Discours du 28 juillet 1849 sur la prorogation

Discours du 28 juillet 1849 sur la prorogation

[Moniteur, 29 juillet 1849.]

 

REPRISE DE LA DISCUSSION DU PROJET DE PROROGATION. 

LE CITOYEN PRÉSIDENT. La parole est à M. Gustave de Beaumont. 

LE CITOYEN GUSTAVE DE BEAUMONT. Messieurs, tout le monde reconnaît que la proposition que quelques-uns de mes collègues et moi nous avons eu l’honneur de présenter à l’Assemblée n’est pas inconstitutionnelle. 

On reconnaît également que, malgré les objections qu’elle soulève, elle repose cependant sur des motifs sérieux. On ne peut pas méconnaître que, depuis quinze mois, la moitié des membres de cette Assemblée n’aient été siégeant ici, en permanence, sans avoir un seul instant de repos. (Rumeurs à gauche ) 

On ne conteste pas que, dans ce moment, il n’y ait une multitude de congés demandés (Oui ! oui !), qui menacent à chaque instant de laisser l’Assemblée dans un état de délibération impossible. 

LE CITOYEN PONS-TANDE (ARIÉGE). Il faut les refuser. 

Voix nombreuses à droite. N’interrompez pas ! n’interrompez pas ! 

LE CITOYEN GUSTAVE DE BEAUMONT. On reconnaît également, et c’est un fait qui n’est nié par personne, que, dans très peu de temps, les conseils généraux ouvriront leur session, dans le pays… (Rumeurs à gauche. — À droite. Taisez vous donc ! Laissez parler !) 

Je n’énonce que des faits, vous pourrez les contester ; mais, pour Dieu, permettez-moi, au moins, d’exprimer ma pensée. 

On ne conteste pas que très prochainement ne s’ouvre, dans les quatre vingt-six départements de la France, la session des conseils généraux dont font partie un très grand nombre de membres de cette Assemblée, et qu’il leur serait impossible de siéger tout à la fois dans cette Assemblée dont ils font partie et dans les conseils généraux dont ils font partie également. Voilà des faits qui sont certains, incontestables, que personne ne peut nier. Et cependant on fait aussi contre cette proposition un certain nombre d’objections sérieuses qu’il faut examiner. 

Les objections principales que l’honorable M. Emmanuel Arago vient de poser à cette tribune sont celles-ci : 

La première, c’est que la proposition est dangereuse pour l’ordre public, pour la liberté, pour la constitution, pour la République ; 

La seconde, c’est que la proposition est inopportune. 

Je m’attache aux objections principales, car je veux écarter tout de suite un certain nombre d’objections qui ne méritent pas même d’être examinées. Je ne veux pas combattre ici ceux de nos collègues qui, ayant pris un congé de trois mois, ont la conviction qu’il est fort inutile de prendre des vacances (On rit) ; je ne veux pas combattre non plus ceux qui, hier ou aujourd’hui même, viennent de partir, et qui trouvent que tout autre mode de partir est absolument inutile. (Nouveau rire d’approbation.) De même je ne veux pas discuter plus longtemps cette opinion cependant plus sérieuse de ceux de nos collègues qui disent : Pourquoi ne prendrions-nous pas des congés chacun à notre tour ? En nous accordant bien on pourra, en alternant, se remplacer les uns les autres, et, à l’aide d’absences et de retours successifs, on aura toujours une assemblée suffisamment garnie ; de cette façon les travaux de l’Assemblée ne seront pas ajournés. 

Ceux qui tiennent ce langage, qu’il me soit permis de le dire, tombent dans une complète erreur ; le rapporteur vous le dira, à l’heure qu’il est, on est arrivé à la limite possible des congés. 

La commission est assiégée de demandes de congé ; ceci est un fait que vous me permettrez de citer avant d’en tirer les conséquences. À l’heure qu’il est, la commission est assiégée d’une multitude de demandes de congé fondées, permettez-moi de le dire, pour la plupart sur des motifs très légitimes. 

Eh bien, je pose ce dilemme : De deux choses l’une : ou la commission accordera tous les congés, ou elle fera un choix. Si elle accorde tous les congés, il est impossible que l’Assemblée continue ses travaux ; elle ne sera plus en nombre pour discuter. Si elle fait un choix parmi les cent cinquante demandes de congé, comment pourra-t-elle faire ce choix, si ce n’est en procédant avec partialité et en se fondant sur l’arbitraire ? Certainement chacun de nous, s’il est victime de cette partialité et de cet arbitraire, se soumettra, parce que nous devons nous soumettre à la décision de nos collègues. Mais ce qu’on ne trouvera pas, c’est une commission qui accepte un pareil rôle, car on ne veut pas d’un mandat s’il n’y a pas de règles pour accomplir ce mandat. 

