Œuvres de Turgot – 245 – Lettres à Du Pont de Nemours

Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5

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1777

245. — LETTRES À DU PONT DE NEMOURS

CLXVII. (L’Anglaise. — La Fayette. — Le Marquis de Pombal. — Le procès du Duc de Guines.)

Paris, le 1er avril.

Je ne vous avais point écrit, mon cher Du Pont, parce que j’espérais vous voir promptement. Je suis fâché de la prolongation de votre absence, surtout si c’est la maladie d’un de vos enfants qui la prolonge.

Je n’ai point oublié votre anglaise, mais mon souvenir ne lui a été bon à rien. Je n’ai jamais eu l’esprit de trouver sa demeure, ou bien vous me l’avez mal indiquée entre un charron et un bourrelier, car dans toute la rue, je n’ai pas aperçu deux boutiques de ce genre accolées avec une allée entre deux. Je suis d’autant plus fâché de la prolongation de votre absence qui prolongera son embarras pour subsister. Je ferai encore une tentative pour la trouver et lui procurer du secours.

Le cardinal est comme ce jeune homme dont parlait Marmontel dans ses Incas ; il a une peine incroyable à mourir.

Il n’y a rien de nouveau des Américains. On dit que Howe est allé de sa personne joindre Cornwalis[1], mais sans évoquer la Nouvelle-York ; il a fortifié Cornwalis des troupes revenues de Rhode-Island. C’est ce que les gazettes anglaises apprennent.

M. de La Fayette, gendre du duc d’Ayen, est parti pour aller servir comme volontaire dans l’armée américaine. Il serait plaisant que cet enthousiasme se mit à la mode. Je ne crois pas que nos jeunes seigneurs leur portent un secours bien efficace.

Pombal[2] est exilé et gardé. Son successeur est, dit-on, le fils d’un homme qu’il a fait périr en prison. En voilà un puni.

Et qui sait si son successeur ne fera pas succéder une scène de nouvelles vengeances à des vengeances anciennes, et si, par esprit de contradiction, il ne voudra pas relever les Jésuites.

Je me suis acquitté de tous vos compliments et respects et l’on m’a chargé de toutes sortes de remerciements pour vous. Vous savez sans doute que M. de Guines a gagné son procès avec tous les honneurs de la guerre, tort blâmé.

CLXVIII. (Mme Du Pont. — Codère. — Mme de Montchevreuil. — L’Anglaise. — Le Ml de Richelieu. — L’Abbé Sigorgne.)

Au Tremblay, 2 mai,

Je vous remercie, mon cher Du Pont, des nouvelles que vous me donnez de Mme Du Pont, et souhaite bien que le mieux que vous m’annoncez se soit soutenu. J’espère qu’elle sera bientôt tout à fait guérie, car, si ces sortes de maladies sont vives, elles ont l’avantage d’être courtes.

J’ai retrouvé les papiers de M. Codère et je les lui renvoie avec d’autres qu’il m’a adressés depuis que je suis ici. Je ne suis pas à portée de lui rendre de grands services, et dans le vrai, je ne le connais point assez pour en répondre. Vous lui rendrez sans doute aussi ce que je vous ai laissé.

Je reçois votre lettre de ce matin. Puisque Mme Du Pont continue de bien aller et que le septième jour est passé, j’espère que sa convalescence sera bientôt pleinement décidée.

Vous aviez raison de m’annoncer deux lettres de Mme de Montchevreuil. Elle demande à M. Desnaux de l’argent. Quant à ma lettre, je vous l’envoie, et je pense que, si ce que lui annonce M. de Villequier se réalise, c’est-à-dire si, à la fin de juin, elle a une gratification sur la cassette, et si cette gratification devient annuelle, elle fera mieux de ne point aller à l’hôpital ; ce doit être un désagrément très grand pour elle et il vaut mieux le lui épargner dès que cela n’est pas nécessaire et qu’elle peut espérer d’avoir de quoi subsister chez elle. Je suis étonné que M. de Villequier n’ait pas pensé à lui épargner l’embarras de ces deux mois d’attente. Mme Blondel devait lui parler le jour que je suis parti. Je ne sais si elle l’a fait et si la réponse qu’il a envoyée à Mme de Montchevreuil est le fruit de sa conversation. Si vous la voyez, vous pourrez le lui demander.

