Déflation : faut-il en avoir peur ? Par Franck Hollenbeck

Frank Hollenbeck

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Déflation : faut-il en avoir peur ? Par Franck Hollenbeck

De Franck Hollenbeck, paru sur le site du Mises Institute le 26 juin 2013.

Frank Hollenbeck enseigne la finance et l’économie à l’Université Internationale de Genève. Il a précédemment été Senior Economist au Département d’État, Chief Economist chez Caterpillar Overseas, et directeur associé d’une banque privée suisse.

Traduit par Stéphane Mozejka, Institut Coppet

Quand on en vient à la déflation, la science économique du courant dominant devient non pas la science du bon sens, mais celle du non-sens. La plupart des économistes d’aujourd’hui sont tous d’accord pour reconnaître qu’ « un peu d’inflation est une bonne chose » et craignent la déflation. Bien sûr, dans leur vie personnelle, ces mêmes économistes cherchent dans la presse les infos sur les meilleures promotions en cours.

La personne qui symbolise le mieux cette peur de la déflation est Ben Bernanke, président de la Réserve fédérale. Son interprétation de la Grande Dépression a grandement biaisé sa vision à l’encontre de la déflation. Il est vrai que la Grande Dépression et la déflation sont arrivées main dans la main dans certains pays ; mais nous devons prendre soin de distinguer association et causalité, et d’établir correctement le sens de la causalité. Une récente étude d’Atkeson et Kehoe portant sur une période de 180 ans et 17 pays n’a trouvé aucune relation entre déflation et dépression. L’étude a en fait trouvé un plus grand nombre d’épisodes de dépression avec inflation qu’avec déflation. Durant cette période, 65 des 73 épisodes de déflation ne connaissaient aucune dépression, et 21 des 29 épisodes de dépression ne connaissaient pas de déflation.

Le principal argument à l’encontre de la déflation est que quand les prix chutent, les consommateurs repoussent leurs achats pour profiter de l’avantage de prix plus bas dans le futur. Bien sûr, cela suppose de réduire la demande actuelle, ce qui provoque une chute des prix encore plus grande ; et ainsi de suite, jusqu’à ce que nous ayons une spirale dépression-déflation dans l’économie. Le sens de la causalité est claire : la déflation cause les dépressions. Vous pouvez trouver cet argument dans presque tous les manuels d’introduction à l’économie. La Fed de Saint-Louis a écrit récemment :

Tandis que l’idée de prix plus bas peut paraître attractive, la déflation est une réelle inquiétude pour différentes raisons. La déflation décourage la dépense et l’investissement parce que les consommateurs, attendant des prix encore plus bas, retardent les achats, préférant à la place épargner et attendre pour des prix encore plus bas. La baisse des dépenses, à son tour, diminue les ventes et les profits des entreprises, ce qui au final augmente le chômage.

Il y a plusieurs problèmes avec cet argument. Le premier est que, sans considérer jusqu’où les prix sont attendus à la baisse, les gens consommeront toujours certaines quantités dans le présent et, dans le but de le faire, ils ont besoin de faire dans le présent des dépenses d’investissement pour assurer le flot de biens de consommation dans le futur. Nous pouvons voir que beaucoup de biens de haute technologie connaissent une vive demande malgré un environnement déflationniste. Apple a été capable de vendre sa dernière version de l’iPhone, bien que la plupart des gens s’attendaient à ce que le même téléphone soit moins cher dans six mois.

La seconde erreur de cet argument est qu’il suppose que nous basons nos attentes uniquement sur le passé. Des prix en baisse nous font anticiper que les prix continueront à baisser. Bien sûr, nos attentes sont basées sur une multitude de facteurs, dont les prix passés ne sont qu’une part infime. Je suis sûr que les économistes de la Fed ont été surpris que nous ne réagissions pas à la baisse des taux d’intérêt comme nous l’avons fait après la bulle internet de 2001. Les actions humaines ne peuvent simplement pas être modélisées comme le seraient les réactions de rats dans une expérimentation de biologie.

