Rapport fait au nom de la seconde sous-commission d’Afrique

MINISTÈRE DE LA GUERRE

COMMISSION DE COLONISATION DE L’ALGÉRIE.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA SECONDE SOUS-COMMISSION

PAR M. GUSTAVE DE BEAUMONT,

LE 20 JUIN 1842.

ORGANISATION CIVILE, ADMINISTRATIVE, MUNICIPALE

ET JUDICIAIRE.

PARIS.

IMPRIMERIE ROYALE.

1843.

[Commission de colonisation de l’Algérie. 2sous-commission. Organisation civile, administration municipale et judiciaire.]

RAPPORT FAIT AU NOM DE LA SECONDE SOUS-COMMISSION[1] D’AFRIQUE

PAR M. GUSTAVE DE BEAUMONT.

Au nombre des moyens nécessaires pour attirer des colons en Algérie, il faut, sans contredit, placer en première ligne l’établissement de bonnes institutions civiles.

Dans un temps comme le nôtre, où l’on ne s’exile point pour fuir les persécutions politiques ou religieuses, nul n’émigre si ce n’est pour améliorer sa condition matérielle, pour accroître sa fortune,pour la mieux faire valoir, pour mieux jouir de tous ses biens et de toutes ses richesses. Or, ces avantages, on ne peut les trouver que là où un ordre régulier, institué par les lois, garantit le respect des personnes et la tranquille possession des propriétés. Pour que cette paisible jouissance soit assurée, il faut, sans doute, avant toutes choses, que l’Européen qui arrive en Afrique y soit mis à l’abri de toute agression meurtrière de la part des Arabes. Aussi l’une de vos Sous-Commissions a-t-elle été chargée de rechercher par quels moyens, outre ceux de la guerre, on pouvait créer en Afrique un territoire inaccessible aux incursions violentes des indigènes.

Il faut encore, et c’est une autre nécessité non moins évidente, quel’émigrant ne trouve pas sur la terre où il aborde l’influence homicide d’un climat insalubre : on doit donc d’abord assainir le sol que l’on veut coloniser. C’est encore un point sur lequel une de vos Sous-Commissions doit vous proposer ses vues.

[Nécessité d’institutions civiles.] Mais le colon fût-il absolument garanti contre le fer des Arabes et contre l’insalubrité du pays, ce serait peu, si, sur cette nouvelle terre, il ne rencontrait pour sa personne et pour sa propriété la protection de quelques règles solidement établies et fidèlement observées. Desvictoires remportées sur les tribus ennemies, des fossés de séparation garnis de blockaus, des travaux d’assainissement donneront aux colons la sécurité matérielle et physique qui est, en effet, le premier des besoins. La sécurité morale, non moins nécessaire, ne peut résulterque de quelques institutions.

Sans doute, telle est la situation extraordinaire de l’Algérie, où la guerre, quand elle ne sévit pas, est toujours imminente, que longtemps encore une législation exceptionnelle y sera nécessaire  ; et ce n’est pas seulement le salut public qui le veut ainsi : la différence du climat, la variété des populations, d’autres mœurs, d’autres besoins, appellent d’autres lois  ; mais, plus votre Commission a réfléchi sur ce sujet, plus elle est restée convaincue que si, à côté des exceptions réclamées par l’état spécial de l’Algérie, on ne parvenait pas à placer un certain nombre d’institutions empruntées au droit commun de France, mieux vaudrait renoncer à tous plans de colonisation.

Quelles doivent être, quelles peuvent être ces institutions ? Telleest la question délicate confiée à l’examen de votre Sous-Commission, et qui a été, de sa part, l’objet d’études consciencieuses dont elle vient vous rendre compte. Et, d’abord, votre Sous-Commission a pris pour point de départ de ses travaux un principe qu’elle doit, avant tout, exposer.

[Il faut distinguer les territoires où l’on colonise et ceux où lon se borne à dominer.] Il lui a paru qu’en Afrique nous ne devons pas soumettre à un régime uniforme les territoires où nous colonisons et ceux où nous nous bornons à dominer. Cette distinction résulte de la nature même des choses. Depuis les frontières de Tunis jusqu’aux limites du Maroc, la France est souveraine en Afrique, et elle n’admet pas que son empire y puisse être contesté  ; mais alors même qu’elle le voudrait, elle ne saurait coloniser partout à la fois, et l’on conçoit tout aussitôt que le même gouvernement ne soit pas donné aux pays où nous nous contentons d’être les maîtres, et aux portions de territoires que nous voulons couvrir de laboureurs européens. Partout où il n’y a qu’une armée française en face de la population indigène, quel régime est possible autre que celui de la dictature militaire  ? Sur ce point, votre Sous-Commission a pensé qu’elle n’avait rien à examiner, ni rien à proposer. Le principe de la dictature, c’est de n’en point avoir, ou du moins, de pouvoir à son gré et à tout instant changer la règlequ’elle a reçue ou qu’elle s’est faite à elle-même.

Votre Sous-Commission s’est donc bornée à rechercher quelles institutions il conviendrait d’établir sur les territoires destinés à la colonisation.

[Quels doivent être les territoires de colonisation.] Mais, d’abord, quelles sont, en Afrique, les parties du pays qui, comme territoires de colonisation, recevraient le bienfait d’institutions particulières  ? La question, que l’on y prenne bien garde, n’est pas de savoir dans quel lieu, en Afrique, il y a aujourd’hui des colons  ; mais où il importerait qu’il y en eût. Des colons ont pu s’établir en Afrique là où il n’est pas urgent pour la France de coloniser, et il pourrait être sage de déclarer territoire de colonisation tel lieu où il n’y a pas encore de colons : c’est une question principalement politique. Ainsi, quoique les terres les plus fécondes semblent devoir appeler les premiers efforts du laboureur, la colonisation devra peut-être se porter d’abord sur un sol moins fertile  ; mais dont la culture importe plus à notre puissance en Afrique. Presque tout le monde est d’accord que, dans la province de Constantine, et notamment dans le cercle de Bône, des plaines d’une rare fertilité se rencontrent, dont l’exploitation serait tout à la fois plus aisée et plus productive qu’en aucun autre lieu de l’Algérie. Cependant, comme il faut, avant tout, pour l’affermissement de notre puissance en Afrique, qu’il s’établisse autour d’Alger, centre de notre domination, une population agricole qui, tirant du sol le blé nécessaire pour nourrir l’armée et se suffire à elle-même, nous rendrait indépendants en Afrique des secours quotidiens de la mère-patrie, il peut être d’une sage politique d’appliquer d’abord tous les efforts de la colonisation au Sahel et àla Métidja, de préférence même aux territoires dont la culture serait plus facile.

Quel que soit le parti que l’on tire des efforts individuels pour la colonisation, celle-ci, il faut le reconnaître, ne s’accomplira pas en Afrique sans une grande assistance du gouvernement. Le gouvernement ne doit-il pas, en conséquence, porter d’abord tout ce qu’il y a de secours efficaces sur le point où la colonisation importe le plus à sa puissance  ? Et, s’il est vrai que les institutions attirent les colons, n’est-il pas sage d’en doter la portion de territoire où l’établissement des colons est jugé le plus urgent ? Enfin on ne pourrait coloniser dans la province de Constantine sans y faire naître une chance de guerre de plus parmi des populations promptes à s’alarmer sur nos projets, et qui supporteraient peut-être moins patiemment notre joug si elles croyaient que nous en voulons à leurs terres.

Toutes ces considérations nous ont fait penser qu’il conviendrait, quant à présent, de ne déclarer territoire de colonisation que l’espace renfermé aux environs d’Alger, entre les lignes de l’obstacle continu qui s’exécute en ce moment.

Du reste, la question de savoir quels territoires, en Afrique, doivent être colonisés n’a pas été approfondie par votre seconde sous-commission, qui craignait même, en la traitant ainsi qu’elle vient de faire, de sortir de son cadre naturel.

[On n’examinera que le régime auquel doit être soumis tout territoire de colonisation.] Ce que votre Sous-Commission doit principalement se proposer, c’est de définir le régime auquel sera virtuellement soumise toute partie de l’Algérie qui aura été, par le gouvernement, déclarée territoire de colonisation.

Dans ce système, tout ce qui n’aurait pas été déclaré colonie, qu’il s’y trouvât ou non des colons, continuerait à être régi, plus ou moins arbitrairement, suivant la volonté pure et simple du ministre, plus ou moins modifiée par la volonté du gouverneur général ; mais, du jour où un territoire ou une portion quelconque de territoire serait déclarée territoire de colonisation, il sortirait immédiatement du régime de la dictature pour entrer dans la sphère d’un certain ordre légal et régulier, dont il s’agit maintenant de poser les bases.

[Quelles populations convient-il d’appeler sur le territoire de colonisation.] La première question qui se présente est celle-ci : « De quels éléments doit se former la population du territoire appelé colonie ? Doit-elle se composer exclusivement de Français ou d’Européens de toutes nations ? Les indigènes Maures, Arabes et Juifs, doivent-ils y être admis ? Si les indigènes sont admis dans les villes, doit-on les admettre aussi dans les campagnes ? »

[Étrangers européens.Il serait désirable, sans doute, que les territoires destinés à la colonisation se couvrissent entièrement de Français ; en même temps que le bienfait immédiat de nos possessions d’Afrique serait plus grand pour les populations de France, il en naîtrait, pour l’avenir, un lien de nationalité plus étroit et plus solide entre la colonie et la métropole. Mais, on ne doit pas se le dissimuler, le premier besoin de l’Algérie, c’est d’avoir des habitants ; et ce qu’il faut avant tout aux territoires de colonisation, ce sont des colons, à quelque nation qu’ilsappartiennent. La France doit bien se garder ici de tout sentiment jaloux qui, en vue de favoriser ses propres enfants, la porterait à exclure les étrangers des avantages de la colonisation. En somme, nous devrons plus au pays qui nous enverra des colons que ceux-ci ne nous seront redevables pour avoir reçu de nous les privilèges offerts aux émigrants. Il faut, d’ailleurs, le reconnaître, parmi les étrangers qui peuvent émigrer en Afrique, il en est dont il faudrait provoquer la venue, s’ils ne se présentaient d’eux-mêmes : tels sont les Allemands et les Suisses, si enclins à l’émigration, si faciles à gouverner, et si prompts à se fixer, sans esprit de retour, sur la terre nouvelle qu’ils ont adoptée, et où ils apportent leurs mœurs paisibles et douces, leur amour de l’agriculture et leur caractère persévérant. Certes, bien loin de s’en plaindre, il faudrait s’en féliciter, si ces populations, qui aujourd’hui, partant des bords du Rhin, vont, en dépit de deux mille lieues d’Océan, peupler les colonies du Nouveau-Monde et les terres plus lointaines encore de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, pouvaient porter vers l’Algérie, aussi fertile et plus rapprochée, leur courant régulier d’émigration. Si l’on fait participer les étrangers de telle ou telle nation aux avantages de la colonisation, comment pourrait-on ne pas les admettre tous, au moins en principe ? Sans doute, il en est de beaucoup moins désirables que les Allemands : par exemple, les Mahonnais, de race espagnole, et les Maltais, d’origine anglaise ; les premiers, que la grossièreté et la rudesse de leurs mœurs rend difficiles à gouverner ; les seconds, qui, en acceptant toute discipline, retiennent toujours le génie et les préjugés de leur nation, peu propres les uns et les autres à devenir des laboureurs. Cependant ils peuvent être utiles encore, admis dans une certaine mesure. On sait que les Mahonnais, inhabiles à la culture des céréales, font d’excellents jardiniers ; et les hommes d’origine et de mœurs anglaises peuvent apporter dans les villes des branches importantes de commerce. Il faut remarquer que les émigrants qui viennent de Malte, de l’Espagne méridionale et des les Baléares, sont tout faits au climat d’Alger, et c’est déjà un avantage réel. L’objection ne naîtrait en réalité contre eux que le jour où leur nombre dépasserait de certaines proportions, si, par exemple, l’élément anglais s’accroissait sur quelques parties du littoral jusqu’au point d’y être influent. Mais comment ce péril pourra-t-il être sérieusement redouté, lorsqu’il dépendra toujours du pouvoir exécutif de le prévenir ? Sans doute, on ne pourrait, sans des causes graves, interdire l’accès de la colonie aux membres de tel ou tel peuple ; mais il sera toujours loisible au gouvernement de ne donner les primes de l’émigration qu’à ceux dont il souhaite l’arrivée ; et, sans exclure personne, il sera encore ainsi le maître de choisir.

[Indigènes.Quant aux indigènes, faut-il les admettre sur le territoire de colonisation ? Ici une distinction est à faire entre les villes et les campagnes. Supposez déclaré territoire de colonisation tout l’espace compris dans l’obstacle continu que l’on crée autour d’Alger. Dans cet espace, se trouvent trois villes principales : Alger, Blidah, Coléah. Chacune de ces villes contient une population d’indigènes Arabes, Maures et Juifs, auxquels, après la conquête, nous avons reconnu des droits, et que nous nous sommes engagés à protéger. Évidemment, nous ne pouvons aujourd’hui expulser de ces villes les indigènes qui s’y trouvent : quand nous en posséderions le droit, nous n’aurions aucun intérêt à l’exercer. Ces populations indigènes, de race maure pour la plupart, race bâtarde et profondément dépravée par une longue servitude, sont en somme peu redoutables. Et puis, l’on a d’autant moins besoin de les chasser violemment qu’elles s’en vont d’elles-mêmes. C’est un fait constant aujourd’hui que les Maures disparaissent peu à peu de l’Algérie. Nos mœurs faciles et libres, notre caractère, notre religion, ou plutôt notre irréligion, les perfectionnements de notre police, qui pénètre tout, même les secrets du foyer domestique, la supériorité des Européens dans le commerce et dans les professions industrielles, tout éloigne de nous les Maures. Telle est la nature même de notre civilisation que, devant elle, les populations musulmanes des villes se retirent par un sentiment d’impuissance soit à l’adopter, soit à lutter contre elle.

Ainsi nous n’avons pas à redouter de voir s’accroître à Alger, dans des proportions alarmantes, le nombre des indigènes, dont, au contraire, la diminution graduelle est un événement fatal.

Et non seulement notre intérêt ne nous commande pas de traiter durement les indigènes établis dans les villes de la régence, mais il est encore de notre politique de ne montrer à ces populations que des procédés de justice et d’humanité. C’est à ce prix seulement que le nom français sera en honneur sur la côte septentrionale de l’Afrique.

Il importe beaucoup à nos intérêts matériels, à notre commerce, à notre force réelle et à l’agrandissement de notre empire, que notre renom moral soit bien établi dans tout l’Orient. Or ce n’est point sur nos procédés envers les populations chrétiennes, mais bien sur notre conduite envers les musulmans de l’Algérie, que notre réputation se fera dans ces contrées. C’est par là qu’en Orient nous serons puissants ou faibles, honorés ou avilis. Ainsi, dans l’intérieur des villes, nous n’avons rien à craindre des indigènes, et nous ne pourrions les en exclure que par un acte de violence qui nous nuirait à nous-mêmes.

Mais les motifs qui nous prescrivent de laisser les indigènes dans les villes où ils sont ne s’appliquent point aux villages nouveaux que l’on s’occupe de créer, et qui formeront, à proprement parler, le territoire de colonisation. Une saine politique commande ici de n’admettre que des populations européennes. Chacun de ces villages constituera une petite société qu’il faut, autant que possible, créer à l’image de nos sociétés d’Europe, et où, quand on est maître d’un terrain absolument nouveau, il ne conviendrait pas d’introduire les complications de l’élément arabe et musulman. Nous acceptons la présence et le contact des Arabes où nous les trouvons établis ; suit-il de là que nous devions les mêler à nous partout où nous allons et les introduire là où ils ne sont pas ? Il ne faut pas perdre de vue le véritable objet de la colonisation, qui est de créer en Afrique, et d’abord à l’en-tour d’Alger, une population agricole qui soit pour l’armée un point d’appui en temps de paix comme en temps de guerre : or la première qualité de cette population, c’est d’être sûre et dévouée dans les jours difficiles. Et jusqu’à quel point pourrait-on compter sur les villages du Sahel et de la Métidja si, dans chacun d’eux, étaient répandus un certain nombre d’indigènes ? Chacun de ces villages aura besoin d’une police très rigoureuse de jour et de nuit, pour prévenir les surprises des maraudeurs arabes : ne serait-il pas à craindre que les secrets des lieux fussent livrés à l’ennemi, si des Arabes ou des Maures y habitaient ? L’intérêt politique suffirait seul pour exiger que l’on n’admît dans les nouveaux villages que des Européens. Du reste, on discute ici plutôt pour l’honneur des principes que pour l’utilité des faits. Il est, en effet, plus que douteux que les indigènes aspirent à se mêler, dans les nouveaux villages, aux colons Européens. La faculté d’y habiter fût-elle accordée aux musulmans, tout indique que ceux-ci n’en feraient pas usage, si ce n’est dans des cas exceptionnels. On ne comprend pas comment le séjour de ces villages, tout préparés à l’européenne, attirerait les mêmes hommes que de vieilles habitudes ne peuvent retenir à Alger même.

[Juifs.] Les seuls indigènes qui pourraient désirer de trouver leur place dans ces nouveaux villages, ce sont les Juifs. Peut-être serait-il nuisible aux vrais intérêts de la colonisation de les exclure de ces lieux, oùleur présence ne créerait jamais un danger politique. Il faudrait prendre bien garde, si on les admettait, de ne le faire qu’avec la plus grande réserve. Rien peut-être n’irrite plus vivement contre nous les Arabes et les Maures que la déférence que nous marquons aux Juifs, méprisés par les musulmans. It faudrait donc avoir bien soin de ne pas paraître accorder aux Juifs un privilège que l’on refuserait aux Arabes et aux Maures. La présence des Juifs dans les villages pourrait être tolérée : elle ne devrait pas être expressément autorisée ; et du silence de la loi à cet égard, il ne résulterait aucun préjudice, car le fait seul de leur présence, permise de fait sur le territoire de colonisation, leur assurerait tous les bienfaits du droit commun de la colonie.

[Villages arabes.Mais, si les indigènes, à l’exception des Juifs peut-être, ne sont point admis dans les villages nouvellement créés, que fera-t-on donc des tribus arabes ou portions de tribus qui, de temps à autre, viennent se rendre à nous ; qui nous demandent un asile, et à qui nous serions intéressés à donner quelque refuge dans nos murs et au milieu de nos campagnes, afin de les accoutumer à la vie sédentaire et agricole, première base de toute civilisation ?

Nous ne soulevons ici cette question que pour montrer qu’elle n’a pas échappé à notre attention ; car nous ne pensons pas que son examen approfondi rentre dans le cadre offert à la seconde Sous-Commission. Il est clair que, sans admettre les indigènes dans les villages destinés aux Européens, ou pour leur ménager des asiles, des villages même peuvent être créés tout exprès pour eux. Mais ce que nous voulons seulement établir, c’est que ces villages arabes ne feraient pas partie du territoire légal de colonisation ; quoique peuplés d’indigènes amis, ils ne devraient peut-être pas être placés dans l’enceinte ; mais alors même qu’ils s’y trouveraient matériellement inclus, ils seraient légalement présumés être en dehors, et demeureraient, par conséquent, soumis au régime exceptionnel et spécial que l’on croirait devoir leur imposer.

À présent que nous savons de quels éléments se composera la population du territoire de colonisation, voyons à quel régime il convientqu’elle soit soumise.

[Principes généraux du régime auquel doit être soumis le territoire de colonisation.] Pour fixer ce régime, il convient d’examiner tour à tour deux choses très distinctes dans tout pays : d’abord la société civile dont la condition doit être réglée indépendamment du gouvernement et de l’administration qui seront mis en vigueur.

Et en second lieu, le gouvernement et l’administration de cette société, à côté desquels se place la question des droits et des garantiesindividuelles.

Nous allons parcourir successivement ces deux divisions naturelles au sujet. Mais, d’abord, nous devons exposer un principe qui nous a paru commun à l’une et à l’autre, et que nous nous sommes efforcés de prendre pour guide, toutes les fois qu’il nous a été possible de le faire : ce principe, c’est que la colonie doit, autant que possible, reproduire dans ses institutions, dans ses usages et dans ses lois, les mœurs et les lois de la mère-patrie. C’est par là qu’une colonie attire des émigrants de la métropole, et qu’une fois arrivés elle les conserve dans son sein. Ce serait une très fausse idée que de vouloir faire du neuf dans une colonie, sous prétexte qu’on est en possession d’un terrain nouveau qui donne table rase, et sur lequel on peut essayer des institutions non encore éprouvées. Le Français qui émigre en Algérie a déjà bien assez des difficultés de l’entreprise et de toutes les misères qui s’attachent à un établissement nouveau, sans qu’il faille y ajouter l’étude de nouvelles formes, soit dans la société civile, soit dans la société politique. Que l’on s’efforce donc, en lui donnant un état civil, une administration, une justice, de les lui offrir, toutes les fois qu’on le peut sans inconvénient, dans les mêmes termes et sous la même forme ; que l’administrateur, le juge, l’officier civil, retiennent les mêmes noms, alors même que leurs fonctions ne seraient pas en tout point pareilles ; que les mêmes formes soient conservées, alors même que le fond aura été changé. Il est bon que l’étranger ne se croie pas chez lui, mais que le Français se croie toujours en France.

C’est une opinion très répandue, et que nous croyons très exagérée, qu’en Afrique tout est si contraire à ce que nous connaissons en Europe, qu’il faut absolument y établir la société et le gouvernement sur des bases en tous points différentes de celles qui existent parmi nous. Ceux qui, de bonne foi, pensent ainsi, se fondent, en général,sur les deux raisons suivantes : d’abord, disent-ils, la population étant composée d’Arabes, d’Européens, de Musulmans et de Chrétiens, on ne saurait la conduire de la même manière que nos sociétés homogènes; et en second lieu, ajoute-t-on, dans les circonstances dangereuses où se trouve la colonie, entourée comme elle l’est d’ennemis en armes, et avec lesquels il faut tous les jours faire la guerre, il est nécessaire d’investir le gouvernement et ses agents de pouvoirs extraordinaires, irrésistibles, dont ils n’ont pas besoin chez nous.

La première objection ne saurait être faite que par ceux qui n’ont pas été en Afrique. Ceux qui ont vu ce pays savent que la société musulmane et la société chrétienne n’ont malheureusement entre elles aucun lien ; qu’elles forment deux corps juxtaposés, mais complètement séparés. Ils savent que, tous les jours, cet état de choses tend à s’accroître par des causes contre lesquelles on ne peut rien. L’élément arabe s’isole de plus en plus, et peu à peu se dissout. La population musulmane, ainsi qu’on l’a déjà dit, tend sans cesse à décroître, tandis que la population chrétienne se développe sans cesse. La fusion de ces deux populations est une chimère que l’on ne rêve que lors qu’on n’a pas vu, sur les lieux, quelle barrière infranchissable est placée entre elles. La séparation des deux populations, qui se consomme d’elle-même par un mouvement secret et continu, deviendra d’ailleurs complète et tranchée dans les villages affectés spécialement aux populations européennes. Ainsi il y a forcément en Afrique deux sociétés distinctes l’une de l’autre, chaque jour plus séparées, et dont chacune a son régime et ses lois. On peut donc, et chaque jour on pourra plus facilement, donner des lois aux Européens établis en Afrique, comme sils y étaient seuls, et ne faire ces lois que pour eux.

Quant à l’autre objection, tirée des dangers intérieurs que courrait la colonie, si les agents du gouvernement n’étaient pas armés de pouvoirs tout exceptionnels et extraordinaires, il est impossible, si on l’examine à fond, de ne pas la juger puérile. Nous avons en Afrique quatre fois plus de soldats que de colons ; ceux-ci sont placés entre le yatagan des Arabes et la mer, de telle sorte qu’ils sentent, à chaque instant, la nécessité de soutenir le pouvoir qui seul les défend, et dont ils ont besoin, bien plus qu’il n’a besoin d’eux. On ne concevrait pas que, pour tenir dans l’ordre une population de cette espèce, il fallût absolument joindre à 80 000 soldats le régime habituel de la dictature.

Sans doute, et nous l’avons déjà dit plus haut, l’état spécial de l’Algérie, même pour le territoire de colonisation, nécessite un régime particulier et différent de ce qui existe en France. Mais voici comment se résume sur ce point notre sentiment : à la différence de ceux qui se préoccupent tout d’abord d’établir en Afrique un régime où tout sera exceptionnel, sauf quelques cas de ressemblance avec le droit commun, nous voudrions que l’on tendît à y introduire le droit commun, sauf les exceptions. Cette seule différence dans le point de départ est d’une grande importance, et elle influe singulièrement sur le but auquel on arrive définitivement.

[Société civile. Droits civils. États des personnes.] Appliquant d’abord notre principe à la première partie du sujet qui nous occupe, nous dirons que la loi civile, telle qu’elle est établie par le Code Napoléon et par les lois qui en sont l’appendice ou le commentaire, réglera l’état des personnes et des propriétés. Tel sera le principegénéral, sauf l’exception.

[Étrangers] À l’égard des personnes d’origine européenne, il n’existe aucune raison de ne pas les régir purement et simplement par les dispositions du livre premier du Code civil, et l’on n’aperçoit pas quelle objection s’élèverait contre tout ce qui est relatif aux actes de l’état civil, aux naissances, aux mariages, aux décès, à la minorité, à la tutelle, à l’émancipation. Une seule question se rencontre ici : c’est celle de savoir si les conditions mises par le Code à l’exercice des droits civils et à la qualité de citoyen seront les mêmes en Afrique qu’en France.

Tout le monde comprend de quel intérêt il est, pour la colonie et pour son prompt développement, que tous les étrangers qui viendront s’y établir, pour s’en faire une nouvelle patrie, y trouvent la plus grande facilité à jouir de tous les bienfaits de notre gouvernement. C’est surtout par cet appât que les nouveaux États de l’Amérique du Nord attirent les étrangers, qui, en général, dès qu’ils sont domiciliés, sont considérés comme citoyens américains, et en exercent tous les privilèges.

Quant aux droits civils proprement dits, il ne saurait y avoir de difficulté réelle ; car, aux termes de l’article 13 du Code Napoléon, la jouissance de ces droits est assurée à tout étranger qui a été admis à établir son domicile en France. Or telle sera naturellement la condition de tout étranger autorisé par la police française à résider enAfrique.

[Droits de cité.] Mais la question est moins simple pour les droits de cité, qui tiennent à la qualité même de citoyen français, et qui, d’après les dispositions combinées de la loi civile et de la loi constitutionnelle, ne peuvent appartenir à l’étranger qu’après dix ans de résidence sur le territoire français. Faudra-t-il à l’étranger dix ans de résidence en Afrique pour qu’il acquière l’exercice des droits de cité ? Par exemple, l’aptitude aux fonctions publiques, la faculté d’être membre du conseil municipal, membre de la milice, électeur et éligible aux emplois quelconques de la commune et de l’État ; en un mot, tous les droits pour l’exercice desquels un serment de fidélité au Roi est exigé ou présumé requis ?

