Correspondance inédite de J.-G. Courcelle-Seneuil avec Arthur Mangin

Dans ces quelques lettres inédites, tirées des archives personnelles d’Arthur Mangin (collaborateur notamment à l’Économiste français) Jean-Gustave Courcelle-Seneuil exprime quelques mises au point sur certaines de ses prises de position ou sur son enseignement de l’économie politique à l’École normale. On notera, comme particulièrement éclairante, une explication sur l’emploi abusif du mot « capital » par les économistes, et une réclamation sur la qualification d’ « esprit absolu » et d’ « économiste intransigeant ».


Correspondance inédite de J.-G. Courcelle-Seneuil avec Arthur Mangin

12 février 1881 (2 pages)

Paris, 12 février 1881.

Mon cher ami,

Je réponds tout de suite à votre aimable demande, bien ou mal, je n’en sais rien.

J’ai voulu que mon cours fût surtout théorique, estimant qu’avec des auditeurs tels que les élèves de l’École normale, habitués aux études de science pure, c’était le moyen le plus court et le meilleur d’aboutir à des résultats pratiques.

Voilà le point de vue auquel je me suis placé. La note ci-jointe présente mon programme. Faites-en ce qu’il vous plaira. 

À bientôt !

Votre bien affectionné,

JG. Courcelle-Seneuil.

P.S. En relisant ma note je la trouve sèche et ennuyeuse. Pourrez-vous en faire quelque chose d’intéressant ? Ce serait un tour de force. 


30 avril 1882 (1 page)

Paris, 30 avril 1882.

Mon cher ami,

Ne prenez donc pas au tragique ce que je vous ai dit au sujet de Cauwès. Je sais bien que vous ne pouvez approuver les doctrines d’un disciple effacé et sceptique du très croyant Carrey, ni le traiter dans le Journal officiel comme je l’ai traité dans le Journal des économistes, mais je croyais que la politesse froide suffisait et je vous ai trouvé la politesse chaude. Peut-être me suis-je trompé. Quoiqu’il en soit, n’en ayez cure. Vous devez être un vieux blasé comme moi et vous avez bien raison de croire que tout cela ne touche en rien à notre vieille amitié.

Votre tout affectionné,

JG. Courcelle-Seneuil


Sans date [mai 1886] (3 pages)

Mon cher Mangin,

Je viens de lire l’article que vous avez publié dans l’Économiste français sur le livre de M. Villey et sur mon compte-rendu du même livre. Je vous ai trouvé spirituel et de bon sens, comme à l’ordinaire, et, au fond, absolument du même avis que moi. Mais vous aimez les fleurs, dont je ne vous fais pas un reproche, et vous en avez répandu beaucoup plus que moi.

Permettez-moi de vous répondre peu de mots à l’aimable querelle que vous me faites.

Quelle partie de la législation n’est pas économique plus ou moins ? Je n’en connais aucune. Il peut y en avoir : je ne la vois pas. La voyez-vous ?

Vous dites que le livre de M. Villey vous semble en valoir tel ou tel autre sur le même sujet. Je l’ai dit, que ce livre vaut même mieux, puisqu’il contient moins d’erreurs. Je l’ai dit. Vous y constatez « l’insuffisance, le défaut de précision et de fermeté des notions vraiment scientifiques ». Vous dites mieux et moins brutalement que moi la même chose exactement.

Vous dites que quand on fait une conférence sur des matières d’application, on peut ne pas employer les termes rhétoriques. Je vais plus loin que vous et dis qu’on ne doit jamais les employer. Mais quand on expose les éléments d’une science, fût-ce à l’école primaire, il faut parler le language rhétorique.

J’aurais bien quelque chose à reprendre sur ce que vous dites de l’économie politique, en tant que science, mais ce serait trop long. J’insiste encore sur l’emploi abusif du mot capital, à cause de ceci surtout qu’il fait supposer que le capital se conserve tout seul indépendamment du capitaliste. Qu’importe, dites-vous ? Qu’on suppose implicitement que le capital pousse spontanément comme l’herbe des champs, d’où la conséquence qu’on peut le partager sans le détruire, ce qui est au fond l’erreur socialiste. N’y a-t-il  pas d’ailleurs métonymie évidente dans le vieux cliché du rapport du capital et du travail ? Mais vous aimez les fleurs, même les fleurs de rhétorique. Des goûts et des couleurs…

Suis-je vraiment un esprit absolu et un économiste intransigeant, parce que je crois que l’économie politique existe comme science, sans feindre de professer à cet égard un agréable et accommodant scepticisme ? Peut-être. Je regrette pourtant que vous m’ayez traité d’esprit absolu et je le regretterais bien davantage si j’étais jeune, car dans le temps où nous vivons et pour le vulgaire, il vaudrait mieux être traité de voleur ou même d’assassin… intéressant.

Vous m’accusez de sévérité excessive. Je crois que vous avez été sévère à l’excès pour moi et peut-être, à la réflexion, serez-vous de mon avis.

Cela ne m’empêche pas de conserver pour vous la sympathie la plus cordiale.

JG. Courcelle-Seneuil 


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Deux lettres additionnelles : 14 janvier 1884 (1 page). J.-G. Courcelle-Seneuil transmet une note lue à l’Académie quelques jours auparavant. — Sans date (1 page). J.-G. Courcelle-Seneuil envoie des épreuves qu’il prie Arthur Mangin de lire au plus tôt.

A propos de l'auteur

Jean-Gustave Courcelle-Seneuil a défendu toute sa vie la liberté des banques, ce qui lui a valu d'être redécouvert par les partisans récents de ce système. Il a aussi apporté une contribution novatrice sur la question de l'entreprenariat avec son Manuel des affaires (1855), le premier vrai livre de gestion. Émigré au Chili, il y fut professeur et eut une grande influence sur le mouvement libéral en Amérique du Sud.

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