De la meilleure forme d’emprunts publics

De la meilleure forme d’emprunts publics, Société d’économie politique, réunion du 5 avril 1886 (Journal des économistes, 1886)


SOCIÉTÉ D’ÉCONOMIE POLITIQUE

RÉUNION DU 5 AVRIL 1886.

DISCUSSION : De la meilleure forme d’emprunts publics. 

La séance est présidée par M. Léon Say, président. À ses côtés est assis M. Montt, ministre du Chili à Paris, invité du bureau.

M. A. Courtois, secrétaire perpétuel, énumère les ouvrages et brochures parvenus à la Société depuis la précédente séance (voir ci-après la liste de ces publications).

Sur la proposition de M. J. de Gasté, ancien député, la réunion adopte comme sujet de discussion la question suivante :

DE LA MEILLEURE FORME D’EMPRUNTS PUBLICS.

M. de Gasté prend la parole pour exposer la question. Cet exposé est le développement des observations qu’il a présentées dans deux lettres des 9 et 15 mars dernier au ministre des finances, et dans une autre lettre du 23 mars au Président de la République, à propos du projet d’emprunt étudié par le gouvernement et par la Chambre.

M. de Gasté, passant en revue les exemples d’emprunts publics remarquables, soit en France, soit à l’étranger, fait constater d’abord ceci : que trois gouvernements, ceux de l’Angleterre, de la Prusse et des États-Unis, ont seuls jusqu’ici obéi aux règles de l’arithmétique et aux prescriptions commandées par l’intérêt de leur nation.

Ces règles, ces prescriptions consistent à emprunter au pair, ou aux environs du pair, au taux d’intérêt exigé par les circonstances, puis, quand le taux de l’intérêt s’est abaissé, à offrir le remboursement au pair, par séries, aux créanciers de l’État qui ne voudraient pas accepter une réduction d’intérêt conforme aux circonstances, toujours sans augmentation de capital.

L’Angleterre, qui en 1815 avait une dette moins considérable absolument que la dette actuelle de la France, mais beaucoup plus lourde si l’on tient compte de sa population en 1815, par trois conversions successives, en 1822, 1830, 1844, a réduit son 5% en 4%, en 3,5%, puis en 3%, sans augmentation de capital, et n’a eu que des sommes insignifiantes à rembourser à chaque conversion.

La Prusse a imité l’Angleterre, mais en 1848 elle n’avait encore pu réduire son 5% par des réductions successives qu’en 3,5%. Pendant la guerre de 1870-1871 que Napoléon III lui avait déclarée, elle a emprunté du 4,5% aux environs du pair, entre 97 et 98, mais il lui a fallu plus d’un mois pour placer entièrement son emprunt chez elle.

Les États-Unis, pendant les quatre ans qu’à duré la guerre de sécession, ont emprunté aux environs du pair, d’abord à 4%, puis à 5, à 6, enfin à 7,3% (sept trois dixièmes pour cent), environ une douzaine de milliards.

La guerre civile finie, ce dernier emprunt ne fut pas difficile à réduire chez eux d’intérêt sans augmentation de capital.

Plus tard, ils ont placé chez eux et en Europe, à Londres et à Paris notamment, deux emprunts en 4,5% à 103, puis du 4% à 102,75, s’élevant ensemble à près du tiers de leur dette primitive, pour rembourser les banquiers qui ne voulaient pas accepter la réduction d’intérêt sans augmentation du capital.

En France, le ministre des finances actuel s’est cru obligé de tenir compte d’autres considérations que celles-là, et il a proposé d’émettre un emprunt à 3%, au lieu d’emprunts à 4% et à 4,5% à émettre à la Bourse, où des emprunts semblables sont cotés, et à compléter ensuite, s’il y a lieu, par des emprunts avec publicité et concurrence au-dessus du pair en 4%.

Il est facile de voir, dit M. de Gasté, combien le projet soumis aux Chambres est défectueux.

1° Si le 3% à émettre est souscrit à 80, la France pour recevoir un milliard prendra l’engagement de rembourser 1 250 millions et de payer un intérêt annuel de 87 millions et demi, qui ne pourra pas être réduit par des conversions successives en 3% que l’Angleterre n’a pu raisonnablement convertir en 2,5%.

2° Si le 3% était émis à 75, pour recevoir un milliard, la France s’engagerait à rembourser 1 333 millions et à payer un intérêt annuel de 40 millions.