Je vois que Mlle Sheppard[3] aura été séduite par mon orthographe qui en effet vaut mieux que la sienne. Je pourrai lui prêter la grammaire de Peyton afin qu’elle l’étudie pour l’enseigner ensuite à Mme Blondel.

Je suis très fâché du retour du rhume de M. Albert. Dites-lui mille choses de ma part, ainsi qu’à M. de Fourqueux. Faites-moi le plaisir d’envoyer savoir des nouvelles de toute la maison de La Rochefoucauld et de m’en donner.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

Voilà donc le maréchal de Richelieu hors de cour[4]. Ce sont les tambours de la ville qui perdent leur procès. On dit qu’ils avaient attendu toute la nuit avec autant de zèle que Messieurs, dans l’espérance qu’ils célébreraient le triomphe du vainqueur. Ils battront peut-être en l’honneur de tous deux. L’humiliation du maréchal doit rehausser la gloire de M. de Guines.

Faites-moi le plaisir de prendre, dans ma chambre, un exemplaire complet de la traduction de Priestley, en trois volumes, par M. Gibelin. Il y en a deux exemplaires. Vous choisirez le mieux conditionné pour moi, comme de raison. Vous ferez de l’autre paquet que vous enverrez à l’adresse de l’abbé Sigorgne, chanoine et grand vicaire à Mâcon, mais sous une double enveloppe à M. d’Igé, chez M. Mourgue, rue d’Enfer, au-dessus du séminaire Saint-Louis. Ce M. d’Igé se chargera de porter le paquet à Mâcon, mais s’il était parti, il faudrait faire rapporter le paquet pour l’envoyer par une autre voie à l’abbé Sigorgne.

CLXIX. (Divers objets.)

Au Tremblay, 5 mai.

Je suis fort aise, mon cher Du Pont, que Mme Du Pont aille mieux, mais vous n’allez pas retomber malade. Je suis aussi un peu enrhumé du cerveau et cela me rend tout à fait bête, ce qui me fâche beaucoup, car quoique ma mort ministérielle soit sans retour et sans espoir de résurrection, je n’ai pas pour cela perdu mes prétentions à la vie éternelle et même à l’immortalité littéraire pour laquelle il n’est pas absolument indispensable de passer par le fauteuil académique.

Il ne peut y avoir aucun inconvénient à donner à M. de Cobenzell les relevés qu’il désire. Autant je fais peu de cas de ces recherches en politique, autant je les estime comme objets de littérature et de curiosité philosophique.

Je verrai si à mon retour je retrouve les matériaux de l’édit des mesureurs pour y joindre la consommation des riz et grenailles.

CLXX. (Rentrée de Turgot à Paris.)

Au Tremblay, mercredi.

Mon rhume n’a rien d’inquiétant, mon cher Du Pont, et rien de fâcheux sinon qu’il me rend bête, ce qui, comme vous l’observez, n’est pas un grand mal, attendu que cela n’empêche, ni de se rouler sur le gazon, ni de brouter l’herbe.

Je vous exhorte à bien ménager la vôtre, et à ne partir, quel que soit l’état de Mme Du Pont, que quand vous serez parfaitement guéri. J’espère retourner à Paris vendredi après-dîner ou au plus tard samedi matin. Si je ne pars que lundi, je le manderai.

CLXXI. (Changements au Contrôle général et suppression des Intendants des finances. — L’Amphitrite.)

Paris, jeudi 3 juillet.

Les détails de la révolution dont vous avez vu le commencement ne sont point encore, ou tout à fait arrêtés, ou tout à fait publiés. M. Taboureau a donné sa démission dimanche. M. Nekre a reçu le portefeuille. Hier, il a donné sa première audience ; je ne sais cependant quel est son titre.

La suppression des Intendants des Finances[5] est consommée par un édit enregistré à la Chambre des Comptes. Le Roi annonce par cet édit un comité de trois personnes de son Conseil qui décideront de toutes les affaires contentieuses de finance. On ne sait point encore quelles seront les trois personnes.