Une troisième erreur est que si nous consommons moins, nous devons épargner plus. L’investissement doit par conséquent être plus élevé. Par conséquent une épargne en augmentation qui peut mener à la déflation ne réduira pas la demande globale mais modifiera simplement la composition de la demande. La demande de biens de consommation diminuera, pour être remplacée par une demande en biens de production. En fait, cela mènera à la croissance et à plus de biens de consommation dans le futur, puisque l’économie aura plus de capital pour fonctionner.

La croissance fait baisser les prix. C’est une bonne chose. Les périodes de plus forte croissance aux USA au cours du dix-neuvième siècle, de 1820 à 1850 et de 1865 à 1900, était associées à une déflation significative. Dans ces deux cas, les prix ont été cassés de moitié.

Laissez-moi expliquer ce point avec un exemple très simple. Supposez qu’il y ait dix crayons et 10$. Quel est le prix d’un crayon ? Il ne peut être de 2$ puisque nous aurions des crayons qui resteraient invendus, donc le prix tendrait à baisser. Il ne peut être de 50 cents puisque les gens auraient de la monnaie et rien à acheter. Les prix augmenteraient. Cela mènerait à un équilibre où les crayons seraient vendus pour 1$ chacun. Maintenant supposons que le nombre de crayons soit doublé, donc nous avons 10$ et 20 crayons. Le prix baissera d’1$ à 50 cents. Toutes choses égales par ailleurs, y compris le stock de monnaie, les prix seront abaissés de moitié, la baisse des prix étant ici très positive puisque nos dollars nous donnent maintenant plus de biens et de services. Elle reflète l’aptitude de la société à repousser les limites de la rareté. Nous ne pourrons jamais vaincre la rareté, où tous les prix seraient à zéro, mais la baisse des prix montre que nous sommes en train de gagner cette bataille cruciale. Plus de biens et de services pour tous est une bonne chose et la déflation reflète cette abondance additionnelle.

Maintenant parlons de cette déflation qui fait si peur à tant d’économistes. Supposons que le coût de production d’un crayon est de 80 cents. Le taux de rendement est de 25%. Maintenant, supposons que les gens thésaurisent 5$, et rembourrent leur matelas avec de la monnaie au lieu de l’épargner. Le prix d’un crayon sera encore diminué de moitié, diminuant de 1$ à 50 cents. Si le prix des facteurs baisse également de 40 cents par crayon alors il n’y a pas de problème puisque le taux de rendement est toujours de 25%. Ce que craignent les économistes c’est que les prix des facteurs soient statiques, et qu’ils ne s’ajustent pas aux prix de la production, et que donc les entreprises produisent à 80 cents et vendent à 50 cents. Cela nous conduit à la faillite, au chômage, et à une baisse de la production telle que nous ne pouvons plus produire que 8 crayons, ce qui cause plus de thésaurisation, plus de faillites, et ainsi de suite. Vous avez saisi le tableau. Pour éviter cela, la plupart des économistes recommandent que le gouvernement imprime 5$, pour garder le prix des crayons à 1$, et éviter une spirale de déflation-dépression à l’économie. Ainsi ce qui est important est le décalage existant entre les changements dans les prix de la production et ceux des facteurs. Si le décalage n’est pas grand, alors la solution politique décrite ci-dessus peut ne pas être nécessaire et être contre-productive. Aussi, les entrepreneurs survivent en prévoyant les prix des produits et en négociant les facteurs pour faire un profit. Ce qui suggérerait que le décalage est probablement relativement court.

Ainsi, l’impression de monnaie est une distorsion. Quand un gouvernement ajoute 5$ à une économie, ce n’est pas neutre. Cela bénéficie d’abord aux premiers qui reçoivent l’argent, au gouvernement et aux banques, et pénalise les derniers à recevoir l’argent, c’est-à-dire les salariés et les pauvres. La planche à billets et ses effets sur les prix sont l’inverse de Robin des Bois, prenant aux pauvres pour donner aux riches. Les premiers bénéficiaires, les riches, dépenseront la monnaie d’une certaine façon, modifiant les prix relatifs de l’économie.

