Œuvres de Turgot – 243 – L’impôt indirect

Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5

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1777

243. — L’IMPÔT INDIRECT.

1. Mémoire pour Franklin[1].

[A. L., minute. — D. P., IX, 393. — D. D., I, 393.]

(Les impôts de consommation. — Tous les impôts retombent sur les propriétaires. — Le produit net est donné en partie par la nature. — Avantages de l’impôt direct et inconvénients de l’impôt indirect. — La fraude.)

Comme chaque citoyen, en achetant la denrée qu’il veut consommer, semble ne payer que volontairement l’impôt dont elle est chargée, bien des personnes, et même quelques écrivains illustres, séduits par cette apparence de liberté, n’ont pas hésité à préférer à tout autre genre d’impôts ceux qui sont établis sur les diverses consommations et sur l’entrée et la sortie des marchandises.

Mais ceux qui ont approfondi la matière sont bien loin de penser ainsi. Leurs réflexions, d’accord avec l’expérience, leur ont démontré que la totalité des impôts, sous quelque forme qu’ils soient levés, est toujours, en dernière analyse, payée par les propriétaires des terres, soit directement par l’application d’une partie de leur revenu aux besoins de l’État, soit indirectement par la diminution de leur revenu, ou par l’augmentation de leur dépense.

Il est évident, au premier coup d’œil, que tout impôt mis sur les cultivateurs est supporté par les propriétaires, puisque le cultivateur qui recueille immédiatement les fruits du sol n’en rend et n’en peut rendre au propriétaire, soit en nature, soit en valeur, que ce qui reste déduction faite de tous les frais de culture, dans lesquels sont compris le prix du travail et de l’industrie de l’entrepreneur de culture, l’intérêt de toutes ses avances et le remboursement de toutes ses dépenses ; par conséquent, c’est toujours le propriétaire qui supporte l’impôt, lors même qu’il est demandé au cultivateur.

Il n’est pas moins évident que l’effet immédiat de tout impôt sur les consommations est de renchérir la denrée, pour les consommateurs, de la totalité de l’impôt ; si le renchérissement était moins considérable, ce serait parce que, les moyens de payer n’étant pas augmentés pour les consommateurs, ils seraient forcés de consommer moins, ce qui modifierait le premier effet immédiat de l’impôt.

Les propriétaires payent le renchérissement de toutes les denrées qu’ils consomment par eux-mêmes ou par leurs salariés : ils payent encore le renchérissement de tout ce que consomment les cultivateurs et leurs salariés, puisque ce renchérissement grossit d’autant les frais de la culture, que le cultivateur se réserve toujours sur les fruits de la terre, avant de fixer la part qu’il rend au propriétaire, ou le revenu de celui-ci.

Ceux qui composent les autres classes de la société, les artisans, les commerçants, les capitalistes ou possesseurs d’argent, n’ont pour subvenir à toutes leurs dépenses que ce qu’ils reçoivent pour prix de leur travail et de leur industrie, et le produit ou l’intérêt de l’argent employé par eux, ou par ceux à qui ils le prêtent, dans les entreprises de tout genre. Si leurs dépenses sont augmentées par le renchérissement des choses qu’ils consomment, occasionné par l’impôt, il faut que leurs salaires et leurs profits de toute espèce augmentent en même raison ; or, ils ne peuvent augmenter qu’aux dépens des propriétaires et des cultivateurs, qui payent en dernière analyse tous les salaires et les profits du commerce.

En effet, il n’entre dans le commerce que deux choses, les productions de la terre et le travail. Le prix du travail comprend la subsistance et les jouissances de l’homme laborieux ; elles sont toutes en consommations des productions de la terre, plus ou moins élaborées par un autre travail, lequel a été payé lui-même en fournitures et consommations d’autres productions. Le travail est toujours payé par les productions de la terre. Un ouvrier qui en paye un autre ne fait que partager avec celui-ci ce que lui-même a reçu. C’est donc la terre qui paye tout. Elle salarie immédiatement le cultivateur en fournissant à ses besoins. Elle donne au propriétaire un revenu, non pas gratuitement, mais pour prix des avances foncières qu’il a faites en bâtiments, en plantations, en clôtures, en direction ou en écoulement des eaux, ou des avances de même nature qu’ont faites ses ancêtres, ou qu’il a remboursées à ses vendeurs. Ce revenu comprend tout ce qui excède le salaire ou les besoins des agents de la culture. Ce sont donc les dépenses du cultivateur et celles du propriétaire qui distribuent la subsistance et les autres jouissances à toutes les autres classes de la société en échange de leur travail.