Il y a des gens qui disent qu’on laisse les Ponts et Chaussées à M. Trudaine, d’autres qu’on en charge M. Bertin. Sur tout cela, je ne sais rien. Si j’apprends quelque chose de plus d’ici à votre retour, je vous le manderai. |

L’Amphitrite est arrivée et les Américains ont fait descente dans l’Ile Longue, où ils ont brûlé quelques magasins aux Anglais.

Il fait un cruel temps qui m’inquiète sur votre santé, et j’ai impatience de vous revoir : cependant je voudrais que vous ne prissiez pour votre retour qu’un jour où il fit beau.

CLXXII. (Changements au Contrôle général. — Crainte de disette. — L’Amphitrite. — La guerre d’Amérique.)

Paris, 10 juillet.

Je ne vous ai point écrit mardi, mon cher Du Pont, parce que je ne savais pas encore quels étaient définitivement les arrangements. Le Comité[6] est composé de M. de Beaumont[7], de Fourqueux, du Four de Villeneuve, conseillers d’État avec deux rapporteurs, M. de Lessart et de Bonnaire de Forges, maîtres des Requêtes.

Celui-ci sera, dit-on, chargé des départements de M. de Beaumont, savoir, des domaines et des eaux et forêts. M. de Lessart le sera des départements de M. Fargès. Les autres départements seront confiés aux premiers commis qui travailleront avec M. Necker. Je ne sais si le commerce sera confié à quelqu’un des intendants du commerce ; on m’a dit que le projet était de renvoyer tout au bureau du commerce. Il faudra, en ce cas, qu’il s’assemble un peu plus souvent qu’il ne fait. On a offert à M. Trudaine de conserver les Ponts et Chaussées sous M. Necker, il l’a refusé. J’en suis affligé, mais sans pouvoir le blâmer. Je suis fort aise que M. Fourqueux n’ait pas persisté dans son refus. Il ne s’est rendu qu’à la troisième fois. Je ne voyais aucune raison à ce refus. Il ne sera pas à portée de faire grand bien, mais il n’aura point à faire de mal, et il est bon qu’il reste quelqu’homme qui ait des principes raisonnables à portée de sauver du moins des injustices de détails.

Voilà un temps abominable ; les blés sont versés partout ; les foins pourrissent, et les vignes seront nulles. Je crains la disette[8] et encore plus les sottises qu’elle fera faire. On m’a dit que le Parlement de Pau a déjà rendu un arrêt pour faire garnir les marchés et pour faire faire des recherches chez ceux qui ont des blés chez eux. Voilà de quoi faire mourir tout le peuple de faim dans les mauvaises années et ruiner la culture.

Je souhaite que votre santé vous permette bientôt de revenir ici. Je vous ai mandé l’arrivée de l’Amphitrite et d’un grand nombre de vaisseaux chargés de munitions[9]. M. de Coudray[10] est arrivé aussi. Les Anglais n’avaient pas encore commencé la campagne au 1er juin. On dit que Howe avait demandé 14 000 hommes et n’en a reçu que 5 000.

CLXXXIII. (Changements au Contrôle général. — Le Bureau des blés et celui du commerce. — Condorcet. — La guerre d’Amérique.)

Paris, jeudi 24 juillet.

Je profite, mon cher Du Pont, de l’occasion de M. Le Peintre pour vous écrire et pour vous envoyer deux paquets, l’un de M. d’Angivillers, l’autre de Mme de Jalaru, que je n’ai pas osé confier à la poste ne sachant ce qu’ils contiennent.

Je ne sais si vous êtes au courant des nouvelles. Je crois que d’Ailly vous a répondu et instruit de son acceptation de la place qu’il destinait à M. Le Peintre. On vient de donner les Ponts et Chaussées à M. de Cotte, intendant du commerce. On dit qu’on a rendu à M. de Boullongne[11], la plus grande partie de son département, les affaires des villes et des hôpitaux. Je ne sais même si l’on ne rendra pas quelque chose à M. Boutin[12], qui a eu, dit-on, la platitude de le demander à M. Necker, dont il a vu et dévoilé toutes les manœuvres dans l’affaire de la Compagnie des Indes.