Votre Commission pense, Messieurs, qu’il serait conforme aux intérêts de la colonie et de la métropole de ne point exiger des étrangersen Algérie, pour l’exercice des droits de cité, des conditions aussi rigoureuses, et elle estime que, sur ce point, il convient de se montrer plus facile, non seulement en vue des étrangers que l’on veut attirer en Afrique, mais encore en considération de la France elle-même. Il n’y a point ici de comparaison à établir entre la France et l’Algérie ; nous avons plus d’intérêt à attirer des étrangers en Algérie qu’en France. L’étranger qui vient en France, et à qui l’on reconnaît des droits, est l’obligé ; celui qui va vivre en Afrique est pour nous le bienfaiteur. Ceci seul expliquerait pourquoi il faut accorder à celui-ci des conditions meilleures qu’a l’autre. D’ailleurs, il importe, dès qu’un émigrant arrive dans la colonie avec l’intention de s’y fixer, de le relier le plus vite possible au gouvernement par les engagements les plus étroits. Il n’est pas rare que l’étranger, en Algérie, s’efforce d’échapper à toute obligation envers le gouvernement français, et il y parvient en se plaçant sous la protection presque exclusive de son consul. Supposez qu’il devienne Français, il s’attachera d’autant plus à nous qu’il cessera aussitôt d’appartenir à un autre pays. La qualité de citoyen est, sans doute, un privilège, mais ce privilège a ses charges, qui sont encore plus lourdes dans un pays nouveau, où tout est à créer. Et n’est-il pas juste que dans une société tous ceux qui participent aux avantages supportent aussi une part à peu près égale du fardeau commun ? Sans doute il ne faudrait pas, soit par esprit de calcul, soit par un sentiment de générosité, conférer les droits de cité à quiconque vient en Algérie, ne fût-ce qu’en passant ; mais il ne pourrait qu’être avantageux de les attribuer tout de suite, ou presque immédiatement, à quiconque prouverait la volonté sérieuse de s’établir en Algérie sans esprit de retour. Cette présomption résulterait, par exemple, de l’achat, dans l’une des villes ou villages de l’Algérie, d’une habitation, d’un lot de terre, accompagné du fait de la résidence pendant un an. Dans ce cas, le droit serait la conséquence toute naturelle du fait, et l’étranger saurait qu’en devenant colon en Afrique et en y résidant pendant quelque temps, en acceptant les avantages offerts aux émigrants en général, il deviendrait par cela même citoyen français. Dans ce système, la résidence en Afrique, jointe à l’acquisitiond’un immeuble, ne ferait pas seulement naître pour l’étranger une faculté, un droit qu’il serait libre ou non de faire valoir ; elle amènerait virtuellement, dans son état civil et politique, une métamorphoselégale. Une fois les conditions matériellement accomplies, il perdrait tout droit au patronage de son consul, et, au lieu de la protection du droit des gens, il trouverait l’empire et le bienfait de la loi civile française.

Se rencontrera-t-il des émigrants étrangers pour lesquels cette naturalisation précoce et virtuelle soit un obstacle à venir ou à resteren Algérie. ? Il est difficile de le penser. La facilité de devenir citoyen d’une nouvelle patrie ne saurait être envisagée que comme un bienfait par la masse des émigrants. Ici cependant une objection a été présentée.

Quelquefois, a-t-on dit, des étrangers viennent en Afrique avec la disposition, mais non avec la volonté arrêtée de s’y établir, et, tout en l’explorant comme leur nouvelle patrie, ils aiment à conserver le lien qui les allache à leur pays natal, où ils retourneront si l’Afrique n’a pas le pouvoir de les y retenir. N’est-il pas à craindre qu’avec le désir de provoquer l’émigration on ne la rende plus rare, si l’étrangerqui arrive doit être tout à coup, et forcément, saisi de la qualité de citoyen français, et s’il risque, par ce fait, de perdre son titre et ses droits de citoyen dans le pays qu’il n’a pas encore peut-être définitivement abandonné ? Cette crainte ne sera-t-elle pas principalement éprouvée par les Suisses, dont la constitution porte si expressément que la qualité de citoyen suisse est incompatible avec celle de citoyen dans tout autre pays ? Nous ne pensons pas, Messieurs, qu’il faille s’arrêter à cette objection, qui ne sera que bien rarement un obstacle à l’émigration des étrangers en Algérie. La plupart des étrangers, et même les Suisses, qui, après avoir exploré l’Afrique, reviendraient dans le pays natal, y reprendraient leur place avec tous leurs droits, sans que personne leur demandât compte d’une aventure dont nul, excepté eux-mêmes, ne saurait les circonstances. Et, en supposant réel ce péril imaginaire, le plus grand nombre aimerait encore mieux en courir la chance, et compter tout de suite comme citoyen dans la colonie. Qui est-ce qui, d’ailleurs, quittera l’Afrique après un an de résidence sur sa terre, lorsque la colonie sera placée sous le régime bienfaisant des lois ?

Du reste, il faut bien remarquer que l’acquisition, en Algérie, du titre et des droits de citoyen français ne ferait point jouir du titre et des droits de citoyen en France ; il faudrait toujours, pour l’étrangerrésidant en Algérie comme pour tout autre, dix ans de résidence sur le territoire français pour être admis, en France, aux droits de cité. Le temps passé en Algérie compterait seulement comme s’il était passé en France, et celui qui, dans les cas ci-dessus exposés, deviendrait en Afrique citoyen français après un an de résidence, ne pourrait, s’il venait ensuite s’établir en F’rance, y devenir Français et en exercer les droits qu’après une résidence de neuf années.

[Indigènes.Nous avons dit que, sauf les exceptions qui viennent d’être exposées, il nous paraissait que la loi civile française devait être donnée en Afrique à la population européenne ; il n’en saurait être de même pour la population indigène, ce qui va se comprendre sans peine. Et d’abord il ne faut pas oublier que, si cette population est exclue des villages nouveaux du territoire de colonisation, elle existe actuellement dans quelques villages anciens que contient ce territoire, et dans les villes d’Alger, de Coléah et de Blidah. Maintenant une première observation se présente ici ; c’est qu’en supposant que nous voulussions admettre au bénéfice de la loi civile française la population indigène, nous trouverions celle-ci peu disposée à l’accepter. La plupart de nos lois civiles sont non seulement antipathiques à leurs mœurs, mais encore en opposition directe avec leur culte. Ainsi toutes nos dispositions relatives à l’état civil des personnes sont incompatibles avec leurs usages, consacrés par leur loi religieuse : ce n’est pas seulement notre loi du mariage qu’ils repoussent comme exclusive de la polygamie ; ils ne sont pas moins contraires au système que nous suivons pour la constatation des naissances et des décès ; rien ne choque plus vivement leurs préjugés religieux et leurs habitudes sociales que les investigations auxquelles on se livre pour la tenue régulière des registres de l’état civil, l’enquête nécessaire pour constater le sexe de l’enfant qui naît, l’âge et le sexe de la personne qui meurt, l’entrée de l’officier public dans le domicile privé, les déclarations qu’il faut faire à celui-ci, etc., etc. Telle est la loi de Mahomet, que tout, dans l’ordre civil et religieux se lient, et ne forme qu’une seule et même chose ; de telle sorte que, pour le musulman, toute infraction à la loi civile est un attentat à la loi religieuse. Il suit de là que le Musulman ne peut pas plus renoncer à ses usages civils qu’il ne peut changer de religion, et qu’en refusant de se soumettre à notre loi civile, il n’est que fidèle à son culte. Enfin, il résulte de là cette conséquence que, ne pouvant devenir citoyen français, il demeure étranger. Cette conséquence logique est importante à noter : elle ne révèle rien de nouveau, car elle n’est que l’expression d’un fait visible à tous les yeux ; cependant elle constitue elle-même un principe fécond en corollaires.

On conçoit sans peine l’influence qu’exerce nécessairement ce point de départ sur le sort de la population indigène, dans l’organisation de la société civile, et même dans une sphère plus élevée. Ainsi, même au milieu de nous, les indigènes retiendront leur loi civile et religieuse. Cette situation, la seule qui leur convienne, est aussi celle qui nous convient le mieux. Lorsque nous en viendrons aux questions de gouvernement et de sûreté publique, nous verrons que le bon ordre de la colonie est très intéressé à ce que les indigènes conservent leur qualité d’étrangers. Cette qualité a pour effet de les rendre très régulièrement passibles, au besoin, de quelques mesures de police. Ainsi, pour n’en donner qu’un exemple, les indigènes demeurant étrangers, leur éloignement du territoire peut être prononcé sans que l’on sorte du droit commun. Or, s’il est des individus, en Afrique, à l’égard desquels l’emploi de pareils procédés puisse paraître nécessaire dans certains cas, ce sont surtout les indigènes, et il n’est pas sans importance que ces mesures puissent être prises envers eux sans que nous ayons à outre-passer nos lois ordinaires. Cette qualité d’étrangers ne fera point obstacle, d’ailleurs, à ce que les Musulmans des villes existantes soient admis, en vertu d’une exception formellement établie par la loi, à de certains droits de cité qui, théoriquement, ne pourraient appartenir qu’à des citoyens français, tels que l’admission dans les corps municipaux, dans la milice, dans l’armée, et c’est ce que nous examinerons plus tard. Une autre exception, déjà consacrée par les institutions existantes, attribuera aux indigènes résidant parmi nous l’usage, dans certains cas, de tribunaux spéciaux. Mais, à part ces exceptions, justifiées autant par notre intérêt que par le leur, les Musulmans retiendront complètement leur qualité d’étrangers dans la société civile française. À ce titre, ils seront, suivant un principe de notre droit commun, soumis aux mêmes lois générales de police qui obligent les citoyens français, et ils en recevront aussi le bienfait, qui leur sera d’autant plus assuré qu’en même temps que nous leur accordons le droit commun qui régit tous les étrangers, nous leur laissons leurs mœurs, leurs usages, leur religion, toutes leurs pratiques civiles, et même une partie de leurs institutions judiciaires. Nous n’avons pas besoin de faire remarquer que ce qui est dit ici ne s’applique qu’aux territoires déclarés colonies. Ici encore, la conduite à tenir est très différente, suivant qu’il s’agit d’un territoire de domination ou d’un territoire de colonisation. Dans le premier cas il y a seulement une société indigène à gouverner ; dans le second, une société française à fonder. À l’une il faut, avec le sol, laisser purement et simplement ses lois, à la seule condition de l’obéissance politique ; dans l’autre, il faut bien, en s’établissant, écarter tout ce qui fait obstacle à la construction de l’édifice nouveau qui est à créer. Là où nous nous contentons d’être publiquement les maîtres, la société civile des indigènes existe toujours, et nous sommes, à vrai dire, des étrangers dans cette société, qui demeure intacte, et dont nous respectons scrupuleusement tous les éléments. Notre situation est tout autre là où, après avoir établi notre souveraineté, nous fondons sur le sol une société nouvelle avec des populations qui apportent d’Europe leurs besoins, leurs mœurs, leur religion et l’habitude de leurs lois. Dans ce cas, outre le lien politique à maintenir, il y a une société nouvelle qui se développe, une société civile française, dans laquelle les indigènes, quand ils s’y rencontrent, ne peuvent être qu’étrangers, Sans doute, nous devons, même dans ce second cas, ne faire violence ni au culte ni aux mœurs des indigènes ; car, en les souffrant parmi nous, nous avons pris l’engagement d’être humains et tolérants envers eux. Cependant il faut bien que la réalité des choses se fasse jour, et là où une colonie française s’établit, la loi civile française est nécessairement la loi du pays.

[Droits civils. État de la propriété.] On vient de voir comment, et sauf les exceptions expressément indiquées, l’état des personnes sur le territoire de colonisation sera régi par la loi civile française. Votre seconde Sous-Commission pense, Messieurs, que cette même loi devra y gouverner l’état de la propriété.

Une autre Sous-Commission a été chargée du soin spécial d’examiner par quels moyens la propriété, jusqu’à présent incertaine et précaire en Afrique, pourrait être tirée du chaos où elle est, consolidée et constituée sur de nouvelles bases. Et sans doute elle ne pourra traiter le sujet particulier qui lui a été remis, sans aborder plus ou moins quelques-uns des principes généraux qui s y rattachent.

De son côté, votre seconde Sous-Commission, à laquelle vous avez envoyé tout ce qui concerne l’organisation civile, et notamment les droits des colons, ne pouvait traiter les questions générales dont vous lui aviez confié l’examen sans toucher à la question spéciale de la propriété, qui est elle-même le premier de tous les droits. Elle pouvait d’autant moins l’omettre, que, dans sa conviction profonde, c’est surtout des principes qui seront adoptés dans cette matière que dépend l’avenir de la colonisation en Afrique. Elle croit fermement que les meilleures institutions données à l’Algérie n’y seraient d’aucune valeur, si la propriété y était mal réglée ; et, par conséquent, elle n’attacherait elle-même que peu de prix aux différentes dispositions qu’elle vous propose, si d’abord la propriété n’était soumise au régime qui lui convient.

Attentive à se maintenir dans la sphère toute générale où elle est placée par son mandat, votre seconde Sous-Commission s’est soigneusement abstenue de toutes les questions accidentelles, transitoires ou secondaires que peut soulever en Algérie la constitution de la propriété. Elle a ainsi passé sous silence la question de savoir quelle sorte de propriété existe chez les indigènes ; comment les propriétés des indigènes peuvent être atteintes par le séquestre ou par l’expropriation ; quel droit régit les biens des corporations musulmanes ; s’il faut conserver ou abolir les habous ou substitutions ; si l’on doit supprimer aussi les rentes perpétuelles, et comment leur rachat pourrait avoir lieu. Toutes ces questions, si ardues et si délicates , et d’autres qu’elle ne mentionne pas, lui ont paru appartenir essentiellement et exclusivement à la Commission spéciale de la propriété : elle ne s’en est donc point préoccupée ; elle a supposé toutes ces difficultés résolues, elle a supposé la propriété définie et constituée, et, se plaçant sur le territoire seul de colonisation, ayant principalement en vue la propriété acquise et possédée par des Européens dans les villages oùdes Européens sont seuls admis, elle a été d’avis que, sur ce territoire, la loi civile française devait lui être appliquée dans tous ses principes essentiels.

[Nécessité de garanties pour la propriété.] Le premier besoin de colonisation en Afrique, c’est qu’il existe quelque part un droit de propriété certain, garanti, inviolable. Il est utile assurément de donner aux colons, en Afrique, quelques autres droits ; mais tous ces droits sont vains et stériles, s’ils n’ont pour base le droit de propriété. Le colon veut, sans doute, être protégé dans ses droits comme époux, comme père de famille comme membre de telle ou telle communion religieuse, comme citoyen français, etc. ; mais ce qui, pour lui, passe avant toutes choses, c’est d’être protégé comme propriétaire.

Que le droit civil ou constitutionnel de la France, en matière de propriété, soit donc la loi de l’Afrique sur le territoire de colonisation ; qu’en Afrique comme en France, la propriété soit le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règlements (art. 544 du Code civil) ; que la propriété en Afrique soit acquise, vendue, transmise par donation, testament ou héritage, donnée à bail, échangée, hypothéquée, suivant les mêmes lois et les mêmes principes qu’en France. Enfin, et c’est là la véritable, la grande garantie civile de la propriété, qu’en Afrique, sur le territoire de colonisation, nul ne puisse être exproprié, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.

Tel est le vœu que forme votre seconde Sous-Commission, avec la conviction qu’elle n’en émettra aucun dont l’accomplissement importe autant au succès de la colonie.

Plus on réfléchira aux conditions fondamentales dont dépend le développement de toute société, et plus on reconnaîtra que la garantieabsolue de la propriété individuelle est la première et la plus essentielle, celle sans laquelle les autres ne sont rien, celle qui à la rigueur suppléerait toutes les autres. Quelles que soient, d’ailleurs, les institutions civiles et politiques d’un pays, là où la propriété privée est inviolable, on peut compter que là il y a des éléments de prospérité.

Et c’est une grande erreur de croire que le respect de la propriété individuelle n’est nécessaire qu’aux vieilles sociétés, et non à des sociétés naissantes, telles que les colonies nouvelles. Il serait plus juste de dire que, dans une société qui se forme, la propriété a plus encore besoin d’être inviolable que dans une société depuis longtemps existante ; car, ce qu’il est urgent pour une terre de posséder, ce sont des habitants, et les habitants ne vont et ne restent que là où le principe de la propriété est solidement établi. Sans doute, nul Français n’abandonnerait la France, parce qu’une loi moins protectrice des droits de la propriété y serait mise en vigueur ; mais qui ira en Afrique, oùl’on veut attirer les populations, si la propriété n’y est pas solidement garantie ? La propriété en Afrique n’a-t-elle pas d’autant plus besoin d’une protection légale toute puissante, au milieu de ces circonstances extraordinaires, toujours renaissantes, qui semblent légitimer le recours à des procédés exceptionnels, et qui cependant ne font pas naître un seul attentat à la propriété individuelle qui ne soit un coup fatal porté à l’existence même de la colonie ?

Il faut bien considérer ceci : c’est que les garanties de la propriété importent beaucoup plus aux colons que celles de la liberté individuelle. Les émigrants appartiennent d’ordinaire à une race d’hommes entreprenants, aventureux, accoutumés à risquer leur vie, et qui feraient encore bon marché d’une atteinte portée à leur liberté. Mais la propriété, pour eux, c’est le mobile même qui les a fait émigrer, c’est le sujet de leurs passions, c’est tout l’intérêt de leur vie ; affaiblir le droit de propriété dans la colonie, c’est émousser le stimulant de l’émigration.

Parce qu’on voit souvent le principe de la propriété précaire dans les colonies naissantes, on en conclut quelquefois qu’il en doit être, ainsi toujours. L’on reconnaîtrait, si l’on y regardait de près, quec’est un accident et non un mal nécessaire ; on verrait que cet accident, quand il se produit dans un établissement nouveau, suffit pour en expliquer la langueur et enfin la ruine ; de même que le fait contraire, c’est-à-dire le respect absolu de la propriété établi tout d’abord dans une colonie, suffit pour expliquer son merveilleux développement. C’est là, qu’on en soit bien sûr, le grand secret de la supériorité des Anglais sur nous dans l’art de la colonisation. Quand on approfondit les causes de la prospérité singulière des colonies anglaises et américaines, on est tout surpris de voir que ce que l’on attribue généralement à une politique profonde et à d’habiles calculs, n’est que le résultat d’un principe de la loi civile, appliqué dans la colonie comme dans la métropole : celui qui fait de la propriété une chose sainte et inviolable. Et ici une remarque importante doit être faite, c’est que la protection de la propriété réside, non dans la déclaration de son principe, mais bien dans les garanties qui assurent l’exécution de ce principe. Il n’y a pas dans le monde de pays un peu civilisé oùle principe de la propriété ne soit établi solennellement dans les lois. Pourquoi donc lapropriété est-elle possédée sûrement dans certains pays, tandis que, dans d’autres, elle est fragile dans les mains du maître ? Toute la différence vient de ce que, chez les uns, les querelles que peut faire naître le droit de propriété sont portées devant le juge du droit commun, c’est-à-dire devant le juge en qui l’on a confiance, tandis que, dans les autres, elles sont déférées à un tribunal d’exception qui, fût-il plus éclairé, est justement suspect. Toute la différence, c’est qu’ici l’indemnité préalable doit toujours précéder l’expropriation pour cause d’utilité publique, tandis que, là, c’est l’expropriation qui précède l’indemnité ; toute la différence, c’est que, dans un lieu, l’indemnité est fixée par le juge du pays, tandis que, dans l’autre, c’est un tribunal spécial qui la détermine. En un mot, le droit est partout déclaré le même, mais il existe ou n’existe pas, suivant qu’on lui donne ou qu’on lui refuse une sanction.

Votre Sous-Commission a, sans doute, admis que, sur quelques points, un certain nombre de dispositions qui dans la loi française régissent aujourd’hui le droit de propriété demanderaient, pour être appliquées en Afrique, quelques modifications : par exemple, certains délais établis dans la loi d’expropriation, certaines formes dans les enquêtes préalables, le jury appliqué aux expertises, etc. ; mais, à part ces détails d’une importance secondaire, quoique très grande sans doute, votre Sous-Commission a été unanime à adopter, comme bases fondamentales du droit de propriété en Afrique, sur le territoire de colonisation, les trois principes généraux qui suivent :

[Principes généraux en matière de propriété.] 

1° Attribution aux tribunaux du droit commun de toutes les questions de propriété, conformément aux lois françaises ;

2° Nécessité d’une indemnité préalable en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique, et fixation de cette indemnité par le juge ordinaire ;

3° Remboursement en capital de la chose expropriée, dans tous les cas où l’exproprié l’aura lui-même acquise en capital ou l’aura créée par un capital dépensé.

Votre seconde Sous-Commission, avant de poser ces principes, s’est justement préoccupée des objections qu’ils pouvaient faire naître. Illui a semblé que les principales raisons que l’on a coutume d’invoquer, pour adopter en Afrique des règles d’expropriation autres qu’en

France, sont celles-ci :

[Expropriation.La nécessité absolue, pour l’administration et l’armée, d’occupersubitement, et sans entraves possibles, les édifices et les terrains nécessaires au service public, et quelquefois à la vie même du soldat ; nécessité impérieuse surtout dans les pays nouvellement conquis, oùl’administration ne possède rien, où l’intendance n’a pas une maison, pas un abri, et où tout est à créer ;

Les inconvénients, les dangers même des retards qu’occasionnerait le respect des formes judiciaires, la lenteur attachée au règlement d’une indemnité préalable devant le juge ordinaire, l’égoïsme, la cupidité des colons, qui, en présence des embarras de l’administration et de l’armée, ne songent qu’à spéculer sur la misère publique et à rançonner le trésor de l’État.

Votre Sous-Commission, Messieurs, tout en comprenant ce que ces objections peuvent avoir de sérieux, n’a pas pensé qu’elle dût s’y arrêter.

Et d’abord elle vous prie de considérer qu’elle ne vous propose l’établissement du droit commun, en matière de propriété, et notamment en matière d’expropriation, que pour le territoire de colonisation et pour les propriétés dûment consolidées et constituées sur ce territoire. Que suit-il de là ? C’est qu’en fait le principe ne sera en vigueur qu’à Alger et dans les environs, c’est-à-dire là où tous les premiers et les plus urgents besoins de l’armée et de l’administration sont déjà à peu près satisfaits. Partout ailleurs, sur les nouvelles terres qu’envahit notre armée, le séquestre, l’occupation temporaire ou l’expropriation se feront, soit suivant les lois de la guerre, soit d’après les règles d’un droit exceptionnel. Or, comme on ne peut guère songer à coloniser que là où l’on est déjà établi depuis quelque temps, il s’ensuit qu’en général les premières difficultés de l’établissement seront surmontées avant que les entraves du droit commun en matière d’expropriation viennent se faire sentir.

Ainsi on voit que, dans le système de la seconde Sous-Commission une loi spéciale d’expropriation serait toujours en vigueur dans toute l’Algérie, excepté dans le territoire de colonisation, soumis au droit commun de France.

À la vérité, même en bornant la faveur du droit commun en cette matière au territoire de colonisation, il en résultera quelquefois, on ne saurait le contester, des gênes pour les services publics, des embarras pour l’administration, des privations même pour l’armée.Ceci est vrai ; mais toute la question est de savoir si, à défaut de cette garantie, la colonisation prospérera en Afrique, et si le non-succès de la colonisation n’amènera pas des maux plus grands que ceux que l’on veut guérir.

On conçoit que l’administrateur, que le général qui souffre d’un mal présent, qui a un besoin urgent d’une maison pour enfermer ses fourrages, de mulets pour porter ses convois, d’un terrain pour bâtir un hôpital, déclare impossible d’exproprier régulièrement le propriétaire du champ, des mulets, de cette maison. Si cependant ses réquisitions violentes et ses actes d’expropriation préalable ont pour résultat d’éloigner les colons présents et d’empêcher la venue des autres, il aura fait une chose à la vérité utile dans le moment présent, mais funeste dans l’avenir, et son expédient ne sera plus seulement fatal à la colonie tout entière, il nuira encore très directement à l’armée, dont les besoins ne peuvent être satisfaits et les misères combattues que par l’établissement d’une population civile. L’homme d’État regarde les choses de plus haut et porte plus loin sa prévoyance. Il sait tout ce qu’il y a de fécond dans le principe de la propriété, et, plutôt que de le laisser enfreindre, il accepte des maux dont le remède le plus efficace se trouvera bientôt dans le développement même de la colonisation, dont le principe de la propriété est l’âme.

C’est ainsi qu’en s’interdisant une ressource passagère, empruntée à la violation d’un droit individuel, et en prouvant que le droit de propriété privée est supérieur à toutes les exigences, quelque impérieuses qu’elles soient, du service public, il fera une chose fécondepour la colonie, utile en somme aux intérêts de l’État, sur qui cette colonie pèse, et très profitable à l’armée elle-même, dont le bien-être matériel est si étroitement lié au développement, en Afrique, de la population agricole.

Il juge du même point de vue les colons et leurs vices. On éprouve peu de sympathie pour le colon qui, en Afrique, au milieu de la détresse commune, voit sans pitié les maux de l’armée ou les embarras de l’administration, et qui, se renfermant dans son égoïsme et dans son droit, demande un prix exorbitant de ses denrées, de son champ, de sa maison, jugés nécessaires au service public.

Mais il ne faut pas juger de pareils actes en moraliste. La question, pour l’homme politique, est celle de savoir s’il faut ou non des colons en Afrique ; s’il n’est pas de la nature même de ces colons d’être intéressés et cupides ; si nos passions égoïstes de la propriété, nuisibles dans tel ou tel cas particulier, ne seront pas, en somme, fécondes pour le bien général de la colonie ; si, par un procédé acerbeenvers le plus indigne colon, on n’empêche pas la venue de tous ceux dont on a un besoin absolu, et, par conséquent, si, pour faire à l’armée un bien passager, ou pour rendre à l’administration un service accidentel, on ne cause pas à l’une et à l’autre un mal permanent.

Il arrive quelquefois à ceux qui gouvernent l’Afrique de se faire, sur le point de départ, une très grande illusion. Ils se persuadent qu’ils ont sous la main une population européenne toute venue, prête à accepter tous les régimes qu’on voudra bien lui offrir, et qui y demeurera, quelques conditions qu’on lui fasse. Cependant cette population n’existe point en Afrique, du moins quant à présent ; elle n’arrive qu’avec une lenteur désespérante : beaucoup viennent qui n’y restent pas. Il s’agirait donc de l’attirer et de la retenir ; il y a urgence, car il y va du salut même de la colonie. Or c’est ce que l’on n’obtiendra pas, si l’on n’imprime pas à l’opinion publique en France et en Afrique cette conviction qu’il y a dans la colonie un droit de propriété aussi solide et aussi sacré que dans la métropole.

Votre seconde Sous-Commission, Messieurs, n’ajoutera rien de plus ici touchant le droit de propriété en Algérie : elle aurait à présenter encore plus d’une considération générale sur ce grave sujet, mais elle a dû viser d’autant plus à se restreindre sur ce terrain, qu’une autre l’explorait en même temps qu’elle, et que celui qui lui reste à parcourir seule est plus difficile et plus étendu.

[SOCIÉTÉ POLITIQUE. Organisation du gouvernement.] Nous venons d’exposer les éléments civils dont se composera la colonie. Nous avons vu quelle y sera la condition des Français et des étrangers ; quel sort y retiendra les indigènes, par quels principes la propriété sera régie. Maintenant, comment cette société sera-t-elle gouvernée ? Par quels moyens, suivant quelles formes l’État, à qui est confié le soin de maintenir la police, l’ordre, la sûreté publique, accomplira-t-il sa tâche ? Comment les citoyens, qui possèdent de certains droits naturels, et à qui la loi civile en reconnaît d’autres, défendront-ils ces droits, si on les leur contestait ?

[De quel pouvoir doit émaner la loi.] Et d’abord, avant de rechercher quel gouvernement doit être donné à l’Afrique, une première question se présente : de quel pouvoir doit émaner l’organisation du gouvernement ? Est-ce d’une loi, œuvre du Roi et des deux Chambres ? Est-ce d’une simple ordonnance ? Est-ce d’un arrêté ministériel ? Est-ce du pouvoir résidant sur les lieux, c’est-à-dire du gouverneur général ?

[Faut-il qu’elle émane des pouvoirs législatifs.] Le premier besoin de toute société, c’est d’avoir un état stable, et, par conséquent, une règle fixe. Or il n’existe de règle solide et durable que celle qui réside dans une loi. Et pourquoi l’Algérie, où il n’y a que des hommes libres, ne serait-elle pas régie par les pouvoirs parlementaires, lorsque la garantie des lois est accordée aux colonies à esclaves ? S’il ne peut être satisfait que par des ordonnances et par des règlements passagers aux besoins accidentels et quotidiens de l’Algérie, ne faut-il pas, du moins, lui donner d’abord une première organisation dont une loi soit la base ? Bien pénétrée de ce qu’aurait d’efficace pour l’Afrique cette base première, si elle était solidement posée, votre Sous-Commission eût été heureuse, Messieurs, de pouvoir vous demander d’établir en principe la nécessité d’une loi pour l’organisation du gouvernement en Afrique. Cependant, après une mûre réflexion, elle a pensé que l’intervention du pouvoir parlementaire, si désirable en cette matière, serait aujourd’hui prématurée. L’Afrique est, pour le législateur, un terrain nouveau, peu connu, très différent de la France dans certaines parties, et que l’on croit encore plus dissemblable qu’il ne l’est réellement. Peut-on entreprendre de régler avec la permanence de la loi des questions qui sont douteuses ou paraissent telles, et pour la solution desquelles on attend les conseils de l’expérience ? N’est-il pas à craindre que, dans un tel état de choses, toute discussion sur ce sujet, au sein des Chambres, fût inopportune, stérile et peut-être dangereuse ? Tout est à créer en Afrique, et il y a urgence. Cependant les Chambras répugneront à sanctionner des dispositions qui leur paraîtront hasardées ; toute proposition non adoptée par elles, faute d’être bien comprise, semblera condamnée, et l’on arrivera ainsi à retarder le progrès que l’on veut hâter. Il ne faut pour les Chambres que des questions mûres ; la législature n’interviendra utilement pour régler l’Algérie que lorsqu’il ne s’agira plus que de convertir en lois des institutions existantes de fait et dont le bienfait aura été reconnu : ainsi l’on a fait pour les colonies à esclaves. Des ordonnances royales y ont successivement mis en vigueur les dispositions qui plus tard ont été converties en lois.

