ils avaient entendu ou appris de leurs terres. Il en résulta que tout était en commotion, non seulement dans la Capitale, mais dans les environs, à une grande distance et dans les provinces circonvoisines ; qu’à l’égard de Paris, le peuple était resté encore tranquille et simple spectateur du pillage, exécuté seulement par des gens venus de la campagne, mais que plusieurs circonstances indiquaient que ces étrangers vagabonds étaient moins excités par la misère que par d’autres motifs essentiels à approfondir. — Relation hist., p. 264 et s.)

(Le fait suivant rapporté par un Conseiller des Enquêtes, M. de Pomeuze, confirma cette opinion :

S’étant trouvé dans la bagarre du mercredi, il avait vu une femme plus animée que les autres ; il était allé à elle, l’avait sollicitée de se retirer de la mêlée, en lui offrant un écu de six francs pour qu’elle put se pourvoir de pain ; mais cette furibonde, rejetant son écu, lui avait répondu avec un sourire ironique : « Va, nous n’avons pas besoin de ton argent ; nous en avons plus que toi », et en même temps elle avait fait sonner sa poche. — Relation hist., p. 265. — Du Pont, Mém.)

(On convint de la nécessité de rendre un arrêt préalable, soit pour empêcher le peuple de prendre part au tumulte, en renouvelant les ordonnances contre les attroupements[27] et en évitant cependant de par des menaces articulées et trop sévères, soit pour le consoler en lui faisant voir que la Cour s’occupait de ses besoins et songeait à réclamer la vigilance paternelle du monarque.)

En conséquence l’arrêt ci-après fut rédigé :

Arrêt. — Ce jour, toutes les Chambres assemblées, reçoit le procureur général du Roi plaignant des émotions arrivées dans la ville de Paris et lieux circonvoisins, circonstances et dépendances ; ordonne qu’il sera informé et que l’instruction sera faite et les jugements à intervenir seront rendus en la Grand’Chambre ; qu’à cet effet toutes poursuites qui pourraient avoir été, ou qui pourraient être faites par aucuns juges du Ressort, seront apportées au greffe de la Cour, pour y être pareillement suivies et jugées ; et cependant, ordonne que les ordonnances, arrêts et règlements, qui interdisent tous attroupements illicites, seront exécutés selon leur forme et teneur ; en conséquence, fait très expresses inhibitions et défenses à toutes personnes de former, promouvoir ou favoriser lesdits attroupements, etc., sous les peines portées par les ordonnances, arrêts ou règlements ;

Ordonne, en outre, que le Roi sera très humblement supplié de vouloir bien faire prendre de plus en plus les mesures que lui inspireront sa prudence et son amour pour ses sujets, pour faire baisser le prix des grains et du pain à un taux proportionné aux besoins du peuple, et pour ôter ainsi aux gens malintentionnés le prétexte et l’occasion dont ils abusent pour émouvoir les esprits[28].

(Le même jour, le Parlement refusa d’enregistrer une déclaration par laquelle S. M. attribuait à la Tournelle la connaissance des délits et excès.

Le Parlement la trouva irrégulière au fond et dans la forme. Au fond, en ce qu’elle le rendait Commission à l’égard d’une portion d’autorité qu’il avait par essence ; dans la forme, en ce qu’elle aurait du être adressée à la Grand’Chambre et non à la Tournelle.

Le Conseil jugea le Parlement trop formaliste et trouva qu’il fallait recourir à un lit de justice. Il s’opposa en outre à la publication de l’arrêt au lieu de le faire casser par arrêt du Conseil[29] ; de sorte que le Parlement le regarda comme toujours subsistant, sans chercher toutefois à lui procurer aucune exécution.)

(L’arrêt avait été envoyé sur-le-champ par le Parlement à l’impression, mais le gouvernement ne le trouvant pas conforme à ses arrangements, avait fait signifier des ordres à l’imprimeur pour empêcher qu’il ne fut distribué. Des mousquetaires étaient venus rompre la planche. (Relation hist., p. 265 et s.)

Tout cela avait arrêté la vente, et non l’affiche, qui eut lieu en quelques endroits. Mais on recouvrit l’Arrêt avec l’Ordonnance du Roi du 3 mai — Du Pont, Mém., 189).

Délibération du 5 mai.

(Le 5 au matin, le grand maître des Cérémonies vint apporter au Parlement une lettre de cachet, par laquelle S. M. lui ordonnait de se rendre à Versailles dans la matinée en robes noires pour un lit de justice.

On délibéra sur cet ordre. De nouveaux faits survenus la veille et dans la nuit donnèrent lieu à de nouveaux récits, entre autres celui d’un Conseiller de Grand’Chambre (l’abbé Le Noir) qui dit que son chapelain, arrivé le matin même de son prieuré de Gournay, lui avait appris que les bandits s’y étaient répandus ; mais n’avaient ravi chez les fermiers que du blé battu, qu’ils l’avaient même payé 12 l. le setier, en observant que le Roi avait taxé le pain à 2 s. la livre à Versailles et ne voulait pas qu’il fut payé plus cher.)

(Le Parlement se rendit à Versailles selon l’étiquette prescrite par la lettre de cachet. Messieurs furent bien accueillis. S. M. leur fit donner à dîner dans une salle de cérémonies, où s’assemblent les Corps qui doivent être introduits auprès du Roi. — Relation hist., 367 et s.)

La séance commença à 3 heures 1/2. Elle fut ouverte par un discours du Roi.

Premier discours du Roi. — (Quoique Louis XVI n’eut pas l’organe agréable et sonore, il y mit un ton de noblesse et de fermeté qui répara ce défaut. Il n’avait pas l’air fâché contre le Parlement, mais affligé des nouvelles accablantes qu’il apprenait).

« MM… les circonstances où je me trouve et qui sont fort extraordinaires et sans exemple, me forcent de sortir de l’ordre commun et de donner une extension extraordinaire à la juridiction prévôtale. Je dois et je veux arrêter des brigandages dangereux qui dégénéreraient en rébellion. Je veux pourvoir à la subsistance de ma bonne ville de Paris et de mon royaume. C’est pour cela que je vous ai assemblés et pour vous faire connaître mes intentions que mon Garde des sceaux va vous expliquer. »

Discours du Garde des Sceaux (lu par le Greffier en chef). — « MM… les événements qui occupent depuis plusieurs jours l’attention du Roi n’ont point d’exemple. Des brigands attroupés se répandent dans les campagnes, s’introduisent dans les villes, pour y commettre des excès qu’il est nécessaire de réprimer avec la plus grande activité ; leur marche semble combinée ; leurs approches sont annoncées ; des bruits publics indiquent le jour, l’heure, les lieux où ils doivent commettre leurs violences. Il semblerait qu’il y eut un plan formé pour désoler les campagnes, pour intercepter la navigation, pour empêcher le transport des blés sur les grands chemins, afin de parvenir à affamer les grandes villes, et surtout la ville de Paris. Le mal s’est tellement répandu en peu de temps qu’il n’a pas été possible d’opposer partout la force à la rapidité des crimes ; et si le Roi ne prenait les mesures les plus vives et les plus justes pour arrêter un mal aussi dangereux dans son principe et aussi cruel dans ses effets, S. M. se verrait dans la triste nécessité de multiplier des exemples indispensables, mais qui ne sont réellement efficaces que lorsqu’ils sont faits sans délai.

« Tels sont les motifs qui engagent S. M. à donner, dans ce moment-ci, à la juridiction prévôtale, toute l’activité dont elle est susceptible.

« Lorsque les premiers troubles seront totalement calmés, lorsque tout sera rentré dans le devoir et dans l’ordre, lorsque la tranquillité sera rétablie et assurée, le Roi laissera, lorsqu’il le jugera convenable, à ses Cours et Tribunaux ordinaires, le soin de rechercher les vrais coupables, ceux qui, par des menées sourdes, peuvent avoir donné lieu aux excès, qu’il ne doit penser, dans ce moment-ci, qu’à réprimer ; mais, quant à présent, il ne faut songer qu’à arrêter, dans son principe, une contagion dont les suites et les progrès conduiraient infailliblement à des malheurs et que la justice et la bonté du Roi doivent prévenir. »

(Le Premier Président (D’Aligre) qui devait parler ensuite, peu éloquent de son naturel, n’étant point préparé et d’ailleurs fort embarrassé sur le rôle qu’il devait jouer dans cette circonstance, préféra garder le silence.

Le Premier avocat général (Séguier) n’osa pas s’étendre davantage et donna des conclusions pures et simples pour l’enregistrement de la Déclaration.

M. de Miromesnil allant aux voix pour la forme, on remarqua que M. le Prince de Conti, seul entre les grands, et M. Fréteau, seul entre les membres du Parlement, parlèrent et discutèrent leur avis, que le Garde des sceaux, en retournant au Roi pour lui rendre compte du vœu de l’Assemblée, était resté un quart d’heure aux genoux de S. M.)

Deuxième discours du Roi. — « MM. vous venez d’entendre mes intentions. Je vous défends de faire aucunes remontrances, qui puissent s’opposer à l’exécution de mes volontés. Je compte sur votre soumission, sur votre fidélité, et que vous ne mettrez pas d’obstacles ni de retardement aux mesures que j’ai prises, afin qu’il n’arrive pas de pareil événement pendant le temps de mon règne. »

(Messieurs, avant de partir, reçurent encore beaucoup de politesse et de compliments des ministres ; mais ils revinrent fort ulcérés du coup porté à leur autorité. Les partisans du gouvernement craignant que, dans la première fermentation, il ne fut pris quelque arrêté trop vif, firent renvoyer la délibération au lendemain samedi. Les têtes étant alors plus rassises on décida de ne faire aucune réclamation ouverte, de se contenter des protestations ordinaires et d’un arrêté vague.)

Arrêt du Parlement, les Chambres assemblées :

…La Cour, délibérant sur le récit fait par un de Messieurs, ensemble sur le récit fait par le Premier Président, a chargé le Premier Président de faire connaître audit Seigneur Roi combien il est essentiel, dans les circonstances, qu’il veuille bien continuer, relativement aux grains, les soins que son amour pour ses peuples lui a déjà dictés et que c’est pour entrer dans les vues de sa sagesse, et pour ne rien déranger des précautions que les circonstances présentes lui ont suggérées, que son Parlement a pris la voie la moins éclatante, mais également sûre, vis-à-vis le Seigneur Roi, pour lui témoigner ses inquiétudes et son zèle ; ordonne en conséquence… (reproduction de la partie de l’Arrêt du mai relative aux attroupements).

4. Révocation de Lenoir, lieutenant de police ; son remplacement par Albert et nomination de Fargès au service des subsistances. Lettre de Turgot à Lenoir[30].

Paris, 4 mai à 7 heures du matin.

C’est avec un véritable regret, M., que je vous fais passer le paquet ci-joint de M. le duc de la Vrillière dans lequel vous trouverez une lettre de la main du Roi. Les rapports que votre travail m’a donnés avec vous m’ont convaincu de votre honorabilité et m’ont fait désirer de mériter votre amitié. J’ai cru et je crois encore que votre confiance répondait à la mienne. Je suis très persuadé que vous avez fait ce que vous avez pu pour prévenir les malheurs de la journée d’hier. Mais ces malheurs sont arrivés et je ne puis douter que la manière dont la police a été faite n’ait facilité un événement très aisé, suivant moi, à prévenir, puisque tout était annoncé et que nous étions convenus la veille de mesures qui devaient vous tranquilliser et du succès desquelles vous aviez répondu. Ces mesures n’ont point été exécutées, vous le savez ; vous avez été trop mal servi. Sans vous en faire un crime, la circonstance est si capitale ; la tranquillité dans le moment où nous nous trouvons est si nécessaire pour assurer la subsistance des peuples et de la ville de Paris, son maintien peut tellement influer sur le repos et le bonheur du Roi et de ses sujets pendant tout son règne que j’ai regardé comme un devoir rigoureux de ne rien mettre au hasard et de ne pas risquer un second jour comme celui-ci. Je ne vous cache pas que j’ai proposé au Roi de vous demander votre démission et de nommer un lieutenant de police qui, par une plus grande analogie de caractère avec ce qu’exige la position du moment, me rassure sur le rétablissement de la tranquilité dans le jour. La lettre du Roi doit vous montrer de quelle manière je me suis expliqué avec S. M. ; elle doit vous consoler par l’assurance des sentiments qu’elle conserve pour vous, par l’intention qu’elle vous annonce de vous donner d’autres moyens de la servir utilement et de mériter ses bontés. Vous me connaissez et vous savez que mes promesses ne sont pas de vains compliments. Ainsi vous croirez à l’assurance que je vous donne de saisir toutes les occasions qui se trouveront de remettre sous les yeux du Roi vos anciens services, vos sentiments et les espérances que S. M. vous donne aujourd’hui.

P. S. — M. Albert est votre successeur. Il apprend cet événement en même temps que vous : il n’en avait pas hier le moindre soupçon. Connaissant son honorabilité, vous le jugerez aux discours qu’il a tenus devant vous sur les fautes de la police et vous en croirez le témoignage que je vous en donne et que je lui dois.

5. Nouvelle ordonnance du Roi sur les attroupements.

(Relation historique.)

Il est défendu à ceux qui veulent acheter des denrées dans les rues et marchés, de s’y présenter avec des bâtons ni aucune espèce d’armes et d’outils propres à nuire, pour ne pas être confondus avec les voleurs qui ont détruit et pillé les provisions destinées aux habitants de Paris ou qui ont voulu se les faire donner à un prix au-dessous du courant[31].

6. Lettres du Roi à Turgot, postérieures au lit de justice.

Quatrième lettre.

6 h. du soir, 5 mai.

Je viens, M., d’exécuter ce dont nous étions convenus. La mémoire a pensé me manquer au premier discours, mais j’ai suppléé comme j’ai pu, sans me déconcerter. Il y a eu beaucoup d’avis assez modérés dont M. le Garde des sceaux vous rendra compte sûrement. Quelques-uns ont demandé les anciens règlements ; mais le général avait beaucoup rabaissé de son impertinence d’hier et avait grande peur. J’espère que cela nous donnera de la tranquillité. Je ne sais si vous savez ce que le Parlement de Rouen a fait : c’est encore plus fort que ce que je viens d’ordonner.

Cinquième lettre.

À 6 h., ce samedi (6 mai).

J’ai reçu, M., toutes vos lettres. Je suis fort aise que Pont soit sauvé : nous devions bien nous douter que le mal gagnerait toutes les campagnes. Le point est de rassurer les laboureurs et fermiers et de les engager à continuer leur négoce ; c’est ce dont vous vous occupez avec M. le Mal de Biron. Je viens d’envoyer à M. le Baron Rigoley d’Oigny[32] l’ordre qu’il demande. J’ai lu devant M. Beauvau de l’article de la lettre de M. Bertier, où il fait l’éloge du détachement des gardes du corps et de celui des chevau-légers de Mantes et je l’ai chargé de leur en témoigner ma satisfaction.

Vous avez bien raison que tout ceci coûtera beaucoup d’argent[33] et nécessitera de grands retranchements ; mais, un peu plus ou un peu moins, il en fallait toujours venir là, et, comme d’un mal on gagne quelquefois un bien, on aura vu de ceci que je ne suis pas si faible qu’on croyait et que je saurai exécuter ce que j’aurai résolu : ce qui vous facilitera les opérations qu’il faudra faire. Le vrai est que je suis plus embarrassé avec un homme seul qu’avec cinquante.

Je vais donner les ordres à M. de La Vrillière pour vous envoyer les deux ordres en blanc que vous demandez. C’est une chose bien épouvantable que les soupçons que nous avions déjà et le parti bien embarrassant à prendre, mais malheureusement ce n’est pas les seuls qui en ont dit autant. J’espère pour mon nom que ce n’est que des calomniateurs[34]. Je dirai en même temps à M. de La Vrillière de demander à l’abbé Becquet[35] les papiers qu’il a vus sur les blés peu de temps avant la mort de l’abbé Soldiny[36]. (Il faut que vous ayez une grande certitude pour trancher le mot de fripon comme vous avez fait) ; je ne doute pas que vous n’ayez mandé au procureur général de ne rien faire sur cet avis-là. Toutes les nouvelles de Paris sont bonnes et on a été content de ce qui s’est passé hier, à ce qui me paraît. Je ne crois pas que le Parlement ait fait quelque chose ce matin, excepté les protestations d’usage sur le lit de justice. Fontainebleau est pillé. Tout est entièrement tranquille ici.

7. Déclaration Royale remettant les faits relatifs aux émeutes à la justice prévôtale[37].

[D. P., VII, 273. — D. D., II, 189.]

(Registrée le même jour en lit de justice.)

5 mai.

Louis… Nous sommes informé que, depuis plusieurs jours, des brigands attroupés se répandent dans les campagnes pour piller les moulins et les maisons des laboureurs ; que ces brigands se sont introduits les jours de marché dans les villes, et même dans celle de Versailles et dans notre bonne ville de Paris ; qu’ils y ont pillé les halles, forcé les maisons des boulangers, et volé les blés, les farines et le pain destinés à la subsistance des habitants desdites villes et de notre bonne ville de Paris ; qu’ils insultent même sur les grandes routes ceux qui portent des blés ou des farines ; qu’ils crèvent les sacs, maltraitent les conducteurs des voitures, pillent les bateaux sur les rivières, tiennent des discours séditieux, afin de soulever les habitants des lieux où ils exercent leurs brigandages, et de les engager à se joindre à eux ; que ces brigandages, commis dans une grande étendue de pays, aux environs de notre bonne ville de Paris, et dans notre bonne ville même, le mercredi 3 de ce mois et jours suivants, doivent être réprimés, arrêtés et punis, afin d’en imposer à ceux qui échapperont à la punition, ou qui seraient capables d’augmenter le désordre[38].

Les peines ne doivent être infligées que dans les formes prescrites par nos ordonnances ; mais il est nécessaire que les exemples soient faits avec célérité ; c’est dans cette vue que les rois nos prédécesseurs ont établi la juridiction prévôtale, laquelle est principalement destinée à établir la sûreté des grandes routes, à réprimer les émotions populaires et à connaître des excès et violences commis à force ouverte. À ces causes et autres…

Tant dans notre bonne ville de Paris, que dans toutes les autres villes et lieux où ont été commis lesdits excès, comme dans ceux où l’on en commettrait de pareils, les personnes qui ont été jusqu’à présent ou seront à l’avenir arrêtées, seront remises aux prévôts-généraux de nos maréchaussées, pour leur procès leur être fait et parfait en dernier ressort, ainsi qu’à leurs complices, fauteurs, participes et adhérents, par lesdits prévôts-généraux et leurs-lieutenants, assistés par les officiers de nos présidiaux, ou autres assesseurs appelés à leur défaut et les jugements rendus sur leurs procès, exécutés conformément aux ordonnances ; voulons et ordonnons, à cet effet, que les procédures encommencées soient portées au greffe desdits prévôts ou leurs lieutenants. Faisons défenses à nos Cours de parlement et à nos autres juges d’en connaître, nonobstant toutes ordonnances et autres choses à ce contraires, auxquelles nous avons, en tant que de besoin, dérogé ; et tous arrêts qui auraient pu être rendus, que nous voulons être regardés comme non avenus. Si donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers les gens tenant notre Cour de parlement à Paris, que ces présentes ils aient à faire lire, publier, enregistrer ; et le contenu en icelles, garder, observer et exécuter selon leur forme et teneur ; car tel est notre plaisir ; en témoin de quoi nous avons fait mettre notre scel à cesdites présentes.

Donné à Versailles le cinquième jour du mois de mai…

Registrée, du très exprès commandement du Roi, ouï et ce requérant le procureur général du Roi, pour être exécutée selon sa forme et teneur ; et copie collationnée, envoyée aux bailliages et sénéchaussées du ressort, pour y être pareillement lue, publiée et registrée ; enjoint aux substituts du procureur général du Roi d’y tenir la main, et d’en certifier la Cour au mois. Fait à Versailles, le Roi séant en son lit de justice, le cinq mai mil sept cent soixante-quinze. Signé LE BRET.

8. État des personnes mises à la Bastille pour les affaires de blé[39], sur l’ordre de La Vrilliére[40].

(Funk-Brentano, Les Lettres de Cachet.)