3° Du 4% émis à 105 50, ce qui serait possible, n’obligerait qu’à rembourser 975 millions pour recevoir un milliard et à payer un intérêt annuel de 39 millions, qui seraient réduits à 29 millions 250 000 francs quand le 4% aurait été réduit à 3% par des réductions successives d’intérêt, sans augmentation de capital.

4. Si l’on émettait du 4,5% convertible au bout de sept ans, comme le nouveau 4,5 qui est coté 109 à la bourse, s’il était émis à 105, ce qui ferait supposer une forte baisse de ce cours, pour recevoir un milliard la France n’aurait à rembourser que 950 millions et à payer pendant sept ans 42 millions 750 000 francs d’intérêt annuel, qui se trouveraient réduits à 28 millions et demi par le temps et par des réductions successives de l’intérêt à 3%, toujours sans augmentation de capital.

L’emprunt en 3%, dit l’orateur, ne serait préférable aux emprunts au-dessus du pair en 4% et en 4,5%, qui ont l’inconvénient d’exiger un intérêt un peu plus fort au début, mais de bien peu de chose pour le 4%, que si la faillite de la France était inévitable, ce que je suis loin de croire, bien que l’Angleterre depuis 1815, en consacrant chaque année 100 millions pour l’amortissement de sa dette, n’en ait guère diminué le capital de plus de 2 milliards et un quart, soit d’un dixième environ, réduisant l’intérêt à payer d’un cinquième au moins.

En un mot, conclut M. de Gasté, la France, comme l’Angleterre et les États-Unis, n’est point à la merci des capitalistes, et elle peut rester maîtresse de ses appréciations en matière d’emprunt.

D’après M. Adolphe Coste, on peut employer trois systèmes d’emprunt : 1° l’emprunt en rente perpétuelle au pair ou à des cours voisins du pair, en se réservant des conversions successives ; 2° l’emprunt en un fond amortissable, une sorte de prime de remboursement ; 3° l’emprunt en rente perpétuelle au-dessous du pair. Voyons les avantages et les inconvénients de ces différents systèmes :

Le fonds convertible à bref délai promet une économie facile à réaliser sur les arrérages. Mais cette économie est toujours rachetée par des conditions plus onéreuses au moment de l’emprunt. Si, par exemple, nous empruntions aujourd’hui en un fonds 4%, il est évident qu’on ne pourrait guère faire l’émission qu’au pair et même au-dessous du pair : on emprunterait au taux effectif de 4%, tandis qu’en rente 3% on peut emprunter au taux de 3,75%. On paierait donc d’une surcharge d’intérêt de 25% la faculté de réaliser ultérieurement une économie d’arrérages par la conversion. Des économistes éminents sont partisans de ce système qui a donné, en effet, des résultats très appréciables en Angleterre et surtout aux États-Unis. Peut-être dans ces pays, la rente est-elle un placement moins exclusivement national, moins divisé à l’infini que chez nous ; toujours est-il que le système des conversions est très impopulaire en France, parce qu’il ne s’applique jamais sans imposer aux petites gens d’épargne une perte sensible de capital. C’est là une difficulté à laquelle on se heurtera toujours et qui ôte beaucoup de ses avantages aux fonds convertibles.

Les fonds amortissables évitent cet inconvénient, puisque le remboursement s’en fait toujours fort au-dessus du prix d’émission. En France, un emprunt en 3% amortissable pourrait s’émettre à 82 francs, mais on le rembourse par séries progressives au pair de 100 francs ; on perd donc 18 points à chaque amortissement, tandis que le 3% perpétuel peut se racheter sur le marché à des prix voisins du prix d’émission et par conséquent sans majoration. Le 3% amortissable et, en général, les fonds remboursés avec majoration offrent encore cet inconvénient que le public n’apprécie jamais exactement la valeur de la prime de remboursement ; il ne considère surtout que le revenu effectif représenté par les coupons, non le revenu mathématique qui résulte des annuités. C’est pourquoi le 3% amortissable français, qui devrait être de 4 à 5 francs au-dessus du 3% perpétuel, ne présente avec ce fonds qu’un écart de 1 fr. 50 à 2 fr. On emprunterait en amortissable à un taux plus élevé qu’en perpétuel. Le système de l’amortissable aboutit donc comme celui des fonds convertibles à une élévation du taux de l’intérêt qui réagit fâcheusement sur le cours de toutes les autres valeurs mobilières.