Puis donc que le cultivateur et le propriétaire salarient tout le reste de la société, et puisque le propriétaire paye en déduction de son revenu toute la dépense du cultivateur, il est clair que c’est le propriétaire qui paye seul l’augmentation survenue dans la masse des salaires par le renchérissement des denrées et du travail, que l’impôt mis sur les consommations occasionne.

S’il pouvait éluder cet impôt en se refusant à l’augmentation des salaires, les classes salariées n’ayant point acquis de nouveaux moyens pour payer l’augmentation de leur dépense, elles seraient forcées de consommer moins ou de payer moins cher ; car il est impossible de faire dépenser à un homme qui ne vit que d’un salaire ou d’un revenu borné, un écu de plus qu’il n’a. Alors le prix des denrées, il est vrai, n’augmenterait pas pour le consommateur ; mais le vendeur ne recevrait plus qu’une partie de ce prix sur lequel l’impôt serait nécessairement déduit. Puis donc que ce sont le propriétaire et le cultivateur qui recueillent seuls les matières premières et les subsistances que produit la terre, et qui les vendent aux autres classes de la société, ce qu’ils ne payeraient pas par l’augmentation de leurs dépenses, ils le payeraient, ou le perdraient, par la moindre valeur des productions. Dans l’un et l’autre cas, c’est toujours le seul propriétaire qui paye la totalité de l’impôt et toutes les surcharges que peuvent entraîner les formes compliquées, dispendieuses ou gênantes de la perception.

Il ne peut éviter de payer seul, et il n’a sur ce point d’autre intérêt que de payer avec le moins de frais additionnels qu’il soit possible, tout ce que le gouvernement est obligé de demander aux citoyens pour subvenir aux dépenses communes qu’exige l’intérêt de la société ; parce que seul il recueille tout ce que la terre produit annuellement de richesse au delà de ce qui est indispensablement nécessaire pour la reproduction de l’année suivante ; parce que seul il jouit d’un revenu libre qu’il tient en grande partie du bienfait de la nature, qui n’est point l’équivalent de son travail personnel ni de ses avances immédiates, qui n’a pas même une proportion déterminée avec les avances du défrichement, qui n’a d’autres bornes que celles de la fécondité de la terre combinée avec la valeur vénale des denrées qu’elle produit.

Tout ce que reçoivent les autres membres de la société, cultivateurs, ouvriers, commerçants, capitalistes, est le prix du travail, de l’industrie, des avances ou de l’argent prêté à prix débattu entre deux intérêts opposés, et réduit, par la concurrence, au moindre taux possible, c’est-à-dire à celui qu’exige le maintien de la culture, des arts, du commerce, de la circulation dans le même degré d’activité. Cette portion des richesses annelles, consacrée à l’entretien du mouvement et de la vie dans le corps politique, ne peut être détournée à d’autres usages sans attaquer la prospérité publique, sans tarir la source même des richesses, au préjudice des propriétaires des terres et de l’État entier.

Mais, quoique aucune forme ne puisse empêcher le poids de l’impôt de retomber en totalité sur les propriétaires des terres, il s’en faut bien que toute forme soit indifférente à ces propriétaires, ni même au gouvernement.

Quant au propriétaire, nous avons déjà vu qu’il a intérêt de ne payer que ce dont le gouvernement a besoin, et de ne pas payer en sus des frais inutiles.

Quant à l’administration publique et à ses chefs, quelle que soit leur dénomination, lorsqu’ils demandent directement aux propriétaires ce que les besoins de l’État exigent, ils savent précisément quelle est la somme à lever sur le peuple. Ils savent que cette somme ne sera ni grossie par des frais et des vexations, ni absorbée par des profits intermédiaires ; que, par conséquent, l’État ne sera pas obligé de demander plus pour avoir moins. L’impôt levé sur les propriétaires ne leur ôte qu’une portion de revenu libre dont la disposition peut varier sans rien changer à l’ordre et à la proportion de toutes les parties actives de la société. Tout reste à sa place ; toutes les valeurs qui circulent dans le commerce conservent le même rapport entre elles : aucun genre de travail, aucune marchandise, ne reçoit d’aucune taxe un surcroît de valeur dont les reflets propagés au loin, sans pouvoir être ni prévus ni appréciés, dérangent la marche naturelle de l’industrie ; le désir d’éluder une douane ou toute autre taxe locale ou de passage n’engage point le commerce à se détourner de sa route pour se constituer en frais inutiles, mais moindres que ceux qu’il veut éviter.

