Œuvres de Turgot – 222 – L’épizootie et les épidémies

Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5

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1776

222. — L’ÉPIZOOTIE ET LES ÉPIDÉMIES

I. Lettres à l’Intendant de Bordeaux (De Clugny) sur l’administration de l’Intendant Journet.

[A. N., F12 152.]

Première lettre.

20 janvier.

Je ne puis, M., faire d’autre usage de la lettre que je viens de recevoir de M. d’Alliot que de vous la faire passer ; elle vous fera voir tout l’inconvénient de la négligence qu’on a apportée dans le département de M. Journet et combien il est facile d’abuser de cette négligence. Je vous prie de vous faire rendre compte de ces abus autant qu’il sera possible.

Deuxième lettre.

27 janvier.

… Le tableau que vous me présentez de la dépense à faire excède de beaucoup tout ce que j’avais pu me figurer et ce qu’il y a de plus affligeant, c’est que loin que cette dépense ait été utile au Pays dans lequel elle a été faite, c’est la négligence employée dans l’exécution des ordres du Roi qui y a donné lieu et qui a en même temps porté la contagion dans toutes les parties de cette malheureuse Province. Je suis bien éloigné d’attaquer la mémoire de M. Journet. Je crois, comme tout le monde, que sa probité était intacte ; mais ce fait prouve qu’un administrateur négligent et incapable peut faire autant et plus de mal que celui qui serait capable de se livrer aux excès les plus condamnables. Quoi qu’il en soit, il ne me paraît pas possible de faire payer sans examen des dépenses sur la légitimité desquelles il y a autant de raisons de douter. Il me paraît nécessaire d’en ordonner une nouvelle vérification. Je suis fâché que vous ne vouliez pas vous charger de cette commission ; mais je respecte vos motifs. Il est de la plus grande importance d’établir une commission composée de juges intègres les plus intelligents et les plus actifs qu’il sera possible de trouver pour examiner tous les procès-verbaux d’assomement et d’estimation, pour faire rendre compte à tous ceux qui auront été chargés d’acquitter les dépenses. Si cette vérification donnait lieu à la découverte de délits dont il fut important d’ordonner la punition, le Roi prendrait les partis qui lui paraîtraient les plus convenables pour y faire pourvoir. Je sens comme vous qu’il n’en peut résulter qu’un retard fâcheux dans le payement à des propriétaires de bonne foi qui seront confondus avec ceux qui auront concouru aux abus. Mais je me croirais coupable moi-même d’abuser de la confiance dont le Roi m’honore, si je lui proposais le payement d’une somme aussi exorbitante avec la certitude presque complète que la plus grande partie n’est pas due. Tout ce que je puis proposer au Roi, en conséquence de la confiance bien fondée que le Roi dans votre personne, c’est de vous autoriser à faire acquitter sur vos ordonnances, ceux de ces malheureux propriétaires qui vous paraîtront dans la position la plus défavorable. Mais je crois que vous penserez comme moi que vous devez être sobre sur ces exceptions…

Quant à ce qui regarde la totalité des dépenses ordonnées par M. Journet, je vous prie de vous concerter avec M de S. Priest et de me proposer les sujets, soit de cette généralité, soit du Languedoc ou d’autres Provinces que vous croirez les plus propres à remplir les vues du gouvernement. Je proposerai au Roi d’en former une Commission pour vérifier toutes ces dépenses et examiner tous les comptes.

Troisième lettre.

26 février.

