Une longue paix européenne peut-elle faire oublier aux peuples les maux de la guerre ?

Dans son Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe (1713), texte dans lequel il défend la création d’une Confédération ou Union européenne, l’abbé de Saint-Pierre examine l’objection suivante : est-il possible qu’une paix prolongée fasse disparaître des esprits les maux des guerres passées et qu’ainsi la paix, par une sorte de ruse de l’histoire, fasse le jeu des partisans de la guerre, de l’expansion et des conquêtes ? Selon Saint-Pierre, pour contrer ce penchant, fruit naturel de l’esprit des hommes, il faut mettre et remettre sans cesse sous les yeux des hommes tant les maux de la guerre que les bienfaits de l’union et de la paix.


Une longue paix européenne
peut-elle faire oublier aux peuples les maux de la guerre ?

par l’abbé de Saint-Pierre

extrait du Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe (1713)

XLVIIe objection
Une longue Paix effacera toute idée des malheurs de la Guerre

Une paix fort longue, une paix qui aura duré deux ou trois siècles en Europe, aura tellement effacé toutes les idées des malheurs de la guerre, que ce que l’on en contera alors, ne fera presque plus d’impression sur les esprits ; on sera si accoutumé aux biens dont l’Europe abondera, que l’on ne fera presque plus d’attention à la multitude et à la grandeur de ces biens, et bien moins à la véritable source d’où ils procèdent, qui est l’union et la paix. Ainsi il ne sera pas étonnant que les folles idées d’ambition s’emparent alors de la plupart des esprits.

Réponse.

Il est à propos de faire attention à cette objection, car elle est fondée sur l’indolence que produit l’habitude, et c’est la nature même ; mais il n’est pas impossible de trouver les moyens les plus propres de remettre devant les yeux de la postérité la peinture au vrai de tous nos malheurs passés. 1° Par des histoires exactes, et bien circonstanciées. 2° Par un état des souverainetés particulières de l’Europe, de leurs revenus, de leurs dettes avant l’établissement de la Société [la Confédération ou Union européenne proposée par Saint-Pierre]. 3° Ordonner qu’on fera un registre exact de ce qui s’est fait d’utile durant chaque règne, règlements, établissements, canaux, ports, édifices, paiements de dettes ; et que tous les dix ans chaque souverain en fera remettre un état à la ville de paix.

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