Enfin, l’impôt réparti proportionnellement sur le revenu des terres n’est point injuste : toujours demandé à celui qui peut payer, il n’est point accablant. Il a gage dans la valeur de la propriété. Une fois connu et réglé, il n’entre ni dans les achats, ni dans les ventes, ni dans les héritages ; les terres se transmettent avec cette charge qui devient un domaine public une fois concédé pour toujours et lié à tous les autres domaines, quoiqu’en étant très distinct. Puisqu’on ne l’a vendu ni acheté, il ne coûte plus rien à personne. Le citoyen est tranquille, les travaux sont libres : tous les ressorts de l’administration sont simples, ses résultats clairs, ses moyens doux.

Il n’en est pas de même lorsque l’impôt, établi sur le travail ou sur les consommations, n’est payé qu’indirectement par les propriétaires. Le journalier qui n’a que ses bras, le pauvre qui n’a point de travail, le vieillard, l’infirme ne peuvent vivre sans payer l’impôt ; c’est une avance qu’il faut bien que les propriétaires leur remboursent ou en salaires ou en aumônes ; mais c’est une avance du pauvre au riche dont l’attente est accompagnée de toutes les langueurs de la misère. L’État demande à celui qui n’a rien, et c’est contre celui qui n’a rien que sont dirigées immédiatement toutes les poursuites, toutes les rigueurs qu’entraîne la perception de cet impôt. C’est sur l’homme à qui son travail ne procure que le plus étroit nécessaire, qui est, par conséquent, le plus violemment tenté de se soustraire au payement des droits par la fraude, et qui est en même temps exposé aux peines sévères par lesquelles il a fallu l’intimider, à la ruine totale qui en est souvent la suite, à celle de sa famille, quelquefois à la captivité, aux supplices.

Le gouvernement, lorsqu’il impose un droit sur une marchandise, ignore ce qu’il lève sur les peuples. La connaissance toujours vague qu’il se procure de la consommation actuelle ne peut l’éclairer sur les variations dont cette consommation est susceptible, sur la moindre consommation qui résultera de l’impôt même, sur l’accroissement de la fraude excitée par un plus grand intérêt ; il ignore si la rupture de l’équilibre établi entre les valeurs des différentes denrées n’influera pas sur le commerce des marchandises même qu’il n’a point voulu taxer. Il ignore si telle ou telle taxe n’affaiblit pas, si elle n’anéantit pas telle ou telle fabrique, telle ou telle branche de commerce ou de l’industrie nationale, pour la transporter à l’étranger.

Une très grande portion de ce que le peuple paye est absorbée par les frais immenses d’une perception nécessairement compliquée, et par les profits que le gouvernement est obligé d’abandonner à ceux qu’il a chargés d’en suivre les détails. Ce que le Trésor public reçoit n’est même en grande partie qu’une ressource illusoire, puisque les dépenses de l’État supportent l’impôt comme celles des particuliers, par le renchérissement des denrées et des salaires. L’État reçoit donc moins, et le peuple paye plus.

Que sera-ce si, à ce qui se lève à titre de droits, on ajoute tout ce que coûte au peuple la fraude, à laquelle il est continuellement sollicité par sa misère, et par la malheureuse espérance de se soustraire à des surveillants toujours moins nombreux et moins actifs que ceux qui veillent pour les tromper ? si l’on ajoute ce qu’enlève au peuple et à l’État la perte du temps qu’auraient employé à des travaux honnêtes et fructueux ceux qui n’ont d’autre occupation que de pratiquer la fraude ou de l’empêcher, si l’on ajoute ce qu’engloutissent les amendes, les confiscations ? Que sera-ce, si l’on met en ligne de compte les supplices, les hommes dont ces supplices privent l’État, la ruine de leurs femmes, de leurs enfants, et l’anéantissement de leur postérité ?