Je pense comme vous que le parti le plus court et le moins embarrassant à prendre pour vérifier les dépenses qui ont été faites dans la Généralité d’Auch, pendant l’administration de M. Journet, est de charger son successeur de cette vérification. Tout ce que vous me mandez sur l’inexactitude des estimations et des comptes de toutes sortes de dépense rendus par ceux qui étaient préposés par cet intendant me fait espérer que par cette vérification on parviendra à diminuer considérablement la masse de cette dette. J’abandonne d’après vos réflexions l’idée que je vous avais proposé de former cette commission des membres du Parlement de Pau ou de celui de Toulouse. Il vaudrait mieux, en effet, ne la composer que de personnes entièrement étrangères à la Province, mais comme il ne me paraît pas possible que cette vérification ne donne lieu à des découvertes qui pourront nécessiter des instructions mêmes criminelles sur des abus de confiance aussi condamnables, il y aura des cas où il faut que l’intendant soit autorisé à appeler avec lui le nombre de gradués requis par l’ordonnance. Mais je pense comme vous qu’il faut attendre pour cela que la circonstance l’exige.

J’ai beaucoup réfléchi à la proposition que vous me faites d’envoyer deux maîtres des requêtes pour seconder M. l’Intendant d’Auch. Cette proposition m’avait d’abord beaucoup séduit parce que je la regardais comme un moyen d’instruire des jeunes gens du Conseil dans les matières d’administration ; je n’aurais pas même balancé à m’y rendre, si vos occupations et votre santé vous eussent permis de continuer à faire les fonctions d’Intendant d’Auch. Mais pour vous parler avec la confiance que j’aurai toujours avec vous, je trouve que M. de la Boulaye est encore trop nouvellement intendant, et je craindrais que la présence de deux de ses confrères ne servît ou à diminuer un peu de la considération qui est nécessaire dans sa place, ou à lui donner peut-être des embarras dans l’exécution. Ce n’est pas que je n’aie grande confiance dans cet intendant ; mais il ne peut à son arrivée dans une Province avoir toute la considération qu’il y acquerra. Il vaut mieux, à ce que je crois, lui donner pour coopérateurs des personnes qui, par leur état, n’aient rien à lui disputer, et le choix de ces personnes est extrêmement délicat et difficile. Il serait nécessaire que vous voulussiez bien le guider sur cela, et j’espère que vous ne vous y refuserez pas.

J’ai changé aussi en quelque chose le préambule de l’arrêt dont vous m’avez adressé le projet. Je n’ai pas cru que le Roi dût annoncer dès à présent l’existence de l’abus qu’il s’agit de vérifier. Je manderai à M. de la Boulaye de se concerter avec vous sur la manière de mettre cet arrêt à exécution, et je vous prie de vouloir bien l’en prévenir et de lui proposer les dispositions que vous croirez les plus convenables[1].

2. Lettres à l’Intendant de Flandre et Hainaut (Caumartin) : précautions à prendre sur la frontière des Pays-Bas.

Première lettre.

28 janvier.

… Le Gouvernement des Pays-Bas se plaint amèrement de ce que l’on n’adopte point dans la Flandre française le système de précautions adopté dans les Pays-Bas autrichiens et adopté dans le reste du Royaume, ce qui laisse toujours subsister un levain de contagion prêt à réinfecter les provinces voisines. Le Roi est absolument décidé à faire exécuter en Flandre le même plan qui a été suivi ailleurs pour la destruction totale de la maladie[2].

Deuxième lettre.

4 février.

… Il eût été peut-être très facile avec des troupes et de l’activité de profiter du moment où la gelée et la neige avaient interrompu toute communication pour éteindre la maladie entièrement, car étant concentrée dans un petit nombre d’étables, il ne s’agissait que de les connaître et de les visiter, d’y faire assommer les animaux malades ou suspects, et de désinfecter les étables sur le-champ avec les précautions prescrites. La maladie est tout à fait bannie des Pays-Bas autrichiens, elle le sera de la Picardie et du Hainault par les précautions que l’on y prend très exactement.

Il ne faut pas que le foyer s’en conserve dans la Flandre et le Roi est très décidé à y faire suivre le même plan que dans les autres Provinces afin que le Royaume en soit totalement délivré[3].

3. Circulaire aux Intendants, envoyant une nouvelle instruction sur la manière de désinfecter.

[A. N., F12 151. — A. Calvados. — A. Marne. — Neymarck, II, 419.]

Versailles, 6 février.