D’un autre côté, après avoir reconnu l’inconvénient de demander à une loi l’organisation du gouvernement en Afrique, on ne saurait méconnaître qu’une simple ordonnance, révocable au gré du ministre, n’offrirait à la colonie aucune garantie de stabilité ; et, s’il est désirableque l’état de choses qui aura été créé puisse être modifié sans qu’il soit besoin de recourir au mécanisme compliqué du régime constitutionnel, d’un autre côté, on tomberait dans un mal pire, si la facilité de changer l’ordre établi était destructive de toute durée et de toute sécurité. Il nous a semblé, Messieurs, que le double inconvénient qui vient d’être signalé, résultant, soit d’une loi trop difficile à changer, soit d’une ordonnance trop facile à détruire, disparaîtrait, au moins en grande partie, si l’Algérie était organisée en vertu d’une ordonnance royale rendue sous la forme d’un règlement d’administration publique, c’est-à-dire avec le concours obligé du Conseil d’État.

[Ordonnance sous la forme d’un règlement d’administration publique. Quels objets pourraient être réglés par une ordonnance rendue sous cette forme.] Cette ordonnance, rendue dans cette forme, et à laquelle il ne pourrait être dérogé que par une ordonnance pareille, serait la charte de l’Algérie, et notamment des territoires destinés à la colonisation. Du reste, elle ne réglerait que les matières générales et permanentes de leur nature : ainsi elle dirait quelles seraient, dans la colonie, les lois civiles, les lois criminelles et pénales, les lois organiques de la justice, du régime municipal, du commerce et des douanes ; en un mot, toutes les lois qui affectent l’état général des personnes et des propriétés. D’autres matières, générales aussi de leur nature, mais pour lesquelles un contrôle plus direct et plus fréquent du pouvoir exécutif peut être nécessaire, seraient régies par de simples ordonnances : par exemple, l’organisation administrative, l’instruction publique, les cultes, l’organisation et le service des milices. Enfin, les règlements qui seraient à faire, ou les décisions qu’il faudrait prendre pour l’exécution des principes posés, seraient l’œuvre, soit du ministre, soit du gouverneur général, procédant par arrêtés ; du ministre, s’il s’agissait de mettre en vigueur une règle de centralisation ; du gouverneur général, si c’était à l’exécution locale qu’il fallût pourvoir. Ces distinctions ne sont point arbitraires. Pour faire le départ des objets qui appartiennent au règlement d’administration publique, et de ceux qui rentrent dans la sphère des simples ordonnances et des arrêtés, nous n’avons pas été dirigés seulement par l’examen de leur nature même ; nous avons trouvé d’utiles indications sur ce sujet dans la loi du 24 avril 1833, qui organise le régime législatif des colonies. Cette loi nous a paru établir une sage classification des objets qui doivent naturellement être placés sous l’empire de la loi, et de ceux qui appartiennent au domaine de l’ordonnance. C’est précisément celle que nous avons indiquée tout à l’heure, avec cette seule modification, que ce qui, dans les colonies, est régi par la loi, nous le plaçons, en Afrique, sous l’empire d’un règlement d’administration publique ; en Afrique, comme aux colonies, les mêmes objets seraient régis par une simple ordonnance royale.

[Garantie contre la violation de l’ordonnance.] Mais ce serait peu de poser ces principes, si les pouvoirs chargés de les appliquer pouvaient les violer à leur gré. De quelle valeur serait meilleure institution, s’il dépendait des agents de la supprimer ? À quoi servirait d’établir telles ou telles règles, soit dans la société civile,soit dans le gouvernement, si ces règles pouvaient être arbitrairement changées par le pouvoir exécutif lui-même ? L’ordonnance royale du 22 juillet 1834, organique du gouvernement de l’Algérie, porte bien que toutes les mesures d’un ordre général devront se faire par ordonnances, ce qui serait déjà une garantie. Tel est le principe légal : cependant, en fait, les dispositions les plus considérables, affectant l’état général et permanent des personnes et des propriétés, sont chaque jour prises par le gouverneur général de l’Algérie en opposition à la législation existante. Sans cesse, il lui arrive de changer arbitrairement la loi de douanes, de modifier la loi d’expropriation, de créer des pénalités exorbitantes d’amendes et d’emprisonnements. Tel est enfin l’usage qu’il fait du pouvoir législatif que, s’il lui plaisait un jour de porter la peine de mort contre toute contravention de simple police, il serait difficile de lui contester son droit. Comment en est-il venu là ? Parce que l’article 5 de la même ordonnance du 22 juillet 1834 lui remet le pouvoir, en cas d’urgence, de promulguer, par voie d’arrêtés, ce qu’un instant auparavant elle déclarait ne pouvoir être fait que par ordonnance, et que, faisant de l’exception la règle, le gouverneur s’est habitué à résoudre toutes les questions législatives au moyen de la déclaration d’urgence, devenue une formule banale dans les arrêtés du gouverneur de l’Algérie, comme elle l’avait été jadis dans les lois du Directoire. On ne saurait dire qu’en agissant ainsi le gouverneur viole l’ordonnance de 1834, mais certainement il en abuse ; et, s’il n’en fausse pas l’esprit, on doit reconnaître que cette ordonnance elle-même a faussé la loi. En effet, l’article 25 de la loi du 24 avril 1833 porte textuellement que les établissements français en Afrique seront régis par des ordonnances du Roi, et voici qu’un simple article d’ordonnance a pour effet de transporter au gouverneur d’Alger toute la puissance législative que la loi attribuait au Roi seul. C’est absolument comme si l’ordonnance disait : « L’article 25 de la loi du 24 avril 1833 est abrogé ; désormais tout ce qui concerne l’Algérie sera régi pararrêtés du gouverneur, au lien d’ordonnances royales. » Si tel n’est pas le sens de l’ordonnance royale de 1834, alors c’est le gouverneur qui en viole l’esprit.

On ne saurait le méconnaître, il règne dans les pouvoirs qui donnent des lois à l’Afrique la plus étrange confusion. Cette puissance législative, que le Roi seul devrait exercer par ordonnances, tantôt c’est le gouverneur général qui s’en empare, sous le prétexte de l’urgence, tantôt c’est le ministre lui-même qui l’usurpe sous forme d’arrêtés ! Ainsi, qui le croirait ? ces pouvoirs exorbitants dont le gouverneur général est investi, et en vertu desquels il fait expulser de la colonie qui bon lui semble sans motiver sa décision, sans appel, ce n’est pas une ordonnance royale, mais un simple règlement du ministre qui le lui confère ! (Art. 15 de l’arrêté du 1erseptembre 1834.) Et non seulement l’ordre des pouvoirs est confus et incertain, mais il s’y rencontre quelquefois les plus étranges anomalies : telle autorité que l’on voit investie d’une attribution exorbitante manque quelquefois du pouvoir qui est le plus dans sa nature. Ainsi, en même temps qu’on laisse le gouverneur de l’Algérie résoudre par arrêtés, et souverainement, les questions les plus générales et qui sont les plus centrales de leur nature, il arrive souvent qu’on lui conteste le droit de faire les actes les plus simples d’administration locale ; et, quand on ne les lui interdit pas, on ne les lui permet que sous la direction et la tutelle du ministère. Le gouverneur est ainsi laissé libre dans la sphère où il aurait besoin d’être conduit, et gêné là où il devrait être indépendant. C’est à Paris que la règle législative doit être posée ; au pouvoir résidant à Alger appartient l’exécution : en fait, il arrive, le plus souvent, que c’est l’autorité locale qui gouverne et le pouvoir central qui administre. Ainsi c’est le gouverneur d’Alger qui décrète d’urgence l’arrêté d’expropriation pour cause d’utilité publique ; qui forme la loi de la colonie (arrêté du 9 décembre 1841). Un arrêté réglementaire est nécessaire pour l’exécution de l’article 23 de cette loi ; cet arrêté, c’est le ministre qui le fait (arrêté du 15 janvier 1842) : ainsi le ministre réglemente en vertu du principe posé par le gouverneur d’Alger.

[Dans quels cas les arrêtés d’urgence seront valables ou nuls.] Un pareil état de choses ne saurait être maintenu ; et d’abord il est nécessaire de poser la barrière que le gouverneur, dans sa capacité législative, ne pourra dépasser. Il doit donc être décrété expressément que tout arrêté du gouverneur, qu’il porte ou non la mention d’urgence, dont les dispositions affecteraient l’état général des personnes et des propriétés, en opposition aux principes de l’ordonnance organique de l’Algérie, serait nul de plein droit. Ainsi, pour citer quelques exemples, lorsque l’ordonnance organique aurait proclamé le principe que, sur le territoire de colonisation, la propriété est régie par la loi civile de France et par notre droit commun en matière d’expropriation, le gouverneur ne pourrait, de son chef, établir un autre droit en cette matière, ni, par conséquent, rien promulguer d’analogue à son arrêté du 9 décembre 1841 ; et, s’il le faisait, son acte ne serait d’aucune valeur. Il ne pourrait pas non plus, après que les règles de nos rapports commerciaux auraient été posées entre les indigènes et le territoire de colonisation, prendre l’arrêté du 17 août 1841, qui interdit d’urgence l’exportation des laines. De même, après que la même ordonnance aurait mis en vigueur, sur le territoire de colonisation, les lois criminelles et pénales de France, il ne pourrait être prononcé par les tribunaux de l’Algérie d’autres peines que celles résultant de quelqu’une de ces lois ; et, par conséquent, le gouverneur ne pourrait pas prendre l’arrêté du 14 juin 1841, par lequel il décrète une peine de trois mois à deux ans d’emprisonnement, avec faculté d’élever jusqu’au double, en cas de récidive, contre quiconque, ayant été expulsé par lui de la colonie, y reparaîtrait ; et si, en dépit de la limite légale ainsi apportée à son pouvoir, il passait outre, ses arrêtés expireraient devant le pouvoir judiciaire, qui, en appliquant ses arrêtés illégaux, se rendrait complice d’un excès de pouvoirs.

Mais s’il est nécessaire de prévenir, par une disposition formelle, les usurpations du pouvoir local, il importe aussi de ne pas désarmerce pouvoir des moyens d’action extraordinaires dont il peut avoir besoin. Il peut se rencontrer, en effet, et en dehors de toutes les prévisions humaines, de certains cas de véritable urgence, qui rendent nécessaire le recours à quelques procédés irréguliers ; et il serait dangereux que, dans une telle circonstance, l’impossibilité absolue de s’écarter de la forme légale fît obstacle à une mesure indispensable de salut public. Maintenant, comment, après avoir interdit au gouverneur toute dérogation aux principes de l’ordonnance, pourra-t-on l’autoriser à y contrevenir quelquefois ? Ne va-t-on pas faire revivre le même mal que l’on vient de combattre ? Si un seul cas d’exception est introduit, ne deviendra-t-il pas bientôt la règle, et ne sera-ce pas comme si l’on effaçait d’un seul trait les principes que l’on vient de poser ?

La difficulté existe, sans doute, mais moindre au fond qu’elle ne paraît. Et d’abord, il ne s’agit pas d’affaiblir en rien le principe établi tout à l’heure, suivant lequel nul arrêté d’urgence ne saurait affecter l’état général et permanent des personnes et des propriétés. Ce principe doit être maintenu dans son entier et n’admettre aucune exception. Si donc une dérogation au droit commun de la colonie se fait par arrêté, la première condition, pour la validité de cet arrêté, c’est qu’il soit spécial à telle ou telle personne, à telle ou telle chose. Ainsi, par exemple, le gouverneur ne pourra pas, par arrêté, prendre une disposition générale qui change, soit les droits civils ou les droits municipaux, soit les droits politiques ou commerciaux de tous les habitants ou d’une catégorie d’habitants. Mais il pourra, par un arrêté d’urgence, interdire à tel ou tel individu désigné l’usage de tel ou tel droit. Il ne pourra pas soumettre les propriétés en général à un autre régime que celui qui aura été établi ; mais, par un arrêté d’urgence, il pourra atteindre d’une décision exceptionnelle telle ou telle propriété déterminée, meuble ou immeuble ; et, comme l’extensionindéfinie des cas particuliers ferait revivre tout le danger des prescriptions générales que l’on interdit, une double garantie nous a paru nécessaire à offrir contre l’abus qui pourrait être fait des arrêtés spéciaux. La première consisterait à exiger que tout arrêté d’urgence affectant un droit privé fût motivé ; et la seconde, que cet arrêté, provisoirement exécutoire, eût besoin, pour se maintenir plus de deux mois après sa date, de l’approbation du gouvernement central ; de telle sorte que si, dans l’intervalle, il n’avait reçu cette approbation expresse et officiellement publiée dans la colonie, il fût caduc et nul de plein droit. Et ici une observation importante est à faire : l’approbationdonnée par le ministre à l’acte d’urgence du gouverneur n’aura pas pour conséquence de transformer cet acte illégal en un acte parfaitement régulier. Le sens de cette approbation sera de faire durer un acte exceptionnel qui, autrement, eût été caduc, et elle aura cet autre effet que le ministre en prendra sur lui toute la responsabilité, comme un ministre assume la responsabilité d’un fait qu’il sait contraire aux lois, mais qu’il a jugé nécessaire à l’intérêt du pays. Ce sera une nouvelle garantie contre l’abus qui serait fait des arrêtés spéciaux ; car, autant la responsabilité sera légère dans le cas d’urgence réelle et de véritable nécessité, autant elle pourrait être grave si l’urgence et la nécessitén’étaient pas justifiées.

Avec un ensemble de pareilles dispositions, l’empire des lois générales ne serait plus à la merci du gouverneur, qui, cependant, ne perdrait pas un seul des instruments d’autorité qui lui sont nécessaires.

[Comment l’administration de l’Algérie doit-elle être organisée ?] Après avoir dit de quelle autorité doit procéder l’organisation du gouvernement, votre Sous-Commission examine comment, au fond, il convient que cette organisation soit faite.

Comment doit être organisée l’administration centrale résidant à Paris ?

Comment le pouvoir en Afrique ?

Quelle doit être, sur le territoire de colonisation, l’organisation municipale ?

Quelle doit y être l’organisation judiciaire ?

Dans quels cas doit-on appliquer quelques-unes des institutions du territoire de colonisation à de certaines localités non comprises dans ce territoire ?

Dans quelles circonstances le régime légal du territoire de colonisation peut-il être suspendu, pour être remplacé par un régime exceptionnel ?

L’examen complet de ces questions et de toutes celles qui s’y rattachent, conduirait à une discussion sans limites. Votre Sous-Commission n’a pas besoin de vous dire, Messieurs, qu’elle ne s’est attachée qu’aux plus générales : elle a seulement eu en vue de poser les principes essentiels qui doivent servir de base aux institutions jugées nécessaires. Et comme, ainsi qu’elle l’a dit plus haut, parmi ces institutions il en est qui doivent être fixées par un règlement d’administration publique, et d’autres par simples ordonnances, elle a, en général porté son attention sur les premières, c’est-à-dire sur celles qui, devant durer plus longtemps, ont plus besoin d’être mûries.

Et d’abord, comment doit être organisée l’administration locale ?

[Organisation du gouvernement central.] Cette question en comprend deux très distinctes :

1° De quelle nature doit être l’autorité centrale chargée de gouverner l’Afrique ?

2° Quelles doivent être les attributions de cette autorité ?

Sur la seconde question, déjà touchée plus haut par nous, nous ne dirons qu’un mot. Le pouvoir central, quel qu’il soit, chargé de diriger l’Algérie, doit gouverner et non administrer : c’est là la règle qui doit fixer ses attributions. Ce n’est pas qu’il fût difficile de faire de la centralisation en Afrique comme en France, car l’Afrique est aujourd’hui, en réalité, à six jours de Paris ; mais, toutes les fois qu’il n’y a pas une nécessité absolue pour le pouvoir central d’intervenir dans l’administration de l’Algérie, il doit s’en abstenir : nous en avons déjà donné les raisons. Si une centralisation excessive nuit au développement des vieilles sociétés, elle étouffe dans leur berceau celles qui ne font que naître.

Le règlement des attributions du pouvoir central, à côté duquel se place nécessairement celui des attributions du pouvoir local, est, du reste, une question ministérielle de sa nature, et dont la solution appartient, comme nous l’avons déjà dit, à la simple ordonnance.

Nous ne nous étendons pas davantage sur ce sujet, et nous en venons tout de suite à la première question, qui est la question principale, celle de savoir comment doit être organisé le pouvoir chargé de la direction centrale de l’Algérie ; en d’autres termes, si cette administration doit être civile ou militaire.

[L’administration centrale doit-elle être civile ou militaire ?] Sur ce point, Messieurs, votre seconde Sous-Commission éprouve d’abord le besoin de vous faire connaître qu’elle ne se croit pas compétente pour vous proposer une solution immédiate. Elle croit que de grands inconvénients, et même de graves périls, seraient attachés à la continuation de l’état de choses existant. Elle exposera tout à l’heure avec sincérité, et sans sortir de la mesure qu’elle doit garder, les changements qui lui paraissent désirables ; mais à ses yeux le gouvernement seul est compétent pour juger le moment où de pareils changements peuvent recevoir leur exécution. Il y a une question d’organisation mais aussi une question d’opportunité : nous ne dirons rien de celle-ci parce que nous n’en tenons pas les éléments entre nos mains. Nous nous bornerons donc à exposer nos vues sur la première.

Votre seconde Sous-Commission n’a pas besoin, Messieurs, de vous déclarer qu’en traitant cette question, elle s’est placée à un point de vue tout général et complètement étranger à toutes considérations de personnes ou de circonstances. Elle avait besoin de s’affranchir de toute préoccupation de cette nature : le mal qui tient à tel ou telhomme, à tel ou tel accident, n’est rien aux yeux de ceux qui ont des institutions à fonder ; il en est de même du bien. Votre Sous-Commission n’a pas à rechercher si, en fait, l’Algérie est bien ou mal conduite aujourd’hui par le ministère de la guerre. Quand même elle verrait sous ses yeux un ministre de la guerre réunissant le génie de l’homme d’État aux plus grandes vertus guerrières, cela ne résoudrait pas la question. Ce qu’elle doit examiner, c’est si, en principe, il est bon ou mauvais de remettre l’Afrique à une administration militaire. Elle suppose la question toute neuve, se présentant pour la première fois. Il s’agit d’organiser l’administration de l’Algérie : à quel ministère la remettra-t-on ? Sera-ce à un ministère civil ou militaire ? ou faut-il créer pour elle une administration spéciale, distincte des autres ministères ?

Il est un point, Messieurs, sur lequel votre seconde Sous-Commission est tout aussitôt tombée d’accord, c’est la nécessité de ne remettre le gouvernement de l’Afrique qu’à une administration où domine un esprit civil. Ceci est la condition première du succès de la colonisation. Un gouvernement exclusivement inspiré de l’esprit militaire a pu convenir à l’Afrique aussi longtemps que la guerre a été tout en Afrique, et la guerre y était tout quand tout y était à conquérir ; mais, du jour où l’Algérie est pour la France autre chose qu’un champ de bataille ; du jour où, sur une partie du sol conquis, on peut fonder une société civile, il faut absolument que le gouvernement prenne, au moins dans une certaine mesure, un caractère analogue au but nouveau qu’on se propose.

L’attribution de l’Algérie à une administration, soit militaire, soit civile, est chose extrêmement grave comme déclaration de principe ; ce principe régit le sort tout entier de l’Afrique, et il a des conséquences nécessaires que l’on combattrait vainement. Si l’Afrique est remise à une administration militaire de sa nature, vainement le chef de cette administration voudra, dans le gouvernement de l’Algérie, faire prévaloir des règles de gouvernement civil. Il luttera inutilement contre les conséquences du premier principe posé. De même, si c’est à une administration civile que l’Afrique est donnée, l’influence de ce point de départ prévaudrait contre l’esprit accidentellement militaire des agents. Toute administration est animée d’un certain espritqui lui est propre, et qui dépend de son principe. Croit-on qu’il fût sage de demander habituellement l’esprit du gouvernement civil au ministère de la guerre ? Voilà toute la question.

La commission d’Afrique de 1834, examinant cette question, déclarait que, si on donnait le gouvernement de l’Afrique au ministère de la guerre, ce serait imprimer à notre présence en Algérie le caractère d’une occupation militaire[2]. Votre seconde Sous-Commission est tout à fait du même avis. Et, pour penser ainsi, elle a bien plus de motif en 1842 qu’on ne pouvait en avoir en 1834 ; car, depuis cette époque, beaucoup de questions de guerre ont été résolues, et l’on est aujourd’hui plus à même de juger si la guerre, nécessaire en Afrique, pour détruire, serait puissante à y rien fonder.

Plus on réfléchit sur les difficultés que rencontre notre établissement en Afrique, plus on est amené à reconnaître qu’un de nos plus grands périls, c’est que nous y fassions la guerre pour la guerre. Tout en Afrique pousse à la guerre, indépendamment même des causes d’hostilité qui existent entre le conquérant et le pays conquis : l’ambition, d’ailleurs très honorable, des officiers, dont la guerre est tout l’espoir ; celle des généraux, qui peuvent presque toujours la décider ou la provoquer ; l’ennui profond des garnisons d’Afrique, qui n’a plus de compensation si la guerre ne vient point offrir ses chances de récompense et d’avancement ; quelquefois enfin, l’aiguillon des passions moins nobles, la cupidité de ceux qui trouvent dans la guerre, dans les grands frais qu’elle nécessite, des occasions de marchés plus ou moins légitimes. Pour résister au courant formé par toutes ces sources de guerre, il faudrait une digue puissante : croit-on qu’ellepuisse se trouver dans une administration dont la guerre est, en somme, l’élément principal ?

Assurément, ce serait commettre une grande erreur que de croire que le moment est venu de ne plus faire la guerre en Algérie. Malheureusement, la guerre y sera longtemps encore l’état plus qu’habituel ; alors même qu’on n’y fera plus de grandes et continuelles expéditions, il en faudra souvent de petites, et, quand on ne fera pas la guerre, on devra toujours être prêt à la faire. L’armée est et sera longtemps encore le seul bouclier de la colonie. Mais la question n’est pas de savoir si le pouvoir qui administre l’armée doit être chargé aussi de gouverner la colonie. Si le soin de diriger la colonie était remis à un autre pouvoir, l’armée ne cesserait pas d’être puissante en Afrique, puisque sans elle rien ne s’y pourrait faire. Mais elle serait conduite, au lieu de tout conduire ; elle serait le bras, et non la tête ; elle serait ce qu’elle doit être partout où, après que l’on a détruit, on aspire à édifier.

De graves questions s’élèvent et s’agiteront longtemps encore sur le point de savoir quel système de gouvernement doit être suivi en Afrique, tant pour réduire les indigènes que pour les maintenir dans l’obéissance après qu’on les a soumis. Faut-il adopter le système agité, ou le système pacifique ? celui des grandes ou des petites expéditions, de l’offensive ou de la défensive ? Faut-il mener de front la colonisation et la guerre, ou terminer la guerre avant d’entreprendre la colonisation ? Le ministère de la guerre peut-il être, en général, juge impartial dans de pareilles questions ?

Sans doute, quand la guerre est résolue, lui seul peut et doit la conduire. Lui seul commandera les razzias, si le système des razziasest adopté ; lui seul dira comment doivent s’exécuter les grandes expéditions, si les grandes expéditions sont reconnues les meilleures. Mais la première question, c’est de savoir quel sera le système adopté ; question essentiellement politique, sur laquelle les militaires doivent être consultés, après la solution de laquelle ils doivent seuls agir, mais dont il est dangereux de les laisser juges.

Le ministre placé à la tête de l’administration de la guerre paraît bien résolu de coloniser l’Algérie en même temps que d’y continuer la guerre, et, à notre sens, il a complètement raison ; car, si l’on attendait, pour coloniser, que la guerre fût finie, quand coloniserait-on ? Et sur quoi repose notre conquête, tant qu’elle n’a pas pour base une population agricole ? Mais la volonté du ministre sera-t-elle assez puissante pour lutter contre le principe militaire, duquel, à la vérité, iltient ses pouvoirs sur l’Afrique, mais dont l’effet aussi est que, dans ce pays, l’armée est tout et la population civile rien ?

Si l’ordre de coloniser est donné à des officiers qui ne croient qu’à la guerre, peut-on espérer que ceux-ci exécuteront cet ordre avec le zèle, la confiance et la persévérance qui sont nécessaires au succès ?La colonisation ne saurait d’ailleurs, alors même qu’elle est ordonnée par un chef militaire, se passer d’agents civils ; or, c’est un fait qui se reproduit uniformément, que, partout où le pouvoir militaire prédomine à un certain degré, l’administration civile est frappée d’impuissance ; et c’est précisément ce qui arrive en Afrique, où les agentscivils sont placés vis-à-vis de l’armée dans un tel état d’infériorité que leur zèle est tari à sa source. Rien ne les excite à l’action, parce qu’ils ne rencontrent autour d’eux ni sympathie ni encouragements ; parce que rien n’est mis en usage pour aider leurs efforts, et parce qu’ilscraignent de se voir contester l’honneur même du succès ; parce qu’ils ne savent pas même si ceux qui les commandent désirent beaucoup d’être obéis : quelques-uns se retirent après avoir reconnu qu’ils ne peuvent rien faire ; les autres se résignent à leur impuissance et demeurent dans l’inaction. Ce n’est point avec de pareils instruments qu’on parviendra à jeter en Afrique les fondements d’une société civile. Mais si l’administration centrale de l’Algérie n’était pas confiée au ministère de la guerre, à quel ministère devrait-elle être remise ?

La commission d’Afrique de 1834 avait proposé d’attribuer cette haute administration à la présidence du conseil ; mais de très grandesdifficultés s’attacheraient à cette combinaison. Chacun comprend, en effet, si l’on adoptait ce système, à quelles variations, à quelles influences diverses, à quels déplacements matériels l’administration de l’Afrique serait sujette. Comme la présidence du conseil ne forme point, dans notre système constitutionnel, un ministère particulier, mais une simple prééminence d’autorité, tantôt attribuée à un ministère, tantôt à un autre, il s’ensuivrait que la direction de l’Algérie serait traînée de ministère en ministère, de la guerre à l’intérieur, des affaires étrangères aux finances, suivant le sort des combinaisons politiques, qui ferait tomber sur tel ou tel ministère le privilègede laprésidence. Un tel système nous a paru plein d’inconvénients.

Il y aurait sans doute de moindres difficultés à adjoindre le ministère de la guerre à un autre ministère civil de sa nature, tel que le ministère de l’intérieur, par exemple. Cependant, ici encore, une très grave objection subsisterait tout entière.

Le vice principal de l’administration centrale de l’Algérie n’est peut-être pas d’être conduite par le ministère de la guerre ; c’est d’être une appendice de ce ministère. Aujourd’hui, l’Algérie, dont l’importance est si grande, n’est qu’une affaire secondaire dans l’immense administration qui la dirige. De là naît un mal, qui serait le même quel que fût le ministère auquel l’Algérie fût annexée.

L’administration de l’Afrique constitue une grande affaire principale de sa nature, qui ne doit être l’accessoire d’aucune autre. Le véritable moyen de placer l’Algérie dans toutes les conditions d’une bonne administration serait de créer pour elle un ministère spécial,ou une direction séparée de lout autre ministère ; de mettre ainsi à sa tête un chef dont elle fût sinon l’unique, du moins le principal intérêt.

Peut-être le but serait-il également atteint si un nouveau ministère était formé par la réunion de l’Algérie et des colonies, que l’on distrairait du ministère de la marine. Cette réunion se justifierait par quelques bonnes raisons.

