Yves Guyot, La gestion par l’État et les municipalités (Livre I, chapitres 1 et 2)

extrait de : Yves Guyot, La gestion par l’État et les municipalités, Librairie Félix Alcan, 1913

(Ce livre sera publié à la rentrée en français et en anglais [il avait bénéficié d’une traduction en 1914])


LA GESTION PAR L’ÉTAT ET LES MUNICIPALITÉS

 

LIVRE PREMIER : EXPLOITATIONS INDUSTRIELLES PRIVÉES ET PUBLIQUES

CHAPITRE PREMIER : LES DEUX FORMULES

Ni l’État, ni les communes ne doivent jamais faire ce que peut faire un particulier.

Telle est la formule économique.

Les socialistes, plus ou moins conscients, y opposent celle-ci :

— À l’industrie pour le gain, il faut substituer l’industrie pour le service.

Les expériences de nationalisation et de municipalisation de services, faites dans ce but, sont assez nombreuses pour permettre de vérifier si les pays ou les communes en ont tiré le bénéfice promis.

Telle est la question que je vais examiner dans les pages suivantes.

CHAPITRE II : LES TROIS MOYENS D’ACTION

La contrainte, la séduction, la rémunération. — La nationalisation et la municipalisation doivent remplacer le troisième mobile par les deux premiers. — Pas de dividende. — Mais intérêt et amortissement. — L’altruisme des conseils désintéressés. — L’industrie pour le service.

La question est psychologique : elle se réduit aux termes suivants :

L’industrie privée, ayant le gain pour but, il faut la remplacer par une industrie désintéressée.

Jusqu’à présent, on n’a constaté que trois moyens de provoquer les actes humains : la contrainte, la séduction, la rémunération.

La contrainte, c’est le travail servile et la rapine. Travaille ou je frappe. Donne ou je prends.

La séduction des hautes situations, des galons, des décorations, des rangs protocolaires, des hommages et des couronnes peut compléter la contrainte : nous voyons ces deux moyens employés dans les écoles, les églises et l’armée.

Leur succès comporte deux conditions : d’un côté, l’art de commander ; de l’autre côté, l’esprit de discipline. Elles caractérisent l’esprit militaire, fondé sur le respect de la hiérarchie.

La contrainte et la séduction suppriment le contrat dont les termes sont librement consentis.

La rémunération implique un accord préalable. Consentement de celui qui offre ses services et de celui qui les rémunère.

La nationalisation et la municipalisation obéissent aux deux premiers mobiles :

1°. Elles contraignent les minorités qui ne les acceptent pas à les subir, à payer pour elles ;

2°. Elles opèrent par la séduction de la popularité, de la puissance politique ;

3°. Mais ces deux moyens ne sont pas suffisants pour déterminer l’action continue des ouvriers, des employés, des fonctionnaires chargés du fonctionnement des services nationaux et municipaux. Le troisième mobile : la rémunération, n’est donc pas supprimé. Tout le personnel employé travaille, non pour le service, mais en vue d’un gain.

— Mais ce gain n’est pas un bénéfice ; ce que nous voulons supprimer, c’est le bénéfice.

— Bien, alors la question se réduit à ces termes :

Le bénéfice est le résultat de la direction de l’entreprise.

La direction de l’entreprise nationale ou municipale est-elle plus économique que la direction d’une entreprise privée ?

Les partisans de la nationalisation et de la municipalisation répondent à priori :

— Oui, parce qu’il n’y a pas de dividende à donner au capital.

— Mais il y a des intérêts et des amortissements à payer au capital. Par conséquent, la marge d’économie ne comprend que la différence entre les intérêts et l’amortissement dont les entreprises publiques doivent faire le service et le dividende qu’aurait reçu le capital d’une entreprise privée.

— Le haut personnel est moins payé que dans les entreprises privées et il n’y a pas de conseils d’administration intéressés.

— C’est possible, mais les traitements des ministres, les indemnités des lords-maires, des bourgmestres, des maires sont élevés ; seulement ils sont répartis sur plusieurs attributions. Chacun des membres du haut personnel administratif peut être moins payé que ses collègues ayant une situation analogue dans l’industrie privée ; mais en général le personnel est plus nombreux et les frais deviennent plus élevés. L’administration de l’Ouest-État avait constitué seize directions au lieu des trois divisions classiques des compagnies de chemins de fer. Il n’y a pas de conseils d’administration intéressés ; mais la question est de savoir si l’altruisme des conseils qui dirigent et contrôlent les entreprises nationales ou municipales est plus avantageux que l’intérêt.

Les exploitations nationales ou municipales ont donc recours aux trois moyens d’action :

La contrainte et la séduction, qui n’ont pas un caractère économique ;

La rémunération du personnel, qui a un caractère économique.

Leurs partisans font résider l’économie qu’elles présentent dans la non-rémunération du capital, au-delà de l’intérêt et de l’amortissement ; dans une étroite rémunération des promoteurs, des directeurs, des conseils et du haut personnel de l’entreprise.

Voilà les limites auxquelles se réduit « l’industrie pour le service ».

L’expérience a-t-elle prouvé qu’elle est plus avantageuse que l’industrie pour le gain ?

A propos de l'auteur

L’Institut Coppet est une association loi 1901, présidée par Mathieu Laine, dont la mission est de participer, par un travail pédagogique, éducatif, culturel et intellectuel, à la renaissance et à la réhabilitation de la tradition libérale française, et à la promotion des valeurs de liberté, de propriété, de responsabilité et de libre marché.

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