Louis Baudin, Le crédit (1934)

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Louis Baudin (1887-1964) est un économiste français, qui a enseigné l’économie politique à la faculté de droit de Dijon, à la Sorbonne et à l’École des hautes études commerciales (HEC) à Paris. Louis Baudin est notamment connu pour avoir participé au Colloque Walter Lippmann, dont l’objet était de contribuer à la refondation de la pensée libérale, juste avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Comme de nombreux participants au Colloque Walter Lippman, Louis Baudin était également membre de la Société du Mont Pèlerin. Ami et confrère de Ludwig von Mises lorsqu’ils enseignaient ensemble à Genève, Louis Baudin a enfin été président de l’Association française de science économique de 1955 à 1964, et a été élu membre de l’Académie des sciences morales et politiques en 1951.

Le crédit est un ouvrage économique important sur le crédit qui a été publié en 1934 aux éditions Montaigne. Louis Baudin y fait un tour complet de la question, en abordant tant l’aspect monétaire, les différences entre le capital et le crédit, les avantages, les risques et le prix du crédit, que les raisons de l’expansion du crédit au XIXe siècle, les origines de son effondrement au XXe siècle, et les causes de la crise que traversait le monde depuis la crise de 1929.

Extrait du Chapitre I.

À la recherche d’une définition

« Donne-moi ton ballon, je te donne ma toupie. » Rien de plus banal en apparence que cet acte d’échange, ce troc primitif, qui semble instinctif chez l’enfant et qui, dans les sociétés les plus évoluées, reparaît à chaque période de troubles, comme une évocation du passé. Acte capital déjà, qui pose les problèmes de la valeur, de l’offre et de la demande, et qui sert de fondement à la division du travail : « Je tisse pour nous vêtir, tu chasses pour nous nourrir. » Mais si complexes que soient les questions masquées par la fausse simplicité de ces phrases, elles présentent pour l’économiste l’immense avantage de se situer à un instant unique, elles offrent en bloc toutes les données à l’analyse, elles connaissent l’espace et ignorent le temps.

Dès que le temps s’infiltre dans une opération d’échange, il y a crédit : « Prête-moi ton arc, je t’apporterai du gibier. » La dualité apparaît : cession du bien, délai nécessaire à la réalisation parfaite de l’échange. L’acte se dissocie ; la prestation est immédiate, la contre-prestation se trouve rejetée à une date ultérieure. En termes d’économie moderne, on dit que le paiement est différé. Et ce retard n’a rien d’arbitraire, puisque c’est lui qui permet à l’échange d’aboutir. La prestation sert à obtenir la contre-prestation. Le temps n’est pas un élément accessoire, surajouté, il entre dans l’opération, il en est l’essence. Il devient, dans la formule des transactions, la plus inquiétante des variables.

Inquiétante, en effet, car chargée d’inconnu, de mystère. Le temps s’installe au cœur de notre problème, avec tout son cortège d’incertitudes et de possibilités, tous les espoirs qu’il suscite, toutes les craintes qu’il inspire. Nous voici loin de l’exacte mathématique, le monde de la psychologie s’ouvre devant nous. Nous échangeons des réalités contre des promesses. L’immatériel, l’impondérable vont prendre place dans nos analyses. L’échange reste en suspens en attendant l’heure de sa conclusion. Et que d’événements peuvent se dérouler dans cet intervalle, que d’incidents capables de bouleverser l’opération heureusement commencée ! Proudhon n’avait pas tort, lorsqu’il écrivait dans sa Philosophie de la misère : « Le crédit est, de toute l’économie politique, la partie la plus difficile, mais en même temps la plus curieuse et la plus dramatique. »

Nous savons maintenant ce qu’est le crédit ; au lieu d’une coupe dans la réalité, d’une photographie instantanée, c’est le déroulement d’une opération d’échange dans le temps. A l’instant où l’acte commence, il se double d’un raisonnement dont l’avenir est l’objet.

Rien de plus naturel. L’homme vit dans la durée. La recherche du bien-être, à quoi le contraint l’intérêt personnel, l’oblige à faire appel au temps qui devient son allié, qui prend rang comme facteur de production à côté de l’épargne et du travail.

Déjà, d’ailleurs, l’homme s’est servi du temps, inconsciemment, puisque l’épargne n’est pas autre chose que du travail accumulé, ce que nous nommons aujourd’hui le capital. Mais c’est le passé que l’épargne synthétise, le passé définitif qui nous échappe et qui commande le présent, tandis que le crédit est tourné vers l’avenir, l’avenir aléatoire que le présent commande. L’homme est un point, a-t-on dit, entre le passé et le futur ; il se situe de même dans le temps, en économique, entre le capital et le crédit, l’un et l’autre aussi utiles, aussi respectables que le travail, seul facteur présent.

Mais si capital et crédit s’apparentent par leur nature profonde, ils s’opposent dans la mesure où le futur diffère du passé, le connu de l’inconnu, le certain de l’incertain. L’homme en établissant le bilan de son activité, ce bilan total que chacun de nous est appelé à faire dans les instants de méditation, résume les résultats acquis, et suppute les chances d’avenir. Il explore le futur à la lumière du passé et s’efforce de saisir le lendemain inconnu. Le crédit apparaît alors comme une anticipation : lorsque je prête mon bien ou lorsque j’emprunte le bien d’autrui, je me place déjà, en esprit, à l’instant du remboursement. Je me livre à un calcul de probabilités dont l’exactitude dépend de la puissance de mes facultés, de l’étendue de mes connaissances et de la bienveillance du destin.