La première, c’est que, placée à côté des colonies, l’Algérie serait sinon supérieure, au moins égale en ordonnance à celles-ci, et, par conséquent, ne risquerait jamais d’être traitée comme un objet secondaire.

Une seconde raison se trouve dans la convenance qu’il pourrait y avoir d’unir sous une même direction deux choses également importantes, et qui, malgré des dissemblances nombreuses, ont plus d’un trait commun. L’administration des colonies, dans le moment où s’agite l’abolition de l’esclavage; la direction de l’Afrique, dans un temps où elle coûte 100 millions par an à la France, sont aujourd’hui, peut-être, les deux plus grandes affaires qui pèsent sur le gouvernement français : et ce ne sont pas seulement les plus graves ; ce sont aussi les plus épineuses et les plus délicates à traiter. Il y aurait plus d’un motif pour placer l’Algérie et les colonies dans la même main. Il est assez digne de remarque que, dans l’une comme dans les autres, il y a un état social à changer. Ici, des institutions à fonder; là, des institutions à détruire ou à réformer. Ce sont sans doute des travaux très différents, mais qui demandent des efforts à peu près semblables, et l’administration la plus capable de faire l’une de ces deux choses serait peut-être la plus propre à exécuter l’autre.

Mais, sur ce point, votre seconde Sous-Commission déclare encore, en finissant, comme elle l’a fait au début, qu’elle ne se croit point fondée à proposer des changements dont l’administration centrale peut seule juger l’opportunité. Elle reconnaît, elle constate le besoin, manifeste pour elle, que l’Algérie soit régie par une administration propre, animée d’un esprit civil : mais elle se borne à consigner ici son sentiment, dont elle ne vous propose point la formule législative.

[Organisation du gouvernement local.] L’organisation du gouvernement local fait naître beaucoup de questions, dont la principale est, sans contredit, celle de savoir quel doit être le gouverneur général de l’Algérie ?

 

[Le gouverneur de l’Algérie doit-il être civil ou militaire ?] Le pouvoir central porte son action dans la colonie par des agents divers, les uns militaires, les autres civils, ceux-ci chargés de pourvoir aux dépenses publiques, d’administrer suivant les lois, de rendre la justice ; ceux-là de commander l’armée placée sous leurs ordres, de pourvoir à son bien-être, et de s’en servir pour l’accomplissement des desseins de la métropole. Tous ces agents, civils et militaires, ont besoin d’un chef dans lequel vienne se résumer, sur les lieux, toute l’action du pouvoir central : ce chef c’est le gouverneur. Quel sera-t-il ? civil ou militaire. De quelle nature seront ses pouvoirs ? Sera-t-il un gouverneur militaire, ou un gouverneur civil ? On comprend toute la gravité de cette question ; car, quoi que l’on mette dans la loi ou dans les ordonnances, de quelque manière que l’on définisse ou que l’on règle les attributions des pouvoirs divers qui concourront au gouvernement de l’Afrique, l’autorité essentielle, fondamentale, et de laquelle dépend surtout le sort de la colonie, parce que c’est elle qui a l’action de tous les instants, cette autorité c’est celle du gouverneur général.

Quel que soit le principe qui ait présidé à l’organisation de l’administration centrale, qu’on l’ait animé d’un esprit civil ou militaire, on peut compter qu’en somme son esprit ne prévaudra que s’il setrouve en harmonie avec celui du gouverneur local.

On a vu tout à l’heure que le plus grand danger de l’Algérie c’est que l’on y fasse la guerre pour la guerre, et que l’esprit militaire domine exclusivement. Mais, le gouvernement central voulût-il la paix, la guerre n’en serait pas moins infaillible si elle était voulue par le gouverneur général, par l’homme qu’il faut toujours consulter sur son opportunité, qui seul a qualité pour la provoquer, et qui aussi peut en faire naître les occasions quand elles ne s’offrent pas d’elles-mêmes. Voilà pourquoi il y a tant d’objections à confier à un militaire les fonctions de gouverneur général de l’Algérie.

L’office de gouverneur doit être essentiellement fixe et sédentaire ; car il ne cesse jamais d’être le centre de toutes les affaires d’Afrique. En temps de paix comme en temps de guerre, c’est entre ses mains que réside la haute administration des trois provinces de la régence. C’est à lui seul que le gouvernement central peut et doit adresser tous ses ordres ; lui seul peut, lui seul doit en ordonner l’exécution. Or, c’est ce que ne saurait faire le gouverneur qui, comme général, passela moitié de son temps en expéditions lointaines, durant lesquelles il ne peut recevoir ni donner des ordres : à vrai dire, pendant la plus grande partie de l’année, il n’existe point de gouverneur en Afrique.

Il n’y a qu’un général en chef, qui commande sur le point où il se trouve et qui laisse tout le reste du pays sans direction. Nous disons que pendant tout le temps des expéditions en Afrique il n’y a point de gouverneur : il serait plus juste de dire qu’au lieu d’un gouverneur il y en a cinquante ; car, dès que le gouverneur entre en campagne il n’est pas de petit chef militaire qui, dans le cercle de son commandement, ne se croie désormais souverain et inviolable. Pendant les expéditions, le gouverneur général, absent d’Alger, est remplacé tantôt par tel maréchal de camp, tantôt par tel autre, quelquefois par un simple colonel. Chacun de ces militaires, à qui le gouvernement général est remis par intérim, n’est gouverneur que de nom ; souvent il n’essaie même pas de remplir le poste qu’il occupe. Quand il en aurait la volonté, en aurait-il le pouvoir ? En supposant que les hautes facultés qui lui seraient nécessaires ne lui manquassent pas, comment pourrait-il traiter convenablement des affaires dont il n’a pas le fil ? Et, en admettant encore qu’il eût assez de lumières pour commander, aurait-il la faculté de se faire obéir ?

L’absence du gouverneur général a encore une autre conséquence mauvaise. Le gouverneur n’est pas seulement le chef de l’armée ; il est aussi le chef de l’administration civile. Or, quand il n’est pas là, les services civils, se trouvant privés de toute direction centrale, ne sont plus unis entre eux par aucun lien commun, et suivent chacun la voie qu’il lui plaît de choisir, sans prendre souci de celle adoptée par les autres : d’où il résulte une déplorable incohérence dans les efforts, des querelles et des conflits, enfin une discordance profonde entre les agents divers dont le concours est souvent nécessaire, et dont l’action, faute d’accord, aboutit à l’anarchie et à l’impuissance. Le gouverneur militaire a le défaut d’être souvent hors de son poste, et, quand il l’occupe, de n’aspirer qu’à le quitter. Absent quand il fait la guerre, il ne pense qu’à elle alors même qu’il ne la fait pas. Et cependant, si en même temps que l’on conduit la guerre en Afrique, on veut y coloniser, de grands travaux civils y sont à exécuter, pour lesquels il faut des efforts soutenus et une constante sollicitude.

Ces considérations, dont votre seconde Sous-Commission a été si fortement frappée, l’ont portée naturellement à rechercher si le gouvernement de l’Algérie ne devrait pas être remis à un gouverneur civil.

Il est à remarquer, d’abord, que dans l’état actuel de la législation spéciale de l’Algérie, rien ne s’opposerait à ce qu’un gouverneur civil fût institué à la place d’un gouverneur militaire. Cette législation a été, au moins sur le point dont il s’agit, inspirée principalement par le rapport de la commission de 1834, qui est favorable à l’institution d’un gouverneur civil. L’article 1erde l’ordonnance du 22 juillet 1834, qui définit les fonctions de gouverneur général, ne dit point que ce sera une fonction militaire ; et l’article 2, en mettant sous les ordres du gouverneur général un officier général commandant les troupes, semble indiquer que l’on a eu l’intention de placer l’action militaire dans d’autres mains que dans les siennes. Ainsi, le texte de l’ordonnance, aussi bien que l’esprit dans lequel elle a été conçue, tout montre que, dans l’intention de ses auteurs, la fonction de gouverneur général consistait dans une haute direction des affaires de l’Algérie, soit durant la paix, soit pendant la guerre, exclusive, par conséquent, d’une participation personnelle et continue aux opérations militaires

Mais comme, en donnant le pouvoir de choisir pour gouverneurun homme civil, l’ordonnance laissait aussi la faculté de nommer un militaire, on a usé de cette liberté pour n’instituer gouverneurs que des militaires, qui tous, depuis l’ordonnance du 22 juillet 1834, à l’exception peut-être du premier, le général Drouet d’Erlon, ont habituellement fait la guerre en personne. On peut dire que l’intention de l’ordonnance n’a pas été remplie.

Faut-il, à la place de la simple faculté mise dans l’ordonnance du 22 juillet 1834, placer une disposition impérative, en vertu de laquelle le gouvernement de l’Algérie doive nécessairement être confié à un gouverneur civil ?

Avant d’adopter un avis sur ce point, votre Sous-Commission a pensé qu’il convenait de rechercher comment cette disposition pourrait être établie, dans le cas où on serait résolu à la mettre en vigueur.

Il y aurait deux manières de faire du poste de gouverneur en Afrique une fonction civile. La première serait de décider qu’elle ne pourra être remise qu’à un personnage non militaire ; la seconde serait de déclarer la fonction civile de sa nature, de telle sorte que, même confiée à un militaire, elle conservât toujours son caractère.En d’autres termes, l’office de gouverneur général pourrait être rendu civil, soit par la personne du fonctionnaire, soit par la qualité même de la fonction.

Le premier moyen serait le plus radical ; et les arguments ne manquent pas pour l’appuyer. C’est une grande erreur que de croire que pour être bon gouverneur en Afrique il faille nécessairement être un homme de guerre. Le gouvernement d’un pays, alors même que la guerre y sévit, est indépendant des opérations militaires ; et il est utile que l’agent de celles-ci ne soit pas le chef suprême de l’État. Dupleix, qui fonda la puissance française dans l’Inde, était étranger à la carrière des armes, et il savait apparemment bien commander aux généraux qui agissaient sous lui. Dans l’Inde aussi, les meilleurs gouverneurs qu’ait eus l’Angleterre n’étaient point des militaires. Le gouverneur des possessions britanniques dans l’Inde est une espèce de vice roi, qui décide la guerre, la porte sur tel ou tel point, la suspend, la dirige quelquefois par des instructions générales, mais qui ne la fait jamais en personne. Il est bien plutôt le chef du gouvernement que le chef de l’armée. Il est le chef de l’armée, en ce sens que les généraux eux-mêmes sont placés sous son autorité et tenus de lui obéir ; mais il est, avant tout, le chef du gouvernement, en ce sens que, pendant que les généraux, en exécution de ses ordres, accomplissent les expéditions jugées nécessaires, il ne perd pas un seul instant de vue l’ensemble des faits particuliers, et reste toujours au centre des événements, pour les juger et pour les conduire.

L’appréciation des circonstances dans lesquelles la guerre est nécessaire est une toute autre chose que son exécution pratique. Le plus capable de l’ordonner la ferait peut-être très mal, et le plus propre à la conduire serait peut-être très inhabile à discerner les circonstances générales qui doivent motiver sa déclaration, sa continuation et sa fin : pour exécuter une guerre résolue, il suffit d’être bon général ; pour juger le cas où il convient de faire la guerre, il faut du génie politique. On craint qu’un homme étranger à la science militaire n’ordonne pas toujours la guerre à propos, et la néglige alors même qu’ellesera indispensable. C’est là le danger, mais ce danger est-il vraiment à craindre ? Qu’on ne s’abuse pas : la nécessité de la guerre, quand elle existe réellement, éclate à tous les yeux. Dans ce cas, il ne s’agit pas de savoir si on aime ou non la guerre ; il faut absolument la faire ; c’est une question de salut commun. Ce cas arrivant, il faudra bien que le gouverneur civil le subisse. Mais comme il n’aura aucun intérêt à la guerre, il ne l’acceptera jamais que comme une nécessité, et il s’appliquera de tous ses efforts à l’éviter le plus possible, au lieu de s’appliquer à la faire naître. Et c’est précisément l’esprit dans lequel il importe qu’agisse le gouverneur général de l’Algérie. Ce qui est à craindre en Afrique, ce n’est pas qu’on omette la guerre quand elle est utile, c’est qu’on la fasse quand elle n’est pas nécessaire.

Quelquefois on dit : « Un gouverneur civil ne conviendra à l’Afrique que lorsque la guerre y sera finie ; jusque-là il faut un gouverneur militaire. » D’abord, pour que cette proposition fût vraie, il faudrait que l’on fût bien résolu de ne faire, en Afrique, rien que la guerre ; et puis l’on ne s’aperçoit pas qu’on se place dans un cercle vicieux. On nomme un gouverneur militaire pour finir la guerre, et l’on ne voit pas que c’est précisément parce qu’un militaire gouverne que la guerre ne finira pas.

Votre seconde Sous-Commission, après avoir examiné attentivement les objections que l’on fait le plus souvent contre l’institution d’un gouverneur civil en Afrique, les a jugées mal fondées, hors une seule, qui lui a paru extrêmement grave. Cette objection se trouve dans la difficulté très grande qu’aurait à se faire obéir de l’armée d’Afrique et de ses chefs un personnage tout à fait étranger aux armes. Cette objection est sérieuse, on ne pourrait légèrement passer outre. Elle ne s’évanouirait que si l’on trouvait, pour remplir le poste de gouverneur, un personnage civil qui apportât en Afrique non seulement le poids de son titre officiel, mais encore le prestige d’un nom connu, d’un caractère honorable et élevé, d’une situation déjà importantedans l’État, et d’une capacité déjà éprouvée dans de hautes fonctions politiques. Certes, on ne doit pas désespérer de rencontrer un tel homme, dont l’influence personnelle obtiendrait de l’armée elle-même la déférence contestée à son autorité. Quoique le gouvernement des Indes anglaises soit une espèce d’exil pour celui qui en est chargé, les plus grands hommes d’État de l’Angleterre ne considèrent point ce poste comme au-dessous d’eux, et le haut salaire attaché à la fonction n’est pas le seul mobile qui les fait agir. En 1824, Canning avait été nommé gouverneur général des possessions anglaises dans I’Inde,et il allait se rendre à son poste lorsqu’il fut placé à la tête du cabinet de Londres.

L’Algérie est comparativement une aussi grande entreprise pour la France que l’Inde pour l’Angleterre.

Pourquoi donc les hommes d’État de France les plus éminents considéreraient-ils le poste de gouverneur général de nos possessionsd’Afrique comme indigne d’eux ?

Quoi qu’il en soit, il y a là une difficulté dont l’avenir seul fera connaître la mesure. Dans le doute où l’on est encore sur ce point, comment serait-il possible de placer, dans la loi une disposition formelle, et, par exemple, de prescrire que le gouvernement de l’Algérie nepourra être remis qu’à un personnage civil, lorsqu’on ne sait pas encore si ce poste serait recherché par les seuls auxquels on dût le confier ?

Maintenant pourrait-on sans exiger que le gouverneur fût un personnage civil, déclarer la fonction civile de sa nature, de telle sorte que celui qui en serait investi, militaire ou civil, fût incapable de se livrer en personne à aucune opération militaire ? On verra, en y réfléchissant, que cette seconde proposition, si elle était admise, présenterait aussi de bien grandes difficultés. Voudra-t-on nommer à ce poste tout civil un personnage tout civil ? L’embarras que l’on vient de signaler se reproduira. Sera-ce un militaire que l’on choisira ? Il faudra que ce militaire soit au moins lieutenant général : car, s’il était moins, mieux vaudrait peut-être pour son autorité qu’il n’eût aucun grade, que d’en avoir un qui ne serait que l’égal de plusieurs autres. Or, croit-on que l’on trouve aisément un lieutenant général qui acceptera un poste dont la première condition sera qu’il n’y pourra jamais faire la guerre en personne ; qui le placera, par conséquent, dans cette situation singulière de voir chaque jour la guerre faite sous ses yeux par ses subordonnés, sans qu’il puisse y prendre part ; de voir commettre de grosses fautes sans pouvoir les réparer ; d’être ainsi condamné à l’immobilité, malgré l’ardeur qui l’anime et la supériorité dont il a la conscience ? N’est-il pas à craindre que, pour remplir ce poste, il se présente seulement quelque militaire usé ou médiocre,qui ne verra dans la fonction civile de gouverneur en Afrique qu’une magnifique et paisible retraite, et auquel ce poste ne conviendra que parce que lui n’y conviendrait nullement ?

Assurément, s’il se rencontrait un général déjà illustre et encore jeune, qui, après avoir connu la gloire des armes, ambitionnât la gloire moins éclatante, mais belle encore, que peut offrir la vie civile ; si ce général, sentant en lui le génie politique uni à la valeur guerrière, comprenait tout ce qu’il y a de grand et d’élevé dans la mission de créer un gouvernement et de fonder les institutions d’un peuple ; si, jaloux d’attacher son nom à une pareille œuvre, il voyait, dans l’office de gouverneur civil en Afrique, quelque chose de supérieur à sa propre carrière et abandonnait celle-ci pour prendre l’autre sans faire un sacrifice ; s’il poussait l’intelligence de ce nouveau rôle jusqu’à comprendre que la moindre part prise par lui aux opérations de la guerre dénaturerait le caractère de sa fonction ; certes, la chance offerte par la rencontre d’un général placé dans de telles conditions, et animé de pareils sentiments, devrait être saisie, et peut-être ce serait la meilleure chance de l’Algérie. Mais, ici encore, c’est un accident rare, sur lequel il est bien difficile de fonder le texte d’une loi. Telle serait la fonction civile de gouverneur en Afrique, qu’elle ne serait ambitionnée que par un général d’un mérite supérieur ou par des militaires du dernier ordre. Comment baser une disposition de loi sur l’espérance d’une exception ?

En résumé, Messieurs, votre seconde Sous-Commission a été frappée de l’extrême difficulté qu’il y a, dans une pareille matière, de poser législativement des règles précises et absolues par lesquelles la liberté du gouvernement serait enchaînée. Non que le gouvernement doive

ici procéder sans règle ; mais l’application de ces règles est tellement subordonnée à des accidents, qu’il est peut-être dangereux de les poser dans des termes inflexibles.

La loi doit être posée dans des termes qui permettent au gouvernement, si les cas heureux et exceptionnels que l’on a prévus tout à l’heurese présentaient, de les saisir. Mais, en offrant cette faculté, elle doit présenter des termes assez généraux pour régir les cas ordinaires. Ce qu’il importe toutefois d’établir, non seulement dans les instructions données aux gouverneurs de l’Algérie par le ministre, mais encore dans la loi même, c’est que la fonction de gouverneur est principalement civile, en ce sens que son objet essentiel est la haute direction, la conduite générale et d’ensemble de toutes les affaires de l’Algérie, et non la combinaison et l’exécution des opérations militaires, lesquelles doivent être abandonnées aux divers généraux qui obéissent au gouverneur, et dont plusieurs sont si capables de bien conduire la guerre après que celui-ci l’a ordonnée. Si l’on n’interdit pas absolument au gouverneur d’être général dans tel ou tel cas d’urgence, qu’il sache du moins qu’il doit être surtout administrateur. Ce qu’il importe de bien établir encore, et ceci n’est qu’une conséquence de ce qui précède, c’est que la résidence du gouverneur général est à Alger, et qu’en conséquence, sauf les cas d’urgence véritable, il doit demeurer à son poste. On ne pourrait sans inconvénientslui défendre de s’absenter d’Alger ; car on conçoit que, même pour des objets de pure administration, il peut avoir besoin de visiter telle ou telle partie de l’Algérie. Mais il importe que ces absences, s’il les fait, soient considérées comme des nécessités regrettables et dont il lui faille rendre compte au gouvernement central ; car, encore une fois, quand le gouverneur n’est plus à Alger, le pouvoir central n’a plus de représentant.

L’ordre d’idées qui précède a naturellement amené votre seconde Sous-Commission à l’examen de la question de savoir si, dans l’impossibilité de fonder d’une manière certaine le principe civil du gouvernement dans la personne et dans l’office du gouverneur général, onne pourrait pas le constituer à côté ou au-dessous même de ce fonctionnaire. Ici encore les difficultés sont très grandes. Si, à côté du gouverneur militaire on place une autorité civile, jusqu’à un certain point indépendante et possédant, dans sa sphère d’action, une certaine liberté, c’est une occasion de froissements et de conflits perpétuels ; et l’expérience a montré combien était difficile même la situation de l’intendant civil, quand il existait, à côté du gouverneur militaire, dont il était cependant sans contestation l’inférieur hiérarchique. On conçoit d’ailleurs qu’aussi longtemps que l’autorité civile, en Afrique, sera placée dans cet état de sujétion et d’infériorité vis-à-vis du pouvoir militaire, on ne rencontrera pas un homme de quelque importance qui veuille, à un titre quelconque, en remplir les fonctions. Aujourd’hui, il n’y a certes pas de collision entre le gouverneur général et le fonctionnaire qui, sous le titre de directeur de l’intérieur, remplit une partie des fonctions de l’intendant civil ; mais si, dans ce cas, l’autorité civile ne porte aucun ombrage, c’est, il faut le reconnaître, parce qu’elle est annulée : il n’y a ni accord, ni équilibre entre les deux pouvoirs ; il y a disparition complète, et il faut dire inévitable, de l’un devant l’autre. Ce mal serait moins senti le jour où le gouverneur, s’animant de l’esprit qui est propre à son emploi, s’appliquerait lui-même à faire prévaloir les principes de l’autorité civile. Mais la difficulté existerait toujours, en cas d’absence ; et c’est surtout en pareil cas que l’Afrique souffre d’un défaut absolu de toute administration.

Le gouverneur n’a en effet, à l’heure qu’il est, pour se faire suppléer, que deux moyens : soit de remettre ses pouvoirs à l’un des militaires les plus élevés en grade après lui, ou au fonctionnaire civil qui, après lui aussi, est le plus haut placé, c’est-à-dire à un maréchal de camp ou au directeur de l’intérieur. Or, dans le premier cas, il confiera le commandement à un homme étranger aux affaires générales de l’Algérie, et plus encore aux questions d’administration proprement dite ; dans le second cas, à un homme qui les connaît mieux, mais dont le poste, quoique le premier dans l’ordre civil en Afrique, est tellement inférieur, que l’on ne comprend pas comment une si haute fonction lui peut être même passagèrement attribuée. Nous n’avons aperçu, parmi les pouvoirs militaires ou civils existant dans la colonie, aucun fonctionnaire auquel le commandement pût être convenablement remis en cas d’absence du gouverneur général. Mais ce fonctionnaire nous a paru pouvoir se rencontrer parmi les membres d’un corps dont nous avons jugé l’institution utile, par des motifs que nous vous exposerons tout à l’heure, puisque le moment est venu de vous en entretenir. Nous voulons parler de la création d’un conseil d’État pour l’Algérie, qui fera le sujet du chapitre suivant. Lorsque nous aurons exposé les motifs qui nous ont fait adopter la création de ce corps, ainsi que les pouvoirs qu’il convient de lui attribuer, nous examinerons le parti que l’on pourrait en tirer pour combattre la difficulté qui vient d’être discutée ; et, quand nous trouverons l’homme par lequel le gouverneur général pourrait être suppléé en son absence, nous reviendrons au sujet que nous devons quitter en ce moment.

[GARANTIES POUR LE POUVOIR ET POUR LES CITOYENS. Organisation d’un conseil d’État de l’Algérie.] Quelques garanties pour la bonne organisation du pouvoir importent aux citoyens : elles importent au pouvoir lui-même.

Le pouvoir qui gouverne l’Afrique est souvent oppresseur, parce qu’il n’est sujet à aucun contrôle, éclairé par aucun conseil indépendant, contenu par aucun frein, arrêté par aucune borne. En même temps, il est très faible, parce qu’il n’est appuyé que sur lui-même. Quels que soient les excès que commettent ses agents, et qu’ils doivent commettre parce que telle est la loi fatale de tout pouvoir qui n’a point de limites, il faut reconnaître que le plus souvent cette omnipotence dont il jouit n’est pour lui qu’une cause et sa principale cause de faiblesse.

Le premier besoin de celui qui gouverne c’est de connaître le pays placé sous son autorité : or, on ne peut pas se le dissimuler, telle est la condition presque inévitable de tout gouverneur qui arrive en Afrique, qu’il lui faut toujours, pendant un certain temps, gouverner ce pays sans le connaître ; et il n’est pas sans exemple qu’au moment où il commence à en savoir les intérêts et les besoins, il le quitte pour être remplacé par quelque autre, qui recommencera les mêmes études pour passer par les mêmes épreuves. On ne saurait imaginer rien de plus dangereux que ces expérimentations pratiquées sur une société naissante. Une partie du mal serait évitée, si, à côté des gouverneurs mobiles on plaçait un corps stable de sa nature, dont les membres, quoique variables, ne changeraient pas tous en même temps ; dans lequel il pût s’établir ainsi de certaines règles de gouvernement ; qui fut comme le dépositaire de toutes les traditions, et qui, en aidant les différents gouverneurs de ses lumières et de ses avis, imprimât à leurs administrations successives l’ensemble et l’esprit de suite, qui manquent surtout en Algérie.

Il faut bien le reconnaître, le mal fait par les gouvernants vient en général, non d’une volonté perverse, mais de l’ignorance. Un gouverneur constitué dans des conditions qui ne lui permettent pas de connaître les vrais besoins du pays qu’il conduit est fatalement poussé à l’oppression ; car, alors même qu’il croit protéger, il opprime, toutes les foisqu’il agit dans un sens opposé aux intérêts et aux passions des gouvernés. Il suit de ce qui précède qu’un pouvoir n’est organisé dans de bonnes conditions que lorsque les populations qui lui sont sujettes ont auprès de lui un organe légal de leurs sentiments et de leurs intérêts.

Partout où il existe une représentation populaire, cet organe légal se trouve dans le corps des mandataires du pays : dans nos colonies à esclaves c’est un conseil colonial, procédant de l’élection, c’est le corps des délégués qui sont les interprètes des besoins de la société

Il nous a paru qu’une représentation élective, même renfermée dans les limites des conseils coloniaux ou du corps des délégués, serait prématurée pour l’Algérie ; mais, si tel est aussi votre sentiment, Messieurs, vous penserez sans doute qu’il serait d’autant plus désirable de créer auprès du gouverneur un pouvoir qui le fortifiât en l’éclairant, et qui, quoiqu’institué en vue de l’administration, serait cependant le défenseur plus particulier de la colonie, par cette seule raison qu’il la connaîtrait mieux.

Quels que soient le génie et l’activité d’un homme seul, il ne peut tout faire : or, que l’on considère ce qui est dans les attributions légales du gouverneur de l’Algérie, et l’on sera effrayé de la tâche quilui est imposée : chef de l’armée ; chef de toutes les administrations ; investi d’une sorte de vice-royauté ; agent, à peu près irresponsable, du pouvoir central ; représentant, à ce titre, tous les ministères dont le gouvernement se compose ; tour à tour ministre de la guerre, de l’intérieur, des finances, de l’instruction publique, ministre de la justice, ministre des cultes, on peut à peine calculer tout ce qu’il lui faut faire dans chacune de ces diverses qualités : tantôt les questions les plus graves à examiner, tantôt les plus importantes résolutions à prendre ; un jour des règlements à faire dans l’intérêt du fisc, une mesure à adopter pour le commerce ou pour l’agriculture ; une autre fois des arrêtés à prendre d’urgence ou des ordonnances à proposer au gouvernement central ; et la guerre, toujours la guerre à suivre. Quelque bien observé que doive être le principe qui attribue au gouvernement central le soin de décréter les lois de la colonie, il existera toujours un certain nombre de questions essentiellement locales de leur nature, et dont la bonne solution, même législative, ne pourra être inspirée que par un pouvoir placé sur les lieux. Et, alors même que le gouvernement central voudrait retenir le droit exclusif de les promulguer, il faudrait qu’il en laissât au moins la préparation au pouvoir local. Des travaux aussi immenses et aussi divers ne sauraient évidemment être demandés à un seul homme ; ils ne sont ni dans la mesure ordinaire de ses facultés, ni dans l’ordre naturel de ses connaissances : et cependant on peut dire qu’aujourd’hui, en Afrique, le gouverneur général est seul pour en porter le poids.