Maintenant, que se passe-t-il quand l’économie s’améliore et que les gens inversent leur thésaurisation ? Nous avons maintenant 10 crayons et 15$. Toutes choses étant égales par ailleurs, les prix augmenteront d’1$ à 1,5$, à moins que le gouvernement ne retire les 5$ injectés dans le système. S’il le fait, cela créera une nouvelle série d’altération des prix relatifs. Le remède est susceptible d’être pire que le mal.

Dans un monde multi-produits, l’inflation (y compris celle des prix des actifs) due à une croissance excessive du crédit produit des changements dans les prix relatifs qui induisent des investissements insoutenables, comme dans l’immobilier dans les années 2001-2007. La déflation, dans la phase de crise, est un réalignement partiel de ces prix relatifs plus proches de ce que la société veut réellement qu’il soit produit. La planche à billets interfère simplement avec ce processus de compensation. La véritable solution est d’en finir avec le système bancaire de réserves fractionnaires et de banques centrales.

L’inflation est bien pire que la déflation car elle vole les salariés et les pauvres. Les banques centrales sont la cause primaire de l’inflation et sont la principale raison de l’augmentation des inégalités de revenus, comme les riches deviennent plus riches et la classe moyenne s’enfonce vers la pauvreté. Cette tendance des revenus est devenue évidente et s’amplifie depuis le démantèlement du système de Bretton Woods en 1971 et son remplacement par des monnaies fiat. Le pouvoir de la banque centrale repose sur sa capacité à générer de l’inflation.

C’est pourquoi les banques centrales ont supporté de manière si généreuse la recherche économique dans tant d’institutions académiques qui servaient à justifier les politiques d’inflation actuelles des banques centrales. L’idée fausse répandue « qu’un peu d’inflation est bon » a été exposée par les économistes et les médias pour une raison. L’inflation est un vol quand vous dormez, puisque qu’elle vole la valeur des dollars dans votre porte-monnaie. 2% d’inflation pendant 35 ans réduit la valeur de la monnaie dans votre poche de 50%. En fait, le diable a un nouveau visage : c’est celui de la banque centrale.

Souvent la déflation suit une période d’inflation provoquée par la banque centrale. La déflation fait partie du processus de désendettement qui suit nécessairement une telle politique excessive de la banque centrale. Comme les économistes autrichiens l’ont toujours dit, « craignez l’expansion, pas la récession ». Retarder la déflation en gonflant encore la bulle ou en créant de nouvelles bulles en imprimant plus de monnaie retarde seulement l’ajustement, le rendant beaucoup plus pénible.

La vraie solution est la fin du système bancaire de réserves fractionnaires et de banque centrale. Un monde sans système bancaire à réserves fractionnaires ni banque centrale serait un monde de douce déflation, qui devrait être salué comme l’indication d’une des plus grandes réussites de l’humanité : l’élévation du niveau de vie pour tous.

4 Réponses

  1. Lionel37

    Concernant la déflation, je suis navré mais vous dites qu’ellee est au profit des plus pauvres et en défaveur des plus riches (ou l »inverse en remplaçant déflation par inflation). Mais comment pouvez-vous prétendre cela alors qu’un exemple simple montre le contraire : j’achète une voiture avec crédit, par exemple 10 000. S’il y a déflation, les revenus vont diminuer ou au moins rester stable, l’individu mettra plus longtemps à rembourser son prêt ou devra se priver et moins consommer ! Par contre s’il y a inflation, les revenus augmenteront et il sera plus facile de rembourser. Bien entendu dans le premier cas c’est le créancier qui sera gagnant dans le second le débiteur (bien que le créancier aura un intérêt pur compenser, dans le cas de la déflation, il faudrait alors un intérêt négatif sur le prêt).

