Mémoires de Dupont de Nemours — Chapitre 2

Mémoires de Dupont de Nemours

CHAPITRE II.

Ce que je sais de ma famille maternelle.

Dans la famille de ma mère on était ce que l’on appelait noble et on s’en piquait beaucoup.

La famille de Montchanin, qui portait de gueules au chevron d’or, tirait son nom du village et de la terre de Montchanin en Charolais, laquelle a passé vers l’an 1430, selon le Père Anselme, dans la maison du marquis de Noblet.

On trouve plusieurs personnes de ce nom au quinzième siècle, entre autres Pierre de Montchanin (Pétrus de Montecanino en latin) qui fit une donation à l’église d’Issy-l’Évêque en 1439.

Cette famille a fourni un grand nombre de militaires de divers grades et plusieurs députés de la noblesse du Mâconnais et a été maintenue en 1669 sur preuves remontées à Girin de Montchanin, écuyer en 1530.

Elle s’est divisée en trois branches.

L’aînée est celle des seigneurs de la Garde-Malzac qui sont devenus comtes de Malzac[1], et se sont alliés avec les Damas[2], par le mariage vers 1590 de Philiberte de Montchanin avec Christrophe de Damas, seigneur de Rocres et de Barnay, et par celui de Jacqueline de Montchanin en 1597 avec Jean de Damas, seigneur des Tieuges.

Cette branche fut aussi alliée aux Amanzé : les Amanzé[3] et les Damas le sont aux Condé. Peste ! Vous voyez comme la vanité galope ! [4]

Il est vrai que messieurs de Montchanin, de la branche dont était ma mère, n’établissent pas, du moins par les pièces que j’ai vues, leur point de jonction avec la première, dont ils se disent les cadets et qui avait fait ces belles alliances ; mais n’importe, c’était leur prétention, fondée sur une tradition de famille transmise depuis des générations, d’être seconde branche de celle que je viens de citer.

Cette seconde branche a chargé les armoiries d’un chevron de plus, les deux chevrons étant accompagnés de trois étoiles d’argent[5]. J’ai fait une généalogie du petit nombre de générations de cette branche dont j’ai pu retrouver titre chez mon grand-père et mon oncle Pierre de Montchanin[6].

Elle est entre les mains de son fils ainsi qu’une Bible, qui était passée à ma mère et que j’ai rendue à mon oncle, avec laquelle est relié un cahier qui, pendant plusieurs générations, a servi à mes aïeux maternels à inscrire les naissances de leurs enfants. Vous pouvez consulter ces deux pièces. La Bible vient de la famille de ma grand’mère, Alexandrine du Rousset, et l’on y voit que par les femmes nous descendons de Jean-Baptiste Le Grain[7], seigneur de Guyencourt et de la Laye, conseiller et maître des requêtes de la maison de Marie de Médicis, reine de France, connu, dit Moreri, pour son désintéressement, sa probité et son amour de l’étude, qui a écrit, entres autres ouvrages, des décades contenant l’histoire de Henri IV et de Louis XIII.

La troisième branche avait, dit-elle, pris trois chevrons, toujours accompagnés des trois étoiles d’argent, chargeant ses armoiries d’un chevron de plus que la seconde comme celle-ci avait chargé d’un chevron de plus que la première[8]. À cette dernière branche appartenait le chevalier de Montchanin, ancien capitaine aide-major réformé du régiment de Condé, que vous avez vu dans votre enfance, qui a été ensuite écuyer du duc de Bouillon, et qui m’a légué ses épées[9]. Nous cousinions de tout notre cœur avec le chevalier de Montchanin, qui était un très galant homme, nous nous écrivions « le cousin rouge au cousin vert, le chevalier rouge au chevalier vert, ou le vert au rouge[10] » et nous ne pouvions établir notre parenté que sur l’identité du nom, de province, d’armoiries et de prétentions. Mais le chevalier était noble et pauvre, j’étais anobli et tenais par les femmes à une famille noble, je paraissais riche et en crédit, et j’avais une décoration supérieure à celle de chevalier : les deux vanités s’entre-étayaient. Vous voyez du reste, mes enfants, que je ne réponds de la sûreté d’aucune branche, mais qu’il me paraît constant que MM. de Montchanin étaient ce qu’on appelait alors de bons gentilshommes dans une extrême pauvreté. Ils étaient de plus très zélés protestants. Mon grand-père Héliodore de Montchanin avait plusieurs frères, dont un a passé en Prusse ; un autre est mort en Suisse après avoir servi en Angleterre ; un troisième, qui apparemment s’était fait catholique[11], est mort à Paris aux Invalides, capitaine et chevalier de saint Louis. Héliodore avait servi lui-même dans un régiment de réfugiés français à la solde de la République de Hollande pendant la guerre de la succession d’Espagne. Il m’a laissé les pistolets qui ont fait cette guerre.