Il existe bien en Afrique, sous le nom de conseil d’administration, un corps à qui les arrêtés ministériels ont confié des attributions importantes, et dont l’objet est de venir en aide au gouverneur général. D’après les arrêtés et règlements en vigueur en Algérie, ce conseil devrait remplir auprès du gouverneur le double office, 1° de conseil privé ; 2° de conseil du contentieux administratif. Mais il suffit de jeter un coup d’œil sur les éléments dont se compose ce conseil pour juger qu’il ne saurait remplir cette double mission. Un officier général de l’armée de terre, un officier général de la marine, un intendant militaire, le procureur général, l’intendant civil et le directeur des finances, tels sont, avec le gouverneur général, les membres de ce conseil, où l’on voit, dès l’abord, que les militaires sont en majorité. En fait, peu de questions militaires y sont portées ; et les questions d’administration civile y sont peu comprises par des hommes qui y sont tout à fait étrangers ; il résulte de là un double mal : tantôt le fonctionnaire civil, qui est en minorité dans le conseil, ne peut y faire prévaloir la proposition la plus sage ; tantôt il y fait passer, sans débat, la mesure la plus funeste ou la moins équitable. La condescendance est aussi dangereuse, dans ce cas, qu’une aveugle opposition. Il est à remarquer que le conseil d’administration, en Afrique, est investi du pouvoir d’autoriser ou de refuser les poursuites dirigées contre les fonctionnaires publics de la colonie ; or, ce conseil étant composé des principaux fonctionnaires, s’il y avait lieu de les poursuivre, c’est à eux-mêmes qu’il faudrait en demander la permission.

En réalité, le conseil d’administration, en Algérie, ne se compose que des chefs de service ; et, au moyen d’égards mutuels, chaque chef de service peut venir au conseil avec le projet d’arrêté qui lui convient, qu’il a préparé lui-même, et que ses collègues approuvent les yeux fermés, de même qu’il approuve le leur. Le mal se fait surtout sentir dans toutes les matières fiscales ou contentieuses qui, pour dire bien comprises, demandent la connaissance d’un grand nombre de lois et de certaines études auxquelles se prêtent difficilement des militaires. Dans ces cas, la solution proposée est toujours la décision rendue ; et, comme le conseil est tour à tour législateur et juge, il en résulte que chaque chef de service, après y avoir fait adopter la règlequ’il veut établit, fait encore juger comme il lui plaît les infractions à cette règle. Comme conseil privé, ce conseil donnerait difficilement des avis utiles ; comme tribunal, il offre peu de garanties d’équité, car chacun de ses membres est, en réalité, juge dans sa propre cause. Trop partial et trop dépendant, il n’est pour le gouverneur ni un frein ni un appui.

Le conseil d’administration que l’on a constitué en Algérie ne ressemble à rien de ce qui a été établi dans les colonies anglaises et dans les nôtres. Pour ne parler que de celles-ci, il existe bien à la Guadeloupe, à la Martinique et à Bourbon, auprès du gouverneur, un conseil dont les fonctions rappellent celles du conseil d’administration de l’Algérie, et dont, à ne juger que par les mots, le conseil d’administration aurait été une imitation ; mais le moindre examen suffit pour démontrer qu’il n’existe pas entre eux d’analogie sérieuse. Ce conseil se compose, à la Martinique et à la Guadeloupe, du gouverneur, du commandant militaire, de l’ordonnateur, du directeur général de l’intérieur, du procureur général, et de trois conseillers coloniaux ; c’est-à-dire que non seulement l’élément civil y est en majorité, mais encore qu’au nombre des représentants civils, trois représentent moins le gouvernement que la colonie[3]. Et, ce n’est point tout : la composition que l’on vient d’énoncer est celle du conseil privé, délibérant sur les questions d’administration proprement dites ; d’autres éléments y sont encore introduits, suivant les circonstances. S’agit-it de discuter un projet d’ordonnance, de règlement, d’arrêté ? Le conseil doit appeler dans son sein deux membres du conseil général[4]. Le conseil privé a-t-il à statuer comme conseil du contentieux administratif ? Dans ce cas, deux membres de l’ordre judiciaire lui sont adjoints[5]. Ainsi, alors même que des garanties directes ne sont pas offertes aux citoyens contre les excès possibles de l’autorité, le gouvernement établi dans les colonies s’efforce du moins, par les lumières dont il s’entoure, de se prémunir lui-même contre les maux qui naissent de l’ignorance et de l’erreur. Le conseil d’administration d’Afrique n’a emprunté au conseil privé des colonies que son élément gouvernemental ; tout ce qui, dans le conseil privé des colonies, représente la colonie elle-même, a été omis dans le conseil d’administration de l’Algérie ; de là un mal très grand pour la colonie et pour le gouvernement lui-même.

Il ne s’agit sans doute de transporter en Afrique ni le conseil privé des colonies, ni une imitation de ce conseil ; car ce corps, tel qu’il est composé dans les îles, se combine avec un grand nombre d’autres institutions qui n’existent point en Afrique, et qu’il n’y a pas lieu, du moins quant à présent, d’y créer. Mais ce que l’on voit dans nos Antilles, ce que l’on trouve bien plus encore dans les colonies anglaises, ce que l’on rencontre partout, prouve que dans toute société le gouvernement, qu’il soit ou non dépendant d’une métropole, a besoin, pour être fort et bienfaisant, de l’appui de quelque corps qui le soutienne, même en lui résistant.

C’est sous ce point de vue seulement que nous avons établi, entre les gouvernements existants dans les Antilles et le gouvernement de l’Afrique, une comparaison, qui d’ailleurs serait bien défectueuse, car nous savons combien tout ce qui se passe dans les colonies à esclavesest différent de ce qui existe dans des sociétés composées d’hommes libres.

On peut dire que là où l’esclavage est établi il n’y a de droits que pour les maîtres ; et, dès lors, il est peu dangereux de donner à ceux-ci de grandes libertés, qui sont bornées à un petit nombre, et dont ils feraient eux-mêmes aisément le sacrifice le jour où un grand péril social, toujours imminent, rendrait nécessaire d’armer le gouverneur de pouvoirs illimités. Tel n’est pas le cas dans une colonie où il n’y a que des hommes libres, où ne domine aucune race, ni classe ; où aucune n’est tenue dans la servitude ; dans laquelle la moitié de la population n’éprouve pas la crainte continuelle d’être exterminée par l’autre, et où, par conséquent, les habitants, n’étant point divisés entre eux, pourraient aisément se liguer contre le pouvoir, si d’ailleurs leur faiblesse et leurs besoins ne les rendaient dépendants de lui. Mais si, dans les colonies composées seulement d’hommes libres, des libertés pourraient quelquefois être plus dangereuses, il faut ajouter qu’elles y sont toujours plus nécessaires. Dans toute colonie fondée sur l’esclavage, les maîtres forment une classe supérieure qui a des droits et des privilèges, par cela seul qu’elle existe. Le gouverneur, qui ne se maintient que par elle, la ménage forcément, et ne saurait l’opprimer qu’à demi. Tout ce qui appartient à cette classe forme une espèce d’aristocratie qui n’a pas à craindre qu’on lui conteste sa puissance, jugée nécessaire à la conservation de l’ordre. Il en est tout autrement dans une colonie dont les habitants sont tous égaux entre eux, et où le gouverneur central peut y être très oppresseur, sans amener d’autre crise que la misère publique et l’appauvrissement général.

Que les institutions d’une colonie à esclavesoient écrites ou non, bien ou mal définies, on est toujours sûr qu’elles sont très libérales pour la classe des maîtres. Il faut, au contraire, des institutions très positives, très nettes, pour conférer des droits aux habitants d’une colonie, qui, étant tous égaux, peuvent si naturellement être conduits à cette sorte d’égalité qui consiste à ne rien être et à ne compter pour rien dans l’État. Le besoin de droits individuels expressément et nettement conférés est d’autant plus grand dans une colonie, quand elle dépend d’un gouvernement centralisé comme le nôtre, où l’action de l’État tend à se substituer en toutes choses à celle de l’individu, et oùcette tendance est si puissante, qu’elle lutte souvent chez nous avec succès contre de vieilles mœurs et contre de jeunes libertés.

Ces considérations suffisent pour montrer que les colonies à esclaveset les colonies composées exclusivement d’hommes libres ont chacune des éléments qui leur sont propres ; et c’en est assez pour faire sentir que, dans l’établissement du gouvernement en Afrique, l’exemple des colonies à esclaves ne doit être suivi qu’avec une grande réserve. Il faut toujours avoir présentes à l’esprit les dissemblances essentielles qui les distinguent, et ne pas oublier que les imitations même de formes ne doivent se faire qu’à la condition de tenir compte des différences de fond. L’une de ces différences, qu’il importe de ne pas perdre de vue, c’est qu’une colonie composée seulement d’hommes libres, étant de sa nature plus semblable à la mère-patrie, comporte une organisation plus imitéede la métropole que si elle était fondée sur l’esclavage.

Le corps dont nous vous proposons l’établissement en Afrique, et qui formerait une institution essentielle du territoire de colonisation, n’aurait point pour objet de pourvoir à tous les services auxquels satisfait le conseil privé dans les colonies. Ce conseil possède, en résumé, trois fonctions distinctes, qui sont : 1° le soin d’assister le gouvernement dans certains actes d’administration ; 2° la préparation des arrêtés, règlements et ordonnances ; 3° le jugement, comme tribunal administratif, des affaires contentieuses.

Nous voudrions que le conseil institué en Afrique ne fût investi quede ces deux dernières attributions.

Quant aux affaires qui sont, à proprement parler, administratives, nous ne les attribuons point au conseil dont nous vous proposons la création. Ces affaires resteront dans le domaine du conseil d’administration, tel qu’il existe aujourd’hui, ou modifié comme on l’aura jugé convenable, et qui conservera naturellement tous les pouvoirs qui ne sont pas expressément transférés à une autre autorité. Les fonctions du conseil proposé se réduiraient donc à l’élaboration des lois et règlements à faire dans l’intérêt de la colonie, soit par le gouvernement central, soit par le pouvoir local, et au jugement du contentieux administratif. Il aurait aussi le soin de statuer sur les demandes en autorisation de poursuites à intenter contre les fonctionnaires publics de la colonie ; c’est-à-dire, en d’autres termes, qu’il remplirait auprès du gouverneur général précisément l’office que remplit auprès du préfet le conseil de préfecture, et le conseil d’État auprès du ministre : aussi l’appellerait-on le conseil d’État de l’Algérie.

Il y a deux écueils à redouter dans la création de tout corps intermédiaire : c’est de le faire trop faible ou trop fort, ou incapable de donner l’appui qu’on lui demande ; ou menaçant pour le pouvoir que l’on veut affermir. Votre Sous-Commission, Messieurs, a pensé que ce double péril serait évité par la situation même dans laquelle serait placé le conseil d’État de l’Algérie vis-à-vis du gouverneur. Celui-ci, dépositaire de toute la puissance publique, chef de l’armée et de l’administration, occupe dans la colonie une position si haute, que nulle autorité ne saurait faire ombrage à la sienne. D’ailleurs, le conseil d’État placé près de lui n’émettrait jamais que des avis sur les matières pour lesquelles il aurait reçu une compétence expresse ; il occuperait ainsi, vis-à-vis du gouverneur général, une situation analogue àcelle où se trouve le conseil d’État, en France, vis-à-vis de chaque ministre, avec cette différence que le gouverneur général, résumant en lui seul les pouvoirs de tous les ministres, serait relativement plus haut et son conseil d’État relativement plus petit.

D’un autre côté, le conseil d’État de l’Algérie, quoique placé de fait et hiérarchiquement au-dessous du gouvernement, en serait assez près pour être encore très haut ; et pour exercer une autorité imposante. Cette autorité, toujours subordonnée à celle du gouverneur, en serait cependant indépendante. Le gouverneur, libre de ne pas suivre ses avis, ne pourrait les dicter ; et, dans beaucoup de cas, il encourrait une sorte de responsabilité en ne les suivant pas. Les membres de ce conseil seraient sans doute amovibles ; mais, nommés par le gouvernement central, ils ne pourraient être révoqués que par lui. Le conseil d’État de l’Algérie rappellerait, par son titre, l’un des premiers corps de l’État en France, et, formant, avec le gouverneur, la seule puissance législative de la colonie, il aurait en somme une bien plus grande importance que n’en a en France notre conseil d’État, que, moindre vis-a-vis du gouverneur que ne l’est le conseil d’État vis-à-vis du ministre, il serait, après le gouverneur, le seul grand pouvoir de la colonie. Ainsi, quoique incapable de jamais balancer l’autorité du gouverneur, il serait dans la colonie un corps puissant.

Cependant, quelques attributions qu’on lui donne et de quelques titres qu’on le décore, on peut compter qu’il ne sera un corps important dans la colonie, et capable d’y remplir l’objet pour lequel on l’a créé, que par le choix des membres dont on le composera. Ceux-ci devront être des hommes déjà distingués en France par leurs travaux et par leurs services. Or, il ne faut pas se le dissimuler, on ne trouvera de tels hommes consentant à remplir en Afrique des fonctions même d’un ordre supérieur, qu’à la condition d’attacher à ces fonctions de très grands avantages. C’est assez dire que leur traitement doit être au moins analogue à celui des conseillers d’État de France.

Le personnel du conseil d’État dont on vient de parler nous paraît un point capital. Nous avons besoin d’y insister : toute son efficacité sera dans sa bonne composition première ; il serait inutile de le créer,si l’on n’y voyait qu’une occasion d’offrir une retraite ou un asile à quelques fonctionnaires incapables ou disgraciés. Cette nécessité de composer le conseil d’État de l’Algérie d’hommes honorables et marquants en entraîne une autre, que recommande aussi l’économie : c’est celle de restreindre le plus possible le nombre des membres de ce conseil, qui serait d’autant plus difficile à bien composer, s’il exigeait une grande quantité d’hommes distingués, rares en tous les pays. Nous avons pensé toutefois que le nombre n’en pourrait pas être moindre de trois, auxquels seraient adjoints trois maîtres des requêtes et des auditeurs, en telle quantité qu’il plairait au gouverneur d’en instituer.

Une grande erreur nous paraît être commise par ceux qui pensent que nous devons garder pour la France nos hommes les plus capables et nos meilleurs citoyens : cette erreur vient d’un égoïsme très peu éclairé. De quelque nom que l’on désigne nos possessions d’Afrique, qu’on les appelle colonies ou portion intégrante du territoire français, ce qui est certain, c’est que nous avons entrepris d’y fonder un établissement ; que, pour mener à bien cette entreprise, nous employons en ce moment plus de 80 000 soldats, avec une dépense de plus de cent millions par année. Or, nous croyons pouvoir affirmer ici que le meilleur administrateur, préfet ou conseiller d’État, quelques services qu’il rende en France, pourrait, si on l’employait en Afrique, rendre à la France des services encore plus grands, si par son influence il consolidait notre empire dans ces contrées, et s’il rendait féconde une entreprise qui jusqu’à présent est ruineuse.

Nous n’entrons point ici dans le détail des fonctions attribuées au conseil d’État de l’Algérie ; votre seconde Sous-Commission en a fait l’objet d’une discussion approfondie : les principes généraux sont seulement posés dans le rapport ; leurs déductions se trouveront dans la formule législative qui suivra.

Lorsque nous avons examiné la question de savoir en quelles mains doit être remis l’office de gouverneur général de l’Algérie, nous avons reconnu en même temps que déploré la nécessité qui force de remettre ce commandement à un militaire, dont l’absence pendant les expéditions a pour conséquence de laisser l’Algérie sans gouverneur ; et, ayant été naturellement amenés à rechercher si, durant ces expéditions, on ne pourrait pas au moins donner un chef intérimaire aux administrations civiles, nous avons reconnu que ce chef ne saurait, dans l’organisation actuelle, se trouver nulle part, ni dans le civil, ni dans le militaire. Votre Sous-Commission, qui a consacré un sérieux examen à cette question, a pensé que ce chef transitoire et accidentel pourrait être offert par le président du conseil d’État. Votre Sous-Commission ne s’est pas arrêtée à l’objection que peut faire naître l’attribution de fonctions exécutives au président d’un corps délibérant ; le président sera un homme longtemps versé dans les affaires publiques ; et, en fait, nul dans la colonie ne sera plus capable que lui de suppléer le gouverneur absent, comme personne ne sera, par son rang, en position de lui disputer cette prérogative.

Une seule objection lui a paru de quelque gravité contre ce système : ce serait que cette attribution, quoique passagère, du pouvoir exécutif, donnée à ce président du conseil d’État, accrût plus qu’il ne faut la puissance de ce corps, dont le caractère doit demeurer celui d’un corps délibérant et subordonné. Mais, après y avoir réfléchi mûrement, votre seconde Sous-Commission a vu, dans ce que cette objection peut avoir de sérieux, un motif de plus de ne pas s’y arrêter,et, à cet égard, elle vous doit compte de l’ordre de ses idées. Il est certain que, si le président du conseil d’État était souvent gouverneur général par intérim, et qu’ainsi, à l’influence qu’il aurait sur les résolutions du conseil, il joignit le pouvoir que donne l’action, il pourrait nonseulement entraver l’autorité du gouverneur, ce qui serait un mal, mais encore montrer une autorité rivale, ce qui serait un mal encore plus grand. Mais rien de pareil ne serait à craindre, si le gouverneur, étant ordinairement à son poste, le président du conseil d’État prenait seulement une fois par hasard, et de loin en loin, les rênes du gouvernement pour un temps court, après lequel il rentrerait dans ses fonctions purement délibératives. Que suit-il de là ? C’est qu’il n’y aurait quelque péril pour l’autorité du gouverneur que s’il faisait de fréquentes absences, c’est-à-dire s’il allait habituellement en expéditions. Or, ces expéditions fréquentes et habituelles du gouverneur général ne sont-elles pas un des maux auxquels il importe le plus de remédier ? Et ne serait-ce pas le remède le plus efficace contre la disposition des gouverneurs à faire la guerre en personne, que la crainte fondée qu’ils éprouveraient, en s’éloignant, de laisser leur pouvoir à une autorité qui, en leur absence, s’agrandirait peut-être assez pour leur faire ombrage ? Si l’on veut descendre dans le cœur humain, on verra qu’il peut se rencontrer, dans ce très petit sentiment des gouverneurs, plus de garantie pour l’observation des règles qu’on veut leur imposer, que l’on n’en trouverait dans les dispositions législatives les mieux libellées. Votre seconde Sous-Commission a donc pensé, Messieurs, qu’il devait être établi formellement qu’en l’absence du gouverneur général, le président du conseil d’État aurait la signature.

[Organisation municipale.] Nous venons d’exposer quelques garanties nécessaires à la bonne organisation du pouvoir ; il nous reste à indiquer les garanties qui sont nécessaires aux droits du citoyen. Ces garanties diverses se confondent presque toujours entre elles, et il en doit être ainsi ; car ce qui assure une bonne administration publique, sauvegarde de tous les droits particuliers, et les institutions qui protègent les individus sont un gage de bon gouvernement. Cependant il convient de les distinguer, parce que, quoique concourant toutes à un même but, les unes ont plus spécialement en vue la force du pouvoir, les autres la protection des intérêts individuels.

Au nombre de celles-ci, il faut placer en première ligne les institutions municipales. L’établissement d’institutions municipales en Afrique, et notamment sur le territoire de colonisation, a paru à votre seconde Sous-Commission l’un des soins les plus importants dont le gouvernement eût à se préoccuper.

Vainement on appellera des colons en Algérie : nul ne viendra s’y établir si les habitants n’y possèdent aucun droit ; si le soin de leurs moindres intérêts locaux est remis à l’autorité centrale ; si, en un mot, ils sont exclus de toute participation à leurs affaires municipales. En l’absence de tous droits municipaux, on verra bien encore arriver en Afrique des vagabonds, des mendiants, des manœuvres et des prolétaires, qui se mettront à la solde de l’État, et qui se soucieront peu d’être citoyens, pourvu qu’ils soient rentiers ; mais on n’attirera pas de colons.

Il faut bien prendre garde que le voisinage de l’Afrique, d’ailleurs si fécond en avantages, présente un inconvénient : c’est, pour tous ceux qui y viennent,la facilité d’en repartir. Il existe une cause incessante de péril pour une colonie, quand ses habitants n’ont pas quitté le pays natal sans esprit de retour. Il est sans doute plus facile d’attirer des colons en Afrique, parce que celle-ci est plus près des émigrants ; mais il est plus malaisé de les y retenir, parce qu’ils peuvent, en un instant, la quitter et rentrer dans leur patrie. Il importedonc extrêmement, dès qu’un colon arrive en Afrique, de l’y attacher par le plus de liens possibles ; et, pour atteindre ce but, le meilleur moyen c’est que tout d’abord il compte pour quelque chose dans la société nouvelle où il entre. Le voisinage de l’Afrique a encore une conséquence analogue à celle qui précède, et qui ne doit point être perdue de vue. Dans les colonies très lointaines, l’éloignement de la mère-patrie est cause que les habitants jouissent forcément de quelques droits ; le gouvernement central est obligé de s’en remettre pour beaucoup de choses au pouvoir local, dont les agents, complètement séparés de la métropole, s’attachent davantage à la colonie. Commela distance est pour eux un empêchement à venir fréquemment en France, ils s’identifient avec le pays nouveau, qui devient pour eux une seconde patrie, et leur autorité finit quelquefois par y prendre un caractère presque municipal.

En Afrique, au contraire, les agents du gouvernement local sont placés sous la main du gouverneur central, comme si elle était dans la banlieue de Paris. Ces agents, appelés locaux, ne sont, à vrai dire, que des commissaires en mission, agissant sous l’œil du maître, qui supplée aussitôt à ce qu’ils ne font pas. Tout, en Afrique, tend à y fortifier et à y étendre le gouvernement central de la métropole ; il n’en est donc que plus nécessaire d’établir en Algérie quelques institutions municipales.

L’organisation municipale est le premier signe de vie de toute société naissante. On peut dire qu’elle existe partout où une agrégation d’hommes se forme en société régulière ; mais elle est surtout essentielle aux colonies. On ne pourrait pas citer une colonie, depuis les Romains jusqu’aux Anglais de nos jours, qui ne soit née sous les auspices de la liberté municipale.

Il y a beaucoup d’institutions libres, très utiles au développement des peuples, qu’on ne donne pas aux colonies, parce qu’en favorisant leur prospérité, elles pourraient amener leur émancipation. On peut donner aux colonies, sans aucune crainte, des institutions municipales. C’est un des caractères les plus remarquables de ces institutions qu’elles sont tout à la fois les plus fécondes pour la colonie et les plus exemples de tout péril pour la métropole. Des libertés municipales un peu étendues peuvent quelquefois faire ombrage à l’administration proprement dite, jamais au gouvernement. Toutes les résistances sérieuses qu’a trouvées l’Angleterre dans ses colonies lui sont venues des pouvoirs parlementaires et non des pouvoirs municipaux qu’elle y avait institués. La législature rebelle du Canada en offre l’exemple le plus récent.

Nous avons déjà exprimé l’opinion qu’il serait, non pas dangereux, mais prématuré de vous proposer pour l’Algérie un système quelconque de représentation politique, soit sous la forme du conseil colonial élu par les citoyens, soit sous la forme de députés envoyés par la colonie auprès du gouvernement central, avec ou sans entrée dans le parlement national ; mais nous sommes, par cela même, d’autant plus convaincus de l’absolue nécessité de donner à l’Algérie, par la création de quelques institutions municipales, cette condition première d’existence, sans laquelle le principe même de la vie lui manquerait.

Il n’existe absolument rien en Afrique, quant à présent, de ces institutions municipales. Deux arrêtés, l’un de janvier 1831, et l’autre du 18 novembre 1834, émanés du gouverneur général, avaient essayé d’organiser un conseil municipal à Alger ; mais cette création n’a point duré. Les pouvoirs de ses membres expirant au bout d’une année, ilfallait les renouveler pour que le corps continuât d’exister: un jour, on a omis de le faire ; de sorte que, faute de recevoir cette nouvelle existence, le conseil municipal d’Alger a cessé de vivre.

On ne saurait sans doute blâmer le gouverneur général d’avoir, par simple arrêté, tenté de fonder en Algérie des institutions municipales dont l’organisation aurait dû émaner de plus haut[6]. Ces essais irréguliers pouvaient être crus utiles, et il n’y aurait eu peut-être rien à regretter si on leur eût donné suite ; mais, tel est le sort de toutes les institutions arbitrairement établies, qu’elles tombent aussi sous le premier caprice de leur fondateur. Les institutions municipales doivent sans doute, en Afrique, être bien différentes, suivant la diversité des lieux et des populations où on les établit ; mais leur organisation est une question essentiellement centrale. La vie municipale n’attend pas toujours, pour naître, l’autorisation du gouvernement ; celui-ci peut seul donner aux institutions qui la fondent une base solide et permanente.

Après avoir reconnu l’indispensable nécessité de donner à l’Afrique des institutions municipales, votre seconde Sous-Commission a recherché quelles devraient être ces institutions. Ici deux questions principales se présentent : quels corps municipaux convient-il d’instituer en Algérie ? Ces corps étant formés, quelles institutions faut-il leur conférer ?

1er Formation des corps municipaux. — Ici nous devons rappeler encore une fois que, dans la formation des corps municipaux, nous avons surtout en vue le territoire de colonisation. C’est pour ce territoire que nous posons des principes, que l’on appliquera ensuite, si on le juge convenable, en tout ou en partie, à telle ou telle localité non comprise dans le territoire de colonisation. Commençons don par poser ces principes.

C’est ici surtout qu’il faut, autant que possible, appliquer la règleétablie plus haut, que la colonie doit être créée à l’image de la mère-patrie. Tous les efforts doivent tendre à établir la commune, en Afrique, sur le patron de la commune française. Quoi que l’on fasse, bien des différences subsisteront longtemps ; mais enfin c’est le but auquel il faut viser, et, si on en approchait, un grand bien serait déjà atteint.

En France, il y a dans la commune deux éléments distincts : le pouvoir exécutif et le pouvoir délibérant ; le maire et ses adjoints, d’une part, le conseil municipal de l’autre. Nous conservons en Afrique les mêmes pouvoirs avec les mêmes noms ; nous poursuivons l’analogie autant que nous le pouvons ; nous empruntons à la loi du 21 mars 1831 le plus de ses dispositions qu’il nous est possible. Même règle pour le personnel du corps municipal, qui varie suivant le chiffre de la population : pour toute commune, au moins un maire ou un adjoint ; pour Alger, qui compte plus de 30 000 habitants, un maire et trois adjoints ; pour le conseil municipal, le minimum des membres fixé à 12 ; nomination des maires et adjoints pour trois ans, sauf suspension ou révocation, etc., etc.

Maintenant les étrangers et les indigènes seront-ils aptes à remplir les fonctions municipales ? Par qui les maires, adjoints et membres des conseils municipaux seront-ils nommés ? Sur ces questions, on comprend que l’analogie entre la France et l’Afrique cesse forcément, et, pour une situation toute autre, il faut bien des institutions différentes.

Et ici, pour l’Afrique elle-même, une distinction est à faire quant aux indigènes. Nous avons exposé plus haut les motifs pour lesquels on ne doit, suivant notre avis, admettre, dans les villages nouveaux que l’on construit, aucun indigène. C’est assez dire que nul indigène ne saurait, selon nous, être appelé, dans ces nouveaux établissements, aux fonctions municipales. Il n’en est pas de même pour les villes et villages déjà existants, où nous avons trouvé les indigènes établis, et où nous leur avons reconnu des droits ; par exemple, à Alger, à Blidah, à Koléah, à Kouba, etc. Nous croyons que, dans ces dernières localités, il ne serait ni juste ni politique de refuser aux indigènes toute participation aux affaires de la commune ; seulement il nous a paru sage d’établir une règle qui, en interdisant aux indigènes d’être au-delà d’un certain nombre dans le conseil municipal, assurât toujours la prépondérance de la majorité à la population européenne. C’est ce qui nous a semblé que l’on obtiendrait en fixant, comme principe, que le nombre des indigènes, dans le conseil municipal, ne pourrait jamais excéder le tiers du chiffre total. Cette règle s’appliquerait à Alger comme aux autres villes et villages anciens compris dans le territoire de colonisation.

À l’égard des étrangers européens, nous avons été d’avis qu’il faut leur reconnaître à tous, aussi bien qu’aux Français, l’aptitude aux fonctions municipales ; il suffit qu’ils soient domiciliés pour être appelés au service de la milice, comme nous le verrons tout à l’heure. Le domicile, qui leur attire cette charge, pourra leur valoir aussi quelques avantages.