4. Lettre à l’Intendant de Bordeaux (de Clugny) au sujet du massacre général.

[A. N., F12 152.]

6 février.

Je ne puis, M., qu’applaudir aux motifs qui vous ont engagé à m’écrire la lettre que je reçois de vous. L’opération que vous y proposez, quelque rigoureuse et quelque difficile qu’elle soit dans l’exécution, est le seul moyen de venir à bout de détruire cette maladie, et je m’y serais porté dès le commencement si je n’avais craint qu’elle ne fût impossible. Mais je ne suis point effrayé de la dépense d’après l’aperçu que vous m’en envoyez. Je suis fâché que vous ne l’ayez pas prise sur vous. Vous devez être bien sûr de ma confiance et de celle qu’en toute occasion j’inspirerai au Roi pour vous. Je pense, comme vous, qu’il n’y a pas un moment à perdre pour la commencer, et quant aux détails je ne puis que m’en rapporter à vous. M. de Cadignan qui m’écrit par votre courrier me paraît toujours insister beaucoup sur la nécessité de former un vide sur la rive gauche de la Garonne, et je vois que vous pensez de même. Cependant je vous avoue que n’étant pas sur les lieux, et ne pouvant voir comme vous l’importance des positions, il m’avait paru que ce vide serait absolument inutile tant qu’on ne serait pas sûr que le Languedoc et toutes les parties qui sont sur la rive droite sont entièrement saines. Ma confiance en vos lumières est toujours la même et j’éprouverai tous les partis que vous aurez pris de concert avec M. de Perigord ou M. de Cadignan…

Ce que vous me mandez des mauvais succès de l’entreprise du Sr Chaumont est une raison de plus pour balancer sur le parti du vide.

Je ne puis vous dire combien je suis peiné de ce que vous me mandez sur votre santé. Vous ne devez pas douter de tout l’intérêt que j’y prends. Il est trop rare d’avoir à correspondre avec des administrateurs aussi éclairés pour ne pas chercher tous les moyens de les conserver en bonne santé. Je sens plus qu’un autre les inconvénients d’être pris par la goute et combien le travail peut alors fatiguer. M. de la Boulaye m’a promis de partir le 15 de ce mois. Je l’en presserai encore. Mais vous ne pouvez pas douter du besoin qu’il aura dans les commencements de vos avis et de vos instructions. Je ne lui ai pas laissé ignorer toute la confiance que j’ai en vous ; et je lui recommande de se conduire en tout par vos avis. Je vous ai déjà mandé ce que je pensais sur l’incroyable négligence qui a régné dans l’Administration de M. Journet.

5. Lettre à l’Intendant de Champagne sur la désinfection des étables.

[A. Marne. — Neymarck, II, 419.]

Versailles, 11 mars.

Je ne vous ai point parlé, M., dans ma dernière lettre de la désinfection des étables dont vous connaissez l’importance. Je présume que vous n’aurez point négligé de faire faire généralement cette opération dans tous les lieux où la maladie a régné dans le mois de septembre et depuis. Vous savez que, d’après les instructions données par le Roi, ce sont les troupes qui ont été chargées de cette désinfection dans tous les lieux où elles ont été employées, pour empêcher les communications et s’opposer au progrès de la contagion.

6. Lettres à l’Intendant d’Auch (La Boulaye) au sujet du repeuplement des bestiaux.

[A. N., F12 152.]

Première lettre.

26 mars.

Je vous envoie, M., un Mémoire des habitants de la ville de Verdun par lequel ils demandent qu’il leur soit permis de se repeupler de bestiaux pour pouvoir labourer leurs terres et qu’il leur soit en outre fait une remise sur leurs impositions pour indemniser des pertes qu’ils ont faites.

Vous êtes sans doute persuadé, comme moi, du danger qu’il y aurait dans un repeuplement prématuré qui ne manquerait pas d’exposer ces habitants à de nouvelles pertes ; si la maladie n’est plus actuellement dans ce pays, elle pourrait y être rapportée par les animaux qui y seraient introduits et il serait à craindre qu’elle n’y fît de nouveaux ravages.