Un autre inconvénient des dettes amortissables, c’est de laisser aux États qui les contractent une sécurité trompeuse. Pour constituer en 3% amortissable et non en 3% perpétuel les 1 466 millions qu’il s’agit d’emprunter présentement, il suffirait d’augmenter de 7 millions par an la charge du service de l’emprunt. Cette faible surcharge suffirait pour en assurer le remboursement en 67 ans. Cela est bien peu ; c’est trop peu. En vingt-cinq ans on n’aurait pas même éteint le quart de la dette ; ce serait donc quand les nécessités de l’emprunt auraient disparu, quand les motifs de courage feraient défaut, que la part de l’amortissement deviendrait de plus en plus considérable. Il est permis de douter que dans ces conditions on aille jusqu’au bout du remboursement. Le contrat sera modifié avant l’extinction de la dette.

L’expérience manque encore sur ce point, mais elle peut être invoquée indirectement. Une caisse d’amortissement destinée à amortir mécaniquement et automatiquement en quelque sorte la dette publique, a fonctionné en Angleterre et en France pendant la première moitié du siècle. Elle n’a donné de résultat que quand elle a opéré sur de véritables excédents budgétaires. Mais, en définitive, et dans les deux pays, les amortissements qu’elle a réalisés ont été plus que compensés par les emprunts simultanés qu’on faisait et qui n’auraient pas le plus souvent été nécessaires, si la caisse d’amortissement n’avait pas existé ; en sorte que ce système d’amortissement mécanique a toujours été onéreux pour le pays qui l’a pratiqué.

La vérité est qu’on ne rembourse la dette qu’avec des excédents budgétaires et que les amortissements sont d’autant plus faciles qu’on a emprunté au moyen du fonds qui permet le taux le plus avantageux, c’est-à-dire, dans le cas présent, en 3% perpétuel.

Du moment, en effet, où nous écartons les fonds au pair et le 3% amortissable, nous n’avons pas le choix des types de rentes. Comme il s’agit de faire un emprunt de liquidation, il faut évidemment employer dans ce but un titre qui liquide, un titre qui se négocie aisément sur le marché, qui soit compris du public aussi bien que des banquiers, qui enfin existe déjà et ait fait ses preuves. Il n’y a que le 3% perpétuel qui réponde à ces conditions. C’est lui qui permet d’augmenter au plus bas taux possible.

Est-ce à dire, parce qu’il est perpétuel, qu’on doive renoncer à l’idée de l’amortir ? Nullement, mais on choisira un temps pour cela. Il faudra d’abord créer des excédents budgétaires, et on les emploiera ensuite, soit au rachat des rentes sur le marché, soit à une transformation d’une partie des rentes perpétuelles en rentes temporaires. Il suffit, en effet, de majorer dans une certaine mesure l’intérêt de la rente perpétuelle pour la convertir en une annuité terminable. Quant au rentier qui serait disposé en tout temps à accepter cette conversion, il est tout trouvé : il s’appelle, en Angleterre, la caisse de la Cour de Chancellerie, et, en France, la Caisse des dépôts et consignations.

M. Léon Say se préoccupe plutôt du côté scientifique de la question. Il aurait désiré la voir traiter à un point de vue plus élevé, plus général.

Sans se borner à examiner ce que le gouvernement devrait faire dans les circonstances actuelles pour se procurer l’argent dont il a besoin, il faut plutôt se demander s’il y a parité entre les diverses formes de papier à émettre.

Soit, en effet, de la rente 4,5 perpétuelle, mais avec certitude de remboursement dans un temps donné : elle équivaut à une rente qui assurerait une annuité variable et décroissante, de 4,50 pendant dix ou douze ans, par exemple, puis de 4,25, puis de 4 pendant d’autres périodes de douze ans, etc.

Tel autre papier donnera un revenu fixe, mais pendant une période limitée d’avance — 75 ans, par exemple —, période au bout de laquelle l’État ne devra plus rien.

Tel autre fonds donnera un intérêt comportant, d’une part, un intérêt proprement dit, plus une portion d’intérêt sous forme de prime, soit prime de remboursement, soit prime en lots.

Tous ces fonds peuvent se calculer, se comparer en parités.

Donc, au point de vue économique, la forme même du papier, du titre, n’est pas intéressante. Si la population est ignorante et ne sait pas faire les calculs ci-dessus, le gouvernement peut la tromper, et il l’a fait plus d’une fois ; dans d’autres circonstances, on a vu parfois, au contraire, le gouvernement moins éclairé que la population, et se trompant lui-même.