M. de Fargès a tous les départements de M. de Beaumont ; M. de Lessart ceux de M. Fargès ; il loge au Contrôle Général. Il ne veut pas garder les blés ; on les a proposés à M. Bertier ; il les a refusés ; personne n’en veut.

Je suis à présent fâché d’avoir conseillé à M. de Fourqueux d’être de ce Comité. Cela a été blâmé par le public et a donné lieu à des propos insolents de Necker. Le Commerce sera fait par les Intendants du Commerce qui se répartiront entre eux les provinces, et les affaires seront portées, dit-on, à un comité où présidera Montaran père. On dit que Tolosan partage avec la confiance.

Vous savez sans doute que Condorcet a donné sa démission. On lui a conservé son logement, tant que sa mère en aura besoin.

On arrange actuellement le bureau du Commerce, et l’on croit que les inspecteurs n’y auront plus séance. Cela vous rendra encore plus inutile que vous ne l’étiez. Peut-être serait-il bon que vous fussiez à Paris pour guetter les événements. Puisque vous n’y êtes pas, je suppose que vos affaires vous retiennent chez vous. Je souhaite que votre santé se trouve bien de votre séjour à la campagne. Je ne doute pas que vous n’ayez continué le lait d’ânesse.

Pour vous dire quelque chose de consolant, il faut vous instruire des nouvelles d’Amérique. Un vaisseau parti de Dartmouth, près de Rhode-Island, le 14 juin, et de Nantucket le 18 est arrivé le 12 juillet à Bordeaux. Le capitaine a rapporté qu’un exprès était venu apporter la nouvelle à M. Trumbull, gouverneur de la province de Connecticut, que le 1er juin, Putnam[13] avait forcé Cornwalis dans Brunswick avec perte de 3 000 hommes ; les Américains en ayant perdu 1 700. Il donnait cette nouvelle comme sûre, ayant parlé lui-même à la personne que M. Trumbull avait envoyée à Dartmouth pour l’apprendre. Il ajoute qu’à son départ on avait reçu la nouvelle d’une seconde action arrivée le 10 juin à Elizabethtow où Washington avait complètement défait le général Howe. Cette dernière nouvelle a paru au premier coup d’œil impossible, parce que, dans la Gazette du 15 juillet de Londres, il y a une lettre de l’amiral Howe du 8, où il ne parle que de préparatifs d’embarquement et un article de la Nouvelle York du 9. Mais dans la Gazette suivante, il y a un autre article aussi du 9 qui porte que le général Howe avait passé depuis deux jours dans les Jerseys. Il est dit aussi que le vaisseau n’était parti que le 16 de la Nouvelle-York. D’un autre côté, l’on assure qu’il est arrivé trois courriers qui ont donné lieu à plusieurs comités et dont les nouvelles n’ont point percé. Il y a aussi des lettres de Londres qui font mention de la défaite de Cornwalis et Mante m’a dit que l’amiral Rodney[14] lui avait dit que Milord Stormmont[15] n’en avait point de nouvelles, mais croyait la chose vraisemblable. Cela fait penser qu’en effet cette partie de la nouvelle est véritable et c’est beaucoup. Les Américains ont pris une frégate et soixante bâtiments pêcheurs de Terre-Neuve.

M. de La Fayette est arrivé après l’Amphitrite. M. de Coudray est arrivé aussi, déguisé en matelot, sur un bâtiment pêcheur que les anglais ont visité deux fois et ont gardé vingt-quatre heures, délibérant s’ils ne le prendraient pas.

Les souscriptions du dernier emprunt perdent 7 ½ %

Il est très vraisemblable que les Anglais chercheront à faire la paix à quelque prix que ce soit, et à nous faire la guerre pour se faire pardonner par le peuple l’abandon de l’empire américain…

CLXXIV. (Éloge du Chancelier de l’Hôpital. — La goutte. — Franklin.)

Paris, 9 septembre.