Du reste, il y aura d’autant moins de danger à reconnaître en principe l’aptitude de tous aux fonctions municipales, si, comme le veut votre Sous-Commission, le droit de nommer à ces fonctions est réservé au pouvoir exécutif. Quelque désirable qu’il soit de voir le pouvoir électif s’introduire dans les communes de l’Algérie, nous avons pensé que le moment n’était pas encore venu d’en faire l’essai, et qu’il était plus sage de laisser, quant à présent, la nomination du conseil et des officiers municipaux à la discrétion du gouverneur général. Cette nomination se fera par lui directement, sans qu’il y ait lieu de lui présenter des candidats ; il pourra toujours suspendre et révoquer les personnes choisies par lui. Ce principe, en plaçant le conseil et les agents de la commune dans une étroite dépendance du gouvernement, rendra impossible de leur part tout écart dangereux, et n’empêchera pas que leur action, en s’exerçant dans le cercle légal où elle sera renfermée, ne soit bienfaisante pour la localité.

Quant aux attributions municipales ; nous suivons encore, autant que cela se peut, le même principe qui nous a dirigés dans l’organisation des pouvoirs de la commune. Ici c’est la loi du 18 juillet 1837 que nous prenons pour guide, et dont nous ne nous écartons que lorsqu’il nous paraît impossible de la suivre entièrement. Indiquons ici quelques-unes des modifications qui nous paraissent convenables ou nécessaires.

Nous avons pensé qu’en Afrique, où il importe de maintenir dans toute sa vigueur la puissance du gouvernement central, ce que l’on doit avoir en vue dans la définition des attributions communales, c’est de réduire les agents de la commune à l’action municipale proprement dite. D’après la loi française, outre ses fonctions, à proprement parler municipales, mentionnées dans les articles 10 et 11 de la loi du 18 juillet 1839, le maire est chargé de la publication et de l’exécution des lois ; de fonctions spéciales qui ont un caractère administratif et judiciaire, et encore de l’exécution des mesures de sûreté générale[7].

Il est ainsi, à plusieurs égards, un agent du pouvoir central. Nous croyons qu’il serait utile de restreindre, sinon d’annuler, les pouvoirs qui lui sont conférés en cette dernière qualité, et, en principe général, de n’en faire que l’agent des intérêts particuliers de la commune. C’est ce qui arrive tout naturellement à Alger, où la présence du gouvernement central et de ses principaux agents a pour conséquence nécessaire de réduire les attributions municipales ; c’est ce qu’il est utile d’établir dans les petites villes et dans les nouveaux villages où le pouvoir central serait peut-être mal représenté si, dans un grand nombre d’affaires administratives ou judiciaires, il n’avait d’autre agent que le maire de la commune. Le changement qu’il faudrait faire en cette matière se combinerait avec l’institution d’un certain nombre de fonctionnaires salariés, agents exclusifs du pouvoir central, distribués pararrondissements et par cantons, et qui, sous les noms de sous-préfet et de juge de paix, pourvoiraient directement, dans les communes de leur ressort, à l’action administrative et à la police judiciaire. Ces agents, dont les pouvoirs seraient définis, feraient régulièrement ce que font aujourd’huiassez irrégulièrement les fonctionnaires institués sous le nom de commissaires civils, et que l’on voit remplir tout à la fois les fonctions de sous-préfet, de maire, de juge de paix, de commissaire de police, et quelquefois de tribunal de première instance. Les maires seraient ainsi rendus tout entiers à la vie municipale, oùils seraient laissés d’autant plus indépendants qu’ils n’auraient aucune occasion de contact avec l’administration supérieure.

Le conseil de la commune n’ayant, d’après la loi de France, que des attributions purement municipales, nous n’avons rien trouvé dans ces attributions qu’il fût utile de contester aux conseils municipaux de l’Algérie. Souvent une partie de ces attributions sera, pour les conseils municipaux des villes ou villages algériens, un droit vain et stérile. Ainsi tout ce qui a pour objet la gestion et l’administration des biens communaux sera de peu d’importance pour toutes les communes dépourvues de toute propriété ; cependant les communes non propriétaires peuvent le devenir, si, voulant acquérir, elles y sont autorisées. Ensuite l’administration des biens communaux n’est pas le seul intérêt des communes ; d’autres objets s’offrent sans cesse à leurs délibérations. Chacune d’elles doit avoir son budget des recettes et son budget des dépenses : Alger, par exemple, aura le produit des droits de places perçus dans les marchés et abattoirs, des permis de stationnement et des locations sur la voie publique, sur le port, et elle aura le produit des péages communaux, des droits de péage, mesurage et jaugeage, des droits de voirie, etc., etc. ; Alger aura encore d’autres produits, tels que ceux résultant du prix des concessions d’eau, des concessions dans les cimetières, des octrois municipaux ; Alger aura aussi le produit des centimes ordinaires affectés aux communes par les lois de finances. Aujourd’hui la plupart de ces sources de revenus existent ; mais, telle est l’organisation financière actuelle de l’Algérie, qu’ils ne forment point un revenu communal. Tous les produits quelconques de cette nature, recueillis dans les différentes villes de l’Algérie, à Alger, àOran, à Bône, à Blidah, à Delhy-Ibrahim, à Constantine, etc., sont réunis en une masse générale, qui constitue ce qu’on appelle le budget colonial, dont la répartition entre les diverses localités s’effectue arbitrairement par le gouvernement central.

Votre Sous-Commission est convaincue que ce système d’administration présente de très grands inconvénients ; elle sait qu’il a été conçu dans l’intention très bonne de porter secours à la localité qui en a le plus besoin, et qui souvent manque le plus de ressources. Peut-être, dans l’origine, a-t-on eu quelques bonnes raisons d’agir ainsi, lorsque le revenu des localités prenait exclusivement sa source dans le plus ou moins grand nombre de troupes qui s’y trouvaient ; mais un pareil système, si on le continuait, serait mortel à la colonie ; il dessèche à sa source l’intérêt de la vie communale. La localité qui donne le plus de produits pouvant recevoir moins que celle qui n’en a donné aucun, tout intérêt municipal disparaît : alors même qu’il y a des habitants, il n’y a plus de commune. Il existe dans l’activité municipale un élément singulier de force et de prospérité publique ; cet élément s’évanouit dès que l’individualité de la commune s’efface. Au lieu donc, par une partialité très inique, d’assimiler les communes riches et pauvres, fécondes ou stériles, laborieuses ou fainéantes, il faut bien s’attacher à établir que chaque localité parvenant à créer un produit communal jouira elle-même exclusivement de ce produit, sous l’approbation, bien entendu, du gouvernement central. Sans doute, si une commune est malheureuse, si elle a besoin d’un secours accidentel, si, pour prospérer, une avance lui est nécessaire, cette avance et ce secours ne devront pas lui être refusés ; mais ici c’est le gouvernement central qui doit intervenir avec le budget de la France ; et, s’il ne le peut pas, mieux vaudrait mille fois refuser toute assistance extraordinaire aux communes pauvres qui la réclament, que de l’accorder aux dépens des communes prospères : un pareil système serait destructif de tout avenir pour la colonie.

À la vérité, une difficulté s’est présentée à Alger, quant aux revenus de l’octroi de terre et de mer, pour la distinction qui est à faire entre les recettes que l’on doit considérer comme recettes de l’État et celles qui sont municipales. Beaucoup de marchandises entrent à Alger pour en sortir aussitôt. La ville profitera-t-elle du droit d’entrée perçu pour un objet qui, cependant, n’est point consommé dans ses murs ? Cette objection n’en est pas une pour nos administrations financières, qui, depuis longtemps et pour des localités placées dans des conditions analogues, ont trouvé des procédés à l’aide desquels la distinction qu’il faut faire s’opère très facilement ; et le droit perçu sur les denrées ou marchandises profite à la ville et à l’État, selon que les objets sont reçus dans la ville comme objets de consommation ou admis seulement en transit. Rien n’est plus facile, d’après ces règles, que d’établir ce qui est revenu général et revenu municipal. Ainsi, à Alger comme dans toutes les autres villes et villages, les communes auront des recettes ; elles auront aussi un budget des dépenses ; chaque année, elles devront délibérer sur le double budget, qui sera soumis à la sanction de l’autorité supérieure. Elles délibéreront aussi sur d’autres intérêts qui appartiennent essentiellement à toute commune : par exemple, sur les tarifs et règlements de perception de tous les revenus communaux ; sur les projets de constructions, de réparations etde démolitions, et de tous autres travaux à entreprendre dans l’intérêt de la commune ; sur l’ouverture des rues et places publiques, sur les projets d’alignement, de voirie municipale ; sur l’acceptation des dons et legs faits à la commune ; sur les actions judiciaires intentées à la commune ou à intenter, etc., etc.

Plusieurs des intérêts communaux existant aujourd’hui en France, et que la loi municipale a dû prévoir, sont encore à naître dans les communes de l’Algérie ; mais tous peuvent naître un jour, et tous ceux qui tiennent à la police locale existent virtuellement le jour où il y a une réunion d’hommes constitués en commun.

[Milice] Il existe et doit exister en Afrique une institution dont les élémentssont tellement municipaux, que nous n’avons pas cru pouvoir nous dispenser d’en faire mention dans le moment ou nous vous entretenions de la commune : nous voulons parler de la milice. Elle a un double caractère ; elle est tout à la fois chargée de veiller, dans la commune, à l’observation des lois et, suivant les circonstances, appelée à seconder l’armée pour la défense du territoire. Dans le premier cas, force essentiellement municipale, partie intégrante de lacommune, à la disposition de laquelle elle demeure ; force nationale dans le second, et, à ce titre, placée dans la main du gouvernement central.

En Afrique comme en France, elle conserve ce double caractère.Seulement, on conçoit que dans un pays sujet, comme l’Algérie, à de perpétuelles agressions de l’ennemi, la milice soit, plus souvent qu’elle ne l’est chez nous, appelée à remplir son office tout à fait militaire. Par la même raison, l’on comprend que le lien militaire doit être plus étroit pour le milicien d’Afrique qu’il ne l’est pour le garde national français. Ce serait cependant commettre une grande erreur que de croire que l’on peut demander aux habitants des communes de l’Algérie un service purement militaire ; et si, pour atteindre ce but, on entreprenait de leur imposer une discipline imitée du régime même auquel l’armée est soumise, un pareil régime infligé aux populations serait destructif de toute société civile et incompatible avec toute entreprise de colonisation.

Il est contradictoire d’appeler des colons civils en Afrique et de faire de chaque commune une espèce de caserne, régie par la discipline militaire.

Quelquefois l’armée, condamnée en Afrique à de si rudes travaux, ne voit pas sans un certain sentiment d’irritation le repos profond de la population civile ; et elle se demande si ces bourgeois, plus ou moins dignes d’intérêt, pour la tranquillité desquels elle se dévoue, ne pourraient pas bien aussi l’aider de temps à autre et alléger son service ; et de là naissent des projets, quelquefois mis à exécution, d’aggraver les charges de la milice, d’exiger d’elle un service rigoureux et de la tenir sous le joug militaire le plus dur. Lorsque, soit par de tels motifs ou par d’autres raisons, on agit de la sorte, on fait à la colonie un mal immense. Le citoyen qui se repose tandis que le soldat est en campagne ne fait que remplir sa destinée, car il n’est point venu en Afrique pour faire la guerre. Il a aussi sa tâche à remplir, mais une tâche d’un autre ordre ; et tels sont ses travaux naturels, qu’il ne peut les exécuter qu’au milieu des habitudes tranquilles et libres de la vie civile. Ces travaux, qu’il ne pourrait faire sans la protection du soldat, tourneront au profit du soldat lui-même ; le plus grand bienfait de l’armée, c’est d’en rendre possible l’exécution. Queles chefs de l’armée voient clairement ce but, et l’armée éprouvera pour la population civile d’autres sentiments.

Il ne faut point, dans l’organisation de la milice en Afrique, perdre un seul instant ce point de vue : et cette organisation doit être faite de manière à offrir quelques garanties aux citoyens contre les entreprises de l’autorité militaire. Nous avons dit plus haut que la milice devrait être réglée en Afrique par simple ordonnance royale ; cette ordonnance pourra se modeler, en général, sur les dispositions de l’arrêté du gouverneur général du 28 octobre 1836. À une époque assez récente,deux dérogations graves à cet arrêté ont été commises ; l’une, qui a enlevé aux miliciens le droit qu’ils avaient de nommer leurs sous-officiers et officiers, jusqu’au grade de lieutenant inclusivement ; l’autre, qui a investi le commandant de place, à Alger, du droit d’infliger, de sa propre autorité, pour infractions au service, les peines disciplinaires qui, auparavant, ne pouvaient être prononcées que parun conseil formé au sein de la milice. Ce dernier changement suffirait à lui seul pour dénaturer complètement l’institution. En vertu de cette disposition, il n’y a pas d’habitant de la colonie qui ne puisse, pour le plus léger manquement à son service de milicien, être condamné par le commandant de place à cinq jours de prison et même à dix, en cas de récidive. On ne trouvera pas de colons sérieux qui viennent s’établir dans un pays où la liberté des citoyens est ainsi mis àla mercid’un chef militaire. L’ordonnance qui organisera la milice devra donc revenir, sur ce point comme sur le premier, aux dispositions de l’arrêté du 28 octobre 1836.

[Chambre de commerce.] Enfin, Messieurs, avant de quitter le sujet des institutions municipales, nous avons cru devoir mentionner en quelques mots les chambres de commerce, qui, sans doute, ne sont point propres à toute commune, mais qui, là où elles existent, ont un caractère tout à fait municipal. On comprend du reste que, sur le territoire de colonisation tel que nous l’avons circonscrit, il ne peut y avoir de chambre de commerce qu’à Alger ; c’est done de cette chambre seule qu’il s’agit ici. Si Bône, si Oran, si Philippeville avaient besoin d’un pareille institution, le pouvoir exécutif pourrait toujours, ainsi qu’on le verra plus bas, appliquer à l’une ou l’autre de ces localités tout ou partie des dispositions établies pour une ville du territoire de colonisation.

Sur ce point, nous nous bornons à rappeler une seule observation générale, déjà présentée plus haut, à savoir, qu’il est nécessaire, pour que des intérêts prospèrent, qu’ils aient un organe capable de se faire entendre de ceux desquels cette prospérité dépend. Or, cet organe, pour être efficace, doit jouir d’une certaine liberté. Cette liberté, que l’on craint quelquefois, n’est jamais moins redoutable que dans un corps tout commercial. Ici, l’état de choses existant en France peut être transporté sans aucun inconvénient en Afrique. La chambre de commerce d’Alger devra donc être instituée conformément à l’ordonnance du 16 juin 1832, applicable aux chambres de commerce de la France. L’élection par les notables, que commande cette ordonnance, ne peut soulever, même en Afrique, aucune objection ; le gouverneur aura seulement à déterminer dans quelle proportion il admettra les électeurs et les membres de ces chambres. On voit, par ce qui précède, que nous considérons comme devant être abrogées les dispositions qui régissent actuellement la chambre de commerce d’Alger, et notamment celle qui a enlevé à cette chambre la disposition du fonds de cotisation qu’elle s’impose elle-même annuellement. Il y a quelque chose de puéril dans cette terreur extrême que l’on semble éprouver des moindres actes de liberté que peut faire le corps le plus inoffensif, et il n’est pas raisonnable de demander des mouvements libres et féconds à un corps dont on lie ainsi les membres.

[ORGANISATION JUDICIAIRE] Maintenant, Messieurs, arrivés presque à la fin de notre tâche, nous en avons encore à accomplir la partie la plus importante et la plus délicate, car il nous reste à vous entretenir de l’organisation judiciaire, de cette autorité qui est la sanction de tous les pouvoirs et la garantie de tous les droits.

Si l’autorité judiciaire est, en tout pays, la sauvegarde du faible contre le puissant, de l’individu contre la société, du droit contre la force, cette sauvegarde n’est jamais plus nécessaire que dans un pays où la force se croit en droit d’opprimer toujours, parce qu’elle protège quelquefois, où la toute-puissance du gouvernement ne trouve dans les mœurs aucune résistance, et où l’oppresseur se montre d’ordinaire sous les traits d’un soldat vaillant et honorable, tandis que l’opprimé destiné à devenir un utile colon, n’est d’abord, le plus souvent, qu’un aventurier assez peu digne de sympathie.

L’autorité judiciaire, qui garantit tous les droits individuels, est aussi la principale caution de l’ordre public ; car toutes les infractions aux lois aboutissent à une sentence judiciaire ; elle est le lien de tous les devoirs des citoyens entre eux, des obligations des citoyens envers l’État, et aussi des devoirs de l’État envers les citoyens.

En reconnaissant les efforts qui ont été faits pour donner à l’Afrique de bonnes institutions judiciaires, votre seconde Sous-Commission a été unanimement d’avis que, pour remplir leur objet, ces institutions doivent subir quelques importants changements.

C’est surtout en cette matière qu’il lui a semblé qu’on s’était trop laissé dominer par idée qu’en Afrique il y a nécessité d’établir quelque chose de très différent de ce qui existe en France. Nous sommes certainement d’avis de laisser subsister les tribunaux indigènes qui ont été créés, et dont le maintien est, jusqu’à un certain point, une conséquence nécessaire de la présence tolérée parmi nous des populations musulmanes. Sur le territoire de colonisation, les indigènes sont des étrangers à qui nous permettons, dans certains cas déterminés, leurs usages, leurs lois, et même leur justice. Mais après avoir ainsi mis à part la population musulmane, il nous est d’autant plus facile d’avoir en vue seulement la population européenne ; et, quand il s’agit de donner à celle-ci une justice, nous n’avons plus aucune raison de ne pas la modeler sur le patron de la justice française. C’est ici, plus qu’en aucune autre matière, qu’il importe d’offrirau colon nouvellement arrivé de France l’image de ce qu’il vient de quitter ; il aura d’autant plus de foi dans la justice, si le juge lui apparaît sous le même nom, sous le même costume que le juge de France ; si la justice se rend dans les mêmes formes, avec l’assistance des mêmes officiers, avec le même nombre de magistrats.

Nous avons dû, dans nos travaux sur l’organisation judiciaire, distinguer deux sortes de justice : la justice civile et la justice criminelle. Quoique toutes deux soient nécessaires pour la défense des personnes et des biens, il est vrai de dire cependant que la justice civile protège surtout les droits de propriétés ; la justice criminelle la vie des personnes et leur liberté : aussi chacune a-t-elle reçu une organisation particulière. Cependant elles ont l’une et l’autre un certain nombre de principes communs qu’il convient d’abord d’examiner. Ainsi, en Afrique, les juges, soit au civil, soit au criminel, sont révocables àvolonté : convient-il de les rendre inamovibles ? En première instance, le tribunal civil ou correctionnel se compose, en Afrique, d’un seul juge : l’unité de juge doit-elle être maintenue ? Dans beaucoup de cas, le droit d’appel, soit au criminel, soit au civil, est supprimé en Afrique : faut-il le rétablir suivant les principes du droit commun ?

[Inamovibilité du juge.] Prenons d’abord la première question, celle de l’inamovibilité du juge. Il est certain que l’indépendance est la première condition de toute justice impartiale, et il est difficile de demander une véritable indépendance au juge révocable à plaisir. D’un autre côté, il nous a paru que de graves objections s’élèveraient, quant à présent, contre l’inamovibilité des juges nommés en Algérie, même pour le territoire de colonisation. C’est un but vers lequel, sans doute, il faut tendre, et dont chaque jour on se rapprochera, mais que l’on ne saurait encore atteindre. La distance par laquelle on en est séparé diminuera à mesure que, le gouvernement devenant plus civil, il y aura moins à redouter les conflits si dangereux avec l’autorité militaire, que l’inamovibilité du juge rendrait bien plus fréquents et bien plus graves. Quant à présent, ce qui importe, c’est, à part l’inamovibilité, d’entourer le juge de toutes les garanties propres à assurer le respect de son autorité et la juste appréciation de ses services. Ce sera déjà une base considérable pour le pouvoir judiciaire, que la promulgation d’institutions stables que ne pourra modifier le caprice de la puissance exécutive : car que peuvent les meilleurs juges contre de mauvaises lois ? En maintenant le juge dans la dépendance complète du pouvoir central, il faudra le placer dans une situation indépendante du pouvoir local. Aujourd’hui , le gouverneur peut, dans les cas urgents, faire passer un magistrat d’un siège dans un autre, lui attribuer tantôt une fonction tantôt une autre, le faire aujourd’hui juge, demain procureur du Roi, le troisième jour substitut. C’est là un pouvoir exorbitant, qui, fût-il exercé avec la plus rare modération, rabaisse l’ordre qui y est soumis, fait naître de mauvais sentiments mutuels entre le chef investi d’une si grande puissance, et les inférieurs qui y sont sujets, et enfin détruit toute indépendance chez les subordonnés, menacés de cette perpétuelle dictature. Il est absurde de mettre, sous prétexte de l’urgence, les juges et magistrats de l’Algérie à la discrétion du gouverneur et du procureur général. On conçoit que de pareilles dispositions soient mises en vigueur dans des colonies lointaines, séparées de la France par plusieurs mois de navigation ; mais, aujourd’hui, le gouverneur d’Alger qui a un ordre à demander ou à recevoir, et au service duquel le télégraphe et les bateaux à vapeur sont employés, n’est pas plus loin de Paris que ne l’était, il y a vingt ans, avec des routes moins bonnes qu’aujourd’hui, le préfet de Marseille ou de Toulon, correspondant avec le ministre de l’intérieur. En Afrique, on a usé de l’urgence au-delà de toute mesure ; on l’a appliquée à tout : il faut en affranchir au moins l’organisation judiciaire. Les juges, en Afrique, seront révocables, amovibles d’un siège à un autre ; mais le gouvernement central, par lequel ils auront été institués, pourra seul les destituer ou les changer de résidence, même passagèrement.

Nous pensons qu’il convient aussi, Messieurs, de placer plus haut qu’il n’est aujourd’hui le tribunal supérieur d’Alger : tout en fait sentir l’importance. Ce tribunal juge en appel toutes les affaires civiles sur lesquelles les autres tribunaux ont statué en premier ressort. Iljuge l’appel de toutes les affaires correctionnelles sur lesquelles ont prononcé le tribunal de première instance d’Alger et les autres tribunaux ; il juge aussi l’appel des sentences prononcées pour crime par les autres tribunaux de la régence ; enfin il juge en premier et en dernier ressort tous les crimes commis dans le ressort du territoire de colonisation : il fait, en tous points, l’office de cour royale ; il fait plus que les cours royales, car il juge sans jury tous les crimes. C’est une sage disposition de l’ordonnance du 28 février 1841 de lui avoir donné le titre de cour royale ; il faut s’efforcer de lui en conférer le caractère. Il importe pour cela d’abord de ne placer, ni en principe, ni en fait, les membres de la cour royale d’Alger dans une situation inférieure vis-à-vis du ministère publie. On conçoit quelle est aujourd’huicette infériorité, alors qu’il dépend du procureur général de saisir le premier prétexte d’urgence pour envoyer soit à Bône, soit àOran,en qualité de simple substitut, tel conseiller de la cour royale qu’il lui plaît de désigner au gouverneur. Tel est même le texte de l’ordonnance, qu’il pourrait déporter ainsi d’Alger le président lui-même de la cour royale, qui se trouve ainsi subordonné au procureur général.Ceci seul est deja un mal. Le rang de la cour est fixé par celui de son premier magistrat. Il ne s’agit pas de placer le président de la cour au-dessus du procureur général ; mais il est impossible de le laisser au-dessous : dans l’ordre des fonctions, il n’est ni après, ni avant le procureur général. Le procureur général et le président exercent des fonctions parallèles, l’un à côté de l’autre ; chacun dans sa sphère, dans sa pleine liberté, et dans la mesure de son droit. Si une prééminence existait, ce serait au profit du président qui juge, tandis que le procureur général requiert. C’est la raison pour laquelle le président est le premier dans l’ordre des préséances. Placer le magistrat qui décideau-dessous de celui qui sollicite, c’est un non-sens : et ce n’est pas seulement une faute de logique, c’est un acte destructif de la dignité du corps judiciaire dont le président est le chef ; c’est supposer qu’il n’est que l’arbitre nominal des procès dont le procureur général est le vrai juge : car si la cour royale rendait réellement la justice, comment son chef serait-il le subordonné de celui qui n’aurait que le pouvoir de la requérir ? Sous ce rapport, il nous a paru qu’un utile changement était à faire, non seulement au sommet de l’échelle judiciaire, mais encore jusque dans les derniers rangs du personnel dont les tribunaux se composent. Ainsi il nous a semblé que les officiers ministériels, et notamment les notaires et les avocats, qui, par la rédaction des contrats, par la préparation des procédures, par la plaidoirie des affaires, concourent si efficacement à la bonne distribution de la justice, n’étaient pas toujours organisés dans les conditions les plus convenables. Aucune garantie ne leur est offerte ; ils sont révocables arbitrairement, sans avoir le droit de demander la cause de leur destitution. On les blesse dans les moindres formes, et il n’est pas jusqu’au titre d’avouéet d’avocatqu’on défend de prendre aux officiers qu’on a institués sous le titre de défenseurs. Ce sont des sévérités au moins inutiles. Il n’y a de bons services à attendre que de ceux auxquels on donne des droits, et le meilleur moyen d’obtenir d’honorables travaux c’est d’honorer d’abord ceux à qui on les demande.

[Institution du juge unique.] S’il est impossible aujourd’hui de conférer à la justice d’Afrique l’indépendance parfaite dont l’inamovibilité seule est la source, au moins faut-il s’efforcer de l’entourer d’ailleurs de toutes les autres garanties qu’elle possède en France ; aussi votre seconde Sous-Commission a-t-elle été unanime à considérer comme défectueuse l’institution en Afrique du juge unique, jugeant soit en premier, soit en dernier ressort, et faisant l’office de tribunal de première instance, soit en matière civile,soit en matière correctionnelle. À ses yeux, cette institution est radicalement vicieuse. Si c’est une imitation du cadi musulman, elle ne peut que choquer les mœurs européennes et faire naître contre le juge de fâcheuses préventions. Si c’est le juge anglais que l’on a voulu imiter, on ne saurait imaginer un essai plus malheureux. Il n’y a aucune sorte d’analogie à établir entre nos juges et ceux de l’Angleterre. En Angleterre, le juge unique a un rôle considérable, dont en France nous pouvons à peine nous faire une idée. Il est investi d’immenses pouvoirs : il tient dans ses mains, non seulement la justice, mais encore une grande partie de l’administration ; il est toujours pris parmi les hommes éminents du barreau ; il reçoit un traitement quelquefois double de celui de nos ministres[8], et encore ne peut-il, le plus souvent, même au civil, juger sans l’assistance du jury. Le juge anglais dans les colonies est sans doute un personnage infiniment moindre que le juge dans la métropole ; il y occupe pourtant encore une grande situation ; son traitement est considérable. Les mœurs anglaises le font à peu près inamovible, alors même qu’en principe il ne l’est pas. Telle est son importance, même aux colonies, qu’il est d’ordinaire le président né du conseil colonial ; enfin, le jury y est également nécessaire à sa juridiction.

Maintenant, on se demande quelle analogie il peut y avoir à établir entre le juge anglais et les magistrats qui, en Algérie, remplissent la fonction de juge unique : magistrats révocables, sujets aux roulements d’usage, faiblement rétribués, occupant dans la colonie une situation inférieure, et jugeant dans tous les cas sans jury !

Et cependant ce juge unique juge sans appel, en matière civile, jusqu’à 1 000 francs ; et en matière criminelle, aussi sans appel, jusqu’à deux ans d’emprisonnement ! Dans certains tribunaux, il condamne depuis 1 franc d’amende jusqu’à la peine de mort ! Rien ne nous paraît justifier l’existence d’une pareille juridiction, qui n’est conforme ni à nos mœurs ni aux règles de la saine raison. Nous avons donc été unanimement d’avis d’adopter le principe, qu’à part les justices de paix, où un seul magistrat convient si bien, tout tribunal de première instance, sur le territoire de colonisation, devra, pour rendre la justice, soit en matière civile, soit en matière criminelle, être composé d’au moins trois juges.