À ce point de vue, le public, en Angleterre, est aujourd’hui plus instruit qu’en France. Ici, il calcule très mal, il ne sait pas se rendre compte, et la meilleure preuve, c’est le succès des valeurs à lots. Notre grand public n’a pu acquérir le sentiment de la valeur de l’annuité variable. M. Léon Say croit qu’il n’est pas très moral pour un gouvernement d’abuser de cette ignorance et de prendre les souscripteurs au moyen d’un fonds convertible.

Voilà quelques indications sur le côté économique de la question, que les précédents orateurs, dit-il, ont plutôt traité au point de vue administratif.

Cependant, malgré les observations ci-dessus, dans la pratique, il faut bien donner au public le genre de fonds qu’il demande ; il veut du perpétuel, il faut bien lui en céder. Mais alors il faudrait aussi avertir les prêteurs, leur bien dire que leur intérêt sera réduit à certaines époques.

Malheureusement, quand l’État fait un emprunt, il doit compter avec plus d’un élément. Il y a, par exemple, à apprécier très sérieusement la situation du marché, et c’est alors que les ministres des finances sont tous, fatalement, disposés à s’appuyer sur la spéculation, pour s’assurer une bonne réussite.

Aujourd’hui, par exemple, la situation est fâcheuse ; il règne une défiance incontestable ; il serait certainement difficile de trouver un milliard disposé à s’employer du jour au lendemain en rente. Il faut donc user de la spéculation pour placer les titres.

À l’heure qu’il est, M. Léon Say pense que la rente perpétuelle serait préférable, mais qu’il serait dangereux d’adopter une combinaison qui a été proposée, consistant à réserver des titres à tous les déposants des caisses d’épargne, considérés alors comme des souscripteurs privilégiés et irréductibles. Il pourrait y avoir là un trafic de livrets fort regrettable.

Il ajoute enfin une remarque au sujet de l’assertion de M. Coste, que, pour amortir vraiment, il faut avoir des excédents. Ce n’est pas exact, car on peut s’assurer des excédents à volonté, en maintenant des impôts, et amortir dans de pareilles conditions ne peut constituer une heureuse combinaison financière. Vouloir amortir quand même et se trouver obligé d’emprunter pour amortir, c’est aboutir à un véritable contre-sens.

M. Clément Juglar s’étonne qu’au moment d’emprunter on fasse valoir tant d’arguments pour limiter le bénéfice du prêteur et donner à l’emprunteur une situation privilégiée, en faisant entrevoir à bref délai la menace de la conversion.

On s’attriste de voir l’État emprunter au-dessous du pair, on constate l’écart entre le taux auquel il emprunte et le pair ; comme cet écart fera le bénéfice du prêteur, on le regarde comme une perte pour l’État : c’est là qu’est l’erreur.

Sans doute, si l’État devait rembourser au pair la somme empruntée au-dessous du pair, il y aurait perte pour lui. Mais il n’en est rien.

L’État choisit son jour et son heure, et, quand les cours ont dépassé le pair, il offre une réduction d’intérêt ou le remboursement au pair. Quand l’opération est bien conduite, combien peu de personnes se présentent au guichet des remboursements ; c’est, du moins, ce que les dernières conversions nous apprennent.

L’État réduit sa dette et ne rembourse pas le capital. La perte entière, capital et intérêt, retombe sur le rentier, s’il n’a pas réalisé, dans les hauts cours, avant la conversion.

Quant à l’État, tout le bénéfice est pour lui, puisque avec un taux moindre, il obtiendra dans l’avenir, s’il emprunte, un capital plus considérable que par le passé.

Mais, revenons au fait : il s’agit d’emprunter, et avant de choisir le titre de la rente à émettre, il faut prendre la cote de la bourse, observer le taux de capitalisation des valeurs, établir ce qu’en terme de banque on appelle la parité.

Rien de variable comme ce taux de capitalisation. Quand les risques et les revenus varient, cela se comprend ; mais quand c’est le même débiteur, l’État, et une somme fixe, les différences doivent tenir à d’autres causes.

Pourquoi les cours du 3%, du 4%, du 4,5% de l’amortissable ne sont-ils pas au même taux de capitalisation ?

Parce que, dans les placements en fonds publics, il y a deux catégories de preneurs : à long terme les rentiers, à court terme les banquiers et les spéculateurs, et ces derniers sont d’accord, non pas pour rechercher un taux d’intérêt élevé, mais, outre la solidité du placement, une grande élasticité des fonds sur lesquels ils opèrent, c’est-à-dire l’espoir de plus-value sur le capital que ne donnent pas les fonds aux environs du pair et sous la menace prochaine d’une conversion.

En un mot, même dans ces questions matérielles, c’est encore l’idée, l’espoir d’un bénéfice futur qui entraîne.