Voici mon cher Du Pont, l’Éloge de M. de Condorcet qu’il me charge de vous faire passer. Cela vous dédommagera d’être parti de Paris sans avoir lu l’éloge qui n’a point été présenté et qui est si rare. Je suis fort aise que vous soyez arrivé en bonne santé. Pour moi, le lendemain de votre départ, j’ai été pris d’une attaque de goutte au genou, mais je souffre à présent fort peu, et j’espère que cette attaque ne sera rien.

Il n’y a rien de nouveau d’Amérique, mais M. Franklin ne paraît nullement découragé.

CLXXV. (La goutte. — Le Contrôle général. — La guerre d’Amérique. — Le Chancelier de l’Hôpital.)

Paris, 19 septembre.

J’ai reçu, mon cher Du Pont, vos deux lettres du 12 et du 17. Je regarde ma goutte comme entièrement finie. Il ne me reste que de la faiblesse au genou et j’espère même que ce sera bientôt réduit à rien. J’ai beaucoup ri de votre question sur la fête du Roi et de la Reine à Paris. Il est bien étrange qu’on invente de pareils contes.

Quand je saurai quelque chose sur la Caisse du commerce, je vous en instruirai. Quant à présent, je ne sais rien, je ne sais pas même si l’affaire des postes est définitivement réglée.

À l’égard des Américains, nous sommes toujours dans la même ignorance sur le lieu qu’habite l’armée du général How. Il est bien singulier qu’on ignore encore en Angleterre le terme de sa navigation[16].

Les avis sont partagés sur le discours de M. de Condorcet et sur celui de l’anonyme. Bien des gens trouvent dans celui-ci plus de chaleur et une marche plus rapide. Je suis assez de cet avis. Quant au mérite de la philosophie et de la facilité de style, je le trouve à peu près égal de part et d’autre. On nous en promet un troisième d’un jeune avocat de Bordeaux où les lois de l’Hôpital seront, dit-on, discutées avec beaucoup de détail.

Mme Blondel est en tout un peu mieux ; elle vous fait ses compliments ainsi que Mme d’Enville.

CLXXVI. (La goutte. — Une Compagnie des Indes. — La guerre d’Amérique. — Retraite du Comte de Saint-Germain. — Pezay. — L’Anglaise.)

Paris, 25 septembre.

Il me semble, mon cher Du Pont, que je vous ai donné assez régulièrement de mes nouvelles pour que vous n’en ayez aucune inquiétude. Je commence à sortir et même à monter à cheval. J’ai cependant encore un peu de faiblesse.

Il n’y a rien de nouveau sur le département du commerce, mais on parle de rétablir une Compagnie des Indes. Je ne le croirai que quand je le verrai.

On est toujours dans la même ignorance sur ce qu’est devenu le général Howe, mais il y a dans les papiers anglais plusieurs détails tirés des gazettes américaines sur la prise de Tyconderoga[17] qui ne me font point de plaisir. Ces détails annoncent une faiblesse de moyens extrême, et, qui pis est, un défaut d’entente dans les milices rassemblées pour défendre ce poste ; tout cela me fait craindre de la division et peu de force dans les volontés.

Malgré cela, il y a un corps d’armée pour s’opposer à Burgoyne[18], à peu près d’égale force.

On croit la retraite de M. Saint-Germain[19] décidée de dimanche. Il a cependant présidé hier au Conseil des Invalides.

On dit aussi que M. de Pezay sera directeur de la Guerre sous M. de Montbarey.

Mandez-moi, je vous prie, sur quel pied vous avez réglé les secours que vous faisiez passer régulièrement à Mlle Sheppard ; elle réitère un peu fréquemment ses demandes.

CLXXVII. (Retraite de Saint-Germain. — L’Armide, de Gluck.)

Paris, 29 septembre.

Voici, mon cher Du Pont, une lettre que M. de Condorcet me charge de vous envoyer.

Ma santé est fort bonne. C’est vendredi dernier que M. de Saint-Germain a pris congé du Roi. Il reste à Paris pour jouir de sa gloire et de son logement à l’Arsenal. L’Armide, de Gluck, n’a pas eu beaucoup de succès. Si Piccini en a un brillant, Marmontel aura cause gagnée…

Mme Blondel vous fait bien des compliments.