Ce souci de l’avenir est un titre de noblesse de l’homme. Plus nous nous avançons dans la voie du progrès, plus nous nous efforçons de saisir le temps, de le faire entrer dans nos calculs. Aussi le crédit joue-t-il un rôle croissant dans la société. Aujourd’hui il a envahi tout le domaine économique et il est même de règle entre les commerçants : le vendeur laisse à l’acheteur un certain temps pour se libérer. Nous sommes si habitués à lui que nous aurions peine à nous représenter l’existence s’il venait à disparaître, comme le remarque M. Truchy. Déjà les difficultés apportées par la guerre à la conclusion de certaines grandes opérations de crédit ont donné naissance à des troubles graves dans les échanges mondiaux et provoqué un retour à un troc primitif fort gênant.

Ainsi s’affirme l’importance du crédit et s’impose sa définition : échange d’un bien présent contre un bien futur, échange dans le temps, avance à charge de remboursement ultérieur, transfert temporaire de l’usage de la richesse, permission d’user du capital d’autrui. Les deux formes essentielles du crédit servent d’illustrations à ces formules : la vente à crédit et le prêt. Ce sont là opérations trop connues pour nécessiter plus ample description.

Table des matières :

Première partie : Qu’est-ce que le crédit ?

Chapitre 1 : À la recherche d’une définition
Chapitre 2 : Les avantages du crédit
Chapitre 3 : Les risques du crédit
Chapitre 4 : La mobilisation du crédit
Chapitre 5 : Le prix du crédit, le crédit gratuit
Chapitre 6 : Crédit et capital : l’apologie du crédit
Chapitre 7 : Crédit et monnaie
Chapitre 8 : Les institutions de crédit

1. Origine et emploi des fonds
2. Classification des banques
3. Les opérations des banques de dépôt
4. Les risques courus par les banques de dépôt
5. Les opérations des banques d’affaires
6. Les opérations de la banque d’émission.

Chapitre 9 : Le crédit public
Chapitre 10 : Les marchés de crédit

Deuxième partie : L’essor du crédit au XIXe siècle

Chapitre 1 : Vers une monnaie saine

1. Les origines
2. La base métallique du crédit
3. La couverture
4. La centralisation des banques d’émission et l’intervention de l’État

Chapitre 2 : Le crédit à court terme

1. La concentration des banques de dépôt
2. La spécialisation bancaire

Chapitre 3 : Le crédit à long terme

1. Le Crédit Mobilier
2. Le Crédit Foncier
3. Les systèmes de mobilisation du sol

Chapitre 4 : Les origines du crédit agricole et du crédit populaire
Chapitre 5 : Le crédit réel mobilier
Chapitre 6 : La constitution des marchés nationaux
Chapitre 7 : Le développement du crédit international et du crédit public

Troisième partie : L’ébranlement du crédit au XXe siècle jusqu’à la crise actuelle

Chapitre 1 : L’évolution des formes du crédit

1. La dématérialisation de la monnaie. La monnaie de virement
2. Le crédit par acceptation

Chapitre 2 : La suite des mouvements antérieurs à 1900

1. La centralisation
2. L’organisation des marchés
3. Le recul de la spécialisation
4. Le crédit industriel et commercial
5. Le crédit agricole et urbain
6. Le néo saint-simonisme et les autres formes spécialisées de crédit

Chapitre 3 : La période de guerre
Chapitre 4 : Deux facteurs de destruction de crédit

1. L’inflation et ses conséquences
2. Les réparations

Chapitre 5 : Les tentatives d’assainissement monétaire

1. Le retour à l’or
2. La disette d’or et l’étalon de change

Chapitre 6 : Les marchés d’après-guerre

1. Évolution générale du marché français
2. La rivalité de Londres et New York

Chapitre 7 : Le crédit et les réformes agraires
Chapitre 8 : La lutte pour les débouchés par le crédit au commerce extérieur
Chapitre 9 : Le crédit international

Quatrième partie : La crise actuelle

Chapitre 1 : Le rôle général du crédit dans le cycle économique

Section I : Le mécanisme des prix
Section II : Le crédit, élément d’amplification pendant la période de prospérité

1. Le crédit à la production
2. Le crédit à la consommation

Section III : Le crédit, élément de résistance pendant la période de dépression, et la politique de crédit dirigé. L’expérience Roosevelt

Chapitre 2 : Le rôle du crédit dans les politiques de valorisation
Chapitre 3 : Le crédit en France pendant la période cyclique actuelle
Chapitre 4 : La dislocation du crédit international

Section I : Les troubles monétaires en Europe et leur répercussion sur le crédit international

1. Les causes du fléchissement de la livre
2. La Grande-Bretagne depuis septembre 1931

Section II : Le recul de la loyauté dans le domaine du crédit international

1. France et Allemagne
2. États-Unis et Amérique latine
3. Les récents manquements

Chapitre 5 : Les marchés pendant la crise

1. Le marché français
2. Le marché anglais
3. Les relations entre les marchés
4. L’intervention de l’État dans les banques

Chapitre 6 : Les organismes internationaux du crédit

1. La Banque des Règlements Internationaux
2. Le crédit agricole international

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