Ainsi, je crois qu’on ne peut, quant à présent, permettre aucun repeuplement avec sûreté. Vous êtes sur les lieux, conséquemment plus à portée de savoir l’état des choses. Vous voudrez bien vous en faire rendre compte et me marquer ce que vous pensez des demandes de ces habitants.

Deuxième lettre.

30 avril.

Le voyage que vous avez fait à Bordeaux, M., ne peut être que très utile ; les avis de M. de Clugny sont fondés sur l’expérience qu’il a acquise dans le temps où l’administration de votre province était la plus difficile. Rien n’est d’ailleurs plus à désirer dans la circonstance présente que l’uniformité des principes et de conduite ; elle augmente la (sécurité?) et affaiblit les motifs de réclamations ou de plaintes. L’état de votre Généralité donne des espérances et les soins que vous vous donnez sont bien capables de les confirmer.

On ne peut former que des conjectures sur la première origine de la contagion ; elle a régné longtemps en Hongrie, en Hollande ; elle existe encore dans plusieurs contrées de l’Allemagne ; partout, elle a été trop négligée dans les commencements et est devenue plus difficile à arrêter. Je ne pense pas qu’on doive se porter jusqu’à défendre l’importation des cuirs non tannés venant de l’étranger. Il y a des moyens d’assurer la désinfection des cuirs verts sans bannir du commerce une matière nécessaire pour alimenter nos fabriques ; il est sage et même nécessaire d’établir et faire observer une police de précaution dans les lieux où les cuirs sont importés, et de s’assurer de leur désinfection, avant de les laisser approcher des lieux où la contagion est à craindre.

J’apprends avec bien de la satisfaction que les habitants de votre province conservent le courage et que la culture vous a parue en bon état. Il est bien à désirer qu’ils s’accoutument au service des chevaux, et qu’ils reconnaissent combien leur travail est préférable à celui des bœufs ; mais il faudrait, pour les instruire à cet égard, vaincre le préjugé qu’ils marquent contre les charrues et le seul moyen me paraît être d’avoir des charretiers qui labourent sous leurs yeux et leur fassent connaître ce genre de culture. Les charrues seraient peu utiles si elles n’étaient comme vous me l’annoncez, qu’entre les mains de quelques curieux.

Quant aux charrettes qui ont été envoyées, et qui paraissent trop larges et trop pesantes pour les chemins, elles peuvent au moins servir de modèles pour en construire de plus légères, mais d’une forme moins incommode que celle qui était en usage.

7. Lettre au Ministre de la Guerre (de Saint-Germain), au sujet du maintien des troupes près de Toulouse.

[A. N., F12 152.]

11 avril.

J’apprends par M. le baron de Cadignan que l’épizootie règne encore auprès de Toulouse et sur des bords de la Garonne. J’espère que vous voudrez bien donner les ordres pour que les troupes qui sont employées pour empêcher les communications ne soient pas dérangées même pour effectuer les opérations que vous projetez sur la nouvelle formation des corps.

P. S. — La maladie est sur sa fin et ne paraît plus que par intervalles. On a soin de l’étouffer sur-le-champ avec la plus grande vigilance. Le moindre dérangement dans l’ordre établi perdrait tout, et la contagion renaîtrait. Je ne puis assez vous prier, ou de différer les opérations sur les corps employés contre ce fléau, ou de les effectuer de façon que les postes ne cessent pas d’être garnis, ce qui ne me paraît guère possible.

8. Lettre au baron de Cadignan au sujet des pénalités pour infraction aux ordonnances.

15 avril.

Je vois avec plaisir que les opérations relatives à l’épizootie s’exécutent avec tout le soin qu’exige un objet de cette importance et que tout l’intérieur du camp est presque entièrement désinfecté.