  1. Saffray de Boislabbé, avocat du Roi à Pontoise, 3 mai-26 juin avec injonction de suivre la Cour.
  2. Doumerck, chargé de l’approvisionnement des blés pour le compte du Roi, 5 mai-20 juin.
  3. Dubois, maire de Beaumont-sur-Oise, 6 mai-19 juin.
  4. Sorin de Bonne, négociant à Paris, 6 mai-20 juin.
  5. De l’Épine, négociant en vins à Villemomble, 7 mai-20 juin.
  6. Blaison, procureur fiscal et syndic à Villemomble, 7 mai-20 juin.
  7. Hattot, garçon perruquier, pour avoir parlé d’un prétendu complot contre le Roi, 9 mai-15 mai.
  8. Jolivet, marchand de musique de la Reine, pour avoir déclaré au Lieutenant de Police que son perruquier lui avait dit que le Roi devait être assassiné, 9 mai-15 mai.
  9. Abbé Jouffroy, curé de Férolles-en-Brie, 9 mai-23 mai.
  10. Pasquier, curé de Chevry, près Brie-Comte-Robert, 9 mai-23 mai.
  11. Abbé Riguet, diacre chapelain et épistolier à Notre-Dame de Chartres, 9 mai-29 juin.
  12. Chastellain, meunier au Thillay, près Gonesse, 14 mai-26 mai.
  13. L’abbé Sauri, ancien professeur de philosophie à l’université de Montpellier, auteur des Réflexions d’un citoyen sur le commerce des grains, 29 mai-26 juin.
  14. Hurel, ancien trompette de la ville de Rouen, pour avoir colporté un faux arrêt sur les blés, 30 mai-27 septembre (sur l’ordre de Du Muy).
  15. Abbé Delarue, chapelain de la Charité de Garancières-en-Drouais, 3 juin-20 juillet.
  16. Tival de la Martinière, curé d’Anger-Saint-Vincent (diocèse de Senlis), 7 juin-17 juillet.
  17. Cavelier, curé de Panilleuse-en-Vexin, 17 juin-26 juillet.
  18. Lemoine, sergent au baillage de Beaumont, 18 juin-30 juillet.
  19. Dubois, brigadier de maréchaussée, commis et pensionnaire des fermes générales, 18 juin-30 juillet. Transféré à Melun.
  20. Femme d’Étienne Le Comte, vigneron, 18 juin-30 juillet. Transférée à Melun.
  21. Femme de Janton, maçon, 18 juin-30 juillet. Transférée à Melun.
  22. Dourdan, curé de Gournay-sur-Marne, 20 juin-28 août.
  23. Bailly, notaire à Beaumont, 28 juin-24 juillet.
  24. Langlois, ancien président au Conseil Supérieur de Rouen, 2 juillet-10 juillet.
  25. Thorel, domestique du précédent, 2 juillet-17 juillet.
  26. Queudray, maître des postes aux Andelys, 2 juillet-17 juillet. Transféré à Chartres.
  27. Renault, tisserand à Auny, diocèse de Chartres, 2 juillet-20 août. Transféré à Chartres.
  28. De Bon, curé de La Queue-en-Brie, 5 juillet-17 août.
  29. Dutertre, dit Petrus, 5 juillet-1er juin 1776. Transféré à Bicêtre.
  30. Croville, tisserand de Villette, près Mantes, 17 juillet-1er juin 1776. Transféré à Bicêtre.
  31. Melin, journalier à Auffreville, 22 août-1er juin 1776.

Observations : 2 et 4. — Monthyon a dit : « Dès ses premiers pas dans sa nouvelle, carrière, il (Turgot) débuta par une double faute : il fit arrêter les agents de l’abbé Terray (Doumerck et Sorin de Bonne) pour l’approvisionnement des blés comme coupables de manœuvres ; ce qui fit concevoir au peuple des soupçons, auxquels il n’est que trop disposé dans les temps de disette. Après avoir fait cet éclat, il ne put trouver ces agents en tort, soit qu’ils n’y fussent point, soit qu’il n’eut pas pris des mesures assez promptes et assez justes pour acquérir des preuves de leurs manœuvres. » On voit que l’arrestation des deux fournisseurs eut lieu au mois de mai et non au début du ministère de Turgot.

« Les rigueurs exercées contre eux précédemment, les scellés mis sur leurs papiers ; l’examen scrupuleux, qu’on avait voulu apporter à leurs comptes, renvoyés à la discussion d’Albert, firent présumer que des griefs venus à leur charge donnaient lieu à cette captivité. On s’imaginait assez vraisemblablement qu’ils étaient pour quelque chose dans les émeutes. Lorsqu’ils furent relâchés, ils se vantèrent qu’on n’ait pu asseoir contre eux aucun chef d’accusation. » (Rel. histor.)

9 et 10. Ces deux curés avaient fourni de l’argent à leurs ouailles pour aller chercher du blé à 12 livres et l’avaient recelé chez eux. L’un de ces pasteurs avait près de 80 ans. (Rel. histor.) Le curé de Noisy-le-Grand, coupable du même délit, ne fut pas arrêté ; il prévint l’orage et en fut quitte pour une forte réprimande.

13. « Quoiqu’on use de plus de rigueur à l’égard des curés prisonniers, on travaille à leur élargissement ; aucune procédure judiciaire n’est commencée contre eux. » (Rel. histor.)

22. En faisant en chaire l’éloge du Roi, ce curé avait déclamé contre les ministres. Il fut arrêté, d’après une information faite sur les lieux, par les ordres du Commissaire départi. » (Rel. histor.)

24 et 26. Dans la Correspondance Métra, Langlois est signalé comme l’une des créatures du Chancelier Maupeou. « Il vient de sortir de la Bastille, ce qui prouve que les charges qui étaient contre lui étaient peu fondées. » (Rel. histor.)

« En dehors des personnes embastillées, il y en eut d’autres poursuivies pour faits relatifs à l’émeute. Huit jours après les arrestations, le duc de La Vrillière avait écrit au chef de la Commission prévôtale (Papillon) pour lui reprocher son manque d’activité. Assisté de onze juges du Châtelet, ce magistrat rendit en la Chambre Criminelle un jugement prévôtal condamnant un gazier et un perruquier chamberlan à être pendus en place de grève. L’exécution eut lieu le 11 mai au moyen de deux potences de 18 pieds de haut et avec un grand appareil. On raconta que les magistrats avaient pleuré en signant le jugement et que les suppliciés implorèrent le secours du peuple, en s’écriant qu’ils mourraient pour lui. Un homme plus criminel, nommé Carré et condamné à Versailles à être pendu, eut sa grâce, parce qu’il appartenait au Comte d’Artois. Il avait tenu les propos les plus séditieux et avait dit aux mutins qu’ils devaient aller au château où ils trouveraient des gens ayant grande peur. Sa peine fut commuée en une prison perpétuelle. (Rel. histor.)

9. Arrêt du Conseil accordant des primes à l’importation des grains par terre en Lorraine et en Alsace.

[D. P., VII, 277.]

8 mai.

Le Roi, … ayant, par son Arrêt du 24 avril dernier, accordé différentes gratifications à ceux qui feraient venir des grains étrangers dans les différents ports du Royaume. Et S. M. ayant reconnu qu’il était utile d’en étendre les dispositions aux grains qui souvent arrivent des pays étrangers par terre, dans quelques-unes des provinces de son royaume, qui sont dans le cas d’en avoir le plus besoin ; et singulièrement dans ses provinces d’Alsace et de Lorraine…, ordonne…

I. — Il sera payé à tous les négociants français ou étrangers, qui, à compter du 15 mai prochain jusqu’au 1er août de la présente année, feront venir des grains de l’étranger par terre dans ses provinces d’Alsace et de Lorraine et des Trois-Évêchés, quinze sols par quintal de froment et douze sols par quintal de seigle ; lesquelles gratifications seront payées par les receveurs des fermes dans les villes frontières de l’Alsace et de la Lorraine et des Trois-Évêchés, où les grains seront arrivés, sur les déclarations fournies par les négociants ou les voituriers, qui seront tenus d’y joindre les certificats des magistrats des lieux où le chargement aura été fait, pour constater que lesdits grains ont été chargés en pays étrangers, ensemble copie dûment certifiée des factures, et seront lesdites déclarations vérifiées dans la même forme que pour le paiement des droits de S. M.

II. — Il sera tenu compte à l’adjudicataire des fermes du Roi, sur le prix de son bail, du montant des sommes qu’il justifiera avoir été payées pour raison desdites gratifications.

III. — Il sera payé par quintal de farine de froment introduite dans lesdites provinces d’Alsace et de Lorraine et des Trois-Évêchés par terre, 18 sols, et 15 sols par quintal de farine de seigle.

IV. — Ne pourront les propriétaires des grains étrangers introduits dans le Royaume, ou leurs commissionnaires, après avoir reçu les gratifications portées aux articles Ier et III ci-dessus, les faire ressortir pour l’étranger, ni par eux-mêmes, ni par personnes interposées, sans avoir restitué auparavant lesdites gratifications, sauf à les recevoir de nouveau dans une autre province où les grains seraient introduits, pourvu néanmoins qu’ils y rentrent dans l’époque ci-dessus prescrite.

10. Lettre au premier président du Parlement de Rouen (De Montholon).

[A. L., original, de la main d’un secrétaire pour la première partie, de la main de Turgot pour le surplus.]

(Gratifications pour achats de grains à Rouen. — Enregistrement par le Parlement de l’Arrêt sur la liberté du commerce des grains).

Paris, 8 mai.

Je ne puis pas vous dire, M., combien je suis touché de votre zèle et de vos vues respectables. Dans les circonstances, l’arrangement à faire avec Milien n’est pas à négliger. Je suis bien éloigné de vouloir que vous fassiez une telle dépense à vos frais, surtout après la contribution à laquelle vous vous êtes porté pour le soulagement des pauvres de la ville. Mais il est très important, néanmoins, que je ne paraisse entrer pour rien dans la gratification que Milien[41] exige ; ayez donc la bonté de traiter la chose en votre nom et sans aucun éclat, comme si vous vous y portiez par un simple mouvement de charité que vous voudriez même qui fut ignoré, car à tous égards, le secret est important dans cette affaire. J’en rendrai compte au Roi et en considération de votre zèle, je vous ferai donner une gratification équivalente sur le Trésor Royal. De cette manière, tout sera bien. Votre inquiétude, les murmures des boulangers et les alarmes du peuple seront calmés. Vous aurez fait une bonne œuvre ; le Roi vous aura donné une marque de sa satisfaction et je ne me serai pas mêlé d’une affaire dont il serait dangereux que j’eusse paru me mêler[42].

P.-S. (de la main de Turgot). — J’ai reçu vos deux lettres du 8. Je vois avec plaisir que tout a été tranquille à Rouen hier. Je réponds à M. le maréchal d’Harcourt dont les dispositions me paraissent fort sages.

Quant à l’enregistrement des Lettres patentes, je crois que le moment de la grande fermentation n’est pas celui de donner des lettres de jussion, mais il faut que ceci finisse et certainement si le Parlement n’enregistre pas[43] volontairement, aussitôt que le grand trouble sera fini, le Roi prendra les mesures nécessaires pour être obéi. On a répandu ici le bruit que le Parlement de Rouen avait rendu ou voulait rendre un arrêt pour ordonner d’approvisionner les marchés. Une telle démarche directement contraire aux intentions du Roi et dont l’éclat produirait dans les circonstances présentes le plus mauvais effet déplairait souverainement à S. M. Certainement, elle ne la souffrirait pas.

11. Lettre royale aux archevêques et évêques sur les émeutes[44].

[D. P. VII, 279].

(Appel au concours du clergé pour assurer le maintien de l’ordre public.)

Versailles, 9 mai.

M., vous êtes instruit du brigandage inouï qui s’est exercé sur les blés autour de la capitale, et presque sous mes yeux à Versailles, et qui semble menacer plusieurs provinces du Royaume. S’il vient à s’approcher de votre diocèse ou à s’y introduire, je ne doute pas que vous n’y opposiez tous les obstacles que votre zèle, votre attachement à ma personne, et plus encore la religion sainte dont vous êtes le ministre, sauront vous suggérer. Le maintien de l’ordre public est une loi de l’évangile comme une loi de l’État, et tout ce qui le trouble est également criminel devant Dieu et devant les hommes.

J’ai pensé que, dans cette circonstance, il pourrait être utile que les curés de mon royaume fussent instruits des principes et des effets de ces émeutes et, c’est dans cette vue, que j’ai fait dresser pour eux l’instruction que je vous envoie, et que vous aurez soin d’adresser à ceux de votre diocèse. Les connaissances qu’elle renferme, mises par eux sous les yeux des peuples, pourront les préserver de la sédition, et les empêcher d’en être les complices ou les victimes.

Je compte que vous y joindrez, de votre part, toutes les instructions que les circonstances vous feront juger nécessaires. Je suis bien persuadé que je n’ai rien à prescrire à votre zèle ; mais si le désir de m’être agréable peut l’accroître, soyez sûr qu’on ne peut mieux me servir et me plaire qu’en préservant les peuples de tout malheur, et par-dessus tout de celui d’être coupables dans un moment où, pour leur intérêt même, il ne me serait pas permis d’user d’indulgence. La présente n’étant à autre fin, je prie Dieu, M., qu’il vous ait en sa sainte garde.

Instruction aux curés.

(Origines de la sédition. — La cherté est l’effet de la rareté des blés. — Il n’est pas au pouvoir du Roi de l’empêcher ; il ne peut que l’atténuer par quelques mesures. — Le pillage est un vol. — Les auteurs de la sédition.)

S. M. a ordonné que les brigandages qui dévastent ou menacent plusieurs provinces de son royaume fussent réprimés par des punitions promptes et sévères. Mais, si elle a été forcée d’y avoir recours pour diminuer le nombre des coupables et en arrêter les excès, elle est encore plus occupée d’empêcher qu’aucun de ses sujets ne le devienne et, si elle peut y parvenir, le succès de ses soins sera d’autant plus consolant pour elle, qu’elle est plus vivement affligée des mesures rigoureuses que les circonstances ne lui permettent pas de négliger.

C’est dans cette vue que S. M. a jugé à propos de faire adresser la présente instruction aux curés de son royaume.

Elle a déjà éprouvé l’utile influence de plusieurs d’entre eux, dans des paroisses dont quelques habitants, entraînés à la révolte par des impressions étrangères, mais ramenés par les exhortations de leurs pasteurs à leur devoir et à leur véritable intérêt, se sont empressés de remettre eux-mêmes les denrées qu’ils avaient enlevées, et de porter aux pieds des autels le repentir de leurs fautes, et des prières ferventes pour le Roi, dont on avait osé, pour les séduire, insulter et rendre suspecte la bonté.

S. M. se promet le même zèle des autres curés de son royaume. La confiance des peuples est le prix naturel de leur tendresse, de leur affection et de leurs soins ; et, lorsqu’aux vérités saintes de la religion, qui proscrit tout trouble dans l’ordre public et toute usurpation du bien d’autrui, ils joindront la terreur des peines imposées par les lois civiles contre le vol et la sédition, des avis salutaires sur les dangers et les malheurs du brigandage, et surtout les assurances de la bonté du Roi, qui n’est occupé que du bonheur de ses sujets, S. M. a lieu d’espérer que les peuples seront garantis des voies odieuses qu’on emploie pour les tromper, et qu’ils sauront se préserver également du crime de la sédition et du malheur d’en être les victimes.

Pour que les curés soient plus à portée de faire valoir ces utiles réflexions, il est nécessaire qu’ils soient instruits des principes et des suites de la sédition, dont les habitants de leurs paroisses ont à se préserver et à se défendre.

Elle n’est point occasionnée par la rareté réelle des blés ; ils ont toujours été en quantité suffisante dans les marchés, et pareillement dans les provinces qui ont été les premières exposées au pillage.

Elle n’est pas non plus produite par l’excès de la misère : on a vu la denrée portée à des prix plus élevés, sans que le moindre murmure se soit fait entendre ; et les secours que S. M. a fait répandre, les ateliers qu’elle a fait ouvrir dans les provinces, ceux qui sont entretenus dans la capitale, ont diminué les effets de la cherté pour les pauvres, en leur fournissant les moyens de gagner des salaires et d’atteindre le prix du pain.

Le brigandage a été excité par des hommes étrangers aux paroisses qu’ils venaient dévaster : tantôt ces hommes pervers, uniquement occupés d’émouvoir les esprits, ne voulaient pas, même pour leur compte, des blés dont ils occasionnaient le pillage ; tantôt ils les enlevaient à leur profit, sans doute pour les revendre un jour, et satisfaire ainsi leur avidité.

On les a vus quelquefois affecter de payer la denrée à vil prix, mais en acheter une quantité si considérable, que l’argent qu’ils y employaient prouvait qu’ils n’étaient poussés ni par la misère présente, ni par la crainte de l’éprouver.

Ce qu’il y a de plus déplorable, est que ces furieux ont porté la rage jusqu’à détruire ce qu’ils avaient pillé. Il y a eu des grains et des farines jetés dans la rivière.

La scélératesse a été poussée jusqu’à brûler des granges pleines de blés et des fermes entières. Il semble que le but de ce complot ait été de produire une véritable famine dans les provinces qui environnent Paris, et dans Paris même, pour porter les peuples, par le besoin et le désespoir, aux derniers excès.

Le moyen employé par ces ennemis du peuple a été de l’exciter partout au pillage, en affectant de paraître ses défenseurs. Pour le séduire, les uns ont osé supposer que les vues du Roi étaient peu favorables au bien de ses peuples, comme s’il avait jamais séparé son bonheur de celui de ses sujets, et comme s’il pouvait avoir d’autre pensée que celle de les rendre heureux.

Les autres, affectant plus de respect, mais non moins dangereux, n’ont pas craint de répandre que le Roi approuvait leur conduite et voulait que le prix des blés fût baissé, comme si sa S. M. avait le pouvoir et le moyen de baisser à son gré le prix des denrées, et que ce prix ne fût pas entièrement dépendant de leur rareté ou de leur abondance.

Un de leurs artifices les plus adroits a été de semer la division entre les différentes classes de citoyens et d’accuser le gouvernement de favoriser les riches aux dépens des pauvres ; tandis qu’au contraire il a eu pour but principal d’assurer une production plus grande, des transports plus faciles, des provisions plus abondantes ; et, par ces divers moyens, d’empêcher tout à la fois la disette de la denrée et les variations excessives dans les prix, qui sont les seules causes de la misère.

Projets destructeurs supposés au gouvernement, fausses inquiétudes malignement exagérées, profanation des noms les plus respectables, tout a été employé par ces hommes méchants pour servir leurs passions et leurs projets ; et une multitude aveugle s’est laissé séduire et tromper : elle a douté de la bonté du Roi, de sa vigilance et de ses soins, et par ses doutes elle a pensé rendre ces soins inutiles, et tous les remèdes vains et sans effet.

Les fermes que le brigandage a pillées, les magasins qu’il a dévastés, étaient une ressource toute prête pour les temps difficiles et assuraient les moyens de subsister jusqu’à la récolte.

Si l’on continue de priver l’État de cette ressource, de piller les voitures sur les chemins, de dévaster les marchés, comment se flatter qu’ils seront garnis, que les grains n’enchériront pas davantage, que la denrée, dissipée, interceptée et arrêtée de toutes parts, ne finira pas par manquer aux besoins ? Si les blés sont montés à des prix trop élevés, ce n’est pas en les dissipant, en les pillant, en les enlevant à la subsistance des peuples, qu’on les rendra moins chers et plus communs.

L’abondance passagère d’un moment, obtenue par de tels moyens, serait le présage certain d’une disette prochaine et qu’on tenterait alors en vain d’éviter.

Ce sont ces vérités qu’il est nécessaire que les curés fassent comprendre aux peuples pour leur propre intérêt : le pillage amène les maux que feignent de craindre ceux qui l’inspirent et le conseillent, et un petit nombre de gens malintentionnés profitent du désordre, tandis que ceux qu’ils ont séduits en demeurent les victimes.