À la vue de ces peines, de ces supplices décernés pour des délits absolument étrangers aux devoirs primitifs de la société dont la sanction est écrite dans le cœur de tout homme honnête, pour des délits factices, pour des contraventions qui ne blessent que l’intérêt pécuniaire du fisc, l’humanité s’afflige et la politique doit craindre d’ébranler dans l’esprit du peuple les notions de la morale naturelle, d’affaiblir son respect et son amour pour les lois.

Les recherches inquiétantes, que la nature de ce genre d’impôt nécessite, et qui poursuivent le citoyen dans ses négociations d’affaires et de commerce, dans ses voyages, souvent jusque dans le secret de sa maison ; l’atteinte fréquente que ces recherches donnent à la liberté dans les actions les plus indifférentes à l’ordre public ; la guerre sourde qu’elles établissent entre la nation et les préposés à la perception de l’impôt, que l’autorité se voit toujours forcée de soutenir ; toutes ces suites inséparables de l’impôt sur les consommations tendent sans cesse à relâcher les liens qui attachent l’homme à la patrie, et à transformer en une charge odieuse ce qui ne devrait être qu’un acte de citoyen, une contribution commune à la dépense commune de la société, un sacrifice de chacun à la sûreté de l’État et à la sienne propre…

2. Doutes de Franklin.

[A. L., copie de la main de Turgot.]

(Les terrés non affermées. — Les pays commerciaux.)

Il peut y avoir des pays où toutes les terres soient possédées par des propriétaires qui ne les travaillent point par eux-mêmes, mais les abandonnent à des hommes de travail qui leur en payent chaque année une somme fixe à titre de fermage. Le revenu de ces propriétaires peut être aisément connu et taxé.

Il peut y avoir d’autres pays où les terres sont toutes travaillées par les propriétaires eux-mêmes.

Dans ce cas, n’y ayant point de fermage payé ni reçu, et le produit net étant différent dans les différentes années à raison de ce que la quantité de productions et leur valeur varient, le revenu de chaque propriétaire n’est pas aussi facile à connaître.

Il peut y avoir des pays ou plutôt des États qui n’ont point de territoire productif. Tel a été autrefois Tyr qui, dit-on, n’était qu’un rocher aride, habité seulement par des marchands et des manufacturiers. Dans ce cas, il n’existe point de revenu territorial ; il vient tout entier de l’industrie et de l’emploi de l’argent.

Il peut y en avoir d’autres où ces deux choses se trouvent mêlées, comme la Hollande, où il y a quelque revenu donné par la terre, mais en petite quantité, et une beaucoup plus grande quantité provenant de l’industrie et de l’emploi de l’argent à l’achat et à la revente des productions étrangères, et un autre revenu très considérable provenant de l’argent prêté dans les pays étrangers.

La forme d’imposition proposée dans la note sur l’impôt territorial peut-elle être également praticable et convenable dans tous ces cas ?

3. Projet de réponse aux doutes de Franklin.

Fragments.

[A. L., minute]

(L’impôt sur le produit net et la dîme. — La rente foncière. — Le cadastre.)

Les doutes qu’élève M. Franklin sur les résultats de la note qui lui a été communiquée n’attaquent point les principes sur lesquels on s’était fondé. Une partie roule sur quelques difficultés qu’il croit voir dans l’exécution du plan ; une autre partie sur des exceptions que paraît exiger la constitution de quelques États qui manquent d’un revenu territorial suffisant pour y asseoir les dépenses publiques.

Ces deux classes d’objections demandent d’être discutées séparément.

Je commence par les difficultés que peut rencontrer dans la pratique l’établissement d’un impôt assis uniquement sur le produit net des biens-fonds.

Avant d’entrer dans la discussion des observations de M. Franklin, je remarquerai qu’il y a deux manières d’asseoir un impôt territorial, ou si l’on veut deux systèmes d’impôt territorial.

Un de ces systèmes consiste à fixer la proportion suivant laquelle chaque propriétaire doit contribuer aux dépenses publiques à raison de son revenu, soit de la vingtième, de la quinzième, de la dixième partie, ou de toute autre que la loi détermine, et de vérifier le revenu de chaque propriétaire pour en conclure la somme précise qu’il doit payer.

C’est, d’après ce système, qu’a été établie l’imposition connue en France, d’abord sous le nom de dixième, et depuis sous celui de vingtième, doublé ou triplé quand les besoins de l’État ont paru l’exiger.