J’arrive à la véritable objection, à celle que l’honorable M. Arago a portée à cette tribune ; et d’abord je prends celle par laquelle il a fini, parce que c’est la plus grave. 

Est-il vrai que la proposition soit dangereuse pour les libertés publiques, et mette en péril la République et la constitution ? 

Je l’avoue, je serais très sensible à un pareil danger ; je m’associerais complètement, sous ce rapport, à la crainte qu’il a exprimée, si j’avais trouvé bons les arguments qu’il a présentés pour justifier son opinion. 

Sans doute il me rendra cette justice, c’est que, s’il y a de mauvais desseins, je n’en suis pas complice, mais j’ajoute que je ne voudrais pas en être dupe. 

J’examine donc quels sont tous ces dangers. Il vous a dit : Il y a déjà quelque temps que nous entendons dire et publier qu’il se répand de sourdes rumeurs, qu’il court de mauvais bruits : la constitution est menacée, des conjurations de diverse nature sont ourdies ; il y a une conspiration qui tend à replacer à la tête du gouvernement la branche aînée des Bourbons ; puis une autre conjuration collatérale vient se placer à côté de la première, qui tend à rétablir la dynastie de la branche cadette… 

Une voix à gauche. Il a été brûlé sur la place publique ! 

Autre voix. Il y a une autre conjuration ! (Attendez ! attendez !) 

LE CITOYEN GUSTAVE DE BEAUMONT. … Il y a enfin la conspiration impérialiste. (À l’extrême gauche. Ah ! ah !) 

Ce qui me frappe dans tout ceci, c’est à quel point toutes ces conjurations sont bien annoncées, car on dit même le jour précis où elles doivent éclater. Je suis également frappé d’une chose, c’est à quel point, permettez-moi de le dire, ces conjurations s’excluent les unes les autres ; car, si vous me faites peur de telle conspiration qui doit placer précisément à la tête du gouvernement telle restauration, en même temps que vous me menacez d’une autre restauration ou de l’établissement d’un nouvel empire, je vois là des terreurs qui s’excluent les unes les autres : plus vous m’intimidez d’un côté, plus je me trouve rassuré de l’autre. (Rumeurs à gauche.)

LE CITOYEN PRÉSIDENT. N’interrompez pas ; il y a quinze orateurs inscrits ; vous répondrez. (Rires et bruit.) 

LE CITOYEN GUSTAVE DE BEAUMONT. Mais voici un autre péril : évidemment, vous a dit M. Arago, beaucoup de personnes croient très sincèrement au péril d’un changement dans les conditions du pouvoir exécutif. 

Le pouvoir exécutif, dit-on, ne peut pas rester dans les conditions où il se trouve, c’est un obstacle à la confiance, il faut prolonger sa durée ; il va nous arriver de tous les points de la France des pétitions demandant de changer les conditions du pouvoir exécutif, et comme ces pétitions arriveront en masse, on dira : C’est la voix du pays ; et alors, en vertu de ce suffrage universel nouveau, dont la forme est également nouvelle, on changera la constitution, et ainsi on violera la constitution et la République. 

Assurément, si rien de pareil pouvait être tenté, les appréhensions de M. Arago seraient parfaitement légitimes. 

Mais, à présent que j’ai mis sous vos yeux le résumé de toutes les terreurs qui ont été exprimées au dehors et dont vous venez d’entendre tout à l’heure l’écho éloquent à cette tribune (Légères rumeurs), qu’il me soit permis de dire que, pour mon compte, j’avoue que je n’éprouve aucune alarme ; je ne crois aucune espèce de fondement à toutes ces appréhensions ; je crois que nous faisons trop bon marché, et de la puissance du pays, et de la raison des hommes qui sont à sa tête, de leur bon sens, de leur sagesse, et, permettez-moi de le dire, aussi de leur honnêteté, pour croire qu’il y ait rien de fondé dans de pareilles appréhensions. 