Des pasteurs n’ont pas besoin d’être avertis de faire remarquer aux peuples que toute usurpation de la denrée, même en la payant, lorsque c’est à un prix inférieur à sa valeur, est un vol véritable, réprouvé par les lois divines et humaines, que nulle excuse ne peut colorer, que nul prétexte ne peut dispenser de restituer en entier au véritable maître de la chose usurpée. Ils feront sentir, à ceux qui pourraient être dans l’illusion, que le prix des blés ne peut malheureusement être proportionné qu’à la plus ou moins grande abondance des récoltes ; que la sagesse du gouvernement peut rendre les chertés moins rigoureuses, en facilitant l’importation des blés étrangers, en procurant la libre circulation des blés nationaux, en mettant, par la facilité du transport et des ventes, la subsistance plus près du besoin, en donnant aux malheureux, en multipliant pour eux toutes les ressources d’une charité industrieuse ; mais que toutes ces précautions, qui n’ont jamais été prises plus abondamment que depuis le règne de S. M., ne peuvent empêcher qu’il n’y ait des chertés ; qu’elles sont aussi inévitables que les grêles, les intempéries, les temps pluvieux ou trop secs qui les produisent ; que la crainte et la méfiance des peuples contribuent à les augmenter, et qu’elles deviendraient excessives, si, le commerce se trouvant arrêté par les émeutes, les communications devenant difficiles, les laboureurs étant découragés, la denrée ne pouvait plus être apportée à ceux qui la consomment.

Il n’est point de bien que S. M. ne soit dans l’intention de procurer à ses sujets : si tous les soulagements ne peuvent leur être accordés en même temps, s’il est des maux qui, comme la cherté, suite nécessaire des mauvaises récoltes, ne sont pas soumis au pouvoir du Roi, S. M. en est aussi affectée que ses peuples ; mais quelle défiance ne doivent-ils pas avoir de ces hommes malintentionnés qui, pour les émouvoir, se plaisent à exagérer leur malheur, par les moyens mêmes qu’ils leur indiquent pour les diminuer !

S. M. compte que tous les curés des paroisses où cette espèce d’hommes chercherait à s’introduire, préviendront avec soin les habitants contre leurs fatales suggestions.

Des troupes sont déjà disposées pour assurer la tranquillité des marchés et le transport des grains. Les habitants doivent seconder leur activité et se joindre à elles pour repousser la sédition qui viendrait troubler leurs foyers et accroître leur misère, sous prétexte de la soulager.

Lorsque le peuple connaîtra quels en sont les auteurs[45], il les verra avec horreur, loin d’avoir en eux aucune confiance ; lorsqu’il en connaîtra les suites, il les craindra plus que la disette même.

Les sublimes préceptes de la religion, exposés en même temps par les curés, assureront le maintien de l’ordre et de la justice. En exerçant ainsi leur ministère, ils concourront aux vues bienfaisantes de S. M. ; elle leur saura gré de leurs succès et de leurs soins[46]. Le plus sûr moyen de mériter ses bontés est de partager son affection pour ses peuples et de travailler à leur bonheur[47].

12. Lettre du Roi à Turgot, après les émeutes.

[A. L., original.]

11 mai.

Je vous renvoie, M., l’Arrêt du Conseil que vous m’avez envoyé[48] ; il faut que ce ne soit pas un homme de loi qui l’ait fait : car il n’a pas le sens commun ; mais il part sûrement du même foyer et il aurait été à désirer qu’on eût pu en arrêter le colporteur.

J’ai revu avec plaisir le nom de Marin[49] au bas d’une pièce de vers.

Il est très vrai que nous avons à présent trop de troupes aux environs de Paris ; mais, dans le premier moment, on ne pouvait pas savoir où cela irait. Le peuple a ouvert les yeux et reconnu qu’il avait été trompé. Si vous pouvez épargner les gens qui n’ont été qu’entraînés, vous ferez fort bien. M. de La Vrillière m’a appris les deux exécutions qu’il y avait eu ce soir[50]. Je désirerais bien qu’on pût découvrir les chefs de cette odieuse machination. Je crois qu’à présent vous pouvez ne pas presser l’arrivée des troupes, sans paraître les décommander et ôter les gardes qui sont à chaque boutique de boulanger en laissant les patrouilles rôder dans les rues. Je crois que c’est par là où vous devez commencer. Vous pouvez ne pas venir demain au Conseil.

Louis.

13. Ordonnance du Roi.

[D. P., VII, 290.]

(Amnistie en faveur des pilleurs qui auront restitué.)

Versailles, 11 mai.

Il est ordonné que toutes personnes, de quelque qualité qu’elles soient, qui, étant entrées dans des attroupements, par séduction ou par l’effet de l’exemple des principaux séditieux, s’en sépareront d’abord après la publication du présent ban et ordonnance de S. M., ne pourront être arrêtées, poursuivies ni punies pour raison des attroupements, pourvu qu’elles rentrent sur-le-champ dans leurs paroisses, et qu’elles restituent, en nature ou en argent, suivant la véritable valeur, les grains, farines ou pain qu’elles ont pillé, ou qu’elles se sont fait donner au-dessous du prix courant.

Les seuls chefs et instigateurs de la sédition sont exceptés de la grâce portée dans la présente ordonnance.

Ceux qui, après la publication du présent ban et ordonnance de S. M., continueront de s’attrouper, encourront la peine de mort et seront les contrevenants arrêtés et jugés prévôtalement sur-le-champ.

Tous ceux qui dorénavant quitteront leurs paroisses sans être munis d’une attestation de bonne vie et mœurs, signée de leur curé et du syndic de leur communauté, seront poursuivis et jugés prévôtalement comme vagabonds, suivant la rigueur des ordonnances.

14. Événements en province.

[A. L., bulletin manuscrit.]

12 mai.

Montfort du 9 mai. — Le subdélégué de Montfort-l’Amaury mande du 9 que les invitations aux fermiers d’approvisionner les marchés ne produisent pas grand effet, ce qui indique que la terreur y est encore bien générale et qu’on ne se croit pas assez en sûreté.

Monthéry du 9. — Quoique le marché du 8 se soit passé paisiblement à cause de la présence des troupes, on ne peut pas être entièrement tranquille sur cette partie. Il y avait, dit le subdélégué, 15 000 âmes rassemblées. Il faut réduire ce compte à 4 ou 5 000, mais c’est encore assez pour commettre beaucoup de dégâts en se dispersant. Les mutins paraissent très animés et n’ont été retenus que par la crainte. Celle qu’ils inspiraient a empêché les laboureurs d’envoyer et a rendu le marché très peu fourni.

Mennecy, près Corbeil, du 10. — La tranquillité n’est, de même, maintenue que par la présence des troupes. 300 paysans sont venus avec des sacs qui n’ont rien acheté quoique le prix fut baissé d’un sixième.

Melun. — Tout est en paix et les pillards restituent.

Dammarie du 10. — Les femmes ameutées ont arbitrairement fixé le prix du grain ; les fermiers ont dit qu’ils ne s’exposeraient plus à apporter du grain puisqu’on les traitait ainsi ; les séditieux ont répondu qu’ils en trouveraient bien dans les fermes s’il n’en venait pas au marché ; les dragons se sont bornés à empêcher les voies de fait, non pas la violence faite aux laboureurs sur le prix. Ils n’ont arrêté personne. Ces dragons n’ont pas fait leur devoir et l’officier qui les commande doit être puni.

Dreux (lettres du commandant de la maréchaussée et du subdélégué de Mantes) du 10. — Deux brigades de maréchaussée ont contenu la populace qui se disposait à forcer les halles et greniers et voulait que le blé fut taxé à bas prix. Elles ont maintenu la liberté du marché.

Provins du 10. — La ville est tranquille, mais il y a des fermes pillées dans la campagne.

Fontainebleau du 10. — Le subdélégué demande quelques troupes pour le marché de Milly où il appréhende une émeute.

Lagny du 11, par courrier exprès. — On a brûlé une ferme comme on en avait menacé la veille. Des hussards ou des dragons y seraient fort nécessaires.

Picardie. — Il y a eu rumeur à Péronne et à Roye ; la bourgeoisie s’y est mise sous les armes. On a envoyé de Troyes un détachement de 50 gardes du corps et un de 30 gardes du corps à Grandvilliers. Il y a encore à Troyes une garde laissée par le bataillon de Navarre qui y a passé.

Tableau des Troupes qui sont ou seront incessamment en Picardie pour maintenir la tranquillité (Lettre de l’Intendant d’Agay), du 10 mai.

Actuellement à Amiens : La compagnie des gardes du corps de Luxembourg, sur quoi il en sera détaché :

À Roye                                       30 maîtres ;

À Grandvilliers                          30 maitres ;

À Amiens, on attend l’infanterie de la légion de Soubise, (180 hommes), sur lesquels il sera détaché :

À Péronne, une compagnie d’infanterie ;

À Breteuil                 25 hommes ;

À Lihons          25 hommes ;

À Conty                    25 hommes.

A Montdidier, arrivera le 12 un escadron du Régiment de Condé.

Beauce. — M. le premier Président marque qu’on lui mande qu’à Chartres, Courville, la Loupe et Nogent-le-Rotrou, il y a des gens inconnus qui courent les villages et ameutent le peuple, en disant qu’il y a ordre du Roi de donner le blé à 12 livres le setier.

À Nogent-le-Rotrou, un seul étranger a mené la bande du village de Coulombs qui avait été avertie par d’autres étrangers.

À Dourdan, un petit homme habillé de rouge a intimidé l’exempt de la maréchaussée en lui disant qu’il était porteur d’ordres du Roi pour faire donner le blé à 15 livres et que, s’il s’y opposait, il serait pendu.

Soissons. — M. de Brabançon et M. de Morfontaine demandent de la cavalerie pour garder le cours de l’Aisne et protéger les fermes dans le pays. Il y a eu émeute à Château-Thierry, et même à Chauny, malgré un détachement du corps d’artillerie qui s’y était porté de La Fère.

Gazette de Leyde du 19. — À Rouen, un arrêté du Parlement a ordonné au prévôt général de faire le procès aux mutins.

Dans le Centre, 60 000 hommes de troupes ont opéré pour rétablir l’ordre. Il y avait eu des pillages à Metz et à Nancy.

Une lettre à l’intendant de Caen (A. Calvados, C. 2 628) du 27 mai, constate la tranquillité dans la province.

15. Lettre de Turgot à l’abbé de Véri.

[A. L., copie tirée du Journal de l’abbé.]

(Opinion de Maurepas sur les émeutes. — Récit de l’abbé.)

13 mai.

Vous saurez vraisemblablement ce qui se passe. Jamais votre présence ne m’a été plus nécessaire. Le Roi est aussi ferme que moi, mais le danger est grand parce que le mal se répand avec une rapidité incroyable et que les mesures atroces des instigateurs sont suivies avec une très grande intelligence. Les partis de vigueur sont d’une nécessité absolue. Celui du renvoi de M. Lenoir n’est pas approuvé d’un de vos amis[51]. Il ne sait pas le service que je lui ai rendu à lui-même. Si M. Lenoir était resté, je ne pouvais répondre de rien ; je tombais et par conséquent M. de Maurepas. Je crois votre présence assez nécessaire pour vous envoyer un courrier. Partez, venez sans délai… J’ai du courage, mais venez m’aider.

À la date du 26 mai, l’abbé de Véri note dans son Journal ses impressions sur l’émeute : « Il est impossible de trouver dans aucun monument historique un exemple d’émeutes populaires comme celles qui ont eu lieu dans différents endroits et nommément à Paris et à Versailles ; la fureur, la rage, les meurtres et les excès des brigandages sont les causes et les suites ordinaires des séditions. Ici, c’était de la gaité pour les spectateurs, de la douceur et de la jovialité dans les exécuteurs, et de l’inaction stupide ou volontaire dans ceux qui sont commis pour veiller à l’ordre public. La cherté du pain a été le prétexte ; cependant son prix est fort au-dessous de ce qu’il a coûté dans plusieurs années de cherté pendant lesquelles le peuple ne s’est point ameuté. Les marchés ont été suffisamment garnis partout. Le grain ne manque pas dans le Royaume, quoiqu’il y soit un peu rare, par l’effet de la mauvaise récolte. On ne nomme aucun monopoleur. N’importe, un cri furieux s’est élevé dans une classe de gens et surtout, dans la capitale, contre les maximes de liberté du commerce. On les appelle système dangereux, système affamant… M. de Maurepas eût été le premier objet de leur chaleur si M. Turgot ne s’était pas présenté à leurs yeux comme l’auteur réel de la liberté. Il s’est même montré si promptement au danger en prenant tout sur lui qu’il a été lui seul l’objet de la haine ou de l’admiration… M. de Maurepas n’a fait qu’un personnage secondaire qui n’a pas paru à ses partisans convenable à son âge et à son poste ; il avait adopté par raisonnement les maximes de la liberté, mais avec la nuance de son caractère ; à chaque inquiétude occasionnée par le renchérissement de la denrée, quoique bien prévu, à chaque cri des mécontents, il devenait un peu chancelant dans les plans adoptés ; l’habitude qu’il a de dire ce qu’il pense au delà du cercle de ses amis, l’a fait présumer au moins indifférent sur l’article des grains et peut-être contraire à M. Turgot… Ceux qui n’ont pas été traités par celui-ci comme ils l’auraient désiré, ceux qui craignent les réformes, les financiers qui lui voient avec chagrin les yeux ouverts sur les abus de leur administration, les magistrats de grande et de petite police, ennemis de la liberté prise sur une partie chérie de leur influence sur le peuple, ceux qui voudraient avoir part au ministère et ceux qui veulent renverser celui qui existe, ont tous concouru, de désir et de fait, à faire élever les voix qui se plaignent au-dessus de celles qui approuvent. Le courage de M. Turgot, réduit à faire face aux plaintes de tous les genres, a suffi vis-à-vis de toutes ; il a fortifié le Roi dans ses principes par lettre et de vive voix… « Nous avons pour nous notre bonne conscience », lui dit le Roi en le voyant arriver le jour de l’émeute de Versailles, et « avec cela, on est bien bien fort » …[52]

« … Il n’est pas encore décidé si cette quantité d’émeute n’a pas été la même qui s’est promenée successivement dans différents endroits…

« Les insurgeants furent conduits, à la fin, hors de Versailles par les militaires, comme l’est un troupeau de moutons ; ils annoncèrent qu’on les verrait le lendemain à Paris ; l’avis qu’on en eut fit prendre des précautions pour assurer la Halle au Blé… Les insurgeants n’y touchèrent pas ; mais ils se répandirent dans les quartiers de Paris, à la Halle au pain et chez les boulangers ; ils s’y promenèrent plusieurs heures de rue en rue et se bornèrent à prendre le pain pour le donner aux premiers venus. Le peuple de Paris ne prit point parti pour eux… Chaque habitant ferma ses portes ; mais les fenêtres étaient ouvertes et on s’y mettait pour voir passer l’émeute, comme on va voir passer une procession.

« Dans quelques endroits et devant la maison du Contrôleur général, on entendit des cris et on vit des hommes qui montraient du pain moisi… Quelques morceaux de ce pain ont été examinés par des experts et on a reconnu qu’il avait été cuit dans la journée même et qu’on l’avait fait verdir et noircir avec une composition…

« Cette promenade qu’on peut dire paisible pour être une émeute, étonne encore autant que l’inaction des troupes à pied et à cheval qui furent distribuées dans les différents quartiers de Paris. On a vu des escouades du guet passer à côté des boulangers qu’on pillait… On a vu le guet refuser de conduire en prison des séditieux que des mousquetaires jeunes et actifs avaient resserrés dans un coin. Le guet répondait : « Nous n’avons pas d’ordres d’arrêter. » Le lendemain, des sergents de gardes-françaises riaient avec eux (les brigands) de la manière dont ils s’étaient comportés la veille… C’est à l’inaction du maréchal de Biron, leur colonel, qu’on doit attribuer principalement la durée de l’émeute. M. Lenoir, lieutenant de police, qui avait fortifié la Halle sans trop penser au reste, peut avoir eu quelque négligence qu’on ne peut justifier. Mais un homme de robe, et nouveau dans sa place, peut avoir la tête troublée ; il a été le seul puni et est encore sous la punition, quoiqu’on sente déjà qu’il a été traité trop rigoureusement et qu’on s’occupe de le dédommager. Le plus coupable était sans contredit le maréchal de Biron… Son inaction se manifesta le matin même du 3 mai ; il fut conseillé par M. de Maurepas, chez lequel il était à 9 heures du matin, de laisser la cérémonie de la bénédiction des drapeaux indiquée pour ce jour-là et de distribuer ses gardes dans Paris ; il ne le voulut pas d’abord et ce ne fut que plus tard qu’il envoya de gros détachements dans les lieux principaux et encore sans leur donner les ordres nécessaires pour dissiper les mutins L’ordre était seulement d’empêcher de tuer. C’est à ce même moment que commença le vrai tort de M. de Maurepas ; quoique tout Paris lui ait fait un crime d’avoir été la veille à l’Opéra, lorsque l’émeute était à Versailles, il n’en avait pas été instruit et il ne la connut telle qu’elle était qu’à l’Opéra même où il sut que tout était apaisé. Ce tort au reste, pouvait n’être qu’une étourderie, mais le lendemain, ce fut un tort à mon avis de faiblesse et de réflexion. »

Véri raconte qu’il fit à ce sujet des observations au vieux ministre et que Maurepas lui répondit : « Le Roi avait écrit à Turgot ; M. Turgot avait été prendre ses ordres et nous les attendions à tout moment ; dès qu’il fut de retour à midi, j’allai chez lui pour me concerter et le voyant donner des ordres à tout le monde, je me retirai. »

« … Le maréchal de Biron ne fut pas le seul coupable d’inaction. Le 3 mai, les gardes suisses à Saint-Germain, à Versailles et à Paris eurent aussi des torts par défaut d’ordres de leurs chefs ; les mousquetaires se présentèrent de bonne grâce, mais leur influence ne pouvait qu’être médiocre par leur petit nombre et leur chef n’avait qu’un détail très circonscrit. »

16. Lettre à l’Intendant de Champagne.

(Demande de renseignements sur les dégâts commis pendant les émeutes).

[A. Marne. — Neymarck, II, 408.]

Paris, 16 mai.

Le repentir, M., des excès auxquels se sont livrés les habitants des différentes paroisses dans lesquelles les marchés ou les fermes ont été pillés, commence à opérer des effets salutaires. L’amnistie que S. M. a accordée à ceux qui restitueraient, a eu le succès qu’elle devait en attendre ; les restitutions déjà commencées, avant cette amnistie, sont devenues beaucoup plus considérables depuis. Je suis instruit qu’il y a quelques fermiers à qui on a restitué en entier tout ce qu’ils avaient été obligés de livrer ; lorsque toutes ces restitutions seront commencées, je vous prie de m’en envoyer l’état et d’y joindre celui des grains qui ont été pillés autant qu’on aura pu le constater, soit par la déclaration des fermiers, soit par toute autre voie. Si vous pouvez connaître à peu près quelle est la quantité de grains qui aurait été jetée dans la rivière, la valeur des granges brûlées et celle des grains et farines répandus dans les marchés ou ailleurs et dont une grande partie sera perdue, j’aurai, par la réunion de ces différents objets, le tableau des subsistances perdues, de celles qui auront été recouvrées et de la perte des différents propriétaires. Cet aperçu peut servir de base aux spéculations du commerce et à régler les indemnités qu’il sera juste d’accorder aux fermiers. Ce tableau vous servira à vous-même, dans la répartition des impositions lors de votre département, pour faire supporter aux paroisses, dans lesquelles des restitutions commencées partout n’auraient point eu leur effet, les dédommagements qu’il serait juste d’accorder. Je vous prie, M. de m’envoyer cet état le plus promptement qu’il vous sera possible pour que je puisse rendre publics les effets salutaires du repentir des habitants qui se sont laissés entraîner à la séduction ou au mauvais exemple. La publicité des restitutions présentera les ressources des campagnes jusqu’à la récolte, et diminuera l’inquiétude, préviendra les pillages dans les lieux qui en ont été garantis jusqu’à présent, et l’Instruction que S. M. a invité MM. les Évêques d’adresser à leurs curés, achèvera autant qu’il sera possible la réparation de tous les dommages qui seront réparables.

17. Documents divers sur les émeutes

17 mai.