Nous avons été non moins unanimes à admettre aussi, pour la justice du territoire de colonisation, ce principe consacré par nos lois, suivant lequel le double degré de juridiction est de droit commun. Il nous a paru que le droit d’appel, suivant les règles établies en France, pouvait, sans aucuninconvénient, être établi pour l’Algérie : ce droit est d’autant plus nécessaire, que la justice continuera d’être rendue par des juges révocables.

[Justice civile.] Après avoir examiné ce qui concerne l’organisation judiciaire en général, voyons séparément ce qui touche particulièrement la justice civile et la justice criminelle.

Et d’abord, quant à la justice civile, l’attention de votre Sous-Commission s’est spécialement portée sur deux points : 1° sur la justice civile, rendue administrativement en Algérie ; 2° sur le recours en cassation.

Sur le premier point de vue, votre seconde Sous-Commission n’a qu’une simple observation à présenter ici : c’est que la manière dont la justice civile en matière de contentieux administratif sera rendue a été réglée dans le chapitre relatif à l’institution du conseil d’État de l’Algérie ; elle n’a donc pas besoin d’insister davantage sur l’un des vices les plus choquants de la justice en Afrique.

Reste donc la question du recours en cassation en matière civile.Ce recours a été aboli par la dernière ordonnance relative à l’organisation de la justice en Afrique. Votre Sous-Commission n’a aperçu aucune raison plausible capable de justifier à ses yeux l’interdiction de ce recours. Ce recours est la dernière et la plus importante des garanties judiciaires. Alors même qu’il serait rarement exercé, il a cet effet grave que, de temps à autre, il place la cour suprême, c’est-à-dire la plus haute autorité judiciaire du royaume, en état de savoir et de révéler de quelle manière la justice se rend en Afrique. C’est un frein en même temps qu’un appui pour les magistrats dont les actes sont soumis à ce contrôle supérieur. Il y a de certaines iniquités judiciaires, pouvant venir soit d’en haut, soit d’en bas, que ce contrôle suffit pour prévenir.

[Justice criminelle.] Mais c’est surtout la justice criminelle qui a fortement excité notre attention, et qui nous paraît, Messieurs, mériter toute la vôtre.L’organisation des tribunaux jugeant en matière criminelle en Afrique nous paraît d’autant plus importante que nous ne sommes pas d’avis, quant à présent du moins, de porter en Afrique l’institution du jury. Lorsque la population se sera accrue, que ses éléments seront devenus plus fixes, plus homogènes, plus purs, plus éclairés, il pourra être sans inconvénients de déférer au jury, en Afrique, la connaissance des crimes contre le droit commun : aujourd’hui cette attribution au jury serait prématurée. On comprend, dès lors, combien il devient plus nécessaire d’offrir quelques garanties aux justiciables, par la composition du tribunal criminel qui jugera sans l’assistance d’aucun juré. Mais, d’abord, prenons la procédure criminelle à son point de départ, à l’instruction.

Il nous a paru que, dans l’état actuel des choses, le procureur général et son représentant auprès de chaque tribunal exercent des pouvoirs exorbitants. Le grand principe de nos lois criminelles, qui distingue l’instruction et la poursuite des délits, semble à peu près méconnu. Chez nous, à côté du fonctionnaire qui dénonce le crime et en requiert la répression, se trouve placé le juge instructeur, qui accorde ou refuse l’arrestation du prévenu, reçoit l’audition des témoins, constate le corps du délit, et, après avoir recueilli tous les indices, livre l’inculpé au tribunal qui doit le juger. Ce juge instructeur, placé entre le magistrat poursuivant et le tribunal qui décide, est présumé impartial. Si la partie publique a mis trop de vivacité dans ses réquisitions, il les tempère ; et s’il se trompe lui-même, il est redressé par les magistrats, qui, ayant été étrangers et à la poursuite et à l’instruction, peuvent juger le tout avec calme. Et ce n’est pas tout : nonseulement ces garanties sont offertes à tout individu placé sous la prévention d’un crime ou délit, on veut encore quelque chose de plus ; et, après que l’instruction a été ainsi faite, le prévenu ne sera traduit devant le tribunal, arbitre de son sort, qu’après de nouvelles épreuves. S’agit-il d’un délit correctionnel ? il faudra une décision de la chambre du conseil, qui ordonne que l’inculpé sera mis en jugement. L’inculpation porte-t-elle sur un crime ? il faudra non seulement un avis de la chambre du conseil du tribunal de première instance, mais un arrêt de la chambre d’accusation. Et c’est seulement après ces diverses épreuves que l’accusé sera renvoyé, soit devant le tribunal de police correctionnelle, soit devant la cour d’assises, où il trouvera non seulement des juges, mais encore un jury.

Au contraire, que voyons-nous en Afrique ? Aucune règle de procédure pour l’instruction des affaires criminelles ou correctionnelles ; point de juge d’instruction, ou, du moins, point de magistrat qui en exerce les fonctions et qui en possède les droits tels que nous les connaissons en France. Le juge d’instruction en Afrique, n’existe que sous le bon plaisir du procureur général, qui, le plus souvent, fait lui-même les actes principaux de l’instruction, quand il ne les supprime pas. Le procureur général ou son représentant auprès de chaque tribunal est, en somme, l’arbitre de la procédure criminelle : il met en prison ; il met en liberté ; il commence les poursuites ; il les abandonne ; il les reprend pour les délaisser encore, sans que ni le juge d’instruction, ni le tribunal sache ce qui se passe. En matière de crime comme en matière de délits, il décide tout seul la mise en jugement du prévenu : point de chambre du conseil, point de chambre d’accusation ; il peut même, dans tous les cas, ordonner cette mise en jugement sans qu’il y ait eu aucune instruction. À vrai dire, le juge d’instruction, quand le procureur général juge à propos de s’en servir, n’est pour lui qu’un agent facultatif dont il peut toujours se passer. Il est impossible d’imaginer un système suivant lequel le sort des personnes soit plus complètementplacé à la merci d’un seul homme.

Il se peut que, dans les premiers temps de l’occupation, quelques motifs aient existé d’attribuer tous ces pouvoirs au procureur général,en matière d’instruction ; mais le jour où l’on veut organiser une société régulière, où les personnes soient et se croient protégées dans leur vie et dans leur liberté, la première chose à faire, c’est d’opérer sur ce point une réforme.

Votre seconde Sous-Commission, après avoir discuté avec soin toutes les objections qui se sont présentées à son esprit, a été unanimement d’avis de vous proposer d’établir presque toutes les règles du droit commun en matière d’instruction criminelle, pour les tribunaux du territoire de colonisation ; et, en conséquence, de poser en principe que, dans le tribunal de première instance, il y aura un juge d’instruction, remplissant les mêmes fonctions qu’en France, et investi des mêmes pouvoirs ; que le tribunal s y formera et y statuera en chambre du conseil, dans tous les cas où il agit, ainsi qu’en France ; et que le tribunal supérieur s’y formera aussi en chambre d’accusation pour remplir toutes les fonctions que remplit chez nous la chambre. d’accusation.

Votre Sous-Commission, Messieurs, n’ignore pas qu’en Afrique la politique exige quelquefois que les formes de la justice ne soient pas rigoureusement observées. Tel individu, coupable aux yeux des magistrats, ne pourrait peut-être pas sans inconvénients être livré aux tribunaux ; et tel qui n’a commis aucun délit aux yeux de juges ordinaires, ne pourrait quelquefois sans danger être laissé libre. Mais on verra que le danger qui pourrait maître de pareils cas se réduira à bien peu de chose, si l’on considère, 1° qu’il ne s’agit ici que du territoire de colonisation ; 2° qu’en général, les personnes à l’égard desquelles il peut convenir d’agir plutôt suivant les règles de la politique que de la justice, sont les indigènes ; que les indigènes, étant étrangers, ainsi que nous l’avons établi, restent toujours plus ou moins soumis à la police administrative; 3° qu’enfin, dans un cas extraordinaire et tout à fait urgent, par exemple si le juge d’instruction commettait l’imprudence de décerner un mandat d’arrestation contre un indigène à qui le gouvernement aurait accordé un sauf-conduit, ce serait le cas pour le gouverneur de faire usage de ce pouvoir dictatorial que nous lui conservons, et de rendre, sous sa responsabilité, un arrêté spéciald’urgence, par lequel l’individu arrêté par le juge serait sur-le-champ mis en liberté. En somme, il nous a paru qu’il n’y avait pas, dans l’adoption des règles du droit commun en cette matière, un seul inconvénient sérieux, tandis que les avantages y abondent dans l’intérêt de la colonie.

[État des villes placées en dehors du territoire de colonisation.] Nous avons dit plus haut qu’il y avait à distinguer, en Afrique, outre le territoire de colonisation et les territoires non actuellement colonisés, quelques localités qui, sans recevoir dès à présent l’organisation complète destinée aux territoires colonisés, méritaient cependant un régime autre que celui de la pure dictature. Par exemple, supposons qu’on ne colonise pas tout de suite autour de Bône, autour de Philippeville, autour d’Oran, faudra-t-il laisser ces trois villes soumises au régime exceptionnel qui, aujourd’hui, les régit ? Nous avons pensé qu’il serait sage, dans ces cas, d’appliquer aux villes dont nous venons de parler, et qui méritent certainement quelques institutions, une partie du régime que l’on vient de définir : une ordonnance royale fixerait ce qu’elles devraient conserver du régime de la dictature, et ce qu’elles emprunteraient aux institutions établies pour le territoire de colonisation. Nous pensons que tout ce qui concerne l’organisation municipale et judiciaire pourrait, sauf de très légères exceptions, leur être appliqué. L’établissement dans chacune de ces villes d’un tribunal ne pouvant juger à moins de trois juges nous paraît surtout indispensable, et nous n’apercevons pas quelle objection il y aurait à ce que, au moins dans la plupart des cas, le conseil d’État fonctionnât, pour Bône, Oran, Philippeville, de même que pour le territoire d’Alger. Il faudrait cependant que, pour tout ce qui concerne ces trois localités, qui sont encore renfermées dans le cercle étroit de la guerre, la faculté des arrêtés exceptionnels du gouverneur général fût plus largement maintenue.

TAT DE SIÈGE.Enfin, il y a un cas extraordinaire qui domine tout, et une exception plus puissante que tous les principes : ce cas extraordinaire, c’est l’état de siège. Dans les pays les plus constitutionnels, l’état de siège amène la cessation des pouvoirs civils, et fait passer toute l’autorité aux mains du chef militaire. C’est la loi même de la nécessité qui se proclame quand on proclame l’état de siège : c’est le salus populi, suprema lexesto. Ce qui arrive dans les pays où la guerre est un cas rare, et où le régime ordinaire des lois est le plus nécessaire, ne peut manquer de se produire dans un pays où la guerre est presque incessante et où le salut public peut tenir au succès d’un siège. C’est assez dire qu’en Afrique il suffira que l’état de siège soit déclaré par le gouverneur général, pour que tous les pouvoirs attribués à des autorités civiles appartiennent aussitôt aux autorités militaires. Le gouverneur général devra seulement rendre compte immédiatement de sa décision au ministre, et l’état de siège cessera dès que la cause qui l’aura motivé aura disparu.

Telles sont, Messieurs, les considérations sur lesquelles s’appuient les changements que nous vous proposons d’introduire dans l’administration de l’Algérie. Ces considérations, quoique trop étendues peut-être, ne sont qu’un court résumé du travail assez considérable auquel votre seconde Sous-Commission a dû se livrer pour embrasser dans son ensemble un sujet très vaste et plein de difficultés. Si, comme nous devons le craindre, plus d’une erreur a été commise par nous, si quelque disposition défectueuse vous est proposée, si quelque autre importante a été omise, nous avons moins de regrets en pensant que ces fautes n’échapperont ni à vos lumières, ni à celles du ministre, dernier juge de nos travaux.

Paris, le 20 juin 1842.

 

PROJET D’ORDONNANCE ROYALE CONCERNANT LE GOUVERNEMENT CIVIL DE L’ALGÉRIE

ET PARTICULIÈREMENT DES TERRITOIRES DE COLONISATION.

LOUIS-PHILIPPE, ROI DESFRANÇAIS, à tous présents et à venir SALUT.

NOUS AVONS ORDONNÉ et ORDONNONS ce qui suit :

TITRE Ier.

ART. 1er. — Toute partie de l’Algérie qui n’aura pas été légalement déclarée territoire de colonisation continuera d’être régie suivant les lois, ordonnances, règlements et arrêtés qui forment la législation spéciale del’Algérie.

ART. 2. — Lorsqu’il y a lieu de classer une partie de l’Algérie comme territoire de colonisation, il est statué par ordonnance royale.

ART. 3. — Est déclare dès à présent territoire de colonisation, toute la partie de la province d’Alger, comprenant Alger, le Sahel d’Alger, Douera, Boufarick, Blidal, Cherchell, et la portion de la Métidja renfermée dans la ligne décrite au plan A annexé à la présente.

ART. 4. —  Toutes les fois qu’une partie de l’Algérie, province ou district, ville ou campagne aura été déclarée légalement territoire de colonisation, elle sera, pour tout ce qui concerne l’état des personnes et des propretés, régie par les dispositions suivantes.

TITRE II.

DISPOSITIONS APPLICABLES À TOUT TERRITOIRE DE COLONISATION.

ART. 5. — Seront appliqués dans toutes celles de leurs dispositions auxquelles il n’aura pas été dérogé,

Le Code civil ;

Le Code de commerce ;

La Code de procédure civile ;

Le Code d’instruction criminelle ;

Le Code pénal et toutes les lois de police et de sûreté ;

La loi sur la contrainte par corps ;

La loi d’expropriation pour cause d’utilité publique.

ART. 6. — Une ordonnance royale modifiera les formalités de la loi française d’expropriation , mais sans qu’il puisse être porté atteinte aux principes,

1° De l’indemnité préalable à toute expropriation ;

2° Du remboursement en capital de la chose expropriée, toutes les fois qu’il sera demandé par le propriétaire ou l’ayant droit ;

3° De la juridiction établie pour statuer, en cas de contestation sur l’indemnité réclamée.

ART. 7. —  Ne sont applicables que dans les dispositions qui auraient été expressément mises en vigueur par le pouvoir compétent,

1° Toutes les lois relatives à l’exercice des droits politiques ;

2° Les lois sur l’organisation judiciaire, administrative et municipale ;

3° Les lois touchant le régime forestier, la pêche fluviale et maritime, la chasse et la police rurale ;

4° Les lois de douane ;

5° Les lois de finances, et en général toutes les lois, décrets et ordonnances relatives à l’établissement d’un impôt et à sa perception.

ART. 8. — Les dispositions du Code civil relatives aux naissances, mariages et décès, à la tutelle, à l’émancipation, les règlements de police touchant les inhumations, et en général tout ce qui, dans les lois, décrets et ordonnances, concerne l’état civil des personnes, ne s’applique point à la population musulmane, laquelle retient en cette matière ses usages propres et ses lois.

ART. 9. — Les villes, villages et centres quelconques de population, fondés postérieurement au 1erjanvier 1841 sont affectés exclusivement aux populations françaises et européennes.

Nul indigène ne pourra y être propriétaire d’un immeuble, et aucun ne sera admis à y résider, si ce n’est en vertu d’une permission individuelle toujours révocable.

ART. 10. — Tout étranger non indigène qui aura été autorisé à résider dansune ville ou village de l’Algérie jouira des mêmes droits civils que les Français.

S’il est propriétaire par achat, concession ou autrement, dans la circonscription desdits villes ou villages, soit d’une terre et d’une habitation, soit d’un établissement de commerce ou d’industrie, et s’il joint à la possession une résidence d’une année, il acquiert par ce seul fait le titre et les droits de citoyen, sans préjudice du temps nécessaire pour obtenir en France les droits et la qualité de citoyen français, conformément à la loi constitutionnelle.

ART. 11. — Demeurent soumis à tous les règlements et mesures de police relatifs aux étrangers,

1° Les indigènes ;

2° Les étrangers qui n’auront pas acquis le titre et les droits de citoyens.

TITRE III.

DU POUVOIR LÉGISLATIF POUR LES TERRITOIRES DE COLONISATION.

ART. 12. — À l’avenir il sera statué par ordonnance royale rendue sous la forme des règlements d’administration publique :

1° Sur toute matière intéressant les droits civils et politiques ;

2° Sur la procédure criminelle ;

3° Sur toute disposition pénale entraînant une peine supérieure aux peines de simple police ;

4° Sur l’organisation municipale ;

5° Sur l’organisation des tribunaux français en Algérie ;

6° Sur toutes dispositions affectant le commerce, le régime des douanes et l’établissement d’un impôt quelconque en Algérie ;

7° Sur toute proposition tendante à déclasser un territoire de colonisation.

ART. 13. — Il est statué par ordonnance royale,

1° Sur l’organisation administrative ;

2° Sur la discipline des avocats et des officiers ministériels ;

3° Sur l’organisation des tribunaux indigènes ;

4° Sur la police de la presse ;

5° Sur la police des cultes ;

6° Sur l’instruction publique ;

7° Sur l’organisation et le service des milices ;

8° Sur le régime forestier ; sur la police de la chasse, de la pêchemaritime et fluviale, et sur la police rurale ;

9° Sur la fixation du taux de l’intérêt de l’argent ;

10° Et en général sur toutes les mesures relatives au mode de perception d’un impôt dûment établi.

ART. 14. — Les matières qui ne sont pas, conformément aux articles précédents, réservées aux règlements d’administration publique, et aux ordonnances royales, seront, suivant les circonstances, réglées, soit par des arrêtés du ministre de la guerre, soit par des arrêtés du gouverneur général dans les cas et suivant les formes qui seront ci-après déterminés.

ART. 15. — Le ministre de la guerre prend des arrêtés pour le règlement des matières d’administration centrale et pour l’exécution des lois et ordonnances.

ART. 16. —  Le gouverneur général prend des arrêtés ou décisions pour régler les matières d’administration et de police locales, et pour la mise en vigueur des lois et ordonnances dont l’exécution lui a été confiée.

ART. 17. — Sont nuls de plein droit en justice toutes ordonnances, arrêtés ministériels, ou arrêtés du gouverneur général, rendus contrairement à une ordonnance royale, publiée sous la forme d’un règlement d’administration publique.

Sont pareillement nuls tous arrêtés, soit du ministre, soit du gouverneur général, rendus contrairement aux dispositions d’une simple ordonnance.

ART. 18. —  Est également nul et de nul effet tout arrêté du gouverneur général même fondé sur l’urgence, s’il annule ou modifie les lois et ordonnances concernant :

L’état des personnes et des propriétés,

La législation civile et criminelle,

L’organisation judiciaire,

L’institution du conseil d’État de l’Algérie,

Le régime du commerce et des douanes, si ce n’est en cas de guerre.

L’arrêté pris d’urgence sera néanmoins exécutoire provisoirement aux conditions suivantes :

1° S’il est relatif à un cas particulier et spécial à telle personne ou à telle chose déterminées ;

2° Si en déclarant l’urgence, il en énonce les motifs ;

3° S’il est rendu public par son insertion dans le journal officiel de la colonie.

L’arrêté pris d’urgence dans les circonstances qui précèdent sera définitivement valable, s’il reçoit l’approbation du ministre de la guerre, qui, dans ce cas, le prend sous sa responsabilité.

Si dans les deux mois de la date dudit arrêté, l’acte ministériel quil’approuve n’a pas été dûment notifié à qui de droit, l’arrêté sera caduc et nul en justice, sans préjudice des dommages et intérêts qui pourraient être réclamés par la partie lésée.

ART. 19. — L’acte ministériel confirmatif d’un arrêté pris d’urgence par le gouverneur général sera en outre rendu public par son insertion dans le journal officiel de la colonie.

TITRE IV.

DES FORMES DU GOUVERNEMENT.

CHAPITRE Ier

ART. 20. — Le commandement général et la haute administrationde l’Algérie sont confiés à un gouverneur général.

ART. 21. — Un officier général commandant la marine,

Un procureur général,

Un directeur de l’intérieur,

Un directeur des finances,

Un intendant militaire,

dirigent, sous les ordres du gouverneur général, les différentes parties du service.

ART. 22. — Le gouverneur général, toutes les fois qu’il le juge à propos,appelle près de lui un ou plusieurs des fonctionnaires désignés dans le précédent article, et les consulte, soit ensemble, soit séparément, sur toutes les questions qu’il lui plaît de leur soumettre.

ART. 23. — Un conseil qui sera dénommé Conseil d’État de l’Algérie, et dont il sera parlé ci-après, est placé près du gouverneur général pour éclairer ses décisions, pour participer à ses actes dans les cas déterminés, et pour faire l’office de tribunal du contentieux administratif.

ART. 24. — Chaque territoire de colonisation est divisé en cantons, et chaque canton en communes.

Il y a dans chaque canton un juge de paix, et dans chaque commune un corps municipal et une milice.

ART. 25. — Des juges nommés par le Roi rendent la justice en son nom. Ils ne peuvent être révoqués ni suspendus que par ordonnance royale.

CHAPITRE II.

DU GOUVERNEUR GÉNÉRAL ET DE SES POUVOIRS.

ART. 26. — Le gouverneur général exerce son autorité, sous les ordres et sous la responsabilité du ministre secrétaire d’État de la guerre. Ceux de ses pouvoirs qui ne sont pas présentement définis sont réglés parnos ordonnances dans les limites posées par les articles 12, 13, 14, 15, 16, 17 et 18 de la présente ordonnance.

ART. 27. — Le gouverneur général exerce l’autorité militaire, seul et sans partage. Il est le chef unique de l’armée, des milices et des forces navales ; il ordonne et dirige toutes les opérations de guerre, dont il remet l’exécution aux officiers placés sous son commandement. Dans les circonstances graves, il peut faire la guerre en personne.

ART. 28— Le gouverneur général exerce l’autorité civile, avec ou sans la participation du conseil d’État de l’Algérie. Les cas où cette participation est nécessaire sont définis ci-après.

CHAPITRE III.

DU CONSEIL D’ÉTAT DE L’ALGÉRIE ; DE SON ORGANISATION.

ART. 29. — Le conseil d’État de l’Algérie se compose,

D’un président,

De trois conseillers d’État,

De trois maîtres des requêtes,

Et d’auditeurs en nombre qu’il plaît au gouvernement de déterminer.

Un secrétaire archiviste tient la plume.

Lorsque le conseil d’État siège comme tribunal administratif, le secrétaire archiviste remplit les fonctions de greffier.

Le conseil d’État de l’Algérie siège à Alger.

ART. 30. — Excepté dans les cas où le conseil s’assemble et délibère comme tribunal du contentieux administratif, le gouverneur général peut toujours assister au conseil d’État. Il en est alors le président de droit.

ART. 31. — Les membres du conseil d’État de l’Algérie sont nommés par le Roi, qui a seul le droit de les révoquer. Ils prêtent serment entre les mains du Roi.

Leur traitement est fixé ainsi qu’il suit :

Le président                                       X

Chaque conseiller                              X

Chaque maître des requêtes               X

L’auditeur                                           X

Le secrétaire archiviste                       X

ART. 32. —  Le conseil ne peut délibérer s’il n’y a au moins quatre membres présents, non compris les auditeurs. En cas de partage, la voix du président est prépondérante.

Les séances du conseil ne sont pas publiques.

Le mode de procéder du conseil et la forme de ses délibérations seront plus amplement définis par une ordonnance ultérieure.

CHAPITRE IV.

DES ATTRIBUTIONS DU CONSEIL D’ÉTAT DE L’ALGÉRIE.

ART. 33. — Le conseil d’État de l’Algérie donne son avis sur toutes les affaires que le gouverneur général juge à propos de lui soumettre.

Il ne peut délibérer que sur les affaires qui lui sont présentées par le gouverneur général, ou par son ordre, sauf le cas où il juge administrativement.

Les projets d’ordonnance, de règlements et d’arrêtés, l’examen des questions douteuses que présente l’application des lois et décrets, et toutes affaires qu’il est facultatif au gouverneur général de proposer au conseil, peuvent toujours être retirées par lui, lorsqu’il le juge convenable.

ART. 34. — Le gouverneur général de l’Algérie statue après avoir pris l’avis du conseil d’État,

1° Sur les projets de budgets ou de travaux à adopter ou à soumettre au ministère ;

2° Sur l’ouverture ou le tracé des routes ;

3° Sur l’approbation à donner aux plans et devis des travaux, et sur les modifications qui peuvent devenir nécessaires pendant le cours de leur exécution ;

4° Sur les marchés et adjudications de tous ouvrages, approvisionnements ou traités de fournitures ;

5° Sur la vente des approvisionnements et des objets inutiles ou impropres au service ;

6° Sur l’approbation à donner aux budgets des recettes et dépenses municipales, et sur les projets de travaux à la charge des communes ;

7° Sur les acquisitions, aliénations ou échanges d’immeubles à faire pour le compte de l’État ou des communes ;

8° Sur les autorisations de plaider demandées par l’autorité municipale ;

9° Sur les projets de concession du domaine public ;

10° Sur l’assiette et la perception des redevances et contributions générales et locales ;

11° Sur le règlement des tarifs, en matière de douane ou autres ;

12° Sur les demandes ayant pour objet l’établissement des sociétés anonymes ;

13° Sur la création des établissements publics et de bienfaisance ;

14° Sur la création ou l’autorisation à donner à la fondation de collèges, écoles ou autres établissements intéressant l’instruction publique ;

15° Sur la police des cultes ;

16° Sur l’acceptation des dons et legs pieux, d’utilité publique ou de bienfaisance ;

17° Sur la police sanitaire et celle de la navigation ;

18° Sur les expropriations à ordonner pour cause d’utilité publique, sauf l’indemnité préalable en faveur du propriétaire dépossédé ;

19° Sur l’autorisation à donner pour la poursuite des agents du gouvernement, devant les tribunaux ordinaires pour faits relatifs à leurs fonctions ;

20° Sur tous les règlements d’administration et de police administrative ; sur les décisions et instructions règlementaires en exécution des ordonnances royales et des arrêtés ;

21° Sur les propositions de toute nature à faire au Roi pour la législation de l’Algérie.

ART. 35. — L’avis du conseil, dans le cas prévu par les articles précédents, n’est point obligatoire pour le gouverneur général ; mais il est toujours et immédiatement communiqué au ministre, avec la décision conforme ou contraire du gouverneur général.

ART. 36. — Le conseil d’État de l’Algérie connaît, comme tribunal de contentieux administratif :

1° De tous les conflits élevés par les chefs d’administration, chacun en ce qui le concerne, et du renvoi devant l’autorité compétente ;

2° Des demandes et contestations concernant les indemnités duesaux propriétaires dépossédés pour cause d’utilité publique préalablement constatées ;

3° Des demandes et contestations concernant les indemnités, et, s’il y a lieu, les dommages et intérêts qui pourraient être dus dans les cas prévus par le dernier paragraphe de l’article 18 ci-dessus.

4° De toutes les contestations qui peuvent s élever entre l’administration et les entrepreneurs de fournitures ou de travaux publics, ou tous autres qui auraient passé des marchés avec le gouvernement touchant le sens ou l’exécution des clauses de ces marchés ;

5° Des réclamations des particuliers qui se plaignent de torts ou de dommages provenant du fait personnel des entrepreneurs, à l’occasion de marchés passés par ceux-ci avec le gouvernement ;

6° Des demandes en réunion de terrains au domaine, lorsque les concessionnaires ou leurs ayants droit n’ont pas rempli les clauses des concessions ;

7° Des contestations relatives à l’ouverture, la largeur, le redressement et l’entretien des routes et chemins ; à l’alignement des rues dans les villes ; aux servitudes pour l’usage de ces routes, chemins et rues ; à l’établissement des embarcadères, ponts, bacs ; à la pêche sur les rivières, lacs et étangs appartenant au domaine ;

8° Des empiétements sur toute propriété publique ;

9° Des demandes formées par les comptables en mainlevée de séquestre ou d’hypothèque ;

10° Et, en général, de tout le contentieux administratif dont la connaissance est, en France, dévolue au conseil de préfecture et au conseil d’État.

ART. 37. — Les arrêtés du conseil d’État de l’Algérie, jugeant comme tribunal administratif, pourront être déférés au conseil d’État de France ; mais ils seront dans tous les cas provisoirement exécutoires.

Néanmoins, en ayant égard aux circonstances, le gouverneur général pourra d’office, ou sur la demande des parties intéressées, suspendre l’exécution jusqu’à décision définitive.

