Œuvres de Turgot – 197 – Lettres à Condorcet

Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 3

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1775

197. — LETTRES À CONDORCET.

XXXIX. (Détails divers.)

[Henry, 241.]

Mardi 10 septembre.

Je n’ai point traité l’affaire de l’abbé Bossut. Je verrai M. Trudaine à Paris.

J’y serai vendredi, mais je compte aller ce jour-là dîner à Saint-Maur, chez M. Albert. Je vous y donne rendez-vous, si cela vous convient, et s’il vous convenait de venir ce jour-là à Paris, nous pourrions y retourner ensemble.

Je ne vous parle pas de l’affaire de votre logement, dont je sens tout le ridicule ainsi que vous.

Je n’ai que le temps de vous embrasser.

XL. (Projet de canal d’amenée des eaux de l’Yvette. Divers objets. — Lettre à Euler.]

[Henry, 244.]

Au Tremblay[1], 8 octobre.

J’ai, M., donné le oui et le non que vous demandez sur vos questions[2].

Je ne finirai qu’à Fontainebleau l’affaire des jauges, mais vous pouvez être sûr que, lorsque je la terminerai, je n’oublierai pas l’intérêt que vous prenez au Sr de Mantes, dont j’ai donné le nom à M. Trudaine. Je suis venu ici passer quelques jours dans la solitude pour me reposer et avoir un peu de loisir. Je n’en ai pas profité autant que je l’aurais voulu ; j’ai cependant employé mon temps.

Je ne sais si M. de Vaines vous a envoyé la lettre de change pour Euler. Je vous envoie la lettre que je lui écrirai en même temps, afin que vous la corrigiez si elle n’est pas bien. J’ai mis le post-scriptum sur une feuille séparée parce que je ne sais s’il ne vaut pas mieux que vous vous chargiez de mander ce détail.

Je me méfie toujours de la rage qu’ont les Allemands pour tout imprimer. Or, cette explication serait très ridicule si elle était imprimée.

À propos de cela, ne trouvez-vous pas que les gazetiers de Hollande me font écrire d’un charmant style.

Adieu, M., je me fais un bien grand plaisir de vous recevoir à Fontainebleau. Il y a un canal devant mes fenêtres où l’on ferait de belles expériences sur la résistance des fluides.

Mon courrier m’apprend que le maréchal Du Muy va se faire tailler de la pierre. Il sera regrettable par son honnêteté ; mais l’exemple du duc de Rohan doit lui donner bonne espérance.

(Canal de l’Yvette.)

Petites questions. 

Y a-t-il contre le projet d’amener l’eau de l’Yvette à Paris, d’autres objections que celle de la dépense ? Non.
Ne trouverait-on pas l’argent nécessaire à cette opération en vendant à des particuliers, une partie de cette eau ? Oui, du moins en grande partie. 
La confiance que l’on a au Gouvernement actuel ne rendrait-elle pas ce moyen très facile ? Je n’en sais rien.
Ne pourrait-on pas espérer que des particuliers très riches aient la générosité ou la vanité de payer de leur argent l’eau d’une fontaine publique à laquelle ils donneraient leur nom ? Je le crois, mais ce moyen par forme d’invitation du Gouvernement me paraît un peu petit.
Ne pourrait-on pas mettre aux prises la vanité des moines ou des corps ecclésiastiques très riches avec leur avarice et faire pencher la balance du côté de la vanité ? Je n’en sais rien. 
La Ville de Paris ne dépense-t-elle pas annuellement à des embellissements superflus une somme que l’on pourrait employer à un ouvrage utile au peuple de plus d’une manière ? Elle n’est guère en état de dépenser, car elle est ruinée. 
Ne faudrait-il pas commencer par revoir tout le travail de M. Deparcieux ? Oui. 
Y aurait-il quelque inconvénient à charger de cet examen le comité que vous avez nommé ? [3] Comme personne n’en a déjà été chargé, il y a un petit complot de vanité à craindre ; mais on peut prendre des tournures. 
Ne pourrait-on, d’après cet examen, publier un nouveau mémoire plus court, plus frappant, plus aisé à lire, arrêter la quantité d’eau qu’on pourra vendre au public, en fixer le prix, les conditions de la vente et celle du payement, fixer aussi le prix de l’eau pour les fontaines publiques que la générosité des particuliers voudrait élever ? Fort bien. 
Si la famille royale donnait l’exemple sur les fonds destinés à ses plaisirs, ne serait-il pas suivi avec empressement ? Cet article est bien délicat et le plus difficile de tous. 
Comme, en général, on n’aime point à donner d’argent pour un objet éloigné et dès lors incertain, ne pourrait-on pas lever cette difficulté soit en donnant une plus grande solennité aux engagements de la Ville de Paris, soit en n’exigeant l’argent de ceux qui auraient fait leurs soumissions qu’après que l’eau de l’Yvette serait arrivée à Paris ? Tout ceci sera fort aisé quand le plan sera bien fait et bien rédigé et qu’il embrassera la partie de l’art et la partie économique. Ceci est difficile, car il faut beaucoup d’argent pour payer les ouvriers. 

 

Lettre à Euler. 

(Octobre)

Pendant le temps, M., que j’ai été chargé du département de la Marine, j’ai pensé que je ne pouvais rien faire de plus avantageux pour l’instruction des jeunes gens élevés dans les Écoles de la Marine et de l’Artillerie que de les mettre à portée d’étudier les ouvrages que vous avez donnés sur ces deux parties des mathématiques. J’ai, en conséquence, proposé au Roi de faire imprimer par ses ordres votre Traité de la construction et de la manœuvre des vaisseaux et une traduction française de votre Commentaire sur les principes d’artillerie de Robins.