Lettre de l’abbé Morellet à Lord Shelburne[53]. — Vous aurez appris, sans doute, les petits mouvements qui se sont exercés ici à l’occasion de la cherté du pain, cherté au reste moindre que celle que nous avons éprouvée dans la plus grande partie du ministère de l’abbé Terray. Je ne doute pas qu’on ne vous ait grossi les événements et qu’on y ait donné des explications très merveilleuses. Vous savez que je ne me laisse pas entraîner si facilement à cette imagination qui agrandit les objets…

Je dois pourtant vous avouer que j’ai passé quelques jours fort inquiet de ce qui pouvait arriver de tout ceci à mon ami M. Turgot et plus inquiet encore du malheur qui menaçait ce pays-ci, si on venait à perdre le ministère…

Ce n’est pas qu’il (Turgot) ait été ébranlé le moins du monde dans sa place, mais c’est qu’il n’a tenu pour qu’il le fut qu’au caractère du Roi qui heureusement s’est trouvé et s’est montré très raisonnable et très ferme… Ces émeutes ont consisté uniquement à forcer des boulangers à donner le pain à 2 sols la livre, les fermiers et autres marchands de grains à donner leur blé à 12 francs le setier et à piller la farine dans quelques moulins. Il n’y a pas eu d’autres violences de faites, mais elles se sont étendues fort loin… Le prince de Poix, fils du maréchal de Mouchy, ci-devant comte de Noailles, crut faire merveille, en sa qualité de gouverneur de Versailles, d’ordonner qu’on donnât le pain à 2 sols à ces marauds-là. Cette faute légère de la part d’un jeune homme a eu les conséquences les plus graves, car tout de suite on en a pris droit de répandre que le Roi avait ordonné qu’on donnât le pain à 2 sols…

Sans croire qu’il y ait à tout cela une première et unique cause, un complot formé et dirigé à un seul but, on ne peut se dissimuler que ce premier mouvement une fois donné a été soigneusement entretenu… On a surtout été étrangement surpris de la facilité avec laquelle Paris a été pillé… On était averti la veille qu’il y aurait le lendemain une émeute à Paris… Et, en effet, quatre ou cinq cents personnes, dont un petit nombre armé seulement de bâtons, ont pillé toutes les boutiques de boulangers depuis trois heures du matin jusqu’à trois heures de l’après-midi, sans opposition, sans contradiction, et sans que cette merveilleuse police de Paris qu’on vante tant pour sa vigilance et sa sévérité ait rien empêché… Le soir même de cette belle journée, M. Turgot est allé à Versailles, a raconté au Roi ce qui s’était passé, et fait révoquer sur-le-champ le lieutenant de police et donné sa place à un homme que vous avez vu à Montigny[54], un M. Albert… Ce premier coup d’autorité a commencé à faire voir à quel homme on avait affaire en la personne de M. Turgot ; mais le jour suivant, il a encore déployé son caractère et sa présence d’esprit d’une manière plus marquée… On avait décidé que les coupables seraient jugés et punis prévôtalement… Le Parlement faisait quelque opposition à cette forme de procéder. D’ailleurs, après être convenu le mercredi que les magistrats s’en rapporteraient au Roi sur les moyens les plus prompts d’éteindre ces commencements de trouble, le Parlement, assemblé le jeudi au soir, s’était laissé aller à porter un arrêt dans lequel, entre autres dispositions, le Roi était supplié de réduire le prix du pain à un taux moins disproportionné aux facultés du peuple. C’était faire l’apologie des mouvements populaires… M. Turgot sentit tout de suite la tendance de cet arrêt et, après avoir fait des tentatives inutiles tout le soir du jeudi, pour empêcher qu’on imprimât et qu’on affichât l’arrêt, est allé à Versailles au milieu de la nuit et a fait réveiller le Roi…

Je vous ai dit que le Roi s’était montré très raisonnable et très ferme ; j’en suis sûr parce que j’ai là plusieurs de ses lettres, écrites dans les moments de crise et très biens écrites, très sagement et montrant très clairement le désir de faire le bien…

Je vous ai envoyé un ouvrage qui fait ici beaucoup de bruit sur La législation et le commerce des grains ; il est de M. Necker ; il est à bout portant contre l’administration de M. Turgot ; des gens délicats en procédés ont désapprouvé qu’on profitât de la liberté qu’accorde M. Turgot lui-même pour fronder violemment son administration… Quant aux mérites du livre, deux sentiments très opposés, comme dans toute affaire, percent : les uns le trouvent excellent ; d’autres, au nombre desquels je suis, très mauvais, au moins pour les principes, si ce n’est pour la forme qui n’est pas mauvaise, sans être bien merveilleuse.

Opinions de l’abbé Galiani. — Les opinions de Galiani sur Turgot, bien que contradictoires, ont été souvent citées. Il est utile dès lors de recueillir celles que contiennent ses Lettres à Mme d’Épinay.

18 février. — Au sujet d’un paquet qui devait être contresigné par le contrôleur général et qui ne l’avait pas été, Galiani appelle Turgot : « Mon ancien et véritable ami. »

27 mai, à propos de la guerre des farines, il écrit : « La moinaille et la prêtraille ont été les moteurs des émeutes de Madrid en 1765 ; on se servit du prétexte de la cherté pour venger les impôts que M. de Squillace mettait sur les ecclésiastiques. Ceux qui n’entendent pas souvent la messe doivent donc s’attendre qu’on vengera le mépris de la messe. Le premier problème à résoudre pour un ministre est de garder sa place et, plus il se croit honnête homme, plus il doit s’acharner à rester en place… J’espère que cet événement aura appris à M. Turgot et à l’abbé Morellet à connaître les hommes et le monde qui n’est pas celui des ouvrages des économistes. Il aura vu que les révoltes causées par la cherté ne sont pas impossibles comme il le croyait. On ne sait jamais au juste le nombre de ses ennemis… M. Turgot ne sait peut-être pas que le jadis Parlement, aujourd’hui grand Conseil, trouve le pain fort cher aussi. Si son chagrin et celui de M. l’abbé, servaient à leur faire rendre un peu plus de justice à mes Dialogues, ou du moins à mes intentions… j’aurais gagné beaucoup à cette bagarre, puisqu’il n’y a pas d’homme dont je chérisse plus l’estime et l’amitié ; ils ont de grandes vertus et un grand génie ; ils sont restés peut-être trop longtemps au cabinet et n’ont pas été comme moi jetés, dès leurs premières années, au beau milieu d’une Cour pour y être le jouet de la fortune.

3 juin, à propos de la Réfutation de ses Dialogues, par l’abbé Morellet. — « M. Turgot, qui était persuadé que la liberté seule suffisait, sera très étonné de se voir obligé à donner des récompenses pour l’importation, à épuiser le trésor royal et à flétrir sa gloire… C’est dommage s’il est renvoyé, mais c’est un peu sa faute ; pourquoi se faire économiste ? » »

10 juin. — « Si votre jeune souverain ne sacrifie pas M. Turgot au caprice et à la terreur panique de son peuple, il mérite d’acquérir par ce seul trait le surnom de Grand… J’attends l’ouvrage de Necker que je lirai parce qu’il se laisse lire. »

24 juin, à propos de la fin des émeutes. — « Tout cela est arrangé. Tant mieux, et j’en suis vraiment ravi pour M. Turgot ; je regarde comme un vrai bonheur pour la France de le conserver en place. »

29 juillet. — « Maurepas, Turgot, Sartine, Malesherbes, voilà quatre hommes dont un seul suffit à rétablir un empire. »

29 août, à propos de l’abbé Baudeau, qui s’était exprimé inconsidérément sur Sartine. — « Croyez-moi et souvenez-vous-en quand il sera temps, les économistes casseront le cou à M. Turgot ; ils ne méritent pas d’avoir un ministre dans leur secte absurde et ridicule. »

Lettres de Mlle de Lespinasse à Condorcet[55]. — Mercredi au soir. — « … Il n’y a pas de repos pour une âme aimante et animée de l’amour du bien. C’est bien certainement la passion la plus malheureuse que puisse avoir un homme en place, et cela ne vous est que trop prouvé. Notre ami en sera la victime. On vous aura mandé tous les troubles de ces jours-ci ; on vous aura dit que les révoltes étaient annoncées et qu’elles ont eu lieu comme si elles avaient été imprévues. Notre ami est resté calme dans l’orage ; son courage et sa bonne tête ne l’ont point abandonné. Il a passé les jours et les nuits à travailler, mais je me meurs de peur que sa santé ne succombe à d’aussi violentes secousses… Le Roi a montré dans toute cette affaire beaucoup de sagesse, de bonté et de fermeté ; il a écrit hier deux lettres à M. Turgot qui font grand honneur à son âme et à son bon esprit… Bon Condorcet, mettez de la modération dans le ton et une grande force dans les choses ; c’est la cause de la raison et de l’humanité que vous défendez. Gardez-vous d’employer ce moyen si commun et si faible de dire des injures ; la matière que vous traitez n’est pas susceptible de plaisanteries… » [56]

Samedi au soir (15 mai). — « Non, je n’ai pas été à la campagne, d’abord parce que si j’y avais été j’en serais revenue pendant ce temps de trouble ; je ne voyais pas M. Turgot, mais j’avais de ses nouvelles dix fois par jour et elles m’étaient nécessaires… »

Lundi au soir (21 mai). — « Je crois que M. Turgot restera à Paris pendant le Sacre pour se remettre au courant des affaires. Sa maladie et les derniers troubles doivent l’avoir mis fort en retard… Mais pourquoi donc les Lettres provinciales[57] ne sont-elles pas répandues parmi les fidèles de Paris ? J’ai vu deux petites feuilles de Genève qui, j’espère, vous sont parvenues. Le Monopole, cela est du meilleur ton et du meilleur sel. L’autre feuille est du vieillard de Ferney qui a la vigueur, la gaieté et la frivolité de vingt ans ; cela est intitulé Diatribe à l’auteur des Éphémérides… Ce qu’il dit sur l’édit de M. Turgot est vraiment touchant : l’humanité tenait la plume, et le Roi a signé.

1er juin. — « C’est à moi que vous devez vous en prendre si la quatrième et la cinquième lettre ne paraissent pas depuis huit jours ; j’ai conjuré M. Du Pont d’attendre la sixième pour les faire paraître ensemble, et je suis assuré que c’est votre intérêt et le bien de la chose qui m’ont animée, et cela est si vrai que M. Turgot et M. Du Pont se sont rendus à mes raisons… Pour remplir votre objet, il fallait cette sixième lettre qui entrera en matière et qui intéressera pour ce qui doit la suivre…

« Il faut absolument qu’il (Condorcet) fasse dire : Il a fait un excellent ouvrage, et par le ton, et par la manière, il l’a rendu agréable et, quand M. Necker et l’abbé Galiani seront oubliés, votre livre restera avec la force que donne la vérité, soutenue de l’instruction…

« Vous savez que M. Turgot va au Sacre. Mon premier mouvement a été d’en être fâchée ; je voyais que cela lui donnerait bien du temps, qu’il se remettrait au courant, mais tout ce qui l’entoure dit qu’il fallait qu’il y allât, que cela était absolument nécessaire. »

V. — Lettres à Brochet de Saint-Prest.

1. (Invitation à remettre des dossiers.)

[A. N., F12 151.]

4 avril.

Je suis informé, M., que vous avez encore entre vos mains différents dossiers d’affaires concernant le commerce qui vous ont été renvoyées et dont plusieurs particuliers que ces affaires regardent sollicitent la décision. Je vous prie de vouloir bien faire remettre à M. Albert tous ces dossiers sur l’inventaire desquels il vous donnera récépissé.

2. (Remboursement du prix de sa charge.)

[A. N., F12 151.]

28 décembre.

M. Trudaine m’a parlé, M., du remboursement que vous demandez du prix de votre charge. Si vous voulez bien me transmettre vos titres, je la ferai examiner et procéder à la liquidation et au remboursement.

Je suis très parfaitement M., etc…

VI. — Lettres de Maurepas à Turgot au sujet des émeutes.

[A. L.]

Première lettre.

Pontchartrain, 3 juin.

Je vous rends mille grâces, M., d’avoir bien voulu m’informer de l’arrivée du Roi ; nous sommes toujours ici aussi entourés qu’à Versailles. Nous y avons d’hier l’abbé de Véri. J’en ai peu joui, car M. et Mme d’Ai.[58] sont venus passer ici la journée et la conversation a été assez triste, comme vous pouvez croire. Nos campagnes sont assez belles et le pays tranquille à quelques braconniers près qui tirent des coups de fusil dans les fermes. Le Comte de Flamarens[59] en a déjà fait prendre deux ; il espère avoir les autres.

Mme de M.[60] me charge de vous dire mille choses de sa part et je vous assure, M., de mon très fidèle attachement.

Deuxième lettre.

Pontchartrain ?, 10 juin.

Je suis charmé, M., que vous ayez lieu d’être tranquille sur les subsistances, dans le pays où vous êtes j’étais bien persuadé que le public averti depuis longtemps y aurait pourvu.

On veut ici nous donner quelque inquiétude pour Versailles, mais d’après ce que je vois ici, je ne puis la croire fondée. Il est bon pourtant qu’il vienne des bestiaux à Orléans pour forcer la Beauce à apporter à Paris, et je voudrais qu’il en parût à Mantes qui feraient le même effet dans ce pays-ci pour Versailles et pour nos environs.

Vous n’attendez pas que je vous mande des nouvelles d’ici ; Mme de M. est mieux de son rhume et vous fait mille compliments. Ne doutez jamais, M., de la fidélité de mon attachement.

L’archevêque d’Aix[61] exercera au      [62] ; je voudrais bien savoir s’il aura réussi.

VII. — Arrêts du Conseil suspendant les droits d’octroi sur les grains, les farines et le pain, sauf à Paris et à Marseille.

[D. P., VII, 336.]

1er Arrêt. — Suppression des droits d’octroi à Bordeaux.

2 juin.

(La Ville de Bordeaux percevait des tributs onéreux qui ajoutaient à la cherté des grains destinés à la consommation des habitants et qui portaient les marchands à conduire leurs blés dans d’autres villes où les droits étaient moins pesants ; elle demandait que le Roi trouvât quelque moyen de diminuer la cherté et d’appeler la denrée dans ses murs (Du Pont, Mém., 201).

Le Roi, occupé des moyens de pourvoir au bonheur de ses peuples par la facilité des subsistances, a reconnu qu’il est surtout essentiel d’affranchir le commerce des grains des entraves qui en arrêtent la libre circulation et des droits de différentes natures qui en augmentent les prix.

S. M. est informée que sa ville de Bordeaux jouit d’un octroi qui se perçoit à raison de 7 sols 6 deniers par boisseau de blé, de 6 sols par boisseau de méteil, et de 4 sols 6 deniers par boisseau de seigle ; que, quoique, dans l’ordre commun, le droit d’octroi d’une ville ne doive s’étendre que sur les denrées qui se consomment dans son intérieur, l’octroi de Bordeaux sur les grains a reçu, en différents temps, une extension nuisible à la liberté du commerce ; qu’à la vérité il ne se percevait pas directement sur les grains qui passent à Bordeaux, soit en venant du pays étranger, soit en descendant des provinces de l’intérieur du Royaume pour être transportés ailleurs ; mais qu’à ce passage ils étaient soumis à un entrepôt fixé, par l’Arrêt du conseil du 27 novembre 1757, à un bref délai de huit jours, à l’expiration duquel le fermier de l’octroi exigeait rigoureusement le droit, sans égard aux retardements forcés que peut éprouver le commerce, soit par les vents contraires, soit par la nécessité de soigner les grains qui ont reçu quelques avaries ; que, pour éviter le payement de ce droit, les négociants ont été forcés d’établir leurs entrepôts hors de l’arrondissement marqué par le fermier de la ville, d’où il résultait que les opérations de leur commerce, s’exécutant loin d’eux, elles étaient moins bien faites et plus dispendieuses ; que, malgré les réclamations du commerce, les Lettres patentes du 27 août 1767 ont maintenu la ville de Bordeaux dans la perception de ce droit ; mais seulement par provision et jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné, voulant qu’à cet effet il fût fait distinction du produit dudit octroi dans le bail des revenus de la ville ; qu’enfin les Lettres patentes du 14 juillet 1771 ont restreint la perception dudit droit aux seuls grains déclarés pour la consommation de la ville ; qu’elles ont même accordé l’entrepôt indéfini aux grains et farines qui passent à Bordeaux ou dans la banlieue pour être transportés ailleurs ; mais que, par ces dispositions, les subsistances de la ville demeurent grevées du droit, et que les déclarations, les formalités compliquées, les enregistrements auxquels ces denrées sont assujetties, les visites que le fermier est autorisé à faire dans les magasins, les saisies auxquelles les négociants peuvent être exposés en jouissant de l’entrepôt, tendent à éloigner de la ville et de la banlieue de Bordeaux l’abondance qui devrait régner dans son port, et se répandre de là dans toutes les provinces ouvertes à son commerce.

À quoi étant nécessaire de pourvoir…

À compter du jour de la publication du présent arrêt, et jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné, la perception du droit d’octroi sur les grains, soit nationaux ou étrangers, entrant, soit par eau ou par terre, dans la ville et banlieue de Bordeaux, sera et demeurera suspendue, soit que lesdits grains soient destinés pour la consommation de ladite ville ou pour être transportés ailleurs.

Fait défenses au fermier de la ville et à toutes personnes d’exiger ledit droit, même de le recevoir, quoiqu’il fût volontairement offert, et ce, sous telle peine qu’il appartiendra ; se réservant S. M., après que les titres originaires de l’établissement et de la quotité dudit octroi auront été représentés et vérifiés en son Conseil, de pourvoir à l’indemnité qui pourra être due à ladite ville, ainsi qu’il appartiendra.

2e Arrêt. — Suppression des droits d’octroi dans toutes les villes, sauf à Paris et à Marseille.

2 juin.

Le Roi ayant, par Arrêt de son Conseil du 22 avril dernier, suspendu la perception de tous droits sur les grains et farines, tant à l’entrée des villes que sur les marchés, soit à titre d’octroi, ou sous la dénomination de minage, aunage, hallage et autres quelconques, dans les villes de Dijon, Beaune, Saint-Jean-de-Losne et Montbard, S. M. a depuis étendu cette suspension à plusieurs droits de même nature, perçus au profit des villes dans les généralités de Besançon, de Lorraine, de Metz, de Flandre, de Picardie, de Hainaut, de Champagne, de Rouen, de Lyon, de Moulins, de La Rochelle et de Paris ; les mêmes motifs qui l’ont déterminée à ordonner cette suspension dans ces différentes généralités, à mesure qu’on a réclamé contre les inconvénients qui résultaient de la perception de ces droits, la conduisent à rendre générale une exemption qui pourrait tourner au préjudice des villes dans lesquelles on laisserait subsister ces droits qui cesseraient d’être perçus ailleurs : S. M. a pensé qu’en ordonnant cette suspension, elle ne faisait que remplir le vœu des officiers municipaux des villes qui, regardant leurs revenus comme consacrés à l’avantage de leurs concitoyens, seront toujours empressés d’en faire le sacrifice, ou d’en demander le changement, lorsqu’ils croiront que la perception en pourrait être nuisible aux habitants desdites villes, et en écarter les denrées nécessaires à leur subsistance. S. M. a vu avec satisfaction plusieurs villes demander elles-mêmes la suspension de ces droits, et elle a reconnu que l’abondance avait été rétablie dans la plupart de celles dans lesquelles ces droits ont cessé d’être perçus en vertu des différents Arrêts de son Conseil ; et, voulant répondre aux désirs que les officiers municipaux de ces villes ont de contribuer au soulagement de leurs concitoyens, de procurer dans leurs marchés l’abondance et une diminution du prix des grains, par la suspension de ces droits, dont la plupart sont assez considérables pour influer sensiblement sur ce prix, et qui peuvent donner lieu dans la perception à des abus qui augmentent encore la surcharge, elle se porte d’autant plus volontiers à suspendre ces droits, qu’elle a lieu de croire que, dans l’examen des charges et des revenus des villes, elle trouvera, par des économies et des retranchements de dépenses inutiles, les moyens de rendre cette suspension durable, sans avoir recours à des impositions d’un autre genre : et, lorsque la situation des finances des villes exigera un remplacement de revenus, S. M. est persuadée qu’il sera facile d’y pourvoir par des moyens qui n’influeront pas aussi directement sur une denrée de première nécessité.