CLXXVIII. (La goutte. — L’Anglaise. — Exil de Pezay.)

À Paris, le mardi 21 octobre.

J’ai reçu votre lettre, mon cher Du Pont ; je suis bien fâché de vous savoir enrhumé de nouveau, car le temps est bien froid. Je vous exhorte à vous ménager et à vous conduire de façon à ne pas renouveler la maladie que vous avez eue ce printemps.

Pour moi, je me trouve beaucoup mieux, mais je suis encore à la diète rigoureuse, attendu que la partie la plus affectée a été l’estomac ou des muscles très voisins de l’estomac, et qui ont avec lui une grande correspondance. Je compte commencer aujourd’hui à sortir.

Je suis d’autant plus fâché du retard de votre voyage à Paris que vous m’auriez été fort utile pour m’aider à me débarrasser de Mlle Sheppard, d’autant que M. Jeans est à Fontainebleau avec son ambassadeur, et que je n’ai aucune nouvelle de M. Layre. Je payerai volontiers son voyage en Angleterre, mais j’ai lieu de croire qu’elle veut rester ici avec le mauvais sujet qui l’a amenée et qui est toujours à Paris. Elle a trompé, vous et moi, lorsqu’elle nous a dit qu’elle en était abandonnée. Ce sont deux fripons qui s’entendent pour vivre par ce moyen aux dépens des bonnes âmes qui sont disposées à se laisser toucher et tromper.

Il n’y a rien de nouveau depuis l’exil du marquis de Pezay. La cause la plus vraisemblable qu’on en donne est un mémoire qu’il avait adressé au Roi contre M. de Sartine.

Rien encore de certain sur l’Amérique ; pas même le débarquement de l’armée de Howe dans la baie de Chesapeake.

Mme Blondel va mieux. Elle vous dit mille choses.

CLXXIX. (Necker. — Belles récoltes.)

Mardi au soir.

Je reçois votre lettre, mon cher Du Pont, et vous remercie de m’avoir fait part sur-le-champ de la bonne nouvelle. Il fait bon avoir affaire à des gens glorieux[20].

Si vous avez vu Mme Blondel, vous lui aurez sans doute appris la réponse de M. de Nivernois. Vous ne me mandez pas si vous vous êtes acquitté envers elle de ma commission. Ce serait dommage qu’elle n’eût pas pu considérer la lune qui est si belle et qui l’était encore plus hier.

La moisson est admirable. Je voudrais bien aussi que la vôtre fût aussi bonne à proportion, mais j’oublie que vous n’êtes pas encore en possession de votre ferme. On aurait grand besoin de l’exportation, mais du moins, on ne songera pas aux règlements ; comment fera le pauvre M. Lenoir pour approvisionner Paris et garnir le carreau de la Halle ?

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[1] Général anglais.

[2] La princesse du Brésil étant devenue reine du Portugal, avait remis le sceptre à dom Pedro, son époux, avait fait redemander les sceaux au marquis de Pombal, et avait fait ouvrir les prisons à des personnes que celui-ci y avait fait enfermer.

[3] L’anglaise dont il est question plus haut.

[4] Dans son procès contre Mme de Saint-Vincent.

[5] Cette suppression avait été le motif apparent de la démission de Taboureau.

[6] Des finances.

[7] Moreau de Beaumont.

[8] Cette crainte ne se réalisa pas.

[9] Neuf vaisseaux, chargés par Beaumarchais, avaient abordé à Portsmouth en Virginie, au mois d’avril.

[10] Le chevalier Du Coudray, qui était allé rejoindre Washington.

[11] Intendant des finances.

[12] Autre intendant des finances.

[13] Général américain.

[14] Amiral anglais.

[15] Ministre anglais.

[16] Il s’était embarqué pour la baie de la Chesapeake et allait prendre Philadelphie.

[17] Le général américain Saint-Clair avait dû abandonner cette place.

[18] Après une série de combats, Burgoyne, cerné, se rendit prisonnier avec ce qui restait de son corps d’armée, le 17 octobre.

[19] Ministre de la Guerre.

[20] Allusion à Necker.

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