    Concernant l’épargne, vous dites, s’il y a plus d’épargne, il y aura plus de biens de production. C’est aller un peu vite car si les entreprise remarque une baisse de la consommation, pas sûr qu’ils iront investir et acheter des biens de production pour produire davantage !

    Vous voulez vous passer de banque centrale et du système de réserves fractionnaires. Cela pose plusieurs problèmes. Tout d’abord, sans banque centrale il ne peut exister de monnaie unique ou commune. Or le principe même de la monnaie est l’unification, être certain qu’on puisse dans l’avenir payer lors des échanges, que la monnaie soit acceptée. Supposons tout de même une monnaie unique sans banque centrale, supprimer le système de réserves fractionnaires signifie donc que les banques ne peuvent prêter plus qu’elles n’ont dans leurs coffres. Or dans une telle situation, le système capitaliste s’écroule ou alors expliquez-moi comment au niveau macroéconomique, il puisse y avoir une hausse du profit.

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  2. Marc Lassort

    La déflation est le processus naturel du marché qui résulte de l’augmentation de la productivité et de la baisse des coûts de production. L’exemple le plus commun est le secteur de l’informatique, dont le coût des processeurs et des ordinateurs ne cesse de baisser depuis des dizaines d’années. En ce sens, la concurrence crée de la déflation et donc une augmentation du pouvoir d’achat et du salaire réel des consommateurs (la grande majorité de la population). Elle profite donc aux pauvres mais ruine effectivement (du moins temporairement) les puissants et les riches, ainsi que l’État qui voit ses rentrées fiscales diminuer.

    Vous pourrez évidemment trouver des exemples où la déflation pose problème, comme pour le remboursement d’une dette, où le débiteur se retrouve à devoir rembourser une dette libellée en euros, qui sera alors très élevée étant donné la baisse du salaire nominal. Mais un processus régulier et continu de déflation incitera le créancier et le débiteur à réviser le contrat et à prendre compte de l’anticipation déflationniste, et donc à abaisser le montant nominal de la dette. Ce problème n’en est donc pas un. Dans le cadre d’un système de banque centrale, et de poussée inflationniste engendrée par l’augmentation de l’offre monétaire, l’inflation détruit le pouvoir d’achat des consommateurs, profite aux marchés financiers et aux premiers bénéficiaires de la nouvelle monnaie créée. Elle profite donc aux riches et ruine les pauvres.

    L’épargne est le revenu non consommé. C’est donc l’épargne qui permet l’accumulation de capital, et in fine l’investissement productif. L’augmentation de l’épargne va donc permettre aux entreprises d’obtenir davantage de biens d’équipement, davantage d’investissement privé, et donc d’améliorer davantage la productivité et l’abaissement des coûts de production. Sans épargne, sans accumulation de capital, aucune production industrielle n’aurait été possible.

    Quant à l’absence de banque centrale, cela n’empêche pas d’avoir une monnaie commune, cela empêche seulement une monnaie unique. Un système de banque libre permettrait la concurrence monétaire et l’avènement de nouvelles monnaies comme le BTC comme monnaies courantes d’échange. Il a déjà existé des systèmes monétaires sans banque centrale, c’était même le cas pendant l’essentiel de l’humanité. Les banques centrales sont un phénomène moderne qui a favorisé l’extension du domaine étatique, mais une économie de marché peut tout à fait fonctionner sans banque centrale. Sur les réserves fractionnaires, je suis plus réservé car c’est un phénomène naturel qui a émergé des pratiques concurrentielles des banques commerciales, même s’il est vrai que ce n’est pas le maintien d’une offre monétaire élevée qui permet le profit ou le financement de l’économie, puisque l’offre monétaire plus restrictive gagnera en valeur et en pouvoir d’achat. Ce qui importe en somme, c’est le salaire réel, c’est-à-dire les biens que vous pouvez acheter avec votre revenu, ce n’est pas le salaire nominal. Il faut faire attention à ne pas confondre les deux.

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