Quoi ! vous croyez que c’est si facilement, si légèrement qu’on peut renverser une constitution qui est sortie du suffrage universel ! (Non ! non ! — Rires ironiques à gauche.) 

LE CITOYEN HEECKEREN, s’adressant à la gauche. Ils savent bien que cela n’est pas facile. 

LE CITOYEN GUSTAVE DE BEAUMONT. Est-ce donc facilement qu’on peut anéantir ainsi le vœu du pays tout entier, et croyez-vous que le changement fût plus facile parce qu’il ne s’agirait que de certains changements dans quelques conditions du pouvoir exécutif ? Mais permettez-moi de vous dire que ce n’est pas là une partie de la constitution, c’est la constitution même ; on ne peut pas plus changer un article de la constitution qu’on ne peut changer la constitution tout entière, si ce n’est dans la forme légale, régulière que la constitution elle-même a prévue, et qui doit prévenir toutes les révolutions violentes, précisément parce que désormais toutes les révolutions peuvent s’accomplir pacifiquement et régulièrement. 

Certainement le pays peut toujours changer sa constitution, mais il a tracé lui-même le mode suivant lequel il peut manifester sa volonté ; hors de là il n’y a qu’abîme et révolution. 

Pour moi, j’ai la confiance que toutes ces craintes sont chimériques, que toutes ces terreurs n’ont aucun fondement, et je suis convaincu que nous verrons s’écouler l’intervalle de la prorogation, qui, je n’en doute pas, sera votée sans qu’aucune de ces craintes se réalise. 

Maintenant, on a parlé de complots : eh bien, il y a un complot auquel je crois, et je vais vous dire quel est ce complot. Ce complot, ce n’est pas la conjuration des pouvoirs publics et politiques dont vous parlez, ce n’est pas le complot de ceux qui voudraient renouveler dans la rue ces scènes violentes dont nous n’avons eu que trop d’exemples et qui n’aboutiraient qu’à de nouvelles fureurs et de nouvelles impuissances ; ce n’est pas là le complot que je signale. 

Tout le monde sait, tout le monde reconnaît qu’il y a maintenant pour le gouvernement du pays un besoin essentiel et fondamental, c’est le rétablissement de la sécurité ; tout le monde le reconnaît. 

Eh bien, il y a deux obstacles au rétablissement de la sécurité, de la confiance, du crédit public qui veut renaître. Ce rétablissement a deux ennemis : le premier, c’est le parti qui a été vaincu au 13 juin et qui, s’il voulait faire de nouvelles tentatives, le serait encore ; le second, c’est le langage, ce sont les efforts de ceux qui, quand l’anarchie a été vaincue, quand la confiance a été rétablie dans les esprits, s’obstinent à la nier, prétendent que la confiance n’existe pas… (Vive approbation au centre et à droite. — Agitation à l’extrême gauche.) 

LE CITOYEN PRÉSIDENT, à mi-voix. Ils prennent cela pour un fait personnel. (Bruit.) 

LE CITOYEN GUSTAVE DE BEAUMONT. Oui, je le répète, les véritables ennemis du gouvernement et de la société sont ceux que j’ai dits d’abord, et ensuite ceux qui, alors que la confiance se rétablit dans les esprits, s’appliquent à la troubler en semant partout des inquiétudes, en répandant ces rumeurs sourdes dont vous entendiez l’écho tout à l’heure, en disant que rien n’est stable, qu’il y a des conjurations. (Interruption à gauche ) 

LE CITOYEN PRÉSIDENT. Laissez donc parler librement contre l’anarchie au moins ! (Rire approbatif au centre et à droite. — Exclamations à gauche.) 

N’interrompez pas, vous répondrez. M. Pascal Duprat a la parole immédiatement après. Continuez, Monsieur de Beaumont. 

LE CITOYEN GUSTAVE DE BEAUMONT. J’ai suffisamment, sur ce point, expliqué ma pensée ; l’Assemblée, je crois, m’a parfaitement compris. 

Maintenant, la proposition de prorogation est-elle inopportune, comme l’a prétendu l’honorable M. Arago ? 

Ici, je l’avoue, je ne peux pas bien comprendre la série des objections qui ont été faites. 