ART. 38. — Les jugements du conseil d’État, statuant comme tribunal administratif, sont rendus exécutoires par le gouverneur général.

ART. 39. — En cas d’absence du gouverneur général, pour opérations de guerre ou pour toute autre cause, il sera suppléé par le président du conseil d’État, pour tous les actes de l’administration civile.

TITRE V.

DE L’ORGANISATION MUNICIPALE.

CHAPITRE I

DE LA FORMATION DU CORPS MUNICIPAL

ART. 40. — Le conseil municipal de chaque commune se compose d’un maire, d’un ou plusieurs adjoints et de conseillers municipaux.

ART. 41. — Les maires, adjoints et conseillers municipaux sont choisis parmi les principaux propriétaires, et parmi les notables habitants de la commune ; ils sont nommés par le gouverneur général.

ART. 42. — Les maires, adjoints et conseillers municipaux peuvent être suspendus et révoqués par arrêtés du gouverneur général.

ART. 43. — Les maires, adjoints et conseillers municipaux sont nommés pour trois ans ; ils doivent être majeurs de 21 ans et résider dans la commune.

ART. 44. —  Le conseil municipal sera composé, y compris les maire et adjoints, de 10 membres, dans les communes de 500 habitants et au-dessous ; de 12, dans celles de 500 à 2 500 ; de 15, dans celles de 2 500 et au-dessus ;

À Alger, il sera de 20 membres.

ART. 45. — Pourra être appelé à faire partie du conseil municipal, tout Français et tout Européen admis à résider dans la circonscription d’une ville ou village de l’Algérie.

ART. 46. — Dans les communes établies postérieurement au 1erjanvier 1841, nul indigène ne sera admis à faire partie du corps municipal.

Dans les villes ou villages existant antérieurement au 1erjanvier 1841, les indigènes pourront faire partie du corps municipal, sans que toutefois leur nombre puisse jamais y dépasser le tiers de la totalité des membres.

À savoir : Trois dans les communes où le corps municipal a dix membres ;

Quatre dans les communes où il en a douze ;

Cinq dans celles où le conseil municipal a quinze membres ;

Et six à Alger.

ART. 47. — Le gouverneur général déclarera démissionnaire et pourra remplacer immédiatement tout membre du conseil municipal qui aura manqué à trois convocations consécutives, sans motifs reconnus légitimes par le conseil.

ART. 48. — La dissolution des conseils municipaux peut être prononcé par le gouverneur général.

L’acte de dissolution fixera l’époque de la nomination.

Dans le cas où les maires et adjoints cesseraient leurs fonctions pour des causes quelconques, avant la nomination du corps municipal, le gouverneur général pourra désigner les individus qui exerceront provisoirement les fonctions de maire et d’adjoints.

ART. 49. —  Toute délibération d’un conseil municipal portant sur des objets étrangers à ses attributions, ou prise hors de sa réunion légale, est nulle de plein droit. Le gouverneur général, en conseil d’État, déclarera la nullité. Cette déclaration sera définitive et exclusive de tout recours.

ART. 50. —  L’époque des réunions ordinaires des conseils municipaux, le mode et les cas d’autorisation de leurs réunions extraordinaires, les règlements pour l’ordre de leurs délibérations et la police de lors assemblées, le mode de formation des listes servant à la nomination des membres des corps municipaux, seront déterminés par des arrêtés du gouverneur général, le conseil d’État entendu.

CHAPITRE II.

ATTRIBUTION DU CORPS MUNICIPAL.

ART. 51. — Le maire ou son adjoint remplit, dans les communes de l’Algérie, les mêmes fonctions qui appartiennent aux maires et adjoints des communes de France, sous les restrictions suivantes :

À Alger, et dans toutes les communes où il y a un agent spécial del’autorité administrative, le maire ne remplit aucune fonction d’administration proprement dite ;

Dans les villes ou villages où il y a un juge de paix, il n’exerceaucune fonction de police judiciaire.

ART. 52. — Chaque commune a son budget particulier des dépenses et son budget des recettes.

ART. 53. — Le conseil municipal délibère sur tous les objets qui, en France, sont soumis à la délibération des conseils municipaux, et notamment :

1° Sur le budget de la commune présentant les dépenses et les recettes ;

2° Sur le compte desdites recettes et dépenses qui sera nécessairement rendu dans les six mois qui suivront la clôture de l’exercice ;

3° Sur les tarifs et règlements de perception de tous les revenus communaux, droits d’octroi, de place aux halles et marchés, de pesage et de mesurage et autres ;

4° Sur les projets d’alignement des rues et places publiques qui ne font point partie de la grande voirie ;

5° Sur les projets de travaux publics dont l’exécution aura lieu en tout ou en partie aux frais de la commune ;

6° Sur le mode d’administration des biens communaux ;

7° Sur les acquisitions et aliénations d’immeubles ;

8° Sur les procès à intenter et à soutenir dans l’intérêt des communes, et sur toutes les transactions qui pourraient en être la conséquence ;

9° Enfin, sur toutes les questions dont il sera saisi par l’administration.

ART. 54. — Les délibérations des conseils municipaux, sur les objets énoncés au précédent article, sont exécutoires sur l’approbation du gouverneur général.

ART. 55. — Le conseil municipal est aussi appelé à donner son avis sur les objets pour lesquels les conseils municipaux, en France, doivent être consultés, conformément à la loi sur l’administration municipale.

ART. 56. — Les recettes municipales comprennent :

1° Les revenus de toutes les propriétés communales ;

2° Le produit des octrois municipaux ;

3° Le produit des droits de place perçus dans les halles, foires, marchés, abattoirs, d’après les tarifs dûment autorisés ;

4° Le produit des péages communaux des droits de pesage, mesurage et jaugeage, des droits de voirie, et autres droits légalement établis ;

5° Le produit de la ferme du Mézouard ;

6° Le produit des permis de stationnement et des locations sur la voie publique, sur les ports et rivières et autres lieux publics ;

7° Le produit des autorisations et amendes de petite voirie, celui des rétributions pour le balayage ;

8° Le prix des journées de traitement dans les hospices civils à rembourser par les particuliers qui y seront admis à cette condition ;

9° Le revenu de la dotation des fontaines ;

10° Le produit des concessions d’eau, de l’enlèvement des boues et immondices de la voie publique, et autres concessions dépendantes de l’autorité municipale ;

11° Le prix des concessions dans les cimetières ;

12° Le produit des expéditions des actes administratifs et des actes de l’état civil ;

13° La portion réversible aux communes du revenu des biens des mosquées et des fondations pieuses ;

14° Les prélèvementsstipulés au profit des communes sur les bénéfices de certains établissements ; sur la recette des théâtres et des jardins publics ;

15° La portion que les lois accordent aux communes dans le produit des amendes prononcées par les tribunaux de simple police, et par ceux de police correctionnelle ;

16° Les contributions extraordinaires dûment autorisées ;

17° Les dons et legs ;

18° Le produit des emprunts dûment autorisés et généralement le produit de toutes les taxes de ville et de police, dont la perception est autorisée par la loi ; et toutes autres recettes régulières ou accidentelles.

ART. 57. — Une ordonnance royale rendue sur la proposition du gouverneur général désignera les communes où l’établissement d’octrois est autorisé, et déterminera le mode d’organisation de ces octrois, les cas où leur produit constitue, soit une recette municipale, soit une recette de l’État, et les procédés à l’aide desquels cette distinction sera établie.

ART. 58— Les dépenses des communes comprennent :

l° Les traitements des agents municipaux dument autorisés ;

2° Les frais de bureau et d’impression ;

3° L’établissement et l’entretien dans les proportions qui seront fixées de la maison commune, de l’église, de l’hospice, du cimetière, du presbytère, de l’école, du bureau de charité, de l’aqueduc et de la fontaine, de la halle et du marché, et de tous autres lieux ou édificesconsacrés à un service communal ;

4° Les frais de perception des revenus communaux ;

5° L’éclairage, l’arrosage et le balayage publics ;

6° La construction, l’entretien et le nettoiement des égouts ;

7° Les dépenses de la milice ;

8° Les frais des plans et alignements et généralement de toutes les dépenses mises à la charge des communes par une disposition ayant force de loi.

ART. 59. — Aucun emprunt, aucune contribution extraordinaire, votés par le conseil municipal, ne pourront être autorisés que par un arrêté du gouverneur général statuant en conseil d’État.

ART. 60. — Les tarifs des droits de voirie sont réglés par arrêtés du ministre de la guerre, sur la proposition du gouverneur général.

ART. 61. — Il sera pourvu prochainement par une ordonnance royale à l’organisation de la milice dans les villes et communes de l’Algérie.

ART. 62. — Sont dès à présent remises en vigueur, les dispositions des art. 39 et 40 de l’arrêté du gouverneur général de l’Algérie, en date du28 octobre 1836, modifié par l’arrêté du 1erdécembre de la même année, relativement au mode de nomination des officiers et sous-officiers de la milice.

ART. 63. — Sont pareillement et dès aujourd’hui remises en vigueur, les dispositions des articles 74 et suivants dudit arrêté du 28 octobre 1836, relatifs au mode de répression des infractions à la discipline commises par les membres de la milice.

ART. 64. — Les dispositions de notre ordonnance du 16 juin 1832, en ce qui concerne les chambres de commerce de France, sont rendues communes à la chambre de commerce d’Alger, sauf les exceptions que nous jugerions à propos d’introduire, et sous les modifications suivantes :

ART. 65. — Le renouvellement annuel du tiers des membres de la chambre se fait dans une assemblée composée,

1° Des membres de la chambre de commerce actuelle ;

2° Des membres du tribunal de commerce ;

3° Et de notables commerçants en nombre égal à celui des membres du tribunal de commerce et de la chambre de commerce. Ces notables seront désignés par le gouverneur général, sur la présentation du conseil municipal.

ART. 66. — L’assemblée électorale sera convoquée et présidée par le maire, à moins qu’un autre fonctionnaire n’ait été délégué à cet effet par le gouverneur général.

ART. 67. — Nul ne pourra être nommé membre de la chambre de commerce s’il n’a exercé ou n’exerce le commerce, ou une industrie manufacturière.

TITRE VI.

DISPOSITIONS SPÉCIALES AUX VILLES DE BÔNE, ORAN ET PHILIPPEVILLE.

ART. 68. — Seront dès à présent déclarées communes aux villes de Bône, Oranet Philippeville, toutes les dispositions de la présente ordonnance, concernant l’institution du conseil d’État de l’Algérie, l’organisation municipale, celle de la milice et l’organisation judiciaire.

TITRE VII.

DE L’ORGANISATION JUDICIAIRE.

CHAPITRE Ier

ART. 69. —Nul ne peut être distrait de ses juges naturels. Il ne sera en conséquence créé aucune commission extraordinaire.

ART. 70. — Les audiences sont publiques, au civil comme au criminel, excepté dans les affaires où la publicité est jugée dangereuse pour l’ordre et les mœurs.

Dans tous les cas, les jugements et arrêts seront prononcés publiquement.

Ils seront toujours motivés.

CHAPITRE II.

DES TRIBUNAUX FRANÇAIS,

ART. 71. — L’organisation judiciaire comprend :

1° Une cour royale siégeant à Alger ;

2° Des tribunaux de première instance siégeant à Alger, Bône, Oran et Philippeville ;

3° Un tribunal de commerce siégeant à Alger ;

4° Des justices de paix dont le nombre, le siège et la circonscription sont réglés par ordonnances royales ;

5° Des tribunaux musulmans en nombre indéterminé, qui sont établis par des arrêtés du ministre de la guerre, et dont le gouverneur général nomme les membres.

ART. 72. — Le ressort de la cour royale embrasse la totalité de l’Algérie, saufla juridiction des conseils de guerre sur les crimes et délits commis en dehors des limites qui sont déterminées par le ministre de la guerre, sans que, dans aucun cas, un territoire ou une partie de territoire de colonisation puisse être placée en dehors de ces limites.

ART. 73. — La juridiction des tribunaux de première instance s’étend sur tous les territoires de colonisation existants dans chaque province, et en outre sur tous les territoires occupés jusqu’aux limites fixées par le ministre de la guerre, dans le cas où il jugerait à propos d’en établir, sans qu’en aucun cas, tout ou parti d’un territoire de colonisation puisse être placé en dehors de ces limites.

ART. 74. — La juridiction du juge de paix pourra s’étendre même au-delà de son canton, jusqu’aux limites qui seront déterminées par des arrêtés spéciaux du gouverneur général, et sans qu’en aucun cas le canton ou partie de canton appartenant à un territoire de colonisation puisse être placé en dehors de ces limites.

La compétence et les fonctions des juges de paix sont les mêmes que celles des juges de paix de France.

Des magistrats spéciaux, dont le titre et les fonctions seront définisultérieurement, pourront êtreinstitués dans les lieux situés en dehorsdes territoires de colonisation et des limites déterminées comme il vient d’être dit.

ART. 75. — La cour royale se compose :

1° D’un président ;

2° De six conseillers ;

3° De deux conseillers-adjoints ayant voix délibérative ;

4° D’un greffier et de deux commis-greffiers.

Il y a près de la cour royale un procureur général, deux avocats généraux, un substitut du procureur général.

ART. 76. — La cour royale se constitue, suivant les cas, en chambre civile, en chambre d’accusation et en cour de justice criminelle.

ART. 77. — Comme chambre civile, la cour royale connaît en dernier ressort des matières civiles et commerciales, sur l’appel des jugements des tribunaux de première instance ou de commerce et des tribunaux musulmans.

ART. 78. — Comme chambre civile et comme chambre d’accusation la cour royale juge au nombre de trois membres au moins.

ART. 79. — La cour royale constituée en cour de justice criminelle juge toutes les affaires de la compétence des cours d’assises, directement pour la province d’Alger, et sur appel des jugements rendus par les tribunaux d’Oran, de Bône et de Philippeville, dans les cas prévus par le second et le dernier paragraphe de l’article 84 ci-après.

La cour royale, constituée en cour de justice criminelle, juge au nombre de cinq membres au moins. Trois voix sont nécessaires pour tout jugement de condamnation.

ART. 80. — La cour royale ne peut exercer d’autres attributions que celles qui lui sont expressément conférées par la présente ordonnance.

Le droit d’évocation, les injonctions au procureur général lui sont nommément interdits.

Elle ne peut se réunir en assemblée générale que sur la réquisition du procureur général, et seulement pour délibérer sur les objets qui lui sont communiqués par ce magistrat.

ART. 81. — Les tribunaux de première instance d’Alger, de Bône, d’Oran et de Philippeville se composent :

D’un président ;

D’un juge d’instruction ;

D’un nombre de juges titulaires et de juges suppléants qui sera fixé par ordonnance royale.

D’un greffier et de commis greffiers assermentés, en nombre qui sera déterminé par arrêtés du ministre.

Les juges suppléants ont voix délibérative.

Le juge qui a fait l’instruction peut siéger, excepté dans le cas oùle titre de la prévention emporte peine afflictive et infamante.

Il y a près de chaque tribunal de première instance un procureur du Roi et un substitut.

ART. 82. — Dans tous les cas où il y a eu instruction, le tribunal, en chambre du conseil, statue sur le rapport du juge d’instruction, et, suivant les circonstances, renvoie l’inculpé devant la juridiction compétente ou déclare qu’il n’y a lieu à suivre. Dans ce dernier cas, il ordonne toujours sa mise en liberté.

Lorsque l’instruction d’un fait qualifié crime se poursuit àAlger oudans la province d’Alger, la cour royale, constituée en chambre d’accusation, remplit l’office de la chambre du conseil et statue directement sur le rapport du procureur général. Elle prononce le renvoi devant la juridiction compétente, ou déclare qu’il n’y a lieu à suivre.

ART. 83 — Le juge d’instruction remplira toutes les fonctions et possèdera tous les pouvoirs attribués au juge d’instruction près des tribunaux français par le Code d’instruction criminelle.

ART. 84. — Les tribunaux de première instance ne peuvent rendre aucun jugement si ce n’est au nombre de trois juges au moins.

ART. 85. — La compétence et la juridiction des tribunaux de première instance, jugeant en matière civile, correctionnelle et de simple police, sont les mêmes que celles des tribunaux de France.

Tout jugement rendu par le tribunal de police correctionnelle, excepté dans le cas où il juge sur l’appel d’une autre juridiction, est attaquable par la voie de l’appel.

Les tribunaux de première instance de Bône, d’Oran et de Philippeville sont aussi compétents pour juger :

1° Les affaires de commerce à l’égard desquelles leur compétence en dernier ressort est la même qu’en matière civile ;

2° Les crimes à la charge d’appel.

ART. 86. — Le tribunal de commerce d’Alger se compose de notables négociants nommés chaque année par le ministre de la guerre.

Ils sont indéfiniment rééligibles.

Ils ne peuvent siéger qu’au nombre de trois.

Un greffier et un commis-greffier sont attachés à ce tribunal dont le président et les juges titulaires ou suppléants ne reçoivent ni traitement, ni indemnité.

La compétence du tribunal de commerce à Alger est la même quecelle des tribunaux de commerce en France.

ART. 87. — Le procureur général, les avocats généraux, le substitut du procureur général, les procureurs du Roi et leurs substituts, el tous les magistrats chargés de les suppléer, exercent auprès de la cour ou tribunal auquel ils sont attachés, tous les pouvoirs et jouissent de tous les droits et prérogatives qui, en France, appartiennent aux officiers du ministère public.

ART. 88. — Les membres de la cour royale et des tribunaux de première instance, les officiers du ministère publie près cette cour et ces tribunaux, et les juges de paix, ne peuvent être, même momentanément, distraits de leur siège, ni transférés d’un siège à un autre que par ordonnance royale.

ART. 89. — En cas d’absence ou d’empêchement, le procureur général est remplacé par un des avocats généraux qu’il désigne, et, à défaut de désignation, par le plus ancien d’entre eux.

ART. 90. — Le procureur général correspond directement avec le ministre de la guerre pour tout ce qui concerne l’administration de la justice.

ART. 91. — Les greffiers sont suppléés par les commis-greffiers et au besoin par des officiers publics ou ministériels assermentés que le tribunal désigne.

ART. 92. — Il est attaché aux tribunaux français pour les assister et siéger avec eux, dans les cas déterminés au titre suivant, des assesseurs musulmans au nombre de quatre pour Alger, et de deux pour chacune des villes de Bône et d’Oran.

Ces assesseurs sont nommés par le gouverneur général.

ART. 93. — Des interprètesassermentés sont spécialement attachés au service des divers tribunaux, et répartis selon les besoins par arrêtés du gouverneur.

ART. 94. — Le président de la cour, les conseillers titulaires et adjoints, le procureur général, les avocats généraux, le substitut du procureur général, les présidents, les juges titulaires et adjoints, les procureurs du Roi, les substituts du procureur du Roi et les juges de paix doivent réunir toutes les conditions d’aptitude requises pour exercer les fonctions correspondantes dans la magistrature française.

ART. 95. — Les ordonnances royales portant nomination des magistrats désignés dans le précédent article seront rendues sur la proposition et sous le contre-seing de notre garde des sceaux, ministre secrétaire d’État de la justice, qui se concertera à cet effet avec notre ministre secrétaire d’État de la guerre.

ART. 96. — Les magistrats nommés en conformité de l’article qui précède, seront considérés comme détachés pour un service public du département de la justice. Ils pourront demander à rentrer dans la magistrature métropolitaine après cinq années d’exercice des fonctions qui leur auront été conférées en Algérie.

ART. 97. — Les magistrats dénommés dans les articles précédents portent le costume attribué en France aux fonctions qu’ils remplissent. Les corps judiciaires et les membres qui les composent prendront rang entre eux suivant les distinctions établies par les articles 277, 278 et 279 du l’ordonnance royale du 24 septembre 1828.

ART. 98. — Les traitements de tous les membres de la magistrature sont déterminés par une ordonnance royale. Ces traitements subissent les retenues établies en faveur de la caisse des retraites du ministère de la justice.

Les services, en Algérie, sont comptés comme s’ils avaient été rendus en France.

ART. 99. — Les greffiers et les commis-greffiers sont nommés par le ministre de la guerre, qui règle les traitements et indemnités à leur allouer ; moyennant ces allocations le matériel des greffes et le personnel auxiliaire, quand il y a lieu, demeurent à la charge des greffiers.

Les droits de greffe et d’expédition sont perçus au profit du Trésor.

ART. 100. — Les juges et leurs greffiers n’ont droit à aucune vacation pour les actes ou opérations auxquels ils procèdent dans l’ordre de leurs attributions. Il leur est seulement alloué, selon les cas, une indemnité de transport réglée par arrêté du ministre de la guerre, en raison des distances parcourues.

ART. 101. — Le ministre de la guerre détermine également le mode de rémunération des assesseurs musulmans, à raison de leur participation aux jugements pour lesquels leur assistance est requise.

CHAPITRE III.

DES TRIBUNAUX INDIGÈNES.

ART. 102. — Il sera statué par une ordonnance spéciale sur l’organisation et la compétence des tribunaux indigènes.

La même ordonnance déterminera le mode de procéder dans les instances civiles où un musulman est intéressé.

CHAPITRE IV.

DISPOSITIONS GÉNÉRALES TOUCHANT LA COMPÉTENCE ET LA PROCÉDURE

DES TRIBUNAUX EN ALGÉRIE.

ART. 103. — La loi française régit les conventions et contestations entre Français et étrangers. Les indigènes sont présumés avoir contracté entre eux selon la loi du pays, à moins qu’il n’y ait convention contraire.

ART. 104. — Les tribunaux français connaissent seuls de tous crimes, délits oucontraventions, à quelque nation ou religion qu’appartienne l’inculpé.

ART. 105. — Les tribunaux français ne peuvent prononcer, même contre les indigènes, d’autres peines que celles qui sont établies par les lois pénales françaises.

ART. 106. — Demeure réservée aux conseils de guerre, la connaissance des crimes et délits commis en dehors des limites, telles qu’elles auront été déterminées en exécution de l’article 72.

Les jugements rendus par les conseils de guerre, en vertu du présent article, ne donnent lieu qu’au pourvoi en révision, tel qu’il est réglé par les lois militaires.

Néanmoins, lorsqu’un Français ou un Européen, étranger à l’armée, a été traduit devant un conseil de guerre, le jugement peut être déféré à la cour de cassation, mais seulement pour incompétence ou excès de pouvoir.

Si le jugement porte la peine capitale, il pourra être déféré à la cour de cassation, pour toute violation des formes substantielles de la juridiction militaire.

Dans les cas prévus par les deux paragraphes précédents, la déclaration de pourvoi sera toujours suspensive de l’exécution du jugement.

ART. 107. — L’article 463 du Code pénal ne sera point applicable en cas de crimes et délits commis par les indigènes :

1° Contre la sûreté de l’État, aux termes du liv. III, tit. I, chap. 1, sect. I et 2 du Code pénal ;

2° Contre la paix publique, aux termes du chap. IlI, sect. 1, et 3 du même code ;

3° Contre la personne d’un Français, d’un Européen ou d’un indigène au service de la France.

ART. 108. — Tout indigène condamné à une peine excédant six mois d’emprisonnement pourra être transféré en France pour y subir sa peine et contraint d’y résider, après son expiration, pendant le temps qui sera déterminé par le gouvernement. Le retour en Algérie pourra de plus lui être interdit à temps ou à toujours.

ART. 109. — Tout jugement portant condamnation à la peine de mort et prononcé, soit par les tribunaux, soit par toute autre juridiction, ne pourra être mis à exécution qu’autant qu’il nous en aura été rendu compte, et que nous aurons décidé de laisser à la justice son libre cours.

ART. 110. — Toutefois, dans le cas d’urgence extrême, le gouverneur général pourra ordonner l’exécution, à la charge de faire immédiatement connaître les motifs de sa décision à notre ministre secrétaire d’État de la guerre qui nous en rendra compte.

Ce pouvoir attribué au gouverneur général ne pourra dans aucun cas être délégué.

ART. 111. — Le gouverneur général peut ordonner un sursis à l’exécution de toute condamnation quelconque. Il en rend compte sur-le-champ au ministre. Le droit de grâce n’appartient qu’au Roi.

ART. 112— Le recours en cassation est ouvert aux parties en toute matière contre les jugements et arrêts rendus en dernier ressort.

ART. 113. — En matière correctionnelle, la partie civile ne peut citer directement le prévenu à l’audience si elle n’est préalablement autorisée par le ministère public, sans préjudice de l’action civile en réparation ou en dommages et intérêts qu’elle peut toujours intenter.

ART. 114. — Dans les affaires qui intéressent le gouvernement, le procureur général sera tenu, lorsqu’il en sera requis par le gouverneur, de faire, conformément aux instructions qu’il en recevra, les actes nécessaires pour saisir les tribunaux.

ART. 115. — Tout officier du ministère public qui en sera requis par le procureur général devra lui communiquer les conclusions qu’il se proposera de donner. En cas de dissentiment, le procureur général pourra toujours porter la parole.

En aucun cas la disposition du présent article ne devra faire obstacle à l’expédition des affaires et entraver le cours de la justice.

ART. 116. — Le mode de procéder en matière criminelle, correctionnelle et de simple police devant les tribunaux de l’Algérie se réglera sur les dispositions du Code d’instruction criminelle relatives à la procédure devant les tribunaux de police correctionnelle.

ART. 117. — En matière criminelle, le président de la cour et les presidents des tribunaux pourront faire application de l’article 269 du Code d’instruction criminelle.

ART. 118. — En matière criminelle et correctionnelle, la cour ou le tribunal ne peuvent être dessaisis de l’affaire portée devant eux, qu’après qu’ils ont épuisé leur juridiction.

ART. 119. — Une ordonnance spéciale déterminera les modifications qu’il pourrait être utile d’introduire dans les règles de la procédure civile pour les tribunaux jugeant en matière civile et commerciale.

TITRE VIII.

DE L’ÉTAT DE SIÈGE.

ART. 120. — Lorsque tout ou partie du territoire de l’Algérie aura été déclaré en état de siège, la ville ou la province, ou le territoire ainsi déclaré, sera sujet à toutes les dispositions des lois, décrets et ordonnances qui en France sont applicables à l’état de siège.

ART. 121. — Le gouverneur général déclare ou lève l’état de siège.

Il doit rendre compte immédiatement au ministre de la guerre des motifs qui ont déterminé cette mesure.

L’arrêté du gouverneur général déclaratif de l’état de siège est provisoirement exécutoire.

ART. 122. — L’état de siège est levé aussitôt que les circonstances qui l’ont motivé ont cessé.

ART. 123. — Lorsque l’état de siège aura été déclaré, il pourra être établi une cour prévôtale, composée ainsi qu’il est dit aux articles 297 et suivants de l’ordonnance royale du 24 septembre 1828, concernant l’organisation judiciaire dans l’île de la Martinique.

ART. 124. — Cette cour ne pourra être créée qu’en vertu d’un arrêté pris par le gouverneur général en conseil d’État.

L’arrêté énoncera les circonstances qui rendent nécessaire l’établissement de cette cour.

ART. 125. — Le gouverneur général donnera immédiatement avis au ministre de la guerre de l’arrêté portant création de la cour prévôtale, lequel sera provisoirement exécutoire.

___________________

[1] Cette Sous-Commission était composée de MM. le comte DE GASPARIN, pair de France, président ; GUSTAVE DE BEAUMONT, DE LOYNES, DE TOCQUEVILLE, députés ; FILLEAU DE SAINT-HILAIRE, conseiller d’État ; JAHAN, auditeur au conseil d’État, secrétaire.

[2] Voyez page 443.

[3] Voyez l’article 154 de l’ordonnance du 29 février 1827.

« Les conseillers coloniaux nommés par le Roi sont choisis parmi les notables de la colonie. » (Art. 184.)

[4] Voyez l’article 157, § 2 et l’article 201 de l’ordonnance du 27 février 1827.

« Les membres du conseil général sont nommés par le Roi, sur la présentation des conseils municipaux. »

[5] Voyez les articles 156 et 179 de la même ordonnance.

[6] Dans l’arrêté du 18 novembre 1834, le gouverneur se fonde sur les articles 6, 9, 10 et 12 de l’arrêté de M. le ministre de la guerre du 1er septembre 1834, dans aucun desquels on ne trouve absolument rien qui ait trait aux institutions municipales.

[7] Article 9 de la loi du 18 juillet 1837.

[8] Le moindre traitement d’un juge anglais est de 4 000 liv. st. (100 000 fr.)

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