Comme on doit s’attendre, ainsi que vous l’observez, à voir renaître la contagion, surtout dans le printemps et l’été, il convient de se tenir toujours en garde, et je me repose entièrement sur votre zèle et sur vos soins à cet égard.

Quant à l’arrêt du Conseil qui avait été proposé pour prononcer des peines afflictives contre les contrevenants, j’y ai trouvé tant d’inconvénients que je n’ai pas cru devoir le faire expédier. J’ai pensé que des peines pécuniaires très fortes, et la contrainte par corps, établie pour le paiement de ces amendes, pourraient être suffisantes, et M. de Clugny, à qui j’ai fait part de vos réflexions à ce sujet, en est convenu.

9. Lettre à Cromot, trésorier du comte de Provence, au sujet des indemnités.

[A. N., F12 152.]

23 avril.

Vous ne doutez pas sûrement que les motifs de justice et de bienfaisance qui assurent la protection de Monsieur aux habitants des domaines qui lui appartiennent, ne soient absolument les mêmes que ceux qui assurent pareillement à tous les sujets du Roi la protection de S. M. C’est par eux qu’elle s’est déterminée à répandre des secours abondants dans les provinces affligées par la maladie contagieuse des bestiaux. S. M. a reconnu combien il était essentiel de marcher d’un pas égal entre ces deux motifs, dans la distribution de ses bienfaits, parce que l’étendue de ses libéralités ne pouvant pas être indéfinie, l’économie ne pouvait manquer dans une partie sans que les secours manquassent nécessairement dans d’autres. Le Roi est instruit que dans la généralité d’Auch une administration moins attentive qu’elle n’aurait dû l’être, a laissé introduire des abus de plusieurs genres ; que souvent on y a porté à des prix excessifs l’estimation des bestiaux qu’il a été nécessaire de sacrifier ; qu’on a admis au partage des grâces de S. M. plusieurs de ses sujets qui, par l’infraction des règles établies, s’en étaient rendus indignes, en cachant la maladie de leurs bestiaux, et en ne la déclarant qu’à la dernière extrémité après avoir exposé aux progrès de la contagion des pays voisins. S. M. a considéré que faire acquitter ces estimations excessives ou irrégulières, c’était dissiper sans fruit les sommes destinées à donner des secours utiles, en priver des cantons auxquels ils étaient plus légitimement dus, que ces sommes mêmes destinées à être répandues en bienfaits étant levées sur ses sujets, ne pouvaient être augmentées arbitrairement. Tels sont, M., les motifs qui déterminent le Roi à ordonner la révision des estimations ou des ordonnances de payement qui paraissent avoir été trop légèrement accordées. Son intention ne peut être qu’elles soient déterminées sans cause suffisante. Elle a soin de prescrire des règles fixes pour diriger cette révision afin qu’elle soit conforme aux règles de la plus exacte justice. Cette opération doit être désirée par tous ceux qui ont demandé et obtenu de bonne foi leur juste indemnité, elle ne peut être à craindre que pour ceux qui auraient tenté de se procurer des gains illégitimes aux dépens de leurs concitoyens. On ne serait pas fondé à réclamer contre un examen si utile, quand même on voudrait considérer comme une dette ce qui n’est réellement qu’un bienfait et une pure libéralité. Enfin S. M. se propose principalement de tirer de cette opération même, le moyen de faire payer promptement les indemnités qui auront été reconnues légitimes, et de faciliter la culture des terres. Mais désirant assurer les avantages qui doivent en résulter, le Roi a reconnu qu’il serait injuste que l’exécution de ses volontés ne fût pas uniforme, et qu’il ne pouvait permettre des exceptions, sans qu’il en résultât de dangereuses conséquences. Et je ne peux pas douter que Monsieur ne pense de même si vous voulez bien mettre sous ses yeux des motifs si dignes de son attention et de sa justice.

10. Arrêt du Conseil instituant une Commission des épidémies et épizooties[4].

 [D. P., II, 536. — D. D., II., 474.]

29 avril.

