Note sur la condition sociale et politique des nègres esclaves et des gens de couleur affranchis

En 1835, tandis que son compagnon de voyage publie la première partie de sa Démocratie en Amérique, Gustave de Beaumont se charge de raconter, par le roman, la condition des noirs aux États-Unis. Au-delà des péripéties même de l’histoire de Marie, il insère la longue note suivante, aperçu très éclairant et très raisonné de ce qu’est la servitude des noirs esclaves et de ce que la société devient pour eux lorsqu’ils sont affranchis. Il avertit des dangers qui se préparent pour le pays, lorsque viendront aux prises ces « deux races ennemies, distinctes par la couleur, séparées par un préjugé invincible ».

 

 

 

Note sur la condition sociale et politique des nègres esclaves et des gens de couleur affranchis.

Par Gustave de Beaumont

 (Extrait de Marie, ou l’Esclavage aux États-Unis, 1836.)

L’existence de deux millions d’esclaves au sein d’un peuple chez lequel l’égalité sociale et politique a atteint son plus haut développement ; l’influence de l’esclavage sur les mœurs des hommes libres ; l’oppression qu’il fait peser sur les malheureux soumis à la servitude ; ses dangers pour ceux même en faveur desquels il est établi ; la couleur de la race qui fournit les esclaves ; le phénomène de deux populations qui vivent ensemble, se touchent, sans jamais se confondre, ni se mêler l’une à l’autre ; les collisions graves que ce contact a déjà fait naître ; les crises plus sérieuses qu’il peut enfanter dans l’avenir ; toutes ces causes se réunissent pour faire sentir combien il importe de connaître le sort des esclaves et des gens de couleur libres des États-Unis. J’ai tâché, dans le cours de cet ouvrage, d’offrir le tableau des conséquences morales de l’esclavage sur les gens de couleur devenus libres ; je voudrais maintenant présen­ter un aperçu de la condition sociale de ceux qui sont encore esclaves. Cet examen me conduira naturellement à rechercher quels sont les caractères de l’esclavage américain.

Après avoir exposé l’organisation de l’esclavage, je rechercherai si cette plaie sociale peut être guérie ; quelle est sur ce point l’opinion publique aux États-Unis ; quels moyens on propose pour l’affranchissement des noirs, et quelles objections s’y opposent ; quel est enfin à cet égard l’avenir probable de la société américaine.

  • I. Condition du nègre esclave aux États-Unis.

Il semble que rien ne soit plus facile que de définir la condition de l’esclave. Au lieu d’énumérer les droits dont il jouit, ne suffit-il pas de dire qu’il n’en possède aucun ? Puisqu’il n’est rien dans la société, la loi n’a-t-elle pas tout fait en le déclarant esclave ? Le sujet n’est cependant pas aussi simple qu’il le paraît au premier abord ; de même que, dans toutes les sociétés, beaucoup de lois sont nécessaires pour assurer aux hommes libres l’exercice de leur indépendance, de même on voit que le législateur a beaucoup de dispositions à prendre pour créer des esclaves, c’est-à-dire pour destituer des hommes de leurs droits naturels et de leurs facultés morales, changer la condition que Dieu leur avait faite, substituer à leur nature perfectible un état qui les dégrade et tienne incessamment enchaînés un corps et une âme destinés à la liberté,

Les droits qui peuvent appartenir à l’homme dans toute société régulière sont de trois sortes, politiques, civils, naturels. Ce sont ces droits dont la législation s’efforce de garantir la jouissance aux hommes libres, et qu’elle met tout son art à interdire aux esclaves.

Quant aux droits politiques, le plus simple bon sens indique que l’esclave doit en être entièrement privé. On ne fera pas participer au gouvernement de la société et à la confection des lois celui que ce gouvernement et ces lois sont chargés d’opprimer sans relâche. Sur ce point, la tâche du législateur est aussi facile que sa marche est clairement tracée ; les droits politiques, quelle que puisse être leur extension, constituent en tous pays une sorte de privilège. Tous les citoyens libres n’en jouissent pas ; il est à plus forte raison facile d’en priver les esclaves : il suffit de ne pas les leur attribuer.

Aussi toutes les lois des États américains où l’esclavage est en vigueur se taisent sur ce point : leur silence est une exclusion suffisante.

Il n’est pas moins indispensable de dépouiller l’esclave de tous les droits civils.

Ainsi l’esclave appartenant au maître ne pourra se marier ; comment la loi laisserait-elle se former un lien qu’il serait au pouvoir du maître de briser par un caprice de sa volonté ? Les enfants de l’esclave appartiennent au maître, comme le croît des animaux : l’esclave ne peut donc être investi d’aucune puissance paternelle sur ses enfants. Il ne peut rien posséder à titre de propriétaire, puisqu’il est la chose d’autrui ; il doit donc être incapable de vendre et d’acheter, et tous les contrats par lesquels s’acquiert et se conserve la propriété lui seront également interdits.

La loi américaine se borne, en général, à prononcer la nullité des contrats dans lesquels un esclave est partie ; cependant il est des cas où elle donne à ses prohibi­tions l’appui d’une pénalité : c’est ainsi qu’en déclarant nuls la vente ou l’achat fait par un esclave, la loi de la Caroline du Sud prononce la confiscation des objets qui ont fait la matière du contrat [1]. Le code de la Louisiane contient une disposition analogue [2]. La loi du Tennessee condamne à la peine du fouet l’esclave coupable de ce fait, et à une amende l’homme libre qui a contracté avec lui [3].

Du reste, quelles que soient la rigueur et la généralité des interdictions qui frappent l’esclave de mort civile, on conçoit cependant que le législateur les établisse sans beaucoup de peine. Ici encore il s’agit de droits qui tous sont écrits dans les lois. À la vérité, le principe de ces droits est préexistant à la législation qui les consacre ; mais, sans les créer, la loi les proclame, et, en même temps qu’elle les reconnaît dans les hommes libres, il lui est facile de les contester à ceux qu’elle veut en dépouiller.