Revenu dans le Charolais pour y recueillir quelques débris de l’héritage de ses parents, mon grand-père réclama la protection du marquis de Jaucourt-Épenilles dont il était allié ; c’est du moins encore une prétention de MM. de Montchanin de ma branche. MM. de Jaucourt, qui ont toujours témoigné beaucoup d’intérêt à moi et aux miens, ne m’ont jamais parlé de l’alliance dont je n’ai pas le titre ; mais comme il est prouvé qu’une Montchanin a épousé un Damas, une autre peut très bien avoir épousé un Jaucourt. Les Jaucourt et les Montchanin étaient huguenots, ce qui ajoute à la vraisemblance, car on mettait de l’importance à ne se marier que dans sa religion, et les gentilshommes protestants étant plus rares que les catholiques, quand on voulait ne se mésallier ni pour le sang ni pour les opinions, il arrivait que les seigneurs des plus grandes maisons se mariaient à de simples demoiselles. Ils faisaient même tout aussi bien, lorsque celles-ci étaient belles et bonnes ; on trouve plus de bonheur domestique à faire la fortune de sa femme qu’à recevoir la sienne d’elle.

M. de Jaucourt offrit à mon grand-père de lui assurer un état, en le faisant régisseur de ses terres de Nivernais, de Charolais et de Bourgogne ; outre ses appointements, il lui donna le logement et les douceurs de la vie au château de Brinon-les-Allemands, chef-lieu de la régie. C’est là que mon grand-père s’est marié avec Alexandrine du Rousset, fille d’un médecin et sachant elle-même de la médecine, qui la mettait à portée de rendre service aux habitants de la seigneurie et y faisait aimer M. et Mme de Montchanin. Mon grand-père était d’ailleurs un homme bon et juste. M. de Jaucourt avait le même caractère. Ils étaient tous deux en bénédiction dans le pays.

La mère d’Alexandrine du Rousset s’appelait Anne Pinette. Je sais que par les Pinette nous sommes alliés à une famille du même nom connue parmi les marchands de bois et qui a eu une branche de riches financiers. C’est encore par le même côté que nous sommes un peu cousins des MM. Gudin[12], qui eux-mêmes par leur mère le sont de M. Le Noir, et qui depuis se sont fort rapprochés de nous par le mariage de Gudin de la Ferlière avec ma sœur. Il y a de tout dans les familles, mais il faut connaître leurs rapports. Ce ne sont ici que des traditions sur lesquelles MM. Gudin et de Montchanin doivent avoir plus de renseignements que moi, je n’ai point vu les preuves de la filiation.

Mon grand-père de Montchanin a eu quatre garçons et deux filles. Le plus âgé de mes oncles, Louis de Montchanin, qu’on disait avoir beaucoup d’esprit, est mort jeune, étudiant en médecine. Alexandre de Montchanin, le second de mes oncles, était un homme très aimable. Il avait dans la conversation de la grâce et de l’éclat, un tour aisé et noble ; ce qu’on appelait alors sentir son bien. Il avait épousé une veuve assez jolie, de très petite taille, qui lui a survécu et dont il n’a point eu d’enfants[13]. Mon troisième oncle, Pierre de Montchanin, était un des hommes les plus vertu que j’aie connus, et dans mes Mémoires je vou donnerai les preuves. Il avait peu d’éclat, mais beaucoup de jugement, de sagesse et de solidité. Le proverbe de la famille était que ma mère en avait tout l’esprit et mon oncle Pierre tout le bon sens. Ses frères l’appelaient l’homme de bon sens, et il justifiait le nom ; je l’aurais nommé l’homme de bien, et le nom aurait été justifié encore[14]. Il s’est marié ayant déjà quarante-deux ans à Marie-Angélique Besnard, d’une famille orléanaise, et a eu un grand nombre d’enfants dont il ne reste que Jacques-Pierre-Héliodore de Montchanin, qui a de patrimoine un millier d’écus de rente, est employé à la liquidation nationale et que vous connaissez parfaitement.