Tel est aussi le système de la taxe des terres en Angleterre, fixée à deux sols pour livre et portée à trois ou quatre pour subvenir aux circonstances extraordinaires.

La dîme des fruits, taxe en nature, qui chez la plus grande partie des anciens peuples, formait le principal fonds des dépenses publiques et qui compose encore presque tout le revenu l’Empereur de la Chine, a été aussi établie d’après le même principe. Mais l’application n’en est pas la même, car les vingtièmes en France et la taxe des terres en Angleterre sont une partie aliquote du revenu, bien ou mal connu, et ce revenu n’est pas la totalité des productions de la terre, mais ce qui reste de la valeur de ces productions, déduction faite des frais de culture. La dîme des fruits se prend, au contraire, sur la totalité des productions, sans égard aux frais de culture, et il en résulte une très grande inégalité dans la contribution des citoyens, puisque celui dont la terre produit beaucoup avec peu de dépense et celui dont la terre, avec beaucoup plus de frais, ne produit pas davantage, paient également. Les législateurs de ces temps anciens ne firent pas cette observation, qui ne se présentait pas d’une manière aussi frappante, lorsque tous les propriétaires, cultivant eux-mêmes leurs fonds, recueillent seuls la totalité des fruits de la terre, sans s’embarrasser de distinguer la portion qui représente le prix de leur travail et le remboursement de leurs avances comme cultivateurs, d’avec la portion que la terre donne au delà de ces prix de travail et qui leur appartient à titre de propriétaire. L’inégalité même dans la contribution aux charges publiques qui résulte de la levée de l’impôt sur le produit total, sans déduction des frais, peut n’avoir pas été fort sensible dans un temps où, la terre n’étant pas encore fort peuplée, on ne cultivait que les bons terrains et on laissait le reste en bois, en bruyères ou en pâturages communs pour les troupeaux.

Le second système d’impôt territorial consiste à fixer la somme qu’exigent les besoins de l’État et à la répartir sur tous les propriétaires des biens-fonds à raison de l’évaluation de leur revenu.

Dans le premier système, la proportion de la contribution de chaque propriétaire à la totalité de son revenu est certaine et déterminée par la loi, et la somme que retire l’État pour subvenir aux dépenses communes est incertaine. Dans le second système, au contraire, la somme que demande l’État est certaine et la proportion dans laquelle chaque propriétaire y contribue de son revenu est incertaine.

Dans le premier système, l’État entre en contestation avec chaque propriétaire sur la valeur de son héritage et se trouve ainsi seul contre tous les particuliers, également intéressés à déguiser leur revenu. Dans le second système, le particulier qui veut cacher son revenu se trouve seul contre les autres qui sont intéressés à le dévoiler pour ne pas supporter sa part du fardeau. Le gouvernement, spectateur indifférent dans cette contestation, ne peut y intervenir que comme arbitre et pour maintenir la justice distributive.

Dans le premier système, le gouvernement a besoin de connaître la valeur absolue du revenu de chaque propriétaire, puisqu’il doit percevoir une quotité déterminée de ce revenu. Dans le second système, on cherche moins à connaître la valeur absolue de chaque héritage que sa valeur relative ou comparative.

Dans les pays où ce système a lieu, comme dans plusieurs de nos provinces méridionales, où il est connu sous le nom de taille réelle, dans les États du Roi de Sardaigne, dans le Milanais, on a formé, dans chaque communauté, des registres ou tableaux des propriétés auxquels on donne le nom de cadastres. Dans ces cadastres, chaque héritage y est évalué ; mais cette évaluation n’énonce point la valeur réelle de l’héritage, seulement une valeur en quelque sorte idéale et simplement proportionnelle. On suppose que la totalité du territoire d’une communauté vaut une certaine somme de valeurs d’une certaine dénomination. En Languedoc, ce sont des livres, qui se divisent et se subdivisent en sols et en deniers ; en Provence, ce sont des florins. Dans le Quercy, le territoire est évalué en un certain nombre de feux, et ces feux se subdivisent en bellagues, mot qui, dans le patois du pays, veut dire étincelle

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[1] Ce Mémoire, dont on n’a que le commencement, avait été fait pour M. Franklin, et dans la vue de préserver les États-Unis d’Amérique d’un genre d’impôts auquel l’exemple de l’Angleterre les poussait fortement. (D. P.)

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