Supplément : Une lettre inédite de Molinari sur la religion

En complément de l’étude précédente sur la conception que  Molinari se faisait du rôle des religions dans les sociétés contemporaines et antiques (lire ici), nous publions ici une lettre inédite que l’économiste belge envoya à Charles-Alexandre-Prosper Haulleville (1830-1898), journaliste belge qui venait de publier une recension du livre Religion (1892) de Molinari.

Nous tenons à remercier Dries Van Thielen pour la mise au jour de cette lettre.


Une lettre inédite de Molinari sur la religion

 

Paris 5 mars 1892

Mon cher de Haulleville,

Je viens de recevoir les articles que vous avez consacré à l’analyse et à l’appréciation de mon livre : Religion, et je ne veux pas tarder à vous en remercier. L’analyse est absolument fidèle : c’est la réduction photographique de ma pensée, sauf cependant sur un point assez important. Je ne crois pas que la religion soit nécessaire seulement pour le peuple, je la crois nécessaire pour tout le monde. N’ai-je pas dit, et vous l’avez répété, qu’elle est la condition du développement et de la conservation du sens moral ?

Quant à votre appréciation, elle est celle d’un catholique et elle ne pouvait pas être autre. Vos objections m’embarrasseraient peut-être, si j’étais plus théologien et moins économiste.  Mais quand je me reporte aux conditions d’existence de l’homme primitif et de ses successeurs immédiats, chasseurs, anthropophages, etc., je ne puis concevoir qu’il ait possédé d’emblée « une religion pure et vraie » comme celle que je rêve.  Je ne puis admettre davantage que la religion chrétienne soit la seule vraie et que toutes les autres n’aient été fondées que sur des impostures. St. Augustin n’a-t-il pas dit que la religion chrétienne existait chez les anciens et n’a jamais fait défaut depuis la naissance du genre humain ? Ce qui signifie évidement que les concepts religieux des anciens avaient quelque chose de divin.

Enfin, je ne me rends pas bien compte de la différence que vous établissez entre la séparation et la distinction de l’Église et de l’État, et je persiste à croire — toujours en ma qualité d’économiste — que l’Église gagnerait à être placée sous un régime de pleine liberté — impliquant le droit d’association et d’appropriation, tel que l’entendent les économistes et non les politiciens « libéraux ».

Et je me demande où pourra conduire dans l’avenir l’application du principe de l’union de l’Église et de l’État. En effet, si l’union est plus utile que la séparation, toutes les religions, toutes les sectes demanderaient à être unies à l’État, et il ne pourra le leur refuser, à moins de privilégier une religion au détriment des autres. Cette communauté dans l’État avec des religions qu’elle considère comme fausse est-elle bien conforme à la doctrine de l’Église catholique ? Et si l’Église se refuse à l’accepter, c’est donc le monopole qu’elle demande, en justifiant ainsi les défiances que les amis de la liberté manifestent à son égard.

Je m’arrête car je ne veux pas entamer une discussion qui pourrait nous mener loin. Je me borne à vous remercier cordialement du bien que vous avez dit du livre et de l’auteur.

Votre tout affectionné

G. de Molinari

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