Étienne-Auguste de Montchanin, le plus jeune de mes oncles, avait beaucoup d’esprit joint à une valeur fort brillante. Après avoir été gendarme, il est passé en Angleterre et là s’est mis au service de la Compagnie britannique des Indes où il est devenu capitaine aide-major. Il a été tué d’un éclat de bombe au siège de Madras entrepris et levé par M. de Lally[15].

Étienne-Auguste, qui avait perdu un œil d’une blessure dans une querelle, était le plus mauvais sujet ou pour parler exactement le seul mauvais sujet de la famille. Il trouvait un plaisir abominable à brouiller tous ses parents, et ayant exercé ce talent entre mon père et ma mère, il a causé à celle-ci de violents chagrins ; de sorte que, comme elle me les contait à mesure que je grandissais, dans mes idées chevaleresques je me souviens d’avoir plus d’une fois ambitionné l’âge pour passer dans l’Inde et me battre contre mon oncle.

Il avait trompé en Suisse une grande, belle et vigoureuse fille du Pays de Vaud, dont je ne me rappelle pas le nom. Elle le poursuivit en Angleterre, déguisée en homme, lui fit mettre l’épée à la main, le blessa et se fit épouser. Elle était redoutable : je l’ai connue et je vous assure qu’on pouvait dire d’elle comme d’Armide, elle était encore plus aimable. Elle vivait à Southwark avec une amie intime, miss Inckle. En vieillissant elle a perdu ses très beaux yeux : elle est devenue aveugle et je crains bien qu’elle ne soit morte. Mon oncle a eu d’elle un fils, Étienne-Louis de Montchanin, qui est passé à la Jamaïque, il y a plus de vingt-cinq ans, et depuis on n’en a point entendu parler : sa mère s’en est informée vainement.

Il est vraisemblable, mais non pas certain, que cette branche est éteinte. La famille paraît donc réduite à la branche de Pierre de Montchanin, qui n’a qu’un représentant, Jacques-Pierre Héliodore, et à la nôtre qui n’est qu’une branche féminine.

Ma tante, Françoise de Montchanin, était l’aînée de tous les enfants d’Héliodore de Montchanin et d’Alexandrine du Rousset, à qui elle a servi de seconde mère. Elle a été ma marraine. Vous l’avez vue mourir dans un âge très avancé, ayant survécu à tous ses frères et à sa sœur. C’était la bonté, la piété, l’économie et la générosité même. La plus pauvre de toute la famille, seule, elle a toujours assisté tous les autres, seule elle a pu faire des dons considérables : avare pour elle, prodigue pour autrui. Elle n’avait pas beaucoup d’esprit : elle avait comme tous les Montchanin et comme tous les Du Pont (songez-y pour le craindre et pour vous en corriger, mes enfants) une opiniâtreté extrême et insupportable ; mais c’était un des plus nobles cœurs que le ciel eût formé !

La plus jeune de la famille, Anne-Alexandrine de Montchanin, a été ma mère. Je vous en parlerai au long dans le chapitre suivant.

À présent, sauf les renseignements plus détaillés que vous pouvez avoir à prendre chez votre cousin de Montchanin pour connaître ce que fut la famille de ma mère et sa filiation, vous voilà autant au courant que moi-même sur mes deux familles et sur les individus qui en existent.

Quand j’arriverai à votre mère, je ferai deux chapitres pareils sur ses deux familles, après quoi vous connaîtrez tous vos parents. Mais vous ne voulez point que je me marie sitôt ; je ne suis pas encore né !

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[1] Hippolyte de Montchanin, seigneur de la Garde-Malzac, assista aux États Généraux de Bourgogne de 1650, 1656, 1658 et 1665. Il en fut un des deux alcades élus par la noblesse en 1656 pour contrôler l’administration de la province. Antoine de Montchanin, seigneur de la Garde-Malzac, qui paraît être le fils du précédent, faisait partie des États Généraux de Bourgogne en 1671, et encore en 1682, alors qu’il fut un des gentilshommes reconnus avoir les qualités nécessaires pour entrer dans la chambre de la noblesse, suivant le règlement du 18 août 1679. Il fut membre également des États Généraux de 1688, où il était qualifié chevalier, comte de Malzac et seigneur de la Garde, et fut choisi comme un des commissaires pour la vérification des titres.

Un M. de Montchanin, seigneur de Chassigny et de la Garde-Malzac, a envoyé sa procuration à l’assemblée de la noblesse du Mâconnais en mars 1789.

[2] Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France et généalogie des grands officiers de la couronne, par le Père Anselme, V. III, p. 341.