L’Assemblée, vous dit-on, n’a rien fait ; il est impossible qu’elle se sépare. Voyez, ajoute-t-on, le mauvais effet qui se produira dans les départements. Nous allons revenir sans avoir rien accompli de notre mandat. Je crois même (ce n’est pas M. Arago qui l’a dit, mais je crois l’avoir entendu dire, et je suis certain de l’avoir lu) que l’on prétend que ce qui produirait le plus détestable effet, ce serait de retourner dans les départements, où l’on saurait que nous continuons de toucher notre indemnité, quoique nous ne fassions rien. (Bruits divers.) 

Je vous déclare que si je parle de cette objection, c’est pour la repousser avec le dernier mépris. 

Oui, sans doute, si je considère les électeurs qui m’ont nommé, si je considère le suffrage universel duquel je tiens mon mandat, qui m’a investi d’une haute confiance et m’a fait un si grand honneur en m’associant à la représentation nationale, dans la plus grande Assemblée qui soit au monde, je me sens très humble devant ce témoignage éclatant de mon pays, je me sens très humble et très modeste devant le suffrage universel ; mais si l’on me parle de l’indemnité, je me relève, la tête très haute et très fière. Oui, j’estime plus mes travaux que l’indemnité que je reçois. Véritablement, il semble qu’on nous marchande notre salaire comme à des ouvriers à la journée. J’ose dire, pour mon compte, que si je voulais me livrer à toute autre profession, je pourrais me procurer par mes travaux un salaire plus élevé que celui que je reçois. (Très bien ! — Rumeurs diverses.) 

Un membre à gauche. Ce n’est qu’une indemnité ! 

LE CITOYEN GUSTAVE DE BEAUMONT. Et ce que je dis, c’est ce que pourraient dire tous les membres de cette Assemblée, soit négociants, soit avocats, soit membres des professions diverses qu’ils pourraient exercer. J’ajoute qu’il n’y a pas de profession dans laquelle on ne voulût prendre du repos ; car après ce repos, on est plus capable de l’exercer et de déployer ses facultés qu’auparavant. 

On dit : L’Assemblée n’a rien fait. 

Véritablement, je crains qu’ici il n’y ait une équivoque. J’entends répéter sans cesse ces mêmes expressions, et je me demande si ceux qui les prononcent y attachent tous le même sens. 

Il y a dans notre société, moins peut être que dans d’autres sociétés, de très grandes misères sociales. On semble toujours croire, lorsqu’on tient ce langage, que je rappelle, qu’il dépend d’une résolution de l’Assemblée, d’une loi, d’un vote de l’Assemblée, de supprimer toutes ces misères sociales, de rétablir les salaires, de rétablir le travail qui procure les salaires, le crédit, la prospérité publique, tout cela en conséquence d’un vote, d’une résolution de l’Assemblée ; et lorsque l’Assemblée se sépare sans avoir guéri ces grandes misères, qui pourraient être guéries en quelque sorte instantanément, par cette panacée attachée à un vote de l’Assemblée, on nous dit : « Vous vous séparez sans avoir rien fait » ; et on a l’air de nous comparer à un médecin qui, en présence d’un malade et ayant une opération urgente à faire, aurait la cruauté de se retirer sans avoir fait l’opération. 

Ce sont là, Messieurs, de dangereuses chimères. Il n’y a rien de plus dangereux que de dire qu’il dépend d’un vote de l’Assemblée de guérir tout d’un coup, de supprimer, d’abolir toutes ces misères que nous pouvons, il est vrai, soulager et attaquer une à une, mais par des moyens lents, qui sont l’œuvre du temps. 

Mais, cependant, j’entends répéter sans cesse : Comment se fait-il que l’Assemblée parte sans avoir fait quelque chose de grand, de considérable pour guérir ces misères affreuses qui désolent notre pays ? 

Messieurs, il m’est impossible d’admettre que l’Assemblée, depuis qu’elle est réunie, n’ait rien fait. Voici, pour mon compte, comment je comprenais son mandat, comment il me semble qu’elle l’a accompli : 

L’Assemblée nationale avait trois grandes choses à faire : la première, c’était, quand l’ordre a été troublé, de le rétablir, et elle l’a fait ; elle l’a fait par les moyens qui étaient à sa disposition et que lui donnait la constitution ; elle l’a fait énergiquement, courageusement, et, sous ce rapport, je lui rends pleinement hommage. La seconde chose qu’elle avait à faire, et c’est à cela qu’elle s’attache en ce moment, c’était de rétablir l’ordre moral dans les esprits comme elle l’a rétabli dans la rue. La proposition qui se discute en ce moment a précisément pour objet d’atteindre ce but par l’un des moyens qui sont indiqués ; et ici je rencontre une objection à laquelle je ne réponds qu’un mot. 