Le Roi s’étant fait rendre compte, en son Conseil, des précautions anciennement prises et des moyens qui ont été employés pour porter des secours à ses sujets et veiller à leur conservation, lorsque des maladies épidémiques ont affligé quelque provinces, ou se sont répandues dans les campagnes, S. M. a reconnu qu’il était digne de sa bienfaisance de pourvoir à cet objet important, par des institutions plus efficaces et capables de remplir plus sûrement leur objet ; qu’une longue expérience prouve que les épidémies, dans leur commencement, sont toujours funestes et destructives, parce que le caractère de la maladie, étant peu connu, laisse les médecins dans l’incertitude sur le choix des traitements qu’il convient d’y appliquer ; que cette incertitude naît du peu de soin qu’on a eu d’étudier et de décrire les symptômes des différentes épidémies, et les méthodes curatives qui ont eu le plus de succès ; que, si quelques médecins habiles ont écrit et conservé leurs observations sur les épidémies qu’ils ont vues régner, ces ouvrages isolés sont demeurés sans utilité, faute d’être rassemblés, et de concourir, par leur réunion et leur comparaison, à la formation d’un corps complet de doctrine ; que cependant, la véritable et la plus sûre étude de la médecine consistant dans l’observation et l’expérience, le véritable code des médecins serait dans le recueil de tous les faits que les hommes les plus instruits de l’art ont observés, et des traitements dont ils ont éprouvé, dans les épidémies, les bons ou les mauvais succès ; que, pour encourager les médecins habiles à conserver leurs observations, et pour parvenir à les réunir et les comparer ensemble, rien ne serait plus utile que l’établissement d’une commission composée de médecins choisis par S. M., et qui seraient par elle spécialement chargés de s’occuper de l’étude et de l’histoire des épidémies connues ; de se ménager des correspondances avec les meilleurs médecins des provinces et des pays étrangers ; de recueillir et de comparer leurs observations, de les rassembler en un seul corps ; enfin, de se transporter, toutes les fois qu’il leur serait ordonné, dans toutes les parties du Royaume où des maladies épidémiques requerraient les secours de leur art, l’objet essentiel de ceux qui l’exercent étant surtout de ne négliger aucun moyen de se rendre utiles à l’humanité. S. M. a droit d’attendre, du zèle de ceux qu’elle aura choisis, qu’à l’exemple des plus grands médecins de l’antiquité, ils ne dédaigneront point d’étudier pareillement les maladies des animaux et les remèdes qui leur conviennent. Ces considérations ont déterminé S. M. à faire choix de plusieurs médecins qui, sous la conduite et l’inspection d’un chef, s’occuperont spécialement du soin d’étudier l’histoire et la nature des différentes épidémies, de demander et de réunir les observations des médecins des provinces ; de faire des recherches d’anatomie, en joignant à la dissection du corps humain celle des animaux, et rassemblant ainsi toutes les notions qui peuvent être utiles pour prévenir ou pour arrêter les ravages que les maladies contagieuses font parmi les hommes ou parmi les animaux qui, partageant avec eux les travaux de l’agriculture, deviennent une partie intéressante de leur richesse.

À quoi voulant pourvoir, ouï le rapport du sieur Turgot, … le Roi étant en son Conseil, a ordonné et ordonne ce qui suit :

Art. Ier. Il se tiendra à Paris, au moins une fois par semaine, dans le lieu qui sera désigné par le Sr contrôleur général des finances, une assemblée qui sera composée d’un inspecteur général des travaux et de la correspondance relatifs aux épidémies et épizooties, d’un commissaire général, premier correspondant avec les médecins des provinces, et de six docteurs en médecine, lesquels se consacreront principalement à l’étude des maladies épidémiques et épizootiques ; à faire des dissections et autres opérations propres à remplir l’objet auquel ils seront destinés ; à se livrer aux travaux de la correspondance qui sera établie avec les médecins des provinces, lesquels seront invités par le commissaire-correspondant, qui sera nommé ci-après, à concourir à l’utilité des travaux de ladite assemblée par leurs observations et leurs expériences[5].