[3] Christophe de Montchanin, seigneur de la Garde-Malzac, père de Philiberte et de Jacqueline, avait épousé Françoise d’Amanzé.

[4] Il paraît qu’un rameau de la branche aînée existe encore. Voir : État présent de la noblesse française, par Bachelin-Deflerenne, 4e édition, 1873.

[5] Il est très probable que cette brisure comprenait également le changement d’azur pour gueules dans le champ de l’écu, puisque les Montchanin-des-Parras, encore existants, portent d’azur à deux chevrons d’or, accompagnés en chef de deux étoiles de même et en pointe d’un croissant d’argent.

[6] Les pièces relatives à cette branche de la famille de Montchanin, conservées par M. Pierre de Montchanin, chef de cette branche en 1772, étaient :

1° Un testament en date du 24 octobre 1636, fait au château de Terrant par devant notaire et en présence des témoins soussignés, par lequel Élie de Montchanin et Gabrielle d’Agonneau, sa femme (trisaïeuls de Pierre), font différents legs à Julie et à Suzanne de Montchanin, leurs filles mariées : la première, à Jean Viridet, ministre du Saint-Évangile à Paray-le-Monial, et l’autre à Isaac Viridet, frère du dit Jean, et instituent pour héritier universel Jean de Montchanin, avocat au Parlement, leur fils ;

2° Un acte en latin des recteurs, ministres et professeurs de l’Église et Académie de Lausanne, en date du 5 septembre 1621, portant attestation de bonne vie et mœurs du dit Jean de Montchanin (bisaïeul de Pierre) et des thèses par lui soutenues avec éclat à Lausanne, où il est traité de très érudit et très illustre cavalier français ;

3° Des lettres de licencié en droit civil et canon en l’Université d’Orléans obtenues par le dit Jean de Montchanin le 18 mars 1623 ;

4° L’extrait du registre des matricules des avocats au Parlement de Paris, du 28 mars 1623, constatant la réception du dit Jean de Montchanin ;

5° Ordonnance, en date du 5 janvier 1635, qui commet le dit Jean de Montchanin, pour lieutenant au bailliage de Ternant et pour juge d’Aulnay dans le marquisat de la Nocle, ce qui explique comment Élie de Montchanin, qui était de la ville de Charolles, a fait son testament au château de Ternant en 1636, parce qu’il était venu y demeurer chez son fils qui habitait le château comme lieutenant et procureur général et spécial des marquis de la Nocle ;

6° Pareilles lettres par lesquelles les mêmes offices sont conférés à Louis de Montchanin (fils de Jean et grand-père de Pierre) ;

7° Autre acte du marquis de Saint-André-Montbrun et de la même date, 15 avril 1664, par lequel il établit le dit Louis de Montchanin, son procureur dans toutes ses terres et justices de la Nocle, Moulins, Essardon, Tours, Coudde, Taxée et Chaumois ;

8° Dispense pour le mariage du dit Louis de Montchanin, fils du dit Jean de Montchanin, qui mourut en 1664, et de Jacquette du Noyer, avec Jeanne Guinet, fille de Philémon Guinet, écuyer, seigneur de Mareschalle, et de Jeanne de Morlay, sa femme, la dite Jeanne Guinet, cousine issue de germain du dit Louis de Montchanin, à cause que la dite Jeanne de Morlay, sa mère, était fille de Jeanne du Noyer, sœur de la dite Jacquette du Noyer ;

9° Contrat de mariage du dit Louis de Montchanin et Jeanne Guinet de Mareschalle du 6 juin 1665 ; présence et avis du côté du dit Louis de Montchanin, de dame Jacquette du Noyer, sa mère, d’Isaac Viridet, son oncle, de Suzanne de Montchanin, femme du dit Isaac Viridet, sa tante, de Héliodore de Montchanin, son frère, receveur pour le roi aux aides et gabelles de Château-Chinon, de Jeanne de Beaucheron, épouse du dit Héliodore, et de Madeleine de Montchanin, leur sœur ;

10° Contrat de mariage entre Héliodore de Montchanin (fils de Louis et père de Pierre) avec Alexandrine du Rousset, fille de Jean du Rousset et d’Anne Pinette, en date du 27 juin 1702 ;

11° Contrat de vente en présence du notaire royal de Cobaille, faite le 24 septembre 1705, par Héliodore de Montchanin, tant en son nom qu’en celui de ses frères et sœurs, qui y sont dénommés, du fief de Ponard situé au village de Mazille. Ce contrat indique les autres enfants de Louis de Montchanin et en quel temps il avait acquis le dit fief de Charles de Raphin et d’Anne de Ponard. Le contrat rappelle encore une autre vente faite d’une portion de fief à Héliodore de Montchanin par son frère Étienne-Louis de Montchanin le 5 juillet 1702, en présence de N. de Montchanin, notaire royal, qui devait être leur cousin, fils d’Héliodore ;

12° Les autres pièces sont peu importantes.