S. M., en suspendant la perception des droits qui appartiennent aux villes, croit encore moins devoir laisser subsister ceux qui se lèvent au profit des exécuteurs de la haute justice, dont la perception pourrait exciter plus de troubles et rencontrer plus d’opposition dans les marchés ; elle a pensé que c’était autrement qu’il fallait pourvoir à leurs salaires…

La perception faite par les villes, dans toute l’étendue de son royaume et à leur profit, de droits sur les grains, les farines et le pain, soit à l’entrée, soit sur les marchés ou ailleurs, à titre d’octroi et sous quelque dénomination que ce soit, sera et demeurera suspendue à compter du jour de la publication du présent arrêt, et jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné.

Fait défenses à toutes personnes de les recevoir, quoiqu’ils fussent volontairement offerts ; à la charge néanmoins de l’indemnité qui pourra être due aux fermiers desdits droits pour le temps qu’ils auront cessé d’en jouir.

Fait très expresses inhibitions et défenses aux régisseurs ou fermiers desdits droits d’exiger de ceux qui introduiront des grains et des farines dans les villes, ou qui les apporteront dans les marchés, et de ceux qui feront la vente du pain, aucune déclaration, ni de les assujettir à aucune formalité, sous quelque prétexte que ce puisse être.

N’entend néanmoins S. M. rien changer, quant à présent, à ce qui concerne les villes de Paris et de Marseille[63], qu’elle a exceptées des dispositions du présent arrêt.

Fait en outre S. M. très expresses défenses aux exécuteurs de la haute justice d’exiger aucunes rétributions, soit en nature, soit en argent, des laboureurs et autres qui apporteront des grains et des farines dans les villes et sur les marchés des lieux où elles ont été jusqu’à présent en usage, sauf à eux à se pourvoir, pour faire statuer au payement de leurs salaires, de la manière qui sera jugée convenable.

VIII. — Lettre à l’Intendant de Champagne.

(Primes à l’importation.)

[A. Marne. — Neymarck, II, 409.]

Paris, 18 mai.

Il faut, M., rendre tout de suite l’ordonnance dont vous m’envoyez le projet, pour restreindre aux grains venus de l’étranger la gratification accordée par votre première ordonnance. Quoique la quantité qui a été tirée de ces provinces ne soit pas assez considérable pour y causer une diminution sensible, cependant, il faut se garantir des effets de l’opinion autant que de la réalité et ces provinces auraient de justes raisons de se plaindre de l’inégalité qui serait entre elles et la Champagne, et de l’attrait qu’on donnerait aux négociants de cette province, dont l’effet devrait être de faire payer en Lorraine et ailleurs le blé plus cher.

Les secours que vous pouvez tirer par la Hollande, ceux qui vous viendront pour Reims des magasins de vivres suppléeront abondamment à ceux que la gratification que vous aviez accordée pouvait vous procurer.

J’ai instruit MM. les Intendants d’Alsace, de Lorraine et de Metz de la révocation prochaine de votre ordonnance contre laquelle ils avaient fait des réclamations, ainsi que plusieurs villes de leur généralité. Le délai de 10 jours donnera le temps à toutes les commissions données d’être exécutées, et celles qui ne le seraient pas peuvent être révoquées.

Il suffit d’annoncer le transit accordé, dans le préambule de votre ordonnance, sans le répéter dans le dispositif qui ne doit avoir d’objet que de révoquer la prime accordée et de la restreindre aux blés importés de l’étranger.

IX. — Lettres à l’Intendant de Caen.

(Encouragements à donner au commerce des grains.)

[A. Calvados, C. 2628, 26.]

Première lettre.

Paris, 2 juin.

J’ai indiqué, M., à un négociant du Havre auquel il est arrivé des grains d’Amsterdam les besoins de votre généralité. Si les prix, que vous annoncez être augmentés et devoir s’accroître encore, lui promettent plus d’avantages qu’à Rouen ou à Paris, il viendra au secours de votre généralité. C’est aux négociants de votre province à diriger leurs spéculations.

Ceux du Havre dont je vous parle sont les sieurs Féray et Daugirard ; c’est à vous à rassurer les marchands par vous-même et par vos subdélégués. Ils doivent voir la protection que le Roi accorde à ceux qui se livrent à ce commerce. Tout ce que le Roi a fait depuis les dernières émotions qui viennent d’arriver doit leur faire connaître qu’il maintiendra l’exécution des lois qui assurent la liberté du commerce, et vous devez sentir et persuader que c’est dans toutes les années où les récoltes sont les plus mauvaises, où les subsistances sont les plus rares, que la liberté est plus nécessaire ; on ne peut apporter des denrées dans un lieu où on pourra craindre de n’en avoir pas la libre disposition.

Plus votre province peut craindre de n’avoir pas de blé jusqu’à la récolte et plus tous ceux qui concourent à cette administration doivent faire d’efforts pour persuader qu’il faut exciter tous les négociants à en aller chercher ; dites-leur que vous me ferez connaître ceux qui se seront distingués par leur zèle et qui, par l’intelligence avec laquelle ils auront exercé leurs spéculations, auront maintenu l’abondance aux prix les plus avantageux que les consommateurs puissent espérer.

Vous-même, dans la répartition des impositions, vous pourriez donner quelques marques de satisfaction aux négociants les plus actifs et les plus désintéressés. Ne pourriez-vous pas décharger de la capitation les négociants de chaque ville principale de votre généralité qui auront vendu le plus de grains à un meilleur marché ? Ces encouragements qui satisferont à la fois la vanité et l’intérêt produiront un très bon effet et, dans la répartition des décharges de la capitation que vous êtes autorisé à accorder, ce seraient peut-être les mieux employées.

Deuxième lettre.

[A. Calvados, C. 2628, 37.]

(Propos séditieux à Vire. — La liberté du commerce est surtout nécessaire lors du passage d’une récolte à une autre. — Il faut encourager le commerce.)

Versailles, 23 juin.

Je vous ai marqué que j’avais écrit à la Chambre du Commerce de Saint-Malo pour indiquer les besoins de la basse Normandie. C’est aux négociants de votre province à s’instruire eux-mêmes pour procurer, partout où le besoin les appelle, les secours nécessaires.

Je vous prie de faire rechercher avec la plus grande activité les auteurs des placards séditieux qui ont été affichés à Vire ; il est de la plus grande importance de les connaître et de les punir ; c’est par les punitions qu’on affermira la tranquillité.

Les derniers mois qui précèdent la récolte sont toujours bien difficiles à passer lorsque l’année précédente a été mauvaise ; plus la récolte a été mauvaise, plus la liberté doit être encouragée, plus elle est nécessaire. Il faut que le commerce aille chercher ce qui manque ; il faut, par conséquent, l’attirer et non l’effrayer ou le contraindre ; c’est la concurrence facile du commerce qui peut déterminer les fermiers à vendre. Ainsi tournez vos efforts du côté du commerce. Que les négociants ne soient pas effrayés, s’ils conduisent leur commerce avec intelligence !

Je sais que des négociants de Paris ont fait venir des grains du Nord qui sont d’une très bonne qualité et qui leur reviennent rendus à Rouen à 28 et 29 livres le setier ; ils sont un peu plus chers en Hollande, mais ces mêmes négociants m’ont assuré qu’ils pourraient en faire venir plusieurs chargements de Hollande qui ne leur reviendraient pas, rendus à Rouen, à plus de 32 livres. Au lieu de les faire venir à Rouen, ils pourraient venir dans des ports de votre Province. Cherchez, dans la ville de Caen, quelque négociant intelligent ; les prix de votre généralité et les gratifications leur promettent un bénéfice prompt et certain ; les efforts du commerce sont toujours plus actifs, plus intelligents et plus prompts que ceux du Roi qui est bien convaincu qu’il ne doit jamais s’en mêler[64].

X. — Édit sur la liberté du commerce des grains à Rouen.

(Registré au Parlement de Rouen le 23 juin.)

[D. P., VII, 347 et Mém, 204. — D. D., II, 200.]

(Suppression de la Compagnie des marchands privilégiés, de la corporation des porteurs et du droit de banalité des moulins à Rouen.)

Reims, juin.

Louis… Occupé dans tous les temps du soin d’assurer et de faciliter la subsistance de nos sujets, nous nous proposons de porter singulièrement notre attention sur les obstacles de tous genres qui peuvent éloigner le commerce des grains des villes où leur abondance est le plus nécessaire, ou les faire monter au-dessus de leur prix juste et naturel, par des frais accessoires.

Nous sommes informé que, dans notre ville de Rouen, ce commerce important est uniquement et exclusivement permis à une Compagnie de marchands privilégiés, créés en titre d’office, au nombre de 112, par les Édits de décembre 1692 et juillet 1693 ;

que les titres de leur création leur attribuent non seulement le droit de vendre seuls des grains à la halle de ladite ville, dans leurs maisons et boutiques et d’en tenir magasin chez eux, mais encore celui de pouvoir seuls acheter les grains qui y seraient transportés d’ailleurs par des laboureurs ou des marchands étrangers ;

qu’ils ont même celui d’acheter seuls, exclusivement et sans concurrence, les grains dans quatre des principaux marchés de la province, aux lieux d’Andelys, Elbeuf, Duclair et Caudebec en sorte que, tant à l’achat qu’à la vente, le commerce des subsistances de notre ville de Rouen est privé de toute liberté, et concentré dans une société unique, ce qui constitue essentiellement le monopole ; qu’à la vérité l’exercice de ce privilège exorbitant et abusif a été modéré, à quelques égards, par les dispositions de la Déclaration du 28 mai 1763 ; mais que ce qui en subsiste encore est très nuisible au commerce, notamment par le droit de visiter tous les grains apportés dans ladite ville, de s’ériger en juges de leur bonne ou mauvaise qualité, et d’inquiéter les négociants ; en sorte que les fonctions de ces marchands privilégiés ne peuvent avoir d’autre effet que de les rendre seuls arbitres du prix des grains, et d’éloigner l’abondance, tant des quatre marchés soumis à leur privilège, que de notre ville de Rouen même.

Nous sommes encore informé que, dans cette même ville, les acheteurs de grains ne sont libres ni de choisir les porteurs qu’ils veulent employer, ni de convenir de gré à gré du prix de leurs salaires ; que le droit de faire ces transports, au moyen d’un prix déterminé et taxé est réclamé par quatre-vingt-dix porteurs, chargeurs et déchargeurs de grains, dont les offices, très anciennement créés, abolis ensuite, ont été rétablis et confirmés par Arrêt du Conseil et Lettres patentes du 28 septembre 1675, et par autres Lettres d’août 1677, registrées en notre Parlement de Normandie le 5 mars 1678 ; l’établissement de pareils offices est aussi inutile en lui-même que contraire à la liberté publique.

Enfin, nous sommes pareillement instruit que le droit de banalité, attaché aux cinq moulins qui appartiennent à notredite ville de Rouen, est également nuisible, soit à la facilité de l’approvisionnement, soit au prix modéré du pain, puisque ce droit emporte la défense aux boulangers de la ville d’acheter ou d’employer d’autres farines que celles qui proviennent desdits moulins ; et que même, cesdits moulins ne pouvant suffire à la consommation, l’on ne se relâche de cette défense qu’en obligeant les boulangers de payer au fermier de la banalité le droit de mouture sur les farines qu’ils sont obligés de faire fabriquer ailleurs ; que ce droit de banalité, qu’on annonce comme fixé seulement au treizième, augmente le prix du pain dans une proportion beaucoup plus forte : qu’en effet, les boulangers des faubourgs, qui ne sont point sujets à la banalité, sont obligés, par ces règlements, de fournir le pain, dans les marchés de la ville de Rouen, à raison de dix-huit onces par livre, et au même prix que celui qui se fait dans l’intérieur, dont le poids n’est que de seize onces : d’où il résulte que le droit de banalité augmente le prix d’un neuvième.

Si des institutions aussi nuisibles à la subsistance de nos sujets, aussi contraires à tous les principes, sollicitent notre attention pour tous les lieux où elles existent, elles la méritent encore plus particulièrement dans notre ville de Rouen, que la nature a désignée, par les avantages de la plus heureuse position, pour devenir le chef-lieu d’un grand commerce, l’entrepôt le plus commode de l’importation des grains étrangers et de la circulation des grains nationaux, le centre d’où l’abondance, fixée dans la ville même et assurée à ses habitants, doit encore se répandre par la Seine vers notre bonne ville de Paris et les provinces de l’intérieur de notre royaume. Tel est le degré d’importance et de prospérité que la situation de notre ville de Rouen lui promet, et que sa police prohibitive actuelle ne lui permettrait jamais d’atteindre.

Mais, en nous livrant au soin de réformer cette police, notre justice exige en même temps que nous nous occupions des moyens de pourvoir, soit à la liquidation et au remboursement des finances qu’on nous justifiera être légitimement dues sur les offices que nous avons résolu de supprimer et au payement des dettes auxquelles ils pourraient être affectés, soit aux indemnités auxquelles l’abolition du droit de banalité pourrait justement donner lieu. À ces causes, …

Art. I. Nous avons éteint et supprimé, éteignons et supprimons les cent offices de marchands de grains privilégiés, créés en notre ville de Rouen par Édit du mois de décembre 1692, et les douze offices semblables créés par Édit de juillet 1693 ; l’office de syndic desdits marchands, créé par Édit du mois de décembre 1693 ; les deux offices d’auditeurs et examinateurs des comptes de ladite communauté, créés par Édit de mars 1694 ; les deux offices de syndic créés par Édit de novembre 1705, et les offices d’inspecteurs et contrôleurs créés par l’Édit du mois de février 1745.

II. Les titulaires ou propriétaires desdits offices supprimés seront tenus dans l’espace de six mois du jour de la publication du présent édit, de remettre entre les mains du Sr Contrôleur général de nos finances, leurs titres de propriété, quittances de finance et autres titres justificatifs des sommes par eux payées, pour être procédé à la liquidation et ensuite au remboursement des finances légitimement dues, ainsi qu’il sera ordonné ; ensemble, un état de leurs dettes, tant en rentes perpétuelles que viagères, pour être pourvu à l’acquittement, ainsi qu’il appartiendra.

III. Défendons expressément auxdits cent douze marchands de prétendre, après la publication de notre présent édit, aucun privilège ou droit exclusif, soit en achetant ou en vendant dans l’intérieur de notre ville de Rouen, ou dans les lieux d’Andelys, Elbeuf, Duclair et Caudebec ; leur permettons néanmoins de continuer le commerce des grains avec la même liberté dont jouissent nos autres sujets.

IV. Nous avons pareillement éteint et supprimé, éteignons et supprimons les 90 offices de porteurs, chargeurs et déchargeurs de grains, établis et confirmés par Arrêt du Conseil et Lettres patentes du 28 septembre 1675, et Lettres en forme de Règlement, d’août 1677. Voulons que les droits attribués auxdits 90 offices, pour leur tenir lieu de salaires et réglés par Arrêt du Conseil du 9 avril 1773, soient et demeurent éteints et supprimés à compter du jour de la publication du présent édit. Défendons aux titulaires desdits offices, et à tous autres, de faire sous prétexte desdits droits aucune perception, à peine de concussion.

V. Les titulaires ou propriétaires desdits offices supprimés seront tenus, dans l’espace de six mois, du jour de la publication du présent édit, de remettre entre les mains du Contrôleur général de nos finances, leurs titres de propriété, quittances de finances et autres titres justificatifs des sommes par eux payées, pour être procédé à la liquidation et ensuite au remboursement des finances légitimement dues, ainsi qu’il sera ordonné ; ensemble, un état de leurs dettes, tant en rentes perpétuelles que viagères, pour être pourvu à l’acquittement ainsi qu’il appartiendra.

VI. Voulons que le droit de banalité des cinq moulins appartenant à la ville de Rouen, soit et demeure éteint et aboli, à compter du jour de la publication du présent édit ; en conséquence, permettons à tous boulangers, pâtissiers et autres de ladite ville, de faire moudre leurs grains ou de se pourvoir de farines partout où ils voudront. Défendons de les assujettir à aucun des droits, ou d’exiger d’eux aucune des rétributions du droit de banalité.

VII. Ordonnons que, dans un mois du jour de la publication du présent édit, les officiers municipaux de notre ville de Rouen remettront au Contrôleur général de nos finances les états du produit annuel dudit droit de banalité, et les états par estimation de celui que donneront lesdits moulins après la suppression, ensemble de la diminution que pourront en souffrir les revenus de la ville, pour être par nous pourvu à l’indemnité ainsi qu’il appartiendra.

VIII. Voulons que notre présent édit soit exécuté nonobstant tous Édits, Déclarations, Lettres patentes ou Règlements, auxquels nous avons dérogé et dérogeons en ce qui pourra y être contraire.

« On trouve dans cet édit un principe qui mérite une attention particulière, parce qu’il paraît devoir servir de règle pour l’indemnité à fournir dans le cas de suppression de toute banalité, dont on croirait devoir l’anéantissement au bien public. L’édit distingue, dans le produit des moulins, … ce qui constitue le salaire naturel qu’exige le service, du surplus de ce salaire qui est l’effet du privilège exclusif, et qui forme le seul revenu… dont on doive indemnité au propriétaire, lorsque la banalité est supprimée.

« Exemple : un seigneur jouit d’un moulin banal affermé 1 000 écus. Si la suppression de la banalité fait baisser le prix de la mouture, la juste indemnité que peut exiger le possesseur pourra n’être que de 600 livres de rente. L’avantage de ce genre de banalité monte rarement aussi haut ; la plupart des moulins ayant été originairement construits par la suite de conventions faites de gré à gré entre les possesseurs et ceux qui étaient soumis à la banalité ne rendaient guère plus que le salaire dû au service.

« La suppression générale de cette servitude, exécutée de manière à ne faire aucun tort réel à ceux au profit desquels elle existait, n’aurait pas été une grande dépense pour les communes qui auraient eu la liberté de s’en rédimer.

« De ce que les droits de banalité n’étaient pas d’un grand produit aux seigneurs, … on aurait tort de conclure qu’ils n’étaient pas fort onéreux aux vassaux… La recette en argent est souvent peu de chose ; mais la gêne pour le commerce et la facilité que le privilège exclusif donne aux agents chargés de l’exercer, pour mal servir le public, sont d’une grande importance » (Du Pont, Mém.).

XI. — Troubles en divers endroits.

Lettres au Garde des Sceaux. 

[A. Affaires étrangères, 1375 ; 185, 186, 197, 199, 241, 262.]

Première lettre.

(Nouveaux troubles et incendie à Mantes.)

Reims, 11 juin.

J’ai reçu, avec la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, celle du lieutenant de la maréchaussée de Mantes. Je vous prie de lui marquer votre satisfaction du zèle avec lequel il se porte à dissiper les attroupements et à arrêter les brigands qui inquiètent encore les fermiers et de l’engager à continuer la même activité dans son service. M. le Comte de Flamarens m’a mandé qu’il en avait fait arrêter deux qui s’étaient retirés dans les bois et qu’on soupçonnait être des incendiaires qui avaient mis le feu à une ferme près de Mantes. Il serait bien à souhaiter qu’on put parvenir à découvrir ceux qui ont mis le feu à Mantes ; c’est contre ces incendiaires qu’il faut réunir toute l’activité des troupes et de la maréchaussée.

Deuxième lettre.

(Menaces à main armée.)

Reims, 11 juin.

J’ai adressé à M. l’Intendant de Paris la copie de la lettre du curé de Behoust[65] que vous m’avez fait l’honneur de me communiquer ; je vous prie aussi de faire donner des ordres à la maréchaussée de faire des perquisitions exactes dans les campagnes pour tâcher d’avoir des fermiers le signalement de ceux qui ont été dans les fermes avec des armes se faire donner des grains et de l’argent.

Troisième lettre.

(Même objet.)

Versailles, 9 juillet.

J’ai reçu, avec la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, celle du lieutenant de la maréchaussée de Mantes relative aux prisonniers qui ont été arrêtés en vertu des ordres de M. de Flamarens. Les circonstances extraordinaires des émeutes peuvent donner un peu plus d’étendue aux règles que l’on suivait dans des temps plus tranquilles.