Les art. II et III nomment directeur général de Lassone, et commissaire général Vicq d’Azyr.

IV.Le Sr Vicq d’Azyr sera tenu de faire un cours d’anatomie humaine et comparée, auquel cours assisteront les six médecins agréés et les docteurs ou étudiants en médecine.

V. Les six docteurs en médecine seront nommés par le Sr de Lassone, et seront tenus de se transporter, en conséquence des ordres du Sr contrôleur général, dans les provinces où ils seront jugés nécessaires pour le soulagement des hommes ou des bestiaux.

VII. Pour étendre le plus qu’il sera possible l’utilité que le public et les médecins doivent retirer de cet établissement, il sera admis à ladite assemblée pour en suivre les instructions et exercices, des docteurs ou étudiants en médecine, faisant leurs cours à Paris, même des chirurgiens ou des élèves en chirurgie, qui, par leurs talents, mériteront cette admission et pour les engager à s’y rendre exacts et attentifs, veut S. M. qu’il soit accordé des encouragements proportionnés à leurs talents à ceux qui se seront distingués par leur application et leur amour pour le travail…

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[1] Ultérieurement, d’après d’autres lettres à De Clugny, on voit :

1° Qu’il réduisit de 1 500 000 livres les prévisions de dépenses pour l’indemnité du tiers des bestiaux tués ; on lui répondit que ce n’était pas assez.

2° Qu’il proposa d’infliger des peines afflictives aux contrevenants. On lui répondit que ce serait donner du poids aux réclamations contre l’attribution faite aux Intendants pour le jugement des contraventions.

[2] La plupart des nombreuses lettres contenues dans le registre des Archives Nationales relativement à l’épizootie constatent que la maladie a diminué ou cessé.

Autres lettres. — 14 janvier : À de la Porte au sujet de la défense du pays de Foix. (Les troupes valent mieux à cet égard que les milices.)

20 janvier : À l’Intendant de Montauban au sujet d’indemnités à allouer à des bateliers dont le service a été arrêté par les mesures de défense.

27 janvier : Au Ministre de la guerre, au maréchal de Mouchy et à de Fumel, au sujet du marquis de Faudoas, qui demande un régiment. (Il lui est accordé une indemnité de 6 000 livres.)

[3] Troisième lettre. — 22 mars. — Des visites, à Saint-Omer notamment permirent de constater que la maladie y régnait depuis longtemps. L’intendant avait rendu une ordonnance, mais elle avait été perdue de vue.

Quatrième lettre. — 24 mars. — Je reçois de nouveaux avis qui démontrent de plus en plus que votre présence et la vigilance la plus exacte sont nécessaires dans votre Généralité.

J’apprends en même temps que la maladie règne depuis longtemps dans la paroisse d’Audruicq, mais que l’opiniâtreté et l’esprit de révolte des habitants n’ont pas permis jusqu’à ce moment de reconnaître toute l’étendue du mal. On m’instruit que le nommé Baclu, un des magistrats d’Audruic, a tenu hautement les propos les plus séditieux, qu’il a menacé le Sr Breton de sonner la cloche à son arrivée pour armer tout le village contre lui, et de le faire assommer lui-même.

Il est absolument nécessaire qu’une punition prompte de ce magistrat séditieux lui fasse sentir son imprudence et donne un exemple aux autres.

Cinquième lettre. — 15 avril. — On signale que le Sr Breton, chirurgien, expose qu’il a trouvé dans le village d’Audruicq la désinfection des étables faite très imparfaitement faute de souffre et de (nitre ?) absolument nécessaires pour cet objet.

[4] L’organisation d’un service médical à Bordeaux avait été proposée par l’intendant De Clugny (lettre du Contrôleur général du 25 mars. — A. N., F12. — Foncin, 612).

[5] Cette Commission, prenant une forme plus académique, est devenue la Société Royale de Médecine (D. P., Mém., 329).

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