[7] Issu d’une famille antique originaire des Pays-Bas, il était fils d’Antoine Le Grain, écuyer, conseiller au Châtelet de Paris, né en 1527 et mort le 3 août 1567, et de Geneviève Sanguin, sa seconde femme, née en 1535 et décédée le 11 octobre 1613 ; et petit-fils d’Antoine Le Grain, chevalier et seigneur de Guyencourt sous le règne de Louis XI, de son union avec Anne des Barres. Jean-Baptiste Le Grain, qui naquit le 25 juillet 1565, épousa en avril 1595, dans l’église de Saint-Landry, à Paris, Marguerite de Rassan, fille de Gabriel de Rassan, seigneur de la Laye, de la noble famille de Rassan de Racan, et de Marguerite Boucherat. Dans sa jeunesse il fréquenta la cour et fut attaché dès ce temps-là au service de Henri IV qui lui témoigna toujours des grandes marques de considération. Il prêta serment en 1604 comme conseiller et maître des requêtes de la maison de la reine ; mais il exerça peu cet office, qui ne lui servit dans la suite que de titre d’honneur, et consacra la plus grande partie de son temps à écrire et à bien élever sa famille. Ce fut pour elle et pour sa propre satisfaction qu’il entreprit d’abord d’écrire des mémoires sur l’histoire de France, et ce ne fut que sur les instances du chancelier de Silleri qu’il les rédigea et en fit imprimer une partie à ses dépens et dans sa propre maison. L’ouvrage parut in-folio en 1614 et fut intitulé : Décade contenant l’histoire de Henri le Grand, roi de France et de Navarre, IV. du nom, en laquelle est représenté l’état de la France depuis le dernier traité de Cambrai en 1559 jusqu’à la mort du dit seigneur.

Il eut l’honneur de le présenter à Louis XIII qui le lut avec plaisir, la franchise avec laquelle l’auteur y parlait lui étant très agréable. Ce prince avait ordonné à M. Le Grain d’écrire aussi son histoire et l’auteur la fit imprimer, comme son premier livre, chez lui et à ses dépens sous le titre suivant : Décade commençant l’histoire de Louis XIII. du nom, roi de France et de Navarre, depuis l’an 1610 jusqu’en 1617, inclusivement, in-folio, à Paris, 1618 ; mais cet ouvrage fut pour lui le commencement d’une longue suite de mauvais procédés qui lui causèrent bien du chagrin. Le nonce du pape, les Jésuites, et d’autres accusateurs faisaient des plaintes contre cette Décade et aussi désiraient la condamnation du premier, parce que Le Grain s’était montré bien disposé en faveur du docteur Richer et de ses ouvrages, qu’il avait soutenu avec force les libertés de l’Église gallicane contre les opinions ultramontaines, qu’il s’était vivement déclaré contre ceux qui voulaient faire usage en France des articles du concile de Trente qui n’avaient point été reçus, qu’il avait parlé librement contre l’établissement des nouveaux ordres, et qu’il ne paraissait point approuver que l’on persécutât les protestants pour cause de religion. Ses ennemis allaient jusqu’au point de présenter au prince de Condé un exemplaire de la seconde Décade avec une feuille qu’ils avaient ajoutée et dans laquelle il se trouvait des expressions bien dures contre ce prince qui avait été jusqu’alors un des protecteurs de l’auteur. Celui-ci, dans sa « Supplication apologétique », démontrait qu’il avait dit juste le contraire au même endroit qui avait été supprimé avec intention criminelle, comme il était facile de prouver en examinant les autres exemplaires. Le prince ayant lu cette « supplication » ne put s’empêcher de crier : « Ô véritablement voilà une insigne fausseté » et devint encore plus zélé qu’auparavant pour les intérêts de M. Le Grain.