Ce choix fait, toute la spéculation suit, et, même sans capital et sans titre, acheteurs ou vendeurs de fonds publics cherchent à prélever une part de cette plus-value attendue, ou à la réaliser quand le mouvement de hausse est trop rapide et dépasse le taux du marché.

De là une variété infinie de combinaisons, ferme et à prime, qui, moyennant des risques limités, forment un réseau dans lequel toutes les opérations, à crédit ou au comptant, sont confondues et balancées à chaque liquidation.

Chaque pays a un fonds qui sert de chef de file ; c’est lui qui donne le branle et dont le taux d’intérêt est coté aux prix les plus élevés. Veut-on acheter ou vendre des millions, on n’a qu’un mot à dire, l’opération est faite et disparaît dans l’immense stock flottant des combinaisons de la spéculation.

À Paris, ce fonds privilégié est le 3%, c’est sur lui que porte tout le mouvement d’affaires ; de là son plus haut taux de capitalisation comparé au 4% ou 4,5% ou à l’amortissable. Pour ce dernier, rien ne prouve mieux la négligence du public à rechercher la valeur réelle des fonds publics qu’on lui offre. Ici, comme dans bien d’autres circonstances, il y a une grande différence entre la valeur réelle et la valeur ayant cours. Si l’on établit la parité du 3% perpétuel avec le 3% amortissable, sur le cours de 80 fr. pour le premier, le second devrait valoir 84 fr. 82 et on le cote 82 fr. 30.

Le public demande à être conduit, entraîné ; on a dit que le crédit des États était celui que les banquiers voulaient bien leur faire, tout en tenant compte de toutes les conditions du marché ; nous en avons un exemple frappant dans l’amortissable. Malgré les avantages qu’il offre, ce fonds n’est pas le favori de la Bourse ; son prix en porte la trace.

Quand on a besoin d’emprunter, que doit-on rechercher ? la plus grosse somme à recevoir immédiatement contre le moindre intérêt ; les combinaisons de conversion doivent entrer en seconde ligne, surtout quand l’expérience a montré combien dans notre pays on a de peine à convertir, même dans les circonstances les plus favorables.

Or, la cote à la main, voici la parité du taux des rentes dont nous avons le choix : 

Rente, 3% ; intérêt, 3 fr. 75 ; capital, 80 fr. »
      4% ;         4 fr.      ;            93 fr. »
Amortissable,         3 fr.      ;            84 fr. 82

Le 3% à 80 fr., le 4% devrait être coté 93 fr., l’amortissable 84 fr. 82. Pour ce dernier, on cote 82 fr. 30, — 2 fr. 52 au-dessous de sa valeur réelle comparée au 3%.

Ce serait cependant le meilleur choix à faire, parce qu’il porte son amortissement avec lui, mais la fausse appréciation du public ne permet pas d’y avoir recours. Voudrait-on répéter l’expérience sur le 4%, le résultat serait le même, et l’échec plus sensible pour l’État. Le revirement d’opinion de la commission de l’emprunt prouve que tout le monde l’a compris. Il a suffi de lui faire observer que dans une semblable opération le ministre des finances ne pouvait agir seul sans autre appui que le public, que déjà on avait pris position pour souscrire du 3%, qu’en un mot l’emprunt était déjà amorcé et que changer de front c’était jeter la perturbation dans les rangs, et aussitôt, malgré ses préférences, la commission s’est ralliée et a accepté le 3%.

Il n’y a pas de regrets à avoir ; notre confrère, M. Neymarck, a déjà montré dans le Rentier qu’en empruntant à 4% au pair, ce qui est douteux, et en convertissant en 20 ans le 4% en 3,5% en 3%, on débourserait la même somme totale qu’en empruntant à 3%, mais l’annuité à payer, pendant les dix premières années, serait de trois millions plus élevée.

En 3%, l’économie immédiate que l’État réalisera est supérieure aux économies éventuelles des conversions successives.

Comme toujours il y a un choix à faire et à examiner le côté théorique et pratique de la question.

En théorie, ne pas émettre d’emprunt au-dessous du pair, accepter les taux du marché, 6%, 5%, 4%, 3%, pour préparer les conversions futures.

En pratique, le pair dépassé sur le 5%, prendre le fonds déjà classé, à grande clientèle pour y noyer le nouvel appel au crédit ; avoir en vue la somme à encaisser pour la moindre annuité, ne pas faire entrevoir des conversions menaçantes. 

La séance est levée à dix heures quarante.

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