L’honorable M. Arago dit : « Comment ! l’Assemblée va rétablir la confiance en s’en allant ! Singulière manière, en vérité, de témoigner au pays le respect qu’il a pour l’Assemblée, que de dire que le rétablissement de la confiance est attaché au départ de l’Assemblée ! » 

En vérité, la pensée est plaisante, mais elle n’est pas juste ni vraie ; elle n’est pas la nôtre. La nôtre, le rapport l’avait sérieusement indiquée, et M. le rapporteur viendrait ajouter des explications nouvelles, s’il en était besoin, pour la faire bien comprendre. 

Que voulons-nous dire, lorsque nous exprimons cette idée que la prorogation peut être un élément de force et de puissance pour le pouvoir exécutif, sinon que nous considérons la prorogation comme un témoignage de confiance de l’Assemblée envers le pouvoir exécutif ? Pour moi, je n’y attache pas un autre sens ; mais ce sens me paraît considérable : je trouve que, depuis que la République est fondée, depuis février 1848, c’est le seul moment peut-être où nous ayons pu prendre une pareille résolution ; c’est celui, du moins, où cette résolution est le plus indiquée. On ne pent pas contester qu’en prenant une pareille résolution, en disant que nous avons cette confiance dans le pouvoir exécutif, nous lui donnons de la force. 

Outre la force morale que nous lui donnons ainsi, nous lui donnons un moyen d’exister qui résultera de la nature des choses, précisément parce que le pouvoir exécutif aura, non pas deux mois, comme on l’a dit, mais six semaines de loisir, sans ces continuelles délibérations de l’Assemblée qui lui prennent, non pas la moitié, mais les trois quarts, sinon la totalité de son temps pour se livrer à des travaux, se rendre compte de l’état des choses, prévoir, se préparer les moyens de gouverner, qui sont impossibles quand on n’a pas un seul moment de loisir. 

Maintenant est-il vrai que les grands travaux de l’Assemblée vont être interrompus, et que nous renonçons à rien accomplir des devoirs qui nous sont imposés ? 

Ici je proteste et je n’ai qu’une explication à donner ; cette explication, je la trouve dans l’exemple de ce qui s’est passé dans la commission d’assistance publique dont a parlé M. Arago.

LE CITOYEN DESMOUSSEAUX DE GIVRÉ. Parlez de la commission du budget ; prenez là vos exemples ! 

LE CITOYEN GUSTAVE DE BEAUMONT. Je parlerai des deux commissions; que M. Desmousseaux de Givré me permette de parler d’abord de celle dont a parlé M. Arago, de la commission d’assistance publique ; je parlerai ensuite de la commission du budget. 

Le projet de loi sur l’assistance a été renvoyé par l’Assemblée à une commission de trente membres. Eh bien, beaucoup de personnes ont pu se préoccuper de l’idée que la prorogation de l’Assemblée allait rendre impossibles les travaux auxquels nous nous appliquons en ce moment. Je dirai, si vous me le permettez, que c’est le contraire. Voici ce qui va se passer. Quoi qu’il arrive, il sera impossible qu’un rapport utile sur les projets d’assistance qui ont été renvoyés à la commission soit produit très promptement devant l’Assemblée ; M. Arago le sait bien. 

Le projet d’organisation de l’assistance nous a été renvoyé ; nous allons être saisis, en outre, très prochainement de deux ou de trois autres projets de loi. Or que devrons-nous faire ? Ce qui importe, c’est que, dès à présent, et à partir de ce jour jusqu’au moment où nous nous séparerons, la commission prenne un certain nombre de délibérations, qu’elle nomme des rapporteurs, lesquels, dans l’absence de l’Assemblée, prépareront leurs rapports qui seront déposés le 1er octobre. Il est évident que, quoi qu’on fasse, il est impossible d’aller plus vite ; et permettez-moi de vous faire remarquer que la résolution qu’a prise la commission d’écarter l’art. 2 de notre proposition ne fait aucun obstacle à ce que cette marche soit suivie. (Interruption à gauche.) 

L’honorable M. Arago me fait un signe de dénégation… 

LE CITOYEN EMMANUEL ARAGO. Non ! non ! 