Depuis ce temps-là, cependant, ce dernier se retira de plus en plus de la cour et du grand monde. Il mourut le 2 juillet 1642 en sa maison de Montgeron, près Villeneuve-Saint-Georges, et fut enterré dans l’église de ce lieu avec l’épitaphe qu’il avait composé lui-même. Il avait trois filles et quatre fils dont deux sont morts jeunes : les deux autres ont continué la descendance représentée en 1735 par N. Le Grain âgé d’environ quinze ans, et par le marquis du Breuil.

Outre les écrits déjà nommés Jean-Baptiste Le Grain a laissé les suivants en manuscrits : 1° Manifeste en forme d’apologie sur les choses qui me sont arrivées en suite de mes deux décades ; 2° Troisième décade contenant l’histoire de France sous Louis XIII depuis 1617 jusqu’en 1628 ; 3° Recueil des plus signalées batailles, journées et rencontres qui se sont données en France et ailleurs depuis Mérovée jusqu’au roi Louis XIII, en trois volumes in-folio; 4° Un recueil in-folio contenant la chronologie des rois de France, des remarques sur ces princes et sur les enfants de France, les droits de ce royaume, les usages ; sur les empereurs et les consuls romains, sur les syrènes ; sur le nombre de trois, l’établissement d’un lieutenant-général en un royaume et la totale ruine du Roi et de l’État et qu’il est plus périlleux d’établir en telle charge un prince du sang royal que nul autre, un bref discours des guerres civiles des Pays-Bas, dits de Flandre, depuis 1559 jusqu’en 1582, distingué par les gouvernements, consolation à M. le prince de Condé lorsqu’il fut arrêté après la mort du maréchal d’Ancre, et 5° Un journal in-folio contenant la généalogie de sa famille, avec un récit des principaux événements arrivés en France et dans les États voisins depuis 1597 jusqu’à la majorité de Louis XIII inclusivement. L’auteur donne beaucoup de détails sur la mort de Henri IV, le supplice de Ravaillac, les vertus du prince défunt et sur les conséquences de cette mort : il y raconte tout au long la conspiration du maréchal de Biron et les évènements qui suivirent : il donne quelques pièces de poésie qu’il composa en 1592 à la louange de ce maréchal, qui n’avait point encore conspiré contre son prince, et une épitaphe qu’il fit pour Biron après qu’il fut décapité.

[8] Il paraît que cette brisure, comme celle de la seconde branche, comprenait également le changement d’azur pour gueules dans le champ de l’écu. En tout cas, les Montchanin, seigneurs de Chavron, Montermas et Montchervet en Forez, portaient d’azur à trois chevrons d’or accompagnés de trois étoiles d’argent.

[9] Il mourut en août 1779 en laissant ses livres et ses papiers à un M. de Montchanin qui habita la terre de Curtil, près Cluny, en Mâconnais.

[10] Montchanin était chevalier de saint Louis, dont il avait le cordon rouge, et Du Pont de Nemours portait en France le cordon vert de l’ordre Suédois de Vasa par autorisation spéciale du roi en date du 25 juin 1775.

[11] Parce que à cette époque toute carrière militaire en France était rigoureusement interdite aux protestants.

[12] Le frère aîné, Paul-Philippe Gudin de la Brenellerie, né à Paris le 6 juin 1738 et décédé dans cette ville le 26 février 1812, fut membre de l’Institut et homme de lettres distingué. « Il a été le compagnon de mon enfance et de ma jeunesse, le fidèle ami de ma vie entière », disait de lui Du Pont de Nemours. Le frère cadet, Philippe-Jean Gudin de la Ferlière, épousa Anne-Alexandrine du Pont qui naquit en octobre 1742 et mourut à Paris entre 1795 et 1797, ayant survécu à son mari. Ils avaient deux enfants, Pierrette-Henriette Gudin, femme de Jean-Jérôme Imbault, qui est morte sans postérité avant son frère, et Philippe-Jean-Henri Gudin, directeur des contributions indirectes et peintre amateur, qui demeurait à Branles près du Bois des Fossés. Il a été marié aussi, mais n’a pas laissé d’enfants, et à son décès avant 1846, son bien a passé aux parents de sa femme.

[13] Elle s’appelait Pierrette Talon et mourut à Paris, le 13 janvier 1776.

[14] Pierre de Montchanin mourut d’une attaque d’apoplexie le 20 novembre 1785.

[15] Thomas-Arthur comte de Lally-Tollendad, lieutenant-général et gouverneur des Indes françaises, né en 1702 et décapité à Paris le 9 mai 1766. Le siège de Madras dura du 14 décembre 1758 jusqu’au 28 janvier 1759.

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