Il y a un corps de délit constant, c’est qu’il y a des braconniers qui ont été chez les laboureurs à main armée ; ce délit est réel ; les auteurs peuvent être connus par une information, et si elle désigne ceux que les dragons ont arrêtés ; alors ils peuvent devenir très légitimement justiciables de la maréchaussée. Les laboureurs peuvent être entendus dans l’information ; ils peuvent même être conduits dans les prisons où les braconniers sont détenus pour les reconnaître. C’est ainsi qu’on a conduit, dans la procédure qui a été faite à Dijon, des témoins dans les prisons, pour voir s’ils reconnaissaient ceux qu’ils avaient indiqués dans leurs dépositions. C’est à vous, Mgr., à juger si ces moyens peuvent suppléer au défaut de procès-verbal fait lors des captures. Si les dragons n’ont aucun caractère pour faire un procès-verbal, ils peuvent être entendus en déposition, et le lieu où ils ont trouvé les braconniers qu’ils ont arrêtés, la vie errante qu’ils menaient, en les faisant regarder comme vagabonds, me paraît les rendre justiciables de la maréchaussée.

Quatrième lettre.

(Même objet. — Moyens de procédure à employer.)

Paris, 13 juillet.

J’ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire et celles qui y étaient jointes relativement au Sr Pierre Hamelin, boulanger à Nesle, arrêté à Beaumont, avec un pistolet chargé et amorcé dans sa poche et qui, à l’ouverture du marché, est monté sur une pile de sacs et a dit à haute voix aux laboureurs : « MM. les laboureurs, vous avez foulé le peuple jusqu’à ce jour, il faut que vous soyez foulés à votre tour. » Ces faits constatés par son propre aveu dans ses interrogatoires me paraissent ne pouvoir être atténués par sa protestation qu’il n’avait pas intention d’élever une sédition, car aucune conduite ne pouvait y être plus propre.

Ce qu’il dit encore, qu’il portait un pistolet pour se défendre contre les séditieux, est démenti par le discours qu’il a tenu à leur tête. Les procédures envoyées par M. Ruste disent d’ailleurs qu’il est noté dans le pays comme un mauvais sujet. L’humanité des personnes qui s’intéressent à lui peut avoir été émue par les sollicitations. Mais si l’on faisait grâce à celui-là, je crois qu’il n’y a pas un seul des autres coupables qui ne pût s’imaginer en droit de l’obtenir. Il se trouve formellement excepté par le ban de l’amnistie du nombre de ceux à qui elle a été accordée puisqu’il a été ameuteur et ameuteur armé. C’est du moins mon opinion ; je m’en rapporte à la vôtre et je suis…

Cinquième lettre.

(Jugements rendus et poursuites. — Félicitations à la maréchaussée.)

Versailles, 17 août.

J’ai reçu, avec la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, les exemplaires du jugement rendu par le Sr Ruste, lieutenant de la maréchaussée de Beauvais, contre les auteurs des émeutes de Beaumont, Méru et Pontoise. Je vous prie d’en agréer mes remerciements. Il est juste de réaliser les promesses qui ont été faites à cet officier de lui procurer des témoignages de la satisfaction du Roi. J’attends sur cela des détails de M. l’Intendant, d’après lesquels je proposerai à S. M. de lui accorder les récompenses qui seront trouvées convenables.

Sixième lettre.

(Mêmes objets.)

17 octobre.

J’ai reçu, avec la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, celle du Sr Ruste, lieutenant de la maréchaussée ; les nouvelles procédures qu’il a faites ont opéré le bon effet de produire de nouvelles restitutions. Je crois, Mgr, que vous penserez qu’à l’égard de tous ceux qui ont restitué, les procédures peuvent être terminées, sans ordonner, à leur égard, le règlement à l’extraordinaire. Il me paraît que le procès ne doit être continué que contre ceux qui n’ont pas encore restitué ou qui n’auraient restitué qu’une faible partie. C’est l’objet des restitutions auquel je crois qu’il faut s’attacher sans relâche pour garantir des émeutes pour l’avenir. Il me paraît juste d’accorder aux greffiers la gratification de 60 l. que le Sr Ruste demande pour eux. Lorsque ce procès sera terminé, je ferai accorder à cet officier une récompense proportionnée à ses services.

Septième lettre.

(Mêmes objets.)

Fontainebleau, 21 octobre.

J’ai l’honneur de vous renvoyer la lettre que le Sr Ruste, lieutenant de la maréchaussée de Beauvais, vous a écrite le 11 de ce mois. Vous penserez vraisemblablement qu’il doit continuer la nouvelle instruction qu’il a commencée, puisqu’elle a produit des restitutions de la part d’un grand nombre de particuliers. Je crois qu’il peut décharger, comme il le propose, les 157 personnes qui ont restitué et faire la procédure sur les 26 autres.

XII. — Lettre de Gustave III, roi de Suède, à Turgot [66] et réponses.

1. Lettre du Roi de Suède.

[A. L., original et copie de la main de Turgot.]

(Félicitations à Turgot et Louis XVI.)

Anjalla en Finlande, 16 juin.

Monsieur Turgot, admirateur par principe et par inclination de tous ceux qui se dévouent avec zèle au bien des hommes et au bonheur de leur patrie, j’ai saisi avec autant de satisfaction que d’intérêt vos opérations et j’ai été d’autant plus indigné des séditions et des désordres qu’on a excités pour déranger votre besogne. Je vous félicite surtout d’avoir surmonté les obstacles ; mais je vous félicite d’avoir un roi assez éclairé pour connaître le prix de vos lumières et aussi ferme pour vous soutenir contre tous les assauts qu’on vous a livrés. Si l’on ne vous rend pas la justice que l’on vous doit dans votre patrie, le suffrage de vos contemporains impartiaux et surtout celui de la postérité doivent vous dédommager des peines qu’on peut vous faire éprouver. C’est à la postérité surtout que les gens qui, comme vous, sont placés en but à tous les yeux, doivent en appeler du jugement de leurs actions. Elle seule, impartiale et juste, plaça Sully et Colbert parmi le petit nombre des ministres qui ont pensé au bien des peuples, malgré la haine de leurs contemporains. Intéressé par raison d’État et par amitié personnelle au bien des affaires du Roi, votre maître, je n’ai pu me refuser la satisfaction de vous marquer mes sentiments sur ce qui vient de se passer chez vous. Une ressemblance assez singulière des circonstances où je me trouve avec la position où vous êtes, n’a pas peu, je vous l’avoue, augmenté cet intérêt. Continuez donc, M., à servir votre maître et votre patrie et à nous donner, nous qui sommes dans les mêmes principes que vous, des exemples d’admiration que nous puissions citer à ceux qui sont encore retenus par le respect pour d’anciens abus ou pour de vieux préjugés. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et bonne garde, étant, M. Turgot, votre très affectionné,

GUSTAVE.

2. Réponse de Turgot.

[A. L., minute.]

Versailles, 23 juillet.

Sire,

M. le Comte de Creutz m’a remis la lettre dont V. M. m’a honoré. Pénétré des témoignages d’estime qu’elle daigne me donner, pourrais-je me défendre de l’ivresse qu’ils m’inspirent ? Le suffrage d’un roi couvert de gloire, et plus distingué de la foule des hommes par ses qualités personnelles que par l’éclat même de son rang, serait la plus digne récompense des plus grands hommes qui auraient fait les plus grandes choses.

Je n’ai d’autre mérite, Sire, que d’avoir servi invariablement des principes que la théorie et l’expérience m’ont démontrés depuis bien des années et dont V. M. connaît mieux que personne la certitude. Si les efforts par lesquels on a tenté de les ébranler ont été vains, ce succès est dû entièrement à la fermeté que le Roi a montrée et qu’il a puisée dans la conscience de la pureté de ses vues et dans son amour pour ses peuples. Il est facile aux ministres de bien faire quand le Prince qu’ils servent ne sépare jamais ses intérêts de ceux de sa nation et de l’humanité.

C’est en cela, sans doute, que consiste plus qu’en tout autre chose la conformité singulière des circonstances entre la France et la Suède qu’a remarquée V. M. et qui promet aux deux nations le même bonheur.

3. Lettre de Louis XVI à Gustave III.

[Geffroy, Gustave III et la Cour de France. — Foncin, p. 219.]

(Remerciements pour l’envoi d’un vaisseau chargé de blé.)

Versailles, 15 juillet.

Monsieur mon frère, la marque d’intérêt que V. M. me donne dans ce moment-ci m’est bien sensible. Quel que soit l’envoi de blé que vous m’enverrez, il me vaudra une plus grande quantité, venant d’un allié que j’estime autant, et dont l’amitié est aussi attentive. J’ai peur qu’on ne vous ait fait le mal plus grand qu’il n’était en effet : la mauvaise récolte et le mauvais esprit de quelques personnes dont les manœuvres étaient déconcertées ont porté des scélérats à venir piller quelques marchés. Les paysans, entraînés par eux et par la fausse nouvelle de la diminution du prix du pain qu’on avait eu soin de répandre, s’y sont joints et ont eu l’insolence de venir piller les marchés de Versailles et de Paris : ce qui m’a forcé de faire approcher des troupes qui ont rétabli le bon ordre sans peine. Après le déplaisir extrême que j’avais eu de ce que le peuple avait fait, j’ai eu la consolation de voir que, d’abord qu’ils ont été détrompés, ils ont rapporté ce qu’ils avaient pris avec une véritable peine de ce qu’ils avaient fait.

XIII. — Lettre au Ministre des affaires étrangères, au sujet de l’Anti-monopoleur.

[Aff. étr., 1881, 164, copie.]

25 septembre.

M. Albert m’a informé, M., à la suite de la saisie faite à Rouen d’un ouvrage répréhensible intitulé : L’Anti-Monopoleur, que l’envoi en avait été fait d’Amsterdam à un Sr Lezurier, négociant à Rouen. Il y en avait trois ballots destinés pour trois libraires de Paris qui n’en avaient pas été prévenus non plus que le Sr Lezurier ; mais, la lettre d’avis écrite à ce dernier était datée d’Amsterdam et signée Crajenschot, qui est sans doute un libraire de cette ville. Il n’a pas été possible, M., de se procurer rien de certain concernant l’impression et l’envoi de cet ouvrage, mais, comme il serait utile de remonter à la source, trouveriez-vous de la difficulté à autoriser M. le Marquis de Noailles[67] à faire des démarches qui tendraient à savoir du Sr Crajenschot si le manuscrit de cet ouvrage lui a été envoyé de France, par qui il a été envoyé, pour le compte de qui il l’a imprimé ou fait imprimer, s’il en avait donné avis aux libraires et s’ils lui en avaient demandé des exemplaires ? On parviendrait peut-être par là à connaître l’auteur et à mettre fin par la punition qu’il mérite au débit d’ouvrages répréhensibles.

XIV. — Amnistie définitive.

1. Déclaration Royale révoquant celle du 5 mai qui a remis la connaissance des faits d’émeutes à la justice prévôtale.

[D. P., VIII, 100.]

Versailles, 24 novembre.

Louis, etc., par notre Déclaration du 5 mai de la présente année, enregistrée et publiée en notre Parlement le même jour en notre présence, nous avions chargé les prévôts généraux de nos maréchaussées et leurs lieutenants, assistés par les officiers de nos présidiaux ou autres assesseurs appelés à leur défaut, de faire, en dernier ressort, le procès à ceux qui avaient été arrêtés, ou qui le seraient à l’avenir, comme coupables des attroupements séditieux, violences et autres excès commis depuis peu par des brigands, tant dans notre bonne ville de Paris, que dans celle de Versailles, et dans différentes autres villes, bourgs et villages dans les campagnes et sur les grands chemins, ainsi que leurs complices, fauteurs, et adhérents. La nécessité de réprimer promptement des crimes aussi dangereux que multipliés, d’assurer, par cet acte de notre vigilance et de notre autorité, la subsistance de nos sujets et de protéger la libre circulation des blés dans notre royaume, nous avait engagé à donner, par notredite Déclaration, à la juridiction prévôtale, toute la force et l’activité dont elle peut être susceptible. Le succès a répondu à nos vues. Les exemples qui ont été faits ont suffi pour en imposer aux gens malintentionnés ; et nous avons fait éprouver les effets de notre clémence à ceux es coupables qui, ayant été entraînés par la multitude ou trompés par de faux bruits, n’ont fait que céder à la séduction, et qui, revenus à eux-mêmes, ont réparé leurs fautes par un repentir sincère et restitué ce qu’ils avaient enlevé aux laboureurs et autres particuliers. Les mesures extraordinaires que nous nous étions trouvé dans l’obligation de prendre pour rétablir le calme, n’étant plus nécessaires, nous avons pensé qu’il était de notre sagesse de remettre tout dans l’ordre antérieurement observé et de nous en rapporter à nos Cours de Parlement et à nos autres juges ordinaires pour entretenir la tranquillité que nos soins ont fait renaître, et de renfermer la juridiction prévôtale dans les bornes qui lui sont prescrites par les ordonnances. À ces causes…

Nous avons révoqué et révoquons notre Déclaration du 5 mai dernier. Faisons défenses auxdits prévôts-généraux et à leurs lieutenants de commencer aucunes poursuites et procédures nouvelles pour raison des délits qui ont donné lieu à notre susdite Déclaration. Leur ordonnons néanmoins de parachever sans délai, jusqu’à jugement définitif, les procès dont l’instruction aura été par eux commencée avant l’enregistrement et la publication des présentes[68].

2. Ordonnance Royale accordant une amnistie aux soldats déserteurs.

[D. P., VIII, 104.]

12 décembre.

S. M. voulant donner à ses sujets une preuve signalée de sa bonté et de sa justice, a résolu de modérer les peines portées contre les déserteurs de ses troupes par les ordonnances du feu roi son aïeul, et de proportionner celles qui auront lieu pour l’avenir aux motifs et aux circonstances de leur désertion ;

Obligée de sévir contre ceux qui se rendront coupables d’un crime si préjudiciable à la discipline militaire, ainsi qu’à la gloire et à la prospérité de ses armes, S. M. n’a consulté que sa tendresse pour ses sujets dans le choix des punitions qu’elle a établies, au lieu de la peine de mort ci-devant prononcée pour tous les cas de désertion, et elle ne l’a maintenue que contre les déserteurs qui, en abandonnant leur patrie en temps de guerre, joignent, dans cette circonstance, une lâche trahison à leur infidélité

Considérant au surplus S. M. la situation malheureuse des soldats, cavaliers, dragons et hussards de ses troupes, qui en ont déserté jusqu’à présent, et qui, fugitifs dans ses États, ou réfugiés en pays étrangers, expient, la plupart depuis longtemps, par leur misère et leur repentir, le crime qu’ils ont eu le malheur de commettre, elle a cru que le jour où elle publiait une loi de douceur et d’humanité devait être celui de sa clémence, et elle s’est déterminée à leur accorder une amnistie générale et sans condition. S. M. déclarant que nul événement, ni aucune circonstance, ne la porteront, durant le cours de son règne, à renouveler une pareille grâce, ni à en accorder de particulières aux déserteurs de ses troupes.

S. M. se persuade d’ailleurs que ses sujets, n’ayant plus lieu d’être émus de compassion en faveur desdits déserteurs, attendu la diminution notable des peines contre eux précédemment prononcées, ils regarderont comme un devoir, que leur fidélité et leur patriotisme leur imposent, de contribuer à les faire arrêter, loin de protéger leur fuite, et même de leur donner retraite, comme par le passé…

En conséquence, Sa Majesté a ordonné et ordonne, etc.

XV. — Droits seigneuriaux sur les grains.

1. Arrêt du Conseil spécifiant que la perception de ces droits n’était pas suspendue par l’Arrêt du 3 juin.

[D. P., VII, 376. — D. D., II, 203.]

20 juillet.

(Cet arrêt fui rendu pour faire cesser des bruits injustes. En Bourgogne, les États avaient d’eux-mêmes supprimé les droits seigneuriaux moyennant indemnité. (Véri) )

Le Roi, ayant, par Arrêt de son Conseil du 3 juin dernier, suspendu dans toute l’étendue de son royaume la perception des droits d’octroi des villes, sur les grains, les farines et le pain, et défendu aux exécuteurs de la haute justice d’exiger aucunes rétributions, soit en nature, soit en argent, sur les grains et les farines, dans tous les lieux où elles ont été en usage jusqu’à présent ; les motifs exprimés dans le préambule de cet arrêt, l’attention avec laquelle S. M. a rappelé les exemples des différentes villes dans lesquelles ces droits avaient déjà été suspendus, les principes qu’elle annonce pour l’indemnité qu’il serait nécessaire de procurer aux villes, l’économie qu’elle indique comme le premier moyen à employer, avant de chercher d’autres objets de remplacement, enfin la disposition de cet arrêt, relative aux droits perçus par les exécuteurs de la haute justice ; tout devait faire croire à S. M. que cet arrêt n’était susceptible d’aucune interprétation qui pût faire appliquer aux droits des seigneurs particuliers la suspension, ordonnée par cet arrêt, des droits appartenant aux villes et aux exécuteurs de la haute justice : cependant elle est informée que, dans plusieurs endroits, quelques seigneurs particuliers ont paru douter eux-mêmes s’ils devaient continuer la perception de leurs droits ; que, dans d’autres, les habitants des lieux où ils étaient perçus, ont cru qu’ils étaient suspendus. S. M., voulant arrêter les effets d’une interprétation aussi préjudiciable aux propriétaires, dont les droits ne peuvent cesser d’être perçus que lorsque S. M. aura expliqué ses intentions, tant sur la suppression de leurs droits, que sur l’indemnité qui leur sera due…

Tous les droits des seigneurs sur les grains, dont la perception n’a pas été suspendue par des arrêts particuliers, continueront d’être perçus, et la suspension ordonnée par l’Arrêt du 3 juin dernier n’aura lieu, ainsi qu’il est porté par ledit arrêt, que pour les droits qui appartiennent aux villes, ou qui étaient perçus par les exécuteurs de la haute justice.

2. Arrêt du Conseil ordonnant de représenter les titres des droits seigneuriaux sur les grains[69].

[D. P., VIII, 26. — D. D. II, 204.]

13 août.

Le Roi, s’étant fait représenter l’Arrêt rendu en son conseil le 10 août 1768, par lequel, entre autres dispositions, le feu Roi a ordonné que : dans six mois, à compter du jour de la publication dudit Arrêt, tous Seigneurs, Villes, Communautés ou Particuliers qui perçoivent ou font percevoir à leur profit aucuns droits quelconques, dans les marchés d’aucunes villes, bourgs ou paroisses de son royaume, seront tenus de représenter leurs titres et pancartes desdits droits par devant les commissaires nommés par Arrêt du Conseil du 1er mai 1768 ; le prix auquel les blés se sont élevés a déterminé S. M à s’occuper de plus en plus de lever tous les obstacles qui peuvent encore ralentir la libre circulation des grains, en gêner le commerce et rendre plus difficile la subsistance de ceux de ses sujets qui souffrent de la rareté et du haut prix des denrées ; elle a reconnu que, parmi ces obstacles, un de ceux qu’il est le plus pressant d’écarter, est la multitude de droits de différentes espèces auxquels les grains sont encore assujettis dans les halles et marchés ; en effet, ces droits ont non seulement l’inconvénient de surcharger la denrée la plus nécessaire à la vie, d’un impôt qui en augmente le prix au préjudice des consommateurs dans les temps de cherté et des laboureurs dans les temps d’abondance ; ils contribuent encore à exciter l’inquiétude des peuples, en écartant des marchés les vendeurs qu’un commun intérêt y rassemblerait avec les acheteurs. Ils intéressent un grand nombre de personnes à ce que tous les grains soient vendus dans les marchés où se perçoivent les droits, plutôt que dans les lieux où ils en seraient affranchis. Cet intérêt peut rendre encore moins sensibles et moins généralement reconnus les avantages de la liberté et, malgré les encouragements que S. M. a voulu donner au commerce des grains, retarder les progrès de ce commerce, le plus nécessaire de tous, et contrarier l’effet de la loi salutaire par laquelle S. M. a voulu assurer dans tous les temps la subsistance de ses sujets, au prix le plus égal que puisse le permettre la variation inévitable des saisons.

S. M. a cru, en conséquence, que la suppression de ces droits, étant un des plus grands biens qu’elle puisse procurer à ses peuples, elle devait faire suivre l’examen ordonné par l’Arrêt de 1768, à l’effet de reconnaître les titres constitutifs de ces droits, leur nombre et leur étendue, et de parvenir à la fixation des indemnités qui seront dues aux propriétaires, conformément aux titres d’établissement légitime qui seront par eux produits. Mais, comme plusieurs des commissaires qui avaient été nommés par l’Arrêt du 1er mai 1768, ne remplissent plus au Conseil les mêmes fonctions qu’ils y remplissaient alors et que, d’ailleurs, la vérification, qui avait été ordonnée pour d’autres objets par le même arrêt, n’a pas été plus suivie que celle qui avait pour objet les droits de marché, S. M. a cru nécessaire de substituer d’autres commissaires.

Et voulant faire connaître ses intentions sur ce sujet : … le Roi … ordonne :

L’arrêt du Conseil du 10 août 1768 sera exécuté et, en conséquence, dans six mois, à compter du jour de la publication du présent arrêt, tous les seigneurs et propriétaires, à quelque titre que ce soit, qui perçoivent ou font percevoir des droits sur les grains dans les marchés d’aucunes villes, bourgs ou paroisses de son royaume, seront tenus de représenter leurs titres par-devant les sieurs Bouvard de Fourqueux, Dufour de Villeneuve, conseillers d’État ; Beaudouin de Guémadeuc, Chardon, Raymond de Saint-Sauveur, Guerrier de Bezance, de Bonnaire de Forges et de Trimond, maîtres des requêtes ordinaires de l’hôtel.

Les propriétaires desdits droits seront tenus de remettre les originaux de leurs titres ou copies d’iceux, dûment collationnées et légalisées par les plus prochains juges royaux des lieux, au Sr Du Pont[70], que S. M. a commis et commet pour faire les fonctions de greffiers en ladite commission, lequel leur en délivrera le certificat.

Les titres d’établissement de ces droits seront communiqués au Sr Lambert, maître des requêtes ordinaires de l’hôtel, que S. M. a commis et commet pour faire les fonctions de procureur général, pour, par lui, prendre telles conclusions et faire tels réquisitoires qu’il conviendra et y être statué par lesdits Srs commissaires, au nombre de cinq au moins, ainsi qu’il appartiendra. Lesdits propriétaires remettront pareillement les baux faits par eux ou les livres de recette tenus par leurs régisseurs pendant les vingt dernières années ; au défaut de représentation des titres dans ledit délai, la perception des droits demeurera suspendue, et les propriétaires, après ledit délai, ne pourront la continuer que sur la représentation du certificat du greffier de ladite commission, dont ils seront tenus de déposer copie collationnée au greffe de la juridiction ordinaire ou de police du lieu, à peine de concussion.

S. M. ayant suspendu, par l’Arrêt du 3 juin dernier, la perception des droits qui se perçoivent au profit des villes et l’indemnité qui peut leur être due, devant être réglée par d’autres principes que celle due aux particuliers, elle a ordonné et ordonne que lesdites villes remettront entre les mains des Srs intendants et commissaires départis dans les différentes généralités les titres de propriété desdits droits, ensemble l’état de leurs revenus et de leurs charges, pour, par lesdits Srs intendants et commissaires départis, proposer les retranchements dans les dépenses qu’ils jugeront convenables, indiquer les améliorations dont les revenus seront susceptibles, le plan de libération le plus avantageux aux villes, et, d’après la balance exacte des revenus et des charges, donner leur avis sur l’indemnité qui pourrait être nécessaire auxdites villes pour remplacer les droits qui se perçoivent sur les grains, et sur les moyens de la procurer les moins onéreux, pour être, sur leur avis, statué par S. M., ainsi qu’il appartiendra.

Les fermiers des droits appartenant à S. M. remettront pareillement leurs titres entre les mains des Srs intendants et commissaires départis, pour être par eux également donné leur avis sur l’indemnité qui pourra leur être due.

Enjoint S. M. aux Srs intendants et commissaires départis dans ses provinces, de tenir la main à l’exécution du présent arrêt, qui sera imprimé, lu, publié et affiché partout où besoin sera, et signifié à qui il appartiendra.

XVI. — Statistique des prix.

Lettre à l’Intendant de Bordeaux au sujet des états du prix des grains.

[A. Gironde, C. 74. — Foncin, 603.]

12 décembre.

J’adresse, M., directement à votre intendance les états imprimés concernant les prix des grains et denrées ; je vous prie de donner vos ordres pour les faire distribuer à vos subdélégués et leur recommander de les remplir bien exactement du prix des blés à raison de la mesure locale et du setier de Paris ; que les prix du froment y soient distingués par qualités et jours de marchés, ainsi que les prix des différentes qualités de pain, et qu’il soit fait mention dans la colonne d’observations des causes des augmentations ou des diminutions qui pourront survenir dans les prix.

Je vous prie encore, M., de recommander à vos subdélégués de continuer d’envoyer ces états tous les quinze jours à M. de Fargès, aussitôt que le dernier jour de marché de chaque quinzaine sera expiré. Vous voudrez bien leur mander qu’ils y apportent la plus grande exactitude ; il s’en trouve toujours quelques-uns dans le nombre qui se négligent dans le cours de l’année et qui se permettent de n’envoyer la première quinzaine qu’avec la seconde : l’usage que M. de Fargès fait de ces états exige qu’il les reçoive aussi promptement que je vous les demande.

XVII. — Arrêt sur le Cabotage des blés, farines et légumes.

[A. Calvados, C. 2628. — D. P., VIII, 72.]

12 octobre.

Le Roi, s’étant fait représenter les Arrêts rendus en son Conseil les 14 février et 31 décembre 1773, 25 avril et 22 juin 1774, portant Règlement pour le transport des grains d’un port du royaume à un autre, S. M. a reconnu que l’Arrêt du 14 février 1773 a eu pour principe de considérer tous les sujets du Royaume comme les membres d’une grande famille qui, se devant un secours mutuel, ont un droit sur les produits de leurs récoltes respectives ; cependant, les dispositions de cet arrêt ne répondent pas assez à ces principes d’union établis entre tous les sujets de S. M.

L’Arrêt du 14 février 1773 n’avait d’abord permis le commerce des grains d’un port à un autre, que dans ceux où il y a siège d’amirauté ; si l’arrêt du 31 décembre suivant a étendu à quelques ports des généralités de Bretagne, La Rochelle et Poitiers, où il n’y avait point de siège d’amirauté, cette même permission ; si celui du 25 avril 1774 a permis le transport des grains dans le port de Cannes en Provence, et celui du 22 juin suivant dans les ports de Saint-Jean-de-Luz et Ciboure, il reste encore plusieurs ports, où il n’y a point de siège d’amirauté, par lesquels le commerce des grains par mer reste interdit ; s’il est permis de transporter des grains au port de Saint-Jean-de-Luz, il est défendu d’en sortir par ce port pour tous les autres ports du Royaume ; pour les ports de la même province, la quantité de grains qu’il est permis de charger est limitée à cinquante tonneaux. Les formalités rigoureuses auxquelles le transport est assujetti peuvent détourner les sujets de notre royaume de se livrer à ce commerce et faire rester, au préjudice des propriétaires, les grains dans les provinces où ils seraient surabondants, pendant que d’autres provinces, qui auraient des besoins, en seraient privés. L’Arrêt du 14 février 1773 rend les capitaines responsables des effets des mauvais temps, et les condamne aux amendes et aux confiscations ordonnées même lorsque les gros temps les auront obligés de jeter leur chargement ou une partie à la mer, et les oblige de faire verser, dans le port pour lequel la cargaison était destinée, la même quantité de grains venant de l’étranger, qui est mentionnée en l’acquit-à-caution.

Enfin, les amendes qui sont portées à trois mille livres, indépendamment de la confiscation, sont prononcées dans le cas où, au lieu de la sortie, il y aurait un excédent de plus d’un dixième des grains déclarés et, au lieu de la rentrée, un déficit de plus du vingtième : mais dans une longue traversée des ports du Royaume les plus éloignés, il pourrait souvent y avoir des déchets plus considérables sur les grains qui seraient transportés d’une province à une autre.

Tant d’entraves, la crainte d’encourir des peines aussi sévères que celles de la confiscation de toute la cargaison et des bâtiments, étaient faites pour empêcher les négociants de se livrer à un commerce qui pouvait compromettre aussi considérablement leur fortune, et ne pouvait produire d’autre effet que de laisser subsister, entre les différentes provinces, une disproportion dans les prix des grains que la liberté du commerce la plus entière peut seule faire cesser.

Ces principes, qui ont déterminé S. M. à rendre à la Déclaration de 1763 toute l’exécution que des lois postérieures avaient affaiblie, lui ont fait penser qu’il fallait également rendre au commerce par mer toute la liberté nécessaire pour maintenir l’équilibre entre les différentes provinces qui peuvent se communiquer par cette voie ; que tous les ports du Royaume doivent également participer à la liberté, soit qu’il y ait un siège d’amirauté, soit qu’il n’y en ait pas ; que, dans la même province, les quantités de grains que les armateurs peuvent transporter ne doivent pas être limitées ; que les armateurs ne doivent pas être responsables de l’effet des mauvais temps ; et qu’enfin, tant que subsisteront les lois qui défendent encore la sortie à l’étranger, et que S. M. a déjà annoncé devoir cesser, lorsque des circonstances favorables le permettraient, les peines doivent être plus proportionnées à la nature de la contravention ; à quoi voulant pourvoir : … le Roi … ordonne :

Art. I. La Déclaration du 25 mai 1763 sera exécutée ; en conséquence, ordonne S. M. que les grains, graines, grenailles, farines et légumes, pourront circuler de province à province, sans aucun obstacle dans l’intérieur, et sortir librement par mer, de tous les ports du Royaume, pour rentrer dans un autre port, soit de la même province, soit d’une autre, en justifiant de la destination et de la rentrée.

II. Tous les négociants ou autres qui voudront transporter des grains par mer seront tenus, outre les formalités d’usage dans les lieux où il y a siège d’amirauté, de faire au bureau des fermes établi à la sortie une déclaration de la quantité de grains qu’ils transporteront, et d’y prendre un acquit-à-caution indicatif de la quantité et qualité desdites denrées, et du lieu de leur destination.

III. Lorsque lesdites denrées rentreront dans le Royaume, l’acquit-à-caution sera déchargé dans la forme prescrite par l’ordonnance des fermes.

IV. Les mauvais temps pouvant obliger les capitaines de relâcher dans d’autres ports du Royaume que ceux pour lesquels ils auraient été destinés, et le prix des grains pouvant leur faire trouver plus d’avantage à les vendre ailleurs qu’au lieu de leur destination, pourront lesdits capitaines transporter les grains chargés sur leurs navires dans tout autre port du Royaume que celui pour lequel ils auraient été destinés, et l’acquit-à-caution qu’ils représenteront sera également déchargé dans tous les ports du Royaume.

V. Lors de la vérification, si, au lieu de la sortie ou de la rentrée, il se trouve sur la quantité de grains, graines, grenailles, farines et légumes, un excédent ou un déficit de plus d’un dixième, les négociants ou autres qui auront fait transporter les grains seront tenus de faire rentrer dans le Royaume le quadruple de la quantité de grains qui excéderont à la sortie ou manqueront à la rentrée sur la quantité mentionnée dans l’acquit-à-caution, et ce, dans le délai qui sera prescrit par l’intendant ou son subdélégué, sous peine de 1 000 livres d’amende.

VI. Les peines portées par l’article précédent ne seront point encourues par les capitaines qui auront fait, soit au lieu du débarquement, soit en d’autres amirautés, des déclarations que le jet à la mer de leur chargement ou de partie d’icelui, a été forcé par le gros temps ; et seront lesdits capitaines, en vertu desdites déclarations certifiées comme il est d’usage, déchargés de l’acquit-à-caution qu’ils auront pris.

VII. Toutes les contraventions au présent arrêt, relatives au transport par mer des blés, farines et légumes, d’un port à un autre du Royaume, seront portées devant les Srs Intendants… pour les juger en première instance, sauf l’appel au Conseil.

XVIII. — Lettre au ministre de la guerre (Comte de Saint-Germain).

(Exportation des grains appartenant à des étrangers. — Utilité de la liberté du commerce).

[A. L., original.]

Novembre.

J’ai reçu, M., la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, par laquelle en répondant à deux lettres que j’avais écrites à M. le maréchal du Muy relativement à la forme des passeports qui sont expédiés pour les propriétaires des États des Princes étrangers qui possèdent des terres en France pour l’extraction des grains qui proviennent de leurs récoltes et de leurs dîmes et relativement à l’extraction de 5 milliers de foin que M. le Comte de Stainville avait arrêtés. Vous entrez dans une nouvelle discussion de cette matière et vous paraissez adopter les mêmes principes que votre prédécesseur ; je crois devoir, M., reprendre cette question pour la discuter avec vous.

Vous connaissez, M., les Lettres patentes du 2 novembre 1774 qui assurent la liberté intérieure du commerce des grains. Vous connaissez les principes qui les ont déterminés. Vous avez vu que S. M. se proposait, dès que les circonstances seraient plus favorables, d’accorder la liberté extérieure. Déjà, plusieurs provinces la demandent[71], et celles dans lesquelles les princes d’Allemagne possèdent des terres ou des dîmes sont celles où les grains tombent au plus bas prix et rendent plus nécessaire aux propriétaires toute communication qui leur procure l’avantage de tirer un meilleur parti de leurs propriétés.

D’après ces principes, M., qui ont dicté les Lettres patentes du 2 novembre 1774, vous pouvez penser que le plan de la législation générale sur cet objet important est de s’approcher par degrés de la liberté générale. C’est, dans cette vue, que j’ai pensé qu’il était utile de s’occuper d’établir entre les différents États voisins de la France une réciprocité respective utile à tous les États, et j’ai discuté cet objet avec M. le Comte de Vergennes ; c’est avec lui que je le suivrai. Je vous observerai seulement, M., que je crois que ce n’est point par la comparaison de l’étendue des propriétés que des différents sujets des Princes possèdent en France, avec celles que les sujets du Roi possèdent dans les États de ces princes que cette question doit être jugée. Il faut envisager les États de ces princes, comme servant d’entrepôts aux grains des États plus éloignés. On pourrait ainsi faire passer en France par ce moyen tout le superflu de leurs récoltes dans des années où elles seraient utiles à la France ; ainsi, dans cette réciprocité respective, nous trouverions l’avantage de profiter de la libre communication établie entre tous les États de l’Allemagne.

Vous voyez déjà, M., que, d’après ces principes, si la réciprocité respective est établie entre les différents États dont les sujets possèdent des terres en France et la France, les passeports deviendraient inutiles.

Jusque là, en tant qu’ils seront nécessaires, j’ai pensé qu’ils devaient être revêtus de moins de formalités qu’il serait possible, et assujettis à aussi peu de difficultés que le peu de temps qu’ils ont à durer peut-être, semble l’exiger.

Je sais, M., qu’il ne faut pas se flatter que la France soit toujours en paix avec ses voisins, mais je suis bien loin de croire qu’il y ait le moindre sujet de craindre que, dans le moment où des semences de divisions pourraient faire appréhender de voir altérer la tranquillité générale, les sujets des puissances qui deviendraient nos ennemis, ou le gouvernement même, se réunissent pour tirer de nos provinces tous les grains qui y seraient nécessaires, et nous privent par là des moyens de subsistance nécessaires pour rassembler facilement les armées du Roi. Au surplus, lorsque les circonstances sembleront devoir faire craindre une rupture prochaine, il sera temps alors de prendre les précautions que l’état de Guerre rendra nécessaires. Mais, tant que nous serons en paix, jouissons, M., des avantages qu’elle doit nous procurer. Ne craignons point que les gouvernements qui pourraient proposer d’altérer la tranquillité générale, commencent par tirer de la France tous les grains qui lui sont nécessaires ; une extraction un peu considérable retiendra toujours, par l’augmentation du prix des grains qui ne sortiront plus quand on les paiera aussi chers, et les trésors des États voisins de la France ne suffiraient pas pour réaliser le projet chimérique de lui enlever les subsistances nécessaires à la nourriture de ses habitants.

D’ailleurs, le Roi, instruit des projets de ses voisins et, ayant toujours sous les yeux le tableau des affaires de l’Europe, arrêtera, dès qu’il le jugera à propos, une exportation que les circonstances d’une guerre prochaine rendraient dangereuse.

Voilà, M., les réflexions qui me font croire qu’il n’y a rien à craindre de la liberté que je désire, dépouillée de toute sujétion et de toutes formalités ; c’est le vœu des Lettres patentes du 2 novembre 1774 et je me hâterai de proposer au Roi d’en réaliser l’effet ; mais, quant à présent, il ne s’agit que des formalités des passeports pour les propriétaires étrangers de terres ou de dîmes, et de redevances des terres de la domination du Roi. Je crois même qu’il est inutile que le Conseil du Roi s’occupe de délibérer s’il y a lieu ou non d’accorder des passeports à des propriétaires qui voudraient tirer le produit de leurs récoltes ou de leurs propriétés, et que les délais qui pourraient résulter des délibérations du Conseil pourraient porter préjudice à ces propriétaires, sans qu’il put en résulter aucun avantage pour l’administration générale. J’ai proposé, en conséquence, à M. le Maréchal du Muy de dispenser des passeports qu’on était dans l’usage d’expédier ; j’ai cru qu’il suffisait que les conducteurs des grains fussent munis des certificats des syndics et habitants ou officiers municipaux des lieux où le chargement aura été fait, et du passeport délivré en conséquence par l’Intendant de la province ou son subdélégué.

Je crois, M., qu’il sera inutile d’exiger de ceux qui jouiront de la liberté de l’extraction, de laisser dans le pays l’objet des semences et la subsistance des habitants employés à la culture de leurs terres. Il faudrait faire des distinctions entre le produit des récoltes et celui des dîmes et des redevances. Le décimateur et le seigneur qui n’ont rien à semer, ne doivent rien laisser dans le pays. Mais, M., ne craignons point de laisser sortir les productions qui appartiendront aux étrangers ; si, par une extraction un peu plus considérable les grains en devenaient un peu plus cher, les propriétaires français tireront un avantage plus considérable de leurs récoltes, et c’est l’objet que S. M. se propose, jusqu’à ce que la liberté générale et indéfinie leur assure tout l’avantage que le commerce pourra leur procurer.

Les passeports seront présentés aux bureaux des fermes placés sur les frontières ; ces formalités suffiront pour faire connaître les quantités sorties. Il me semble qu’il y a déjà beaucoup plus de facilités ; l’expédition des passeports par le secrétaire d’État du département, en vertu des décisions du Conseil, entraîne beaucoup plus de délais ; elle suppose la possibilité du refus, et ceux délivrés par MM. les Intendants seront une simple formalité ; ils ne pourront les refuser, lorsqu’on leur représentera ou à leurs subdélégués les certificats nécessaires.

Vous sentez, M., qu’il y aura beaucoup plus de célérité et moins d’incertitude dans cet arrangement et si la politique ou les vues militaires pouvaient exiger qu’on interrompît cette extraction, les ordres adressés à MM. les Intendants la feraient cesser sur-le-champ ; mais, tant qu’elle sera permise, je crois qu’il faut qu’elle soit aussi facile qu’il sera possible.

J’ai donné pour exemple à M. le Maréchal du Muy ce qui se pratique en Bourgogne relativement à la République de Genève, non pour prétendre que les arrangements qui ont lieu avec cette république puissent obliger à suivre les mêmes principes vis-à- vis des autres États, mais pour lui faire connaître que cette forme courte et simple n’était susceptible d’aucun inconvénient, et que, si elle a été adoptée vis-à-vis d’un État qui n’a aucun territoire, dont la France pourrait jamais tirer du secours, combien plus aisément doit-elle être adoptée pour des États qui ont un territoire étendu et qui, tenant à toute l’Allemagne, participent à la liberté générale établie dans cet empire pour tous les membres qui en font partie, et qui peuvent par là devenir l’entrepôt des États où les récoltes sont le plus abondantes, pour nous en faire passer les produits dans les circonstances où ils nous seraient nécessaires, loin d’avoir à craindre cet effet. Si M. l’Intendant de Bourgogne se réserve encore la faculté de fixer des délais plus ou moins considérables pour l’usage à faire des passeports qu’il accorde, cet exercice de son autorité n’aura plus lieu lorsque la liberté générale sera accordée aux propriétaires étrangers d’extraire le produit de leurs récoltes et il ne pourra plus apporter de modifications à l’exercice de cette liberté.

À l’égard des denrées dont la sortie n’est pas défendue, je crois, M., que rien ne doit s’opposer à leur sortie, et je crois, comme je l’ai écrit à M. le Maréchal du Muy, que M. le Comte de Stainville ne devait pas s’opposer à l’extraction des foins que M. le landgrave de Hesse demandait à tirer du Comté de Bitche.

Je crois, M., que l’intérêt principal auquel tous les autres sont subordonnés est l’intérêt des propriétaires ; c’est lorsque leurs propriétés seront aussi protégées qu’il est possible, c’est lorsqu’ils en tireront le plus grand avantage qu’ils pourront, qu’ils seront intéressés à faire valoir davantage leurs terres, que les productions en tous genres se multiplieront, que le Roi, pour l’entretien de sa cavalerie, trouvera les fourrages en plus grande abondance et à un prix plus égal et plus modéré que si des prohibitions ou des gênes pour la sortie des foins faisaient abandonner cette culture facile pour se reporter sur celles des productions qui jouiraient d’une plus grande liberté. C’est la liberté générale de toutes les productions qui mettra entre les denrées cet équilibre qu’exige l’intérêt des consommateurs, et chaque terrain sera employé à la production la plus avantageuse au propriétaire particulier et à l’État en général, lorsqu’il lui sera libre d’en vendre partout le produit.

Voilà, M., où doivent mener les principes consacrés dans les Lettres patentes du 2 novembre 1774 ; voilà l’objet que le Roi s’est proposé. Tous les arrêts qu’il a rendus depuis ce temps ont approché par degré de ce but : je ne doute pas que, pénétré de la vérité de ces principes, et envisageant les deux questions que vous avez discutées sous le point de vue de la législation générale que le Roi a établie et dont il a fait connaître toute l’étendue, vous ne jugiez qu’il est nécessaire d’abolir par degrés les gênes qui empêchent les propriétaires étrangers de tirer le produit de la récolte des terres qu’ils ont en France et de laisser à tous les sujets du Royaume la liberté de faire sortir toutes leurs denrées sur lesquelles les lois prohibitives ne sont point étendues. C’est à ceux qui sont chargés de la subsistance de la cavalerie à prendre de bonne heure des mesures pour s’assurer des fourrages dont ils ont besoin. Ils ont sûrement plus d’avantages sur les lieux que les étrangers qui peuvent en tirer, et le Roi a plus à cœur encore l’avantage que ses sujets peuvent tirer de leurs propriétés, que l’économie qu’ils pourraient trouver dans des lois prohibitives pour l’entretien de sa cavalerie, mais il est persuadé encore que cette économie ne serait que passagère, et que c’est par la liberté seule qu’il pourra trouver un prix toujours plus égal et plus soutenu, et éprouver moins l’inconvénient de la diversité des récoltes.

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[1] Cette précaution assura la subsistance de la Provence, du Dauphiné et d’une partie du Languedoc (Du Pont, Mém., 182).

[2] Notifié aux Intendants, le 10 février. (A. Calvados, C. 2627).

[3] Couet du Vivier de Lorry, évêque de Tarbes (1769 à 1782).

[4] Les 5 janvier et 6 février avaient été communiqués à l’intendant les Mémoires des gardes Guiffard et De Barry.

[5] Les arrestations eurent lieu le 19 juin.

[6] Notifié aux Intendants le 28 avril ; imprimé et distribué en mai (A. Calvados, C. 2627, 2628).

[7] L’abbé Morellet rapporte que, dans une conversation avec le Premier Consul, à la fin de 1803, celui-ci lui dit :

« Cependant, si M. Turgot s’en était rapporté à la liberté du commerce pour approvisionner la ville de Reims au temps du sacre, il eût été fort embarrassé et ce fut heureusement M. de Vaines qui l’en détourna. »

Morellet aurait répondu : « Citoyen consul, l’exception ne contrariait pas le principe ; une ville de 10 à 12 000 habitants où se fait subitement une réunion de 60 à 80 000 personnes, peut bien avoir besoin que le gouvernement, qui opère ce changement de situation, prenne quelques précautions pour des approvisionnements qui ne sont pas dans la marche ordinaire des choses. Et, pour avoir pris ce soin, non pas en achetant lui-même et vendant des grains, mais en invitant les négociants, en les encourageant même par quelques primes, l’administrateur ne pourrait pas être regardé pour cela comme ayant abandonné le principe général de la liberté constante du commerce. » (Morellet, Mém., II, 218)

[8] « Il était arrivé beaucoup de blé de Hollande et du Nord (Du Pont, Mém., 185). Turgot n’ignorait pas que l’attrait le plus sûr pour l’importation des grains étrangers est la liberté la plus absolue et la plus dégagée qu’il soit possible de formalités pour la réexportation ; parce qu’alors les négociants étrangers et nationaux se livrent avec ardeur à la spéculation d’importer dès que l’état des prix y fait envisager un bénéfice, et ne sont pas retenus par la crainte que l’affluence d’un grand nombre de combinaisons semblables à la leur ne fasse trop hausser le prix et ne les force à vendre à perte. Ils voient la réexportation, lorsqu’elle peut avoir lieu, comme une ressource naturelle contre le danger, et il n’en est aucune de plus efficace. Mais l’état des opinions ne permettant pas encore au Gouvernement d’employer ce moyen si simple, on y avait suppléé par des gratifications à l’entrée. Exciter quelquefois, jamais contraindre ; c’était une des maximes de Turgot. » (Du Pont, Mém., 212).

[9] On reprocha à Turgot d’avoir dit que le blé était cher, qu’il serait cher et qu’il devait être cher (Relation historique de l’émeute arrivée le 3 mai 1775 et de ce qui l’a précédée et suivie, imprimée à la suite des Mémoires (apocryphes) de l’abbé Terray, Londres, 1776.)

[10] En raison de la cherté, les négociants n’attendirent pas la date du 15 mai fixée par l’Arrêt du Conseil pour amener des blés de l’étranger. (Rel. histor.)

[11] Au moment où cet arrêt du Conseil fut signé, M. de Maurepas écrivit à l’abbé de Véri (24 avril) : « La cherté du blé est ce qui nous occupe ici ou, pour mieux dire, ce qui nous inquiète sans nous occuper, car nous n’avons pas de remèdes à y apporter, quand même M. de Turgot changerait de principes, ce qu’il ne fait pas, et ferait inutilement. » (Véri, Journal.)

[12] Turgot avait chargé le Sr Jean Clottin, de faire venir des blés d’Espagne. Ils étaient arrivés au Havre et on les faisait remonter la Seine. (Rel. histor.)

Il passe pour constant que le Contrôleur général fit donner sous main des ordres aux fermiers de garnir de blé les marchés et de ne pas abuser de la circonstance pour le mettre à un prix trop excessif. (Rel. histor.)

Le fait est exact : l’intervention de Turgot était motivée par les mêmes considérations que celles qui lui faisaient donner des primes aux importateurs.

[13] Turgot mit comme adresse : « M. Nèkre, envoyé de la République de Genève. » Il avait commencé à écrire le mot ministre au lieu d’envoyé.

D’après l’Espion dévalisé, Turgot voulut faire révoquer Necker de son poste de représentant de la République de Genève ; mais cette assertion n’est confirmée nulle part.

Lettre de l’abbé Morellet à Lord Shelburne, 12 mars 1776. — « Mon ami, M. Suard, va en Angleterre, avec M. Necker et Mme Necker. Vous saurez par lui que depuis la grande opposition que M. Necker a montré à l’administration de M. Turgot, il a été nécessaire que je cessasse d’aller dans sa société. Je n’en suis pas moins reconnaissant des politesses que j’en ai reçu, et s’ils avaient besoin d’une recommandation auprès de vous, je vous prierais très instamment de leur faire les honneurs de l’Angleterre. »

[14] Lettre de Dijon, du 20 avril 1775 :

« Il vient d’arriver dans cette ville une émeute considérable par rapport à la cherté des grains. Grand nombre de gens de la campagne ont battu un moulin appartenant à un monopoleur. Ils sont revenus à la ville et après différents désordres ont été chez M. de Sainte-Colombe, Conseiller au Parlement, un des restants (non révoqués lors du coup d’État Maupeou), expulsé par sa compagnie, pour raison de cette imputation odieuse. Les mutins sont entrés chez lui ; ils ont déclaré ne vouloir rien enlever, mais ils ont tout cassé, tout brisé et tout jeté par les fenêtres. M. de la Tour du Pin, qui commande en cette ville, n’a pas peu contribué à les irriter, par une réponse dure, dont il n’a pas vraisemblablement senti toute la barbarie. Sur ce qu’ils lui exposaient leur besoin, le manque absolu de pain où ils étaient, ou du moins l’impossibilité d’atteindre au prix de la denrée, il leur a répondu : « Mes amis, l’herbe commence à pousser, allez la brouter. » Sans l’évêque*, qui est sorti de son palais épiscopal pour haranguer ces malheureux et les ramener à la douceur, il eût été fort à craindre que le désordre n’eût augmenté, au lieu de diminuer. Un frère de l’évêque, militaire, inquiet de ce prélat, étant allé à sa rencontre, a été pris pour M. de la Tour du Pin. Déjà un homme, derrière lui, avait le couteau levé pour le frapper, lorsqu’un autre lui a retenu le bras, en lui observant qu’il se trompait. »

Le Commandant se disculpa, en disant que S. M. lui avait écrit qu’elle approuvait tout ce que faisait son contrôleur général et ses principes concernant la législation et le commerce des grains, qu’il eut à faire exécuter les nouveaux règlements avec le plus de douceur qu’il serait possible, mais qu’il employât la rigueur et la force, si elles devenaient nécessaires. Mais il n’en résulte pas qu’il fut en droit de tenir son propos inhumain et atroce (Rel. hist.).

*D’Apchon, évêque de 1755 à 1776.

[15] Voir ci-après, p. 418, la marche des émeutes.

[16] Capitaine des gardes-du corps, membre de l’Académie française (1771), maréchal (1783). D’après l’Espion dévalisé, le tumulte fut aperçu par le lieutenant de la prévôté Béusse de la Brosse.

[17] Colonel des Suisses.

[18] Bertier de Sauvigny. On a prétendu que Turgot n’avait pas été satisfait de son concours dans la circonstance et avait demandé son remplacement sans pouvoir l’obtenir (E. Dubois de l’Estang).

[19] Toutes ces troupes faisaient partie de la Maison du roi. La compagnie écossaise des gardes du corps, commandée par le maréchal de Noailles, avait son quartier à Beauvais ; les gendarmes et les chevau-légers, à Versailles ; la première compagnie des mousquetaires, montée sur chevaux gris ou blancs, à Paris, rue du Bac ; la seconde compagnie, montée sur des chevaux noirs, rue de Charenton (E. Dubois de l’Estang).

[20] Probablement le régiment de cavalerie Colonel-Général en garnison à Issoudun et les dragons de Lorraine en garnison à Provins (E. Dubois de l’Estang).

[21] Presque tous les historiens rapportent, d’après la Correspondance Metra, que, dans la journée du 2 mai, Louis XVI avait paru au balcon du château, qu’il s’était troublé, qu’il avait annoncé à la foule que le pain allait être taxé à deux sous, et que Turgot avait dû accourir de Paris pour le faire revenir sur cette concession. Il est acquis désormais que la promesse a été réellement faite, mais que le Roi y est resté étranger (E. Dubois de l’Estang). — On remarquera l’expression employée par le Roi : la sotte manœuvre émanait du Prince de Poix, gouverneur des ville et château de Versailles.

[22] D’après l’Espion dévalisé, les lettres du Roi furent portées par d’Angivillers à Turgot qui en fit distribuer des copies par le chef de bureau Menard de Cornichard.

[23] Premier président du Parlement de Rouen. Voir ci-dessous.

[24] À Rouen. Voir ci-dessus p. 216. Le Parlement de Rouen n’avait pas encore enregistré les Lettres patentes du 2 novembre 1774 sur la liberté du commerce des grains. L’arrêt d’enregistrement ne fut rendu que le 21 décembre 1775.

[25] Voir ci-dessous p. 428 la révocation de Lenoir.

[26] Voir la lettre de Louis XVI, p. 416.

[27] L’ordonnance ci-dessus contre les attroupements.

[28] D’après l’abbé de Véri, cette disposition fut insérée dans l’Arrêt par une confusion du greffe ; elle avait fait l’objet d’un arrêté particulier.

[29] Lorsqu’il fut décidé de tenir le lit de Justice, l’intention était de biffer des registres du Parlement l’arrêt qu’il avait rendu la veille et de défendre à cette Cour de se mêler de ce qui regardait les grains, mais, après réflexion, M. de Maurepas fit changer ce plan avant l’arrivée du Parlement à Versailles (Journal de Véri).

[30] Lenoir avait succédé à Sartine dans les fonctions de lieutenant de police le 30 août 1774. Nommé conseiller d’État peu de temps après son remplacement à la police, il reprit ses anciennes fonctions après la chute de Turgot et les conserva jusqu’en 1785.

La lettre que Turgot lui adressa pour le consoler de sa disgrâce fut dictée par des considérations politiques. Turgot pouvait soupçonner Lenoir de mollesse volontaire, car, dit Du Pont (Mém., 189), il avait été très soigneusement averti.

D’après l’Espion dévalisé Raymond de Saint-Sauveur aurait affirmé que Lenoir et Sartine avaient préparé l’émeute.

La nomination d’Albert comme lieutenant de police et son remplacement par Fargès dans la partie des subsistances au contrôle général fut notifiée aux Intendants le 10 mai (A. Calvados, C. 2627.)

[31] Cette ordonnance était, comme la précédente, sans signature, ni date ; elle portait seulement au bas : De l’Imprimerie Royale, 1775. — Le samedi 6 mai était jour de marché.

[32] Rigoley, baron d’Oigny, intendant général des postes.

[33] Du Pont évalue la perte qui en résulta pour le Trésor à 610 000 livres. Turgot fit payer sur-le-champ 50 000 livres au négociant Planter dont un bateau avait été pillé et dont on avait jeté le grain à l’eau.

[34] Les soupçons contre le prince de Conti.

[35] Supérieur du séminaire du Saint-Esprit.

[36] Confesseur du roi, mort au commencement d’avril 1775.

[37] La Déclaration portait par erreur qu’elle avait été « registrée au Parlement le 5 mai 1775 » et imprimée chez « Simon, imprimeur du Parlement. » La Déclaration fut affichée à Paris et envoyée dans les campagnes pour y mettre en activité les justices prévôtales. D’après l’Espion dévalisé, Turgot avait consulté Malesherbes sur cette Déclaration et Maurepas la restreignit.

[38] D’après l’Espion dévalisé, les apôtres de Turgot dirent que l’époque de la révolution de la liberté était arrivée, mais qu’il fallait des martyrs.

[39] Les dates qui suivent les noms indiquent : la première, l’entrée à la Bastille ; la seconde, la sortie.

[40] À moins d’indication contraire.

[41] Négociant en grains qui donna le reçu ci-après :

Je soussigné avoir reçu de Mgr de Montholon, premier Président du Parlement de Normandie, la somme de 4 692 1. pour gratification qu’il a bien voulu me payer pour 4 692 mines de blé livré de son ordre à divers boulangers de cette ville à 16 l. 5 s. la mine, suivant le mémoire présenté. À Rouen, ce 25 juillet.

MILIEN.

[42] Bien qu’il s’agît d’une gratification et non d’un achat de grains pour le compte du Roi, on conçoit que Turgot ait eu des appréhensions sur le parti que ses ennemis auraient pu tirer d’une mesure de ce genre, étant donné l’état des esprits à Rouen.

[43] Voir l’avis du Garde des Sceaux, p. 217.

[44] « Qui le croirait, si on ne connaissait l’esprit du clergé ! il ne se conforma qu’avec répugnance aux ordres du Roi. Il fut scandalisé qu’on fit empiéter S. M. sur ses droits et qu’on lui attribuât en quelque sorte celui de donner des instructions en chaire. Quelques évêques, regardant Turgot comme un athée, se plaignirent qu’il tendît insensiblement à faire le Roi chef de l’Église Gallicane et, par conséquent, à détruire la Religion. » (Rel. hist.).

[45] D’après Du Pont, Brienne, consulté sur la rédaction de cette Instruction aux curés, et chargé d’y mettre la dernière main, y inséra cette phrase, que plusieurs personnes prirent pour un engagement de dévoiler tous les ressorts de la conspiration et d’en nommer les instigateurs, ce que leur qualité et la nature des circonstances rendaient impossible. L’archevêque de Toulouse ne l’ignorait pas. C’était donc, de sa part, une imprudence dont on a rendu Turgot responsable, et qui a beaucoup envenimé la haine que lui portaient ceux que leur conscience avertissait de se croire désignés. (Du Pont, Mém.)

[46] Le curé de Méry avait menacé les mutins de leur refuser les sacrements. Turgot lui fit accorder 200 livres de pension et lui fit espérer un bénéfice. (Gazette de Leyde)

[47] « Les frondeurs du Gouvernement dirent que l’Instruction était, comme tout ce qui sortait du contrôle général, verbeux, sophistique, maladroit ; annonçant sans doute de bonnes vues — car les ennemis les plus déclarés de Turgot n’osaient jamais l’attaquer que sur son système et commençaient toujours par dire : C’est un honnête homme, qui a le cœur droit et de bonnes vues —, mais fournissant en même temps des armes à ceux qui voulaient les combattre. » (Rel. histor.)

[48] On avait répandu de faux Arrêts du Conseil promettant au peuple que le pain serait taxé à bas prix.

[49] Marin, directeur de la Gazette de France de 1771 à 1774, remplace alors par l’abbé Aubert.

[50] Voir p. 433.

[51] Maurepas.

[52] Voir la Lettre à De Vaines, p. 305.

[53] Lettres publiées par lord Fitz Mauritz.

[54] Chez Trudaine de Montigny.

[55] Henry, Lettres inédites, p. 149.

[56] Il s’agit des Lettres sur le commerce des grains de Condorcet. Paris, Couturier, 1775, in-8°.

[57] Les Lettres de Condorcet.

[58] D’Aiguillon. Il était le neveu de Mme de Maurepas. Marie-Antoinette, qui le poursuivait de sa haine, venait de le faire exiler.

[59] Brigadier de dragons depuis 1768.

[60] De Maurepas.

[61] Raymond de Boisgelin.

[62] Illisible.

[63] Relativement à Paris, une Déclaration avait été préparée. Elle ne fut publiée que le 5 février 1776. Marseille demandait des dispositions particulières, à cause de la franchise de son port. (Du Pont, Mém., 202,)

[64] Dans une lettre du 4 juillet, au sujet d’une saisie de grains dépourvus d’acquit à caution, l’intendant fut invité à ne pas donner suite à la saisie.

[65] Seine-et-Oise, canton de Montfort-l’Amaury.

[66] Au premier bruit des séditions, le Roi de Suède avait envoyé au Roi de France deux vaisseaux chargés de blés. La lettre à Louis XVI n’a pas été retrouvée. D’après Du Pont, elle accompagnait la lettre à Turgot.

[67] Ambassadeur à La Haye.

[68] Le gouvernement n’a pas découvert ou n’a pas voulu peut-être approfondir les auteurs réels des émeutes. L’opinion les rapporte, sans en avoir la démonstration, au prince de Conti (Véri).

[69] Le 16 juillet, avait déjà été demandé à l’Intendant de Caen (A. Calvados, C. 2629) et probablement aux autres intendants un état des droits sur les grains existant dans la généralité.

[70] Du Pont de Nemours.

[71] La Gazette de Leyde constate à la date du 6 octobre que la récolte des grains était belle et que le Parlement de Toulouse avait demandé la liberté de l’exportation.

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