LE CITOYEN GUSTAVE DE BEAUMONT. Eh bien, puisqu’il nous a lu trois ou quatre citations du rapport, qu’il me permette de mettre sous ses yeux les quelques lignes suivantes de ce rapport : 

« Il est bien entendu, toutefois, que la prorogation ne sera pas un obstacle à la continuation des travaux dont les rapporteurs sont chargés. On doit compter à cet égard sur leur zèle pour mettre l’Assemblée à même d’être saisie, le lendemain de sa réunion, de l’examen des projets de lois dont les rapports leur sont confiés. » 

Il n’est personne, dans cette Assemblée, qui ne sache, et il y a des membres des anciennes assemblées qui se trouvent ici présents, dont les souvenirs peuvent me venir en aide, que, dans l’intervalle d’une session à l’autre, pendant une prorogation, il a toujours été fait par les rapporteurs les travaux les plus utiles, et par une bonne raison, c’est que quand les bases d’un travail sont arrêtées et quand le rapporteur est chargé d’un travail, il a, pour le faire, pendant la prorogation, des loisirs qu’il ne peut avoir quand il est obligé de s’associer aux travaux d’une Assemblée dont il continue de faire partie. 

Eh bien, ce qui se passera pour la loi d’assistance publique, (et je suis convaincu que nous procéderons dans la commission d’assistance publique comme je le disais tout à l’heure) se passera aussi dans la commission du budget et pour toutes les lois de finances. 

Si je ne me trompe, M. le ministre des finances est sur le point de déposer dans le sein de l’Assemblée le budget et tous les projets de lois de finances qui doivent lui être déférés. L’examen sera fait immédiatement ; il est impossible qu’on se sépare avant de les avoir examinés ; les rapporteurs seront nommés, et il est évident que le 1er octobre nous aurons les rapports. Quand même on resterait ici, on n’irait pas plus vite, parce que certains travaux demandent un certain temps, et il est impossible de faire ces travaux sans le temps que nous aurons, et qui sera mis à notre disposition par la prorogation que nous voterons. 

Je demande pardon à l’Assemblée d’avoir si longtemps discuté cette question, et je me borne, en finissant, à lui soumettre une dernière pensée. 

C’est au nom de la République que l’honorable M. Arago a élevé des objections. Eh bien, moi, je me trompe peut-être, mais je suis convaincu que la prorogation qui est demandée dans ce moment, est pour le gouvernement de la République le moyen le plus efficace qui puisse lui être donné de s’établir et de se consolider. (Bruit à gauche.) 

Je répète que, dans ma conviction, la République que vous venez de défendre avec chaleur, je ne vous en accuse pas (Ah ! ah!) ; je ne l’ai pas faite, je l’ai acceptée, et j’ai le désir sincère, pour mon compte, de la maintenir ; comme vous, je ne vois hors de la République que des révolutions nouvelles, que des aventures, que des abîmes, que des désastres. (Très bien !) Oui ; mais j’ai surtout le désir de voir le gouvernement de la République s’asseoir sur une base solide, prendre la marche régulière d’un gouvernement ; je désire que le gouvernement soit mis dans cette situation, qu’il lui soit possible de se recueillir en quelque sorte, de s’affermir, de bien combiner ses plans, de nous les indiquer, de formuler les idées, les idées issues non seulement de cette Assemblée, mais de son propre sein ; car il faut toujours qu’il y ait, à côté d’une Assemblée qui délibère, un pouvoir exécutif qui ait une initiative et qui indique la voie ; sans cela il n’y a pas de gouvernement possible. Je désire qu’on fournisse au gouvernement de mon pays le moyen de se consolider, de s’affermir, de nous indiquer une marche ; et il est impossible qu’il trouve jamais cette marche s’il n’a pas un seul instant pour se recueillir. Je considère comme capital, je considère comme indispensable que vous lui donniez la prorogation qui vous est demandée, prorogation qui lui est utile, à lui, comme élément de force et qui est utile à l’Assemblée elle-même, qui, dans cette prorogation, trouvera, tout à la fois, un élément de repos dans le présent, et dans l’avenir, une source d’activité, d’énergie et de vigueur fécondes. (Très bien ! très bien !)

A propos de l'auteur

Gustave de Beaumont est resté célèbre par sa proximité avec Alexis de Tocqueville, avec qui il voyagea aux États-Unis. Son œuvre, sur l'Irlande, les Noirs-Américains, ainsi que ses nombreux travaux académiques et politiques, le placent comme un auteur libéral sincère et généreux.

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