Rapport sur un ouvrage de M. G. Salomon : La liberté des mesures contre les accidents industriels

Frédéric Passy, Rapport sur un ouvrage de M. G. Salomon : La liberté des mesures contre les accidents industriels (Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, t. 118, 1882, p. 880). 


La liberté des mesures contre les accidents industriels.

Par M. Georges SALOMON.

 

M. Frédéric Passy : L’un des correspondants de cette Académie, M. E. Worms, dans une communication récente, citait, avec un juste éloge, l’opinion de M. Georges Salomon, ingénieur distingué, qui, à diverses reprises, et notamment à l’occasion des caisses de secours et de prévoyance des ouvriers mineurs, a très heureusement touché au côté économique des questions de son ressort ; le travail auquel se référait M. Worms est une brochure sur la liberté des mesures contre les accidents industriels, extraite des mémoires de la Société des Ingénieurs civils. J’ai l’honneur de la déposer, au nom de l’auteur, sur le bureau.

Il ne serait pas à propos, après la lecture qu’a entendue l’Académie, de reprendre devant elle la question discutée dans cette brochure. Je dirai seulement que l’étude de M. G. Salomon est aussi sobre que substantielle, et qu’elle me paraît devoir être consultée avec fruit par les personnes qui ont à s’occuper du grave et délicat problème qui y est abordé.

Ce problème, c’est en faveur de la liberté, le titre le laisse entrevoir, que M. Salomon estime qu’il doit être résolu. D’après lui, les mesures préventives, quelque minutieuses et quelque sévères qu’on les suppose, ne sauraient suffire ; jamais ni la réglementation ni la surveillance officielles ne réussiront à empêcher les imprudences et à combattre l’incurie. La répression, c’est-à-dire l’application rigoureuse de la responsabilité aux industriels coupables d’avoir manqué d’attention ou de prévoyance, peut seule, en tendant de plus en plus « le puissant ressort de l’intérêt personnel », tenir constamment en éveil l’attention des intéressés.

Ce n’est pas d’ailleurs sur des considérations théoriques, mais sur des faits positifs que M. Salomon appuie cette manière de voir ; et ces faits sont aussi curieux qu’instructifs. Il en résulte, d’une part, que dans les pays où fleurit l’inspection officielle les règlements d’ateliers sont très imparfaits et les moyens de préservation peu étudiés ; d’autre part, que dans les pays où règnent à la fois la liberté et la responsabilité qui en est la sanction, des travaux sérieux sont effectués et les ateliers sont l’objet d’une vigilance incessante. Cette vigilance n’est pas d’ailleurs simplement individuelle ; elle devient, dans certains pays, en Alsace par exemple, une surveillance mutuelle, d’une efficacité bien autre que celle qu’on peut attendre de l’action administrative la plus énergique. À Mulhouse il existe, depuis une quinzaine d’années, une association pour prévenir les accidents de machines ; et cette association, dans ce court espace de temps, a réussi à réduire ces accidents de plus des quatre cinquièmes : elle a suscité l’esprit d’invention et répandu l’emploi des mesures de précautions par des récompenses honorifiques, des subsides, des facilités offertes aux expérimentateurs et aux constructeurs d’engins de perfection. Elle a inspiré des sentiments de prudence aux ouvriers, qui y sont trop souvent si peu disposés, et elle a fait comprendre aux patrons la grandeur de leur responsabilité. Son influence, quoique toute morale, est telle qu’elle s’étend même au-delà de son cercle direct d’action. Nos départements de l’Est, aujourd’hui séparés de l’Alsace par la frontière, en recueillent le bénéfice ; et M. l’inspecteur divisionnaire du travail des enfants, en résidence à Nancy, constate que dans cette région la situation est bien meilleure qu’elle ne l’est dans le reste de la France.

C’est à l’industrie, en somme, d’après le fondateur de l’association alsacienne, M. Engel Dollfus, qu’il appartient de « faire elle-même la police de ses ateliers » ; et M. G. Salomon est de cet avis, en ajoutant qu’elle seule est en mesure d’y réussir. Quant à ce qui est de l’État, il n’y a à solliciter de lui que des pénalités sévères contre les patrons chez lesquels surviendraient des accidents qui auraient pu être évités par des procédés de protection : et la tâche du législateur se réduit à faire disparaître, par une bonne détermination de la responsabilité, l’arbitraire que laisse trop subsister la législation actuelle.

Je ne saurais, pour ma part, qu’applaudir à ces conclusions, et je les enregistre avec plaisir, en priant l’Académie d’agréer avec bienveillance l’hommage que je suis chargé de lui faire.

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