Si j’avais été plus à portée de vous, j’aurais demandé votre consentement avant de disposer d’ouvrages qui vous appartiennent ; mais j’ai cru que vous seriez bien dédommagé de cette espèce de propriété par une marque de la bienveillance du Roi. S. M. m’a autorisé à vous faire toucher une gratification de mille roubles, qu’elle vous prie de recevoir comme un témoignage de l’estime qu’elle fait de vos travaux et que vous méritez à tant de titres. Je m’applaudis d’en être, dans ce moment, l’interprète et de saisir avec un véritable plaisir cette occasion de vous exprimer ce que je pense depuis longtemps pour un grand homme qui honore l’humanité par son génie et les sciences par ses mœurs.

P. S. Il y a déjà quelque temps que M. le marquis de Condorcet, qui s’est chargé de veiller à l’édition de vos deux ouvrages, vous a prévenu de cette grâce du Roi et vous avez dû être surpris de n’en avoir point de nouvelle directe. Mais, ayant passé du Ministère de la Marine à celui des Finances, la feuille approuvée par le Roi s’est égarée ; je répare aujourd’hui ce retard.

XLI. (Situation personnelle de Condorcet).

[Henry, 215.]

(Novembre.)

Je n’ai pu parler qu’un moment hier après le Conseil à M. de Maurepas et à M. de La Vrillière de votre affaire. Je les ai trouvés tous deux un peu frappés de ce que l’entrave qu’on veut vous imposer est dans le règlement, et M. de Maurepas inclinait au parti moyen de vous affranchir pour les éloges en laissant subsister la délibération pour les extraits. Je combattrai cette idée à une conférence que nous devons avoir ce soir et dont je vous manderai le résultat. Vous ne devez pas douter que je ne partage votre chaleur sur une chicane aussi absurde et aussi déplacée.

Je vous embrasse[4].

XLII. (Situation personnelle de Condorcet).

[Henry, 216.]

Versailles, mardi matin (novembre).

M. de La Vrillière n’était point hier à notre conférence ; il était à Paris, mais M. de Maurepas m’a assuré qu’il ne donnerait point de réponse définitive. J’ai prêché M. de Maurepas de mon mieux et je crois l’avoir convaincu, mais avec lui, il faut insister et réinsister ; je ne m’y oublierai pas ; il faut que l’abbé de Véri s’y joigne.

Adieu, je vous embrasse ; je n’ai pas le temps de vous écrire plus au long. La maladie des bestiaux ne m’a pas laissé respirer depuis dimanche. Il est possible que j’aille demain coucher à Paris pour en revenir jeudi, mais je n’en suis pas sûr. Prévenez-en Mme d’Enville, afin qu’elle ne prenne pas ce jour-là pour venir.

XLIII. (Situation personnelle de Condorcet. — Le Parlement).

[Henry, 218.]

Vendredi matin (novembre).

J’ai reçu votre lettre ; je crois que M. de Malesherbes a été trompé. Je n’ai pas encore pu lui en parler. Peut-être avez-vous raison de vouloir remettre les mille écus. Mais je voudrais que vous y refléchissiez encore quelques jours et que nous en causassions. J’espère être lundi au soir à Paris.

Messieurs ont fait merveille, et peut-être mieux qu’ils ne pensent, car ils mettent dans la nécessité absolue de ne pas reculer.

Je vous embrasse.

Ce qu’il y a d’heureux, c’est qu’au milieu de tout cela, ma santé revient sensiblement.

XLIV. (Situation personnelle de Condorcet. — La question des grains).

[Henry, 232.]

Versailles, dimanche 21 (juin).

Je voudrais vraiment bien avoir donné lieu aux compliments que vous me faites, et ce n’est pas faute de bonne volonté, mais vous n’êtes point magistrat ; vous confier un département pour travailler sous moi, sans ce titre, c’eut été vous rabaisser à l’état de premier commis. Il aurait fallu, pour éviter cette apparence, imaginer et créer quelque charge nouvelle, ce qui, dans ce moment, eût excité un clabaudage que j’ai eu, peut-être, la sottise de craindre.

Dans cette circonstance, je me suis borné à prendre sur ce que je gagne par la réunion du département de M. d’Albert à celui de M. Fargès de quoi vous faire jouir des appointements de votre place, dont vous ne deviez jouir qu’à la mort de M. De Forbonnais ou de M. Tillet.

Je sens qu’il eût été nécessaire de faire parvenir partout une instruction pour les municipaux, commandants, intendants, etc., mais il m’a été impossible de la faire au moment du premier brouhaha, et actuellement tout se calme.

Du Pont a dû vous mander que nous n’étions pas contents de la sixième lettre[5]. Je vous embrasse. Quand reviendrez-vous ?

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[1] Propriété de la duchesse de Saint-Aignan.

[2] Voir la note qui suit cette lettre.

[3] Le comité de l’hydraulique composé de d’Alembert, Bossut et Condorcet (Voir ci-dessus, p. 651).

[4] Lettres de Mlle de Lespinasse à Condorcet, 29 septembre. – Il (M. Turgot) m’a beaucoup demandé de vos nouvelles. J’espère qu’il s’occupe de vous d’une manière solide. Il faut absolument que le bon Condorcet ait un pot-au-feu et des côtelettes tous les jours chez lui, et il faut qu’il ait un carrosse pour aller voir ses amis et pour les servir, et tout cela s’obtient avec 2 000 écus de rente, qui sont les appointements qui doivent naturellement être attachés à sa place de secrétaire de l’Académie. Cet arrangement est le plus simple et peut avoir lieu à la Saint-Martin prochaine. J’ai dit tout cela à Mme d’Enville qui est animée du même sentiment que moi et qui a le bonheur d’avoir des moyens de le satisfaire.

[5] Sixième lettre de Condorcet sur le Commerce des grains.

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