Jusque-là le législateur marche dans une voie où peu d’obstacles l’arrêtent. Il a sans doute fait beaucoup, puisque déjà il n’existe pour l’esclave ni patrie, ni société, ni famille ; mais son œuvre n’est pas encore achevée.

Après avoir enlevé au nègre ses droits d’Américain, de citoyen, de père et d’époux, il faut encore lui arracher les droits qu’il tient de la nature même ; et c’est ici que naissent les difficultés sérieuses.

L’esclave est enchaîné ; mais comment lui ôter l’amour de la liberté ? Il n’emploie­ra pas son intelligence au service de l’État et de la cité ; mais comment anéantir cette intelligence dont il pourrait user pour rompre ses fers ? Il ne se mariera point ; mais, quelque nom qu’on donne à ses rapports avec une femme, ces rapports existent, on ne saurait les briser ; ils forment une partie de la fortune du maître, puisque chaque enfant qui naît est un esclave de plus ; comment faire qu’il y ait une mère et des enfants, un père et des fils, des frères et des sœurs, sans des affections et des intérêts de famille ? En un mot, comment obtenir que l’esclave ne soit plus homme ?

Les difficultés du législateur croissent à mesure que, passant de l’interdiction des droits civils à celle des droits naturels, il quitte le domaine des fictions pour pénétrer plus avant dans la réalité. Son premier soin, en déclarant le nègre esclave, est de le classer parmi les choses matérielles : l’esclave est une propriété mobilière, selon les lois de la Caroline du Sud ; immobilière dans la Louisiane.

Cependant la loi a beau déclarer qu’un homme est un meuble, une denrée, une marchandise, c’est une chose pensante et intelligente ; vainement elle le matérialise, il renferme des éléments moraux que rien ne peut détruire : ce sont ces facultés dont il est essentiel d’arrêter le développement. Toutes les lois sur l’esclavage interdisent l’instruction aux esclaves ; non seulement les écoles publiques leur sont fermées, mais il est défendu à leurs maîtres de leur procurer les connaissances les plus élémentaires. Une loi de la Caroline du Sud prononce une amende de cent livres sterling contre le maître qui apprend à écrire à ses esclaves ; la peine n’est pas plus grave quand il les tue. [4] Ainsi la perfectibilité, la plus noble des facultés humaines, est attaquée dans l’esclave, qui se trouve ainsi placé dans l’impuissance d’accomplir envers lui-même le devoir imposé à tout être intelligent de tendre sans cesse vers la perfection morale.

Cette loi ajoute que l’esclave, dans une telle position, peut être tué impunément par toute personne quelconque, et de la manière qu’il plaira à celle-ci d’employer, sans qu’elle ait à craindre d’être pour ce fait recherchée en justice [5]. Ces mêmes lois accordent des récompenses aux citoyens qui arrêtent l’esclave en liberté [6] ; elles encouragent les dénonciateurs, et leur paient le prix de la délation [7]. La loi de la Caroline du Sud va plus loin : elle porte un châtiment terrible tout à la fois contre l’esclave qui a fui et contre toute personne qui l’a aidé dans son évasion ; en pareil cas, c’est toujours la peine de mort qu’elle prononce [8].

Toutes les forces sociales sont mises en jeu pour ressaisir le nègre échappé. Lorsque celui-ci, ayant franchi la limite des États à esclaves, touche du pied le sol d’un État qui ne contient que des hommes libres, il peut un instant se croire rentré en possession de ses droits naturels ; mais son espérance est bientôt dissipée. Les États de l’Amérique du Nord, qui ont aboli la servitude, repoussent de leur sein les esclaves fugitifs, et les livrent au maître qui les réclame [9].

Ainsi la société s’arme de toutes ses rigueurs et de ses droits les plus exorbitants pour s’emparer de l’esclave et le punir du sentiment le plus naturel à l’homme et le plus inviolable, l’amour de la liberté.

Maintenant voilà l’esclave rendu à ses chaînes ; on l’a châtié d’un mouvement coupable d’indépendance ; désormais il ne tentera plus de briser ses fers ; il va travailler pour son maître, qui est parvenu à le dompter. Mais ici vont abonder encore les obstacles et les embarras pour le législateur et pour le possesseur de nègres. On a étouffé dans l’esclave deux nobles facultés, la perfectibilité morale et l’amour de la liberté ; mais on n’a pas détruit tout l’homme.

Vainement le maître interdit à son nègre tout contact avec la société civile ; vainement il s’efforce de le dégrader et de l’abrutir ; il est un point où toutes ces interdictions et ces tentatives ont leur terme, c’est celui où commence l’intérêt du maître. Or, le maître, après avoir lié les membres de son esclave, est obligé de les délier, pour que celui-ci travaille ; tout en l’abrutissant, il a besoin de conserver un peu de l’intelligence du nègre, car c’est cette intelligence qui fait son prix ; sans elle, l’esclave ne vaudrait pas plus que tout autre bétail ; enfin, quoiqu’il ait déclaré le nègre une chose matérielle, il entretient avec lui des rapports personnels qui sont l’objet même de la servitude, et l’esclave, auquel toute vie sociale est interdite, se trou­ve pourtant forcé, afin de servir son maître, d’entrer en relation avec un monde dans lequel, à la vérité, il n’est rien, où il n’apparaît que pour autrui, mais où on lui fait cependant supporter la responsabilité morale qui appartient aux êtres intelligents.

Ici encore l’homme se retrouve, de l’aveu même de ceux qui ont tenté de l’anéan­tir. Ainsi, quelle que soit la dégradation de l’esclave, il lui faut de la liberté physique pour travailler, et de l’intelligence pour servir son maître, des rapports sociaux avec celui-ci et avec le monde, pour accomplir les devoirs de la servitude.

Mais s’il ne travaille pas, s’il désobéit à son maître, s’il se révolte, et si, dans ses rapports avec les hommes libres, il commet des délits, que faire dans tous ces cas ? — On le punira. — Comment ? Suivant quels principes ? Avec quels châtiments ?

C’est surtout ici que les difficultés naissent en foule pour le législateur.

La loi, qui fait l’un maître et l’autre esclave, créant deux êtres de nature toute différente, on sent qu’il est impossible d’établir les rapports de l’esclave avec le maître, ou de l’esclave avec les hommes libres, sur la base de la réciprocité ; mais alors, en s’écartant de cette règle, seul fondement équitable des relations humaines, on tombe dans un arbitraire complet, et l’on arrive à la violation de tous les principes. Ainsi, le crime du maître, tuant son esclave, ne sera pas l’équivalent du crime de l’esclave tuant son maître ; la même différence existera entre le meurtre de tout homme libre par un esclave, et celui de l’esclave par un homme libre.

Toutes les lois des États américains portent la peine de mort contre l’esclave qui tue son maître ; mais plusieurs ne portent qu’une simple amende contre le maître qui tue son esclave [10].

Les voies de fait, la violence du maître, sur le nègre, sont autorisées par les lois américaines [11] ; mais le nègre qui frappe le maître, est puni de mort. La loi de la Louisiane prononce la même peine contre l’esclave coupable d’une simple voie de fait envers l’enfant d’un blanc [12].

Les mêmes distinctions se retrouvent dans les rapports d’esclaves à personnes libres. Ainsi, dans la Caroline du Sud, le blanc qui fait une blessure grave à un nègre encourt une amende de quarante shillings [13] ; mais le nègre esclave, qui blesse un homme libre, est puni de mort [14]. Lorsque le nègre blesse un blanc en défendant son maître, il n’encourt aucune peine, mais il subit le châtiment, s’il fait cette blessure en se défendant lui-même [15].

Il n’existe aucune loi pour l’injure commise par un homme libre envers un esclave. On conçoit qu’un si mince délit ne mérite pas une répression ; mais la loi du Tennessee prononce la peine du fouet contre tout esclave qui se permet la moindre injure verbale envers une personne de couleur blanche [16].

Ces différences ne sont pas des anomalies ; elles sont la conséquence logique du principe de l’esclavage. Chose étrange ! on s’efforce de faire du nègre une brute, et on lui inflige des châtiments plus sévères qu’à l’être le plus intelligent. Il est moins cou­pable puisqu’il est moins éclairé, et on le punit davantage. Telle est cependant la nécessité : il est manifeste que l’échelle des délits ne peut être la même pour l’esclave et pour l’homme libre.

L’échelle des peines n’est pas moins différente, et, sur ce point, la tâche du législateur est encore plus difficile à remplir.

Non seulement les gradations pénales établies pour les hommes libres ne doivent point s’appliquer pour les esclaves, parce que la société a plus à craindre de ceux qu’elle opprime que de ceux qu’elle protège ; mais encore on va voir qu’il y a néces­sité de changer, pour l’esclavage, la nature même des peines.

Les peines appliquées aux hommes libres par les lois américaines se réduisent à trois : l’amende, l’emprisonnement perpétuel ou temporaire, et la mort : la première qui atteint l’homme dans sa propriété ; la seconde, dans sa liberté ; la troisième, dans sa vie.

On voit, tout d’abord, qu’aucune amende ne peut être prononcée contre l’esclave qui, ne possédant rien, ne peut souffrir aucun dommage dans sa propriété.

L’emprisonnement est aussi, de sa nature, une peine peu appropriée à la condition de l’esclave. Que signifie la privation de la liberté, pour celui qui est en servitude ? Cependant il faut distinguer ici. S’agit-il d’un emprisonnement temporaire et d’une courte durée ? l’esclave redoutera peu ce châtiment ; il n’y verra qu’un changement matériel de position, toujours saisi comme une espérance par celui qui est malheu­reux : il préférera d’ailleurs l’oisiveté à un travail pénible dont il ne tire aucun profit. À vrai dire, la peine sera pour le maître seul, privé du travail de son esclave, et dont le préjudice sera d’autant plus grand que la peine sera plus longue.

S’agit-il d’un emprisonnement à vie ? On conçoit qu’une réclusion perpétuelle soit une peine grave, même pour l’esclave qui n’a point de liberté à perdre. Mais ici se présente un autre obstacle : la détention perpétuelle prive le maître de son esclave ; prononcer ce châtiment contre l’esclave, c’est ruiner le maître.

L’objection est encore plus grave contre la mort. Infliger cette peine à l’esclave, c’est anéantir la propriété du maître. Ainsi, toutes les peines dont la loi se sert pour châtier les hommes libres sont inapplicables aux esclaves ; la mort même, cet instru­ment à l’usage de toutes les tyrannies, fait ici défaut au possesseur de nègres.

Cependant on trouve souvent, dans les lois américaines relatives aux esclaves, des dispositions portant la mort et l’emprisonnement perpétuel ; quelquefois même ces peines sont appliquées par les cours de justice, mais les cas en sont très rares ; c’est seulement lorsque l’esclave a commis un grave attentat contre la paix publique ; alors la société blessée exige une réparation ; elle s’empare du nègre, le condamne à mort ou à une réclusion perpétuelle ; et, comme par ce fait elle prive le maître de son esclave, elle lui en paie la valeur. « Tous esclaves, porte la loi, condamnés à mort ou à un emprisonnement perpétuel, seront payés par le Trésor public. La somme ne peut excéder trois cents dollars. » [17]

Ici des intérêts d’une nature étrange entrent en lutte et exercent sur le cours de la justice une déplorable influence. Le maître, avant d’abandonner son nègre aux tribu­naux, examine attentivement le délit, et ne le dénonce que s’il le croit capital ; car l’indemnité étant à cette condition, il n’a intérêt à livrer son esclave que si celui-ci doit être condamné à mort. D’un autre côté, la société, payant le droit de se faire justice, ne l’exerce qu’avec une extrême réserve ; elle épargne le sang, non par humanité, mais par économie ; et, tandis que l’intérêt du maître est qu’on se montre inflexible en châtiant son nègre, celui de la société la pousse à l’indulgence. On ne voit le maître prompt à livrer son esclave que dans un seul cas ; c’est lorsque celui-ci est vieux et infirme ; il espère alors que la condamnation à mort du nègre invalide lui vaudra une indemnité équivalente au prix d’un bon nègre ; mais la société se tient en garde contre la fraude, et, pour ne point payer l’indemnité, elle acquitte le nègre. L’esclave, dont le malheur ne touche ni la société ni le maître, ne trouve de protection que dans un calcul de cupidité.

Ce qui précède explique cette singulière loi de la Louisiane, qui porte que la peine d’emprisonnement infligée à un esclave ne peut excéder huit jours, à moins qu’elle ne soit perpétuelle. « À l’exception, dit-elle, des cas où les esclaves doivent être condam­nés à un emprisonnement perpétuel, les jurys convoqués pour juger les crimes et délits des esclaves ne seront point autorisés à les emprisonner pour plus de huit jours. » [18]

L’intérêt de cette disposition est facile à saisir. L’emprisonnement temporaire, privant le maître du travail de ses nègres, et lui causant un préjudice sans compensa­tion, est à ses yeux le pire de tous les châtiments. L’emprisonnement perpétuel enlève, il est vrai, au maître, la personne de son esclave ; mais en même temps la société lui en paie la prix.

On conçoit maintenant l’impossibilité d’infliger souvent aux esclaves la mort ou un long emprisonnement ; car ces châtiments répétés ruineraient le maître des nègres ou la société.

Il faut cependant des peines pour punir l’esclave… des peines sévères, dont on puisse faire usage tous les jours, à chaque instant. Où les trouver ?

Voilà comment la nécessité conduit à l’emploi des châtiments corporels, c’est-à-dire de ceux qui sont instantanés, qui s’appliquent sans aucune perte de temps, sans frais pour le maître ni pour la société, et qui, après avoir fait éprouver à l’esclave de cruelles souffrances, lui permettent de reprendre aussitôt son travail. Ces peines sont le fouet, la marque, le pilori et la mutilation d’un membre. Encore le législateur se trouve-t-il gêné dans ses dispositions relatives à ce dernier châtiment ; car il faut laisser sains et intacts les bras de l’esclave.

Telles sont, à vrai dire, les peines propres à l’esclavage ; elles en sont les auxiliai­res indispensables, et, sans elles, il périrait. Les lois américaines ont été forcées d’y recourir. Dans le Tennessee, il n’existe, outre la peine de mort, que trois châtiments : le fouet, le pilori, la mutilation. La peine portée contre le faux témoin mérite d’être remarquée : le coupable est attaché au pilori, sur le poteau duquel on cloue d’abord une de ses oreilles ; après une heure d’exposition, on lui coupe cette oreille, ensuite on cloue l’autre de même, et, une heure après, celle-ci est coupée comme la première [19].

Du reste, le pilori, la mutilation, la marque, ne sont point les peines les plus usitées dans les États à esclaves ; elles exigent, pour leur application, des soins, font naître des embarras, et entraînent quelque perte de temps. Le fouet seul n’offre aucun de ces inconvénients ; il déchire le corps de l’esclave sans atteindre sa vie ; il punit le nègre sans nuire au maître : c’est véritablement la peine à l’usage de la servitude. Aussi les lois américaines sur l’esclavage invoquent-elles constamment son appui [20].

Tout à l’heure nous avons vu le législateur forcé d’attribuer à l’esclave une autre criminalité qu’à l’homme libre ; nous venons aussi de reconnaître qu’aucune des peines appliquées aux hommes libres ne convenait aux esclaves, et que, pour châtier ceux-ci, on est contraint de recourir aux rigueurs les plus cruelles.

Maintenant, le crime de l’esclave étant défini, et la nature des peines déterminée, qui appliquera ces peines ? Selon quels principes le nègre sera-t-il jugé ? Le verra-t-on durant la procédure, environné des garanties dont toutes les législations des peuples civilisés entourent le malheureux accusé ?

Jetons un coup d’œil sur les lois américaines, et nous allons voir le législateur conduit de nécessités en nécessités à la violation successive de tous les principes. La première règle en matière criminelle, c’est que nul ne peut être jugé que par ses pairs. On sent l’impossibilité d’appliquer aux esclaves cette maxime d’équité ; car ce serait remettre entre les mains des esclaves le sort des maîtres : aussi, dans tous les cas, les hommes libres composent-ils le jury chargé de juger les esclaves [21] ; et ici le nègre accusé n’a pas seulement à redouter la partialité de l’homme libre contre l’esclave ; il a encore à craindre l’antipathie du blanc contre l’homme noir.

C’est un axiome de jurisprudence, que tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable. Je trouve dans les lois de la Louisiane et de la Caroline des principes contraires :

« Si un esclave noir, dit la loi de la Louisiane, tire avec une arme à feu sur quel­que personne, ou la frappe, ou la blesse avec une arme meurtrière, avec l’intention de la tuer, ledit esclave, sur due conviction d’aucun desdits faits, sera puni de mort, pourvu que la présomption, quant à cette intention, soit toujours contre l’esclave accusé, à moins qu’il ne prouve le contraire. » [22]

C’est encore un principe salutaire et consacré par toutes les législations sages, qu’en matière criminelle les peines doivent être fixées par la loi. Cependant les lois américaines abandonnent en général à la discrétion du juge le châtiment de l’esclave ; tantôt elles disent que, dans un cas déterminé, le juge fera distribuer le nombre de coups de fouet qu’il jugera convenable, sans fixer ni minimum ni maximum [23] ; une autre fois, elles laissent au juge, chargé de punir, le soin de choisir parmi les peines celle qui lui plaît, depuis le fouet jusqu’à la mort exclusivement [24]. Ainsi voilà l’esclave livré à l’arbitraire du juge.

Mais il est un principe encore plus sacré que les précédents : c’est que nul ne peut se faire justice à soi-même, et que quiconque a été lésé par un crime doit s’adresser aux magistrats chargés par la loi de prononcer entre le plaignant et l’accusé.

Cette règle est violée formellement par les lois de la Caroline du Sud et de la Louisiane relatives aux esclaves. On trouve dans les lois de ces deux États une disposition qui confère au maître le pouvoir discrétionnaire de punir ses esclaves, soit à coups de fouet, soit à coups de bâton, soit par l’emprisonnement [25] ; il apprécie le délit, condamne l’esclave et applique la peine : il est tout à la fois partie, juge et bourreau.

Telles sont et telles doivent être les lois de répression contre les esclaves. Ici les principes du droit commun seraient funestes, et les formes de la justice régulière impossibles. Faudra-t-il soumettre tous les méfaits du nègre à l’examen d’un juge ? Mais la vie du maître se consumerait en procès ; d’ailleurs la sentence d’un tribunal est quelquefois incertaine et toujours lente. Ne faut-il pas qu’un châtiment terrible et inévitable soit incessamment suspendu sur la tête de l’esclave, et frappe dans l’ombre le coupable, au risque d’atteindre l’innocent ?

La justice et les tribunaux sont donc presque toujours étrangers à la répression des délits de l’esclave ; tout se passe entre le maître et ses nègres. Quand ceux-ci sont dociles, le maître jouit en paix de leurs labeurs et de leur abrutissement. Si les esclaves ne travaillent pas avec zèle, il les fouette comme des bêtes de somme. Ces peines fugitives ne sont point enregistrées dans les greffes des cours ; elles ne valent pas les frais d’une enquête. Celui qui consulte les annales des tribunaux n’y trouve qu’un très petit nombre de jugements relatifs à des nègres ; mais qu’il parcoure les campagnes, il entendra les cris de la douleur et de la misère : c’est la seule consta­tation des sentences rendues contre des esclaves.

Ainsi, pour établir la servitude, il faut non seulement priver l’homme de tous droits politiques et civils, mais encore le dépouiller de ses droits naturels et fouler aux pieds les principes les plus inviolables.

Un seul droit est conservé à l’esclave, l’exercice de son culte ; c’est que la religion enseigne aux hommes le courage et la résignation. Cependant même sur ce point, la loi de la Caroline du Sud se montre pleine de restrictions prudentes : ainsi les nègres ne peuvent prier Dieu qu’à des heures marquées, et ne sauraient assister aux réunions religieuses des blancs. L’esclave ne doit point entendre la prière des hommes libres [26].

Quel plus beau témoignage peut-il exister en faveur de la liberté de l’homme que cette impossibilité d’organiser la servitude sans outrager toutes les saintes lois de la morale et de l’humanité ?

  • II. Caractères de l’esclavage aux États-Unis.

Je viens d’exposer les rigueurs mises en usage et les cruautés employées pour fonder et maintenir l’esclavage aux États-Unis. Je pense, du reste, que, dans ces ri­gueurs et dans ces cruautés, il n’y a rien qui soit spécial à l’esclavage américain. La servitude est partout la même, et entraîne, en quelque lieu qu’on l’établisse, les mêmes iniquités et les mêmes tyrannies.

Ceux qui, en admettant le principe de l’esclavage, prétendent qu’il faut en adoucir le joug, donner à l’esclave un peu de liberté, offrir quelque soulagement à son corps et quelque lumière à son esprit, ceux-là me paraissent doués de plus d’humanité que de logique. À mon sens, il faut abolir l’esclavage ou le maintenir dans toute sa dureté.

L’adoucissement qu’on apporte au sort de l’esclave ne fait que rendre plus cruelles à ses yeux les rigueurs qu’on ne supprime pas ; le bienfait qu’il reçoit devient pour lui une sorte d’excitation à la révolte. À quoi bon l’instruire ? Est-ce pour qu’il sente mieux sa misère ? ou afin que son intelligence se développant, il fasse des efforts plus éclairés pour rompre ses fers ? Quand l’esclavage existe dans un pays, ses liens ne sauraient se relâcher sans que la vie du maître et de l’esclave soit mise en péril : celle du maître, par la rébellion de l’esclave ; celle de l’esclave, par le châtiment du maître.

Toutes les déclamations auxquelles on se livre sur la barbarie des possesseurs d’esclaves, aux États-Unis comme ailleurs, sont donc peu rationnelles. Il ne faut point blâmer les Américains des mauvais traitements qu’ils font subir à leurs esclaves, il faut leur reprocher l’esclavage même. Le principe étant admis, les conséquences qu’on déplore sont inévitables.

Il en est d’autres qui, voulant excuser la servitude et ses horreurs, vantent l’huma­nité des maîtres américains envers leurs nègres ; ceux-ci manquent pareillement de logique et de vérité. Si le possesseur d’esclaves était humain et juste, il cesserait d’être maître ; sa domination sur ces nègres est une violation continue et obligée de toutes les lois de la morale et de l’humanité.

L’esclavage américain, qui s’appuie sur la même base que toutes les servitudes de l’homme sur l’homme, a pourtant quelques traits particuliers qui lui sont propres.

Chez les peuples de l’antiquité, l’esclave était plutôt attaché à la personne du maî­tre qu’à son domaine ; il était un besoin du luxe, et une des marques extérieures de la puissance. L’esclave américain, au contraire, tient plutôt au domaine qu’à la personne du maître ; il n’est jamais pour celui-ci un objet d’ostentation, mais seulement un instrument utile entre ses mains. Autrefois l’esclave travaillait aux plaisirs du maître autant qu’à sa fortune. Le nègre ne sert jamais qu’aux intérêts matériels de l’Amé­ricain.

Jefferson, qui d’ailleurs n’est pas partisan de l’esclavage, s’efforce de prouver l’heureux sort des nègres, comparé à la condition des esclaves romains ; et, après avoir peint les mœurs douces des planteurs américains, il cite l’exemple de Vedius Pollion, qui condamna un de ses esclaves à servir de pâture aux murènes de son vivier, pour le punir d’avoir cassé un verre de cristal [27].

Je ne sais si la preuve offerte par Jefferson est bonne. Il est vrai que l’habitant des États-Unis serait peu sévère envers l’esclave qui briserait un objet de luxe ; mais aurait-il la même indulgence pour celui qui détruirait une chose utile ? Je ne sais. Il est certain, du moins, que la loi de la Caroline du Sud prononce la peine de mort contre l’esclave qui fait un dégât dans un champ [28].

Je crois, du reste, qu’en effet la vie des nègres, en Amérique, n’est point sujette aux mêmes périls que celle des esclaves chez les Anciens. À Rome, les riches faisaient bon marché de la vie de leurs esclaves ; ils n’y étaient pas plus attachés qu’on ne tient à une superfluité du luxe ou à un objet de mode. Un caprice, un mouvement de colère, quelquefois un instinct dépravé de cruauté, suffisaient pour trancher le fil de plusieurs existences. Les mêmes passions ne se rencontrent point chez le maître américain, pour lequel un esclave a la valeur matérielle qu’on attache aux choses utiles, et qui, dépourvu d’ailleurs de passions violentes, n’éprouve à l’aspect de ses nègres, travaillant pour lui, que des instincts de conservation.

L’habitant des États-Unis, possesseur de nègres, ne mène point sur ses domaines une vie brillante et ne se montre jamais à la ville avec un cortège d’esclaves. L’exploi­tation de sa terre est une entreprise industrielle ; ses esclaves sont des instruments de culture. Il a soin de chacun d’eux comme un fabricant a soin des machines qu’il emploie ; il les nourrit et les soigne comme on conserve une usine en bon état ; il calcule la force de chacun, fait mouvoir sans relâche les plus forts et laisse reposer ceux qu’un plus long usage briserait. Ce n’est pas là une tyrannie de sang et de suppli­ces, c’est la tyrannie la plus froide et la plus intelligente qui jamais ait été exercée par le maître sur l’esclave.

Cependant, sous un autre point de vue, l’esclavage américain n’est-il pas plus rigoureux que ne l’était la servitude antique ?

L’esprit calculateur et positif du maître américain le pousse vers deux buts dis­tincts : le premier, c’est d’obtenir de son esclave le plus de travail possible ; le second, de dépenser le moins possible pour le nourrir. Le problème à résoudre est de conser­ver la vie du nègre en le nourrissant peu et de le faire travailler avec ardeur sans l’épuiser. On conçoit ici l’alternative embarrassante dans laquelle est placé le maître qui voudrait que son nègre ne se reposât point et qui pourtant craint qu’un travail continu ne le tue. Souvent le possesseur d’esclaves, en Amérique, tombe dans la faute de l’industriel qui, pour avoir fatigué les ressorts d’une machine, les voit se briser. Comme ces calculs de la cupidité font périr des hommes, les lois américaines ont été dans la nécessité de prescrire le minimum de la ration quotidienne que doit recevoir l’esclave, et de porter des peines sévères contre les maîtres qui enfreindraient cette disposition [29]. Ces lois, du reste, prouvent le mal, sans y remédier : quel moyen peut avoir l’esclave d’obtenir justice du plus ou moins de tyrannie qu’il subit ? En général, la plainte qu’il fait entendre lui attire de nouvelles rigueurs ; et lorsque par hasard il arrive jusqu’à un tribunal, il trouve pour juges ses ennemis naturels, tous amis de son adversaire.

Ainsi il me paraît juste de dire qu’aux États-Unis l’esclave n’a point à redouter les violences meurtrières dont les esclaves des Anciens étaient si souvent les victimes. Sa vie est protégée ; mais peut-être sa condition journalière est-elle plus malheureuse.

J’indiquerai encore ici une dissemblance : l’esclave, chez les Anciens, servait souvent les vices du maître ; son intelligence s’exerçait à cette immoralité.

L’esclave américain n’a jamais de pareils offices à rendre ; il quitte rarement le sol, et son maître a des mœurs pures. Le nègre est stupide ; il est plus abruti que l’esclave romain, mais il est moins dépravé.

  • III. Peut-on abolir l’esclavage des noirs aux États-Unis ?

On ne saurait parler de l’esclavage sans reconnaître en même temps que son institution chez un peuple est tout à la fois une tache et un malheur.

La plaie existe aux États-Unis, mais on ne saurait l’imputer aux Américains de nos jours, qui l’ont reçue de leurs aïeux. Déjà même une partie de l’Union est parvenue à s’affranchir de ce fléau. Tous les États de la Nouvelle-Angleterre, New-York, la Pennsylvanie, n’ont plus d’esclaves [30]. Maintenant l’abolition de l’esclavage pourra-t-elle s’opérer dans le Sud, de même qu’elle a eu lieu dans le Nord ?

Avant d’entrer dans l’examen de cette grande question commençons par recon­naître qu’il existe aux États-Unis une tendance générale de l’opinion vers l’affranchis­sement de la race noire.

Plusieurs causes morales concourent pour produire cet effet.

D’abord, les croyances religieuses qui, aux États-Unis, sont universellement répan­dues.

Plusieurs sectes y montrent un zèle ardent pour la cause de la liberté humaine ; ces efforts des hommes religieux sont continus et infatigables, et leur influence, presque inaperçue, se fait cependant sentir. À ce sujet, on se demande si l’esclavage peut avoir une très longue durée au sein d’une société de chrétiens. Le christianisme, c’est l’égalité morale de l’homme. Ce principe admis, il est aussi difficile de ne pas arriver à l’égalité sociale, qu’il paraît impossible, l’égalité sociale existant, de n’être pas conduit à l’égalité politique. Les législateurs de la Caroline du Sud sentirent bien toute la portée du principe moral dont le christianisme renferme le germe ; car, dans l’un des premiers articles du code qui organise l’esclavage, ils ont eu soin de déclarer, en termes formels, que l’esclave qui recevra le baptême ne deviendra pas libre par ce seul fait [31].

On ne peut pas non plus contester que le progrès de la civilisation ne nuise chaque jour à l’esclavage. À cet égard, l’Europe même influe sur l’Amérique. L’Américain, dont l’orgueil ne veut reconnaître aucune supériorité, souffre cruellement de la tache que l’esclavage imprime à son pays dans l’opinion des autres peuples.

Enfin, il est une cause morale plus puissante peut-être que toute autre sur la société américaine pour l’exciter à l’affranchissement des noirs, c’est l’opinion qui de plus en plus se répand que les États où l’esclavage a été aboli sont plus riches et plus prospères que ceux où il est encore en vigueur, et cette opinion a pour base un fait réel dont enfin on se rend compte : dans les États à esclaves, les hommes libres ne travaillent pas, parce que le travail, étant l’attribut de l’esclave, est avili à leurs yeux. Ainsi, dans ces États, les blancs sont oisifs à côté des noirs qui seuls travaillent. En d’autres termes, la portion de la population la plus intelligente, la plus énergique, la plus capable d’enrichir le pays, demeure inerte et improductive, tandis que le travail de production est l’œuvre d’une autre portion de la population grossière, ignorante, et qui fait son travail sans cœur, parce qu’elle n’y a point d’intérêt.

J’ai plus d’une fois entendu les habitants du Sud, possesseurs d’esclaves, déplorer eux-mêmes, par ce motif, l’existence de l’esclavage, et faire des vœux pour sa des­truction.

On ne peut donc nier qu’aux États-Unis l’opinion publique ne tende vers l’aboli­tion complète de l’esclavage.

Mais cette abolition est-elle possible ? Et comment pourrait-elle s’opérer ? Ici je dois jeter un coup d’œil sur les diverses objections qui se présentent.

PREMIÈRE OBJECTION. — D’abord, il est des personnes qui font de l’esclavage des nègres une question de fait et non de principe. La race africaine, disent-ils, est infé­rieure à la race européenne : les noirs sont donc par leur nature même destinés à servir les blancs.

Je ne discuterai pas ici la question de supériorité des blancs sur les nègres. C’est un point sur lequel beaucoup de bons esprits sont partagés ; il me faudrait, pour l’approfondir, plus de lumières que je n’en possède sur ce sujet. Je ne présenterai donc que de courtes observations à cet égard.

En général, on tranche la question de supériorité à l’aide d’un seul fait : on met en présence un blanc et un nègre, et l’on dit ! « Le premier est plus intelligent que le second. » Mais il y a ici une première source d’erreur ; c’est la confusion qu’on fait de la race et de l’individu. Je suppose constant le fait de supériorité intellectuelle de l’Européen de nos jours : la difficulté ne sera pas résolue.

En effet, ne se peut-il pas qu’il y ait chez le nègre une intelligence égale dans son principe à celle du blanc, et qui ait dégénéré par des causes accidentelles ? Lorsque, par suite d’un certain état social, la population noire est soumise pendant plusieurs siècles à une condition dégradante transmise d’âge en âge, à une vie toute matérielle et destructive de l’intelligence humaine, ne doit-il pas résulter, pour les générations qui se succèdent, une altération progressive des facultés morales, qui, arrivée à un certain degré, prend le caractère d’une organisation spéciale, et est considérée comme l’état naturel du nègre, quoiqu’elle n’en soit qu’une déviation ? Cette question, que je ne fais qu’indiquer, est traitée avec de grands détails dans un ouvrage en deux volumes, intitulé : Natural and physical history of man, by Richard.

Après avoir indiqué l’erreur dans laquelle on peut tomber en assimilant deux races qui marchent depuis une longue suite de siècles dans des voies opposées, l’une vers la perfection morale, l’autre vers l’abrutissement, j’ajouterai que la comparaison des individus entre eux n’est guère moins défectueuse. Comment, en effet, demander au nègre, dont rien, depuis qu’il existe, n’a éveillé l’intelligence, le même développement de facultés qui, chez le blanc, est le fruit d’une éducation libérale et précoce ?

Du reste, cette question recevra une grande lumière de l’expérience qui se fait en ce moment dans les États américains où l’esclavage est aboli. Il existe à Boston, à New-York et à Philadelphie des écoles publiques pour les enfants des noirs, fondées sur les mêmes principes que celles des blancs ; et j’ai trouvé partout cette opinion, que les enfants de couleur montrent une aptitude au travail et une capacité égales à celles des enfants blancs. On a cru longtemps, aux États-Unis, que les nègres n’avaient pas même l’esprit suffisant pour faire le négoce ; cependant il existe en ce moment, dans les États libres du Nord, un grand nombre de gens de couleur qui ont fondé eux-mêmes de grandes fortunes commerciales. Longtemps même on pensa que le nègre était destiné par le Créateur à courber incessamment son front sur le sol, et on le croyait dépourvu de l’intelligence et de l’adresse qui sont nécessaires pour les arts mécaniques. Mais un riche industriel du Kentucky me disait un jour que c’était une erreur reconnue, et que les enfants nègres auxquels on apprend des métiers travaillent tout aussi bien que les blancs.

La question de supériorité des blancs sur les nègres n’est donc pas encore pure de tout nuage. Du reste, alors même que cette supériorité serait incontestable, en résulterait-il la conséquence qu’on en tire ? Faudrait-il, parce qu’on reconnaîtrait à l’homme d’Europe un degré d’intelligence de plus qu’à l’Africain, en conclure que le second est destiné par la nature à servir le premier ? Mais où mènerait une pareille théorie ?

Il y a aussi parmi les blancs des intelligences inégales : tout être moins éclairé sera-t-il l’esclave de celui qui aura plus de lumières ? Et qui déterminera le degré des intelligences ?… Non, la valeur morale de l’homme n’est pas tout entière dans l’esprit ; elle est surtout dans l’âme. Après avoir prouvé que le nègre comprend moins bien que le blanc, il faudrait encore établir qu’il sent moins vivement que celui-ci ; qu’il est moins capable de générosité, de sacrifices, de vertu.

Une pareille théorie ne soutient pas l’examen. Si on l’applique aux blancs entre eux, elle semble ridicule ; restreinte aux nègres, elle est plus odieuse, parce qu’elle comprend toute une race d’hommes qu’elle atteint en masse de la plus affreuse des misères.

Il faut donc écarter cette première objection.

SECONDE OBJECTION. — Mais d’autres disent : « Nous avons besoin de nègres pour cultiver nos terres ; les hommes d’Afrique peuvent seuls, sous un soleil brûlant, se livrer, sans péril, aux rudes travaux de la culture ; puisque nous ne pouvons nous passer d’esclaves, il faut bien conserver l’esclavage. »

Ce langage est celui du planteur américain qui, comme on le voit, réduit la ques­tion à celle de son intérêt personnel. À cet intérêt se mêlerait, il est vrai, celui de la prospérité même du pays, s’il était exact de dire que les États du Sud ne peuvent être cultivés que par des nègres.

Sur ce point il existe, dans le Sud des États-Unis, une grande divergence d’opi­nion. Il est bien certain qu’à mesure que les blancs se rapprochent du tropique, les travaux exécutés par eux sous le soleil d’été deviennent dangereux. Mais quelle est l’étendue de ce péril ? L’habitude le ferait-elle disparaître ? À quel degré de latitude commence-t-il ? Est-ce à la Virginie ou à la Louisiane ? Au 4eou au 31edegré ?

Telles sont les questions en litige qui reçoivent en Amérique bien des solutions contradictoires. En parcourant les États du Sud, j’ai souvent entendu dire que si l’esclavage des noirs était aboli, c’en était fait de la richesse agricole des contrées méridionales.

Cependant il se passe aujourd’hui même dans le Maryland un fait qui est propre à ébranler la foi trop grande qu’on ajouterait à de pareilles assertions.

Le Maryland, État à esclaves, est situé entre les 38eet 39edegrés de latitude ; il tient le milieu entre les États du Nord, où il n’existe que des hommes libres, et ceux du Sud, où l’esclavage est en vigueur. Or c’était, il y a peu d’années encore, une opinion universelle dans le Maryland que le travail des nègres y était indispensable à la culture du sol ; et l’on eût étouffé la voix de quiconque eût exprimé un sentiment contraire. Cependant, à l’époque où je traversai ce pays (octobre 1831) l’opinion avait déjà entièrement changé sur ce point. Je ne puis mieux faire connaître cette révolution dans l’esprit public qu’en rapportant textuellement ce que me disait à Baltimore un homme d’un caractère élevé, et qui tient un rang distingué dans la société américaine.

« Il n’est, me disait-il, personne dans le Maryland qui ne désire maintenant l’aboli­tion de l’esclavage aussi franchement qu’il en voulait jadis le maintien.

« Nous avons reconnu que les blancs peuvent se livrer sans aucun inconvénient aux travaux agricoles qu’on croyait ne pouvoir être faits que par des nègres.

« Cette expérience ayant eu lieu, un grand nombre d’ouvriers libres et de cultiva­teurs de couleur blanche se sont établis dans le Maryland, et alors nous sommes arrivés à une autre démonstration non moins importante : c’est qu’aussitôt qu’il y a concurrence de travaux entre des esclaves et des hommes libres, la ruine de celui qui emploie des esclaves est assurée. Le cultivateur qui travaille pour lui, ou l’ouvrier libre qui travaille pour un autre, moyennant salaire, produisent moitié plus que l’escla­ve travaillant pour son maître sans intérêt personnel. Il en résulte que les valeurs créées par un travail libre se vendent moitié moins cher. Ainsi telle denrée qui valait deux dollars lorsqu’il n’y avait parmi nous d’autres travailleurs que des esclaves, ne coûte actuellement qu’un seul dollar. Cependant celui qui la produit avec des esclaves est obligé de la donner au même prix, et alors il est en perte ; il gagne moitié moins que précédemment, et cependant ses frais sont toujours les mêmes ; c’est-à-dire qu’il est toujours forcé de nourrir ses nègres, leurs familles, de les entretenir dans leur enfance, dans leur vieillesse, durant leurs maladies ; enfin, il a toujours des esclaves travaillant moins que des hommes libres. » [32]

Je ne saurais non plus quitter ce sujet sans rappeler ici ce que me disait de l’esclavage des noirs un homme justement célèbre en Amérique, Charles Caroll, celui des signataires de la déclaration d’indépendance qui a joui le plus longtemps de son œuvre glorieuse [33].

« C’est une idée fausse, me disait-il, de croire que les nègres sont nécessaires à la culture des terres pour certaines exploitations, telles que celles du sucre, du riz et du tabac. J’ai la conviction que les blancs s’y habitueraient facilement, s’ils l’entrepre­naient. Peut-être, dans les premiers temps, souffriraient-ils du changement apporté à leurs habitudes ; mais bientôt ils surmonteraient cet obstacle, et, une fois accoutumés au climat et aux travaux des noirs, ils en feraient deux fois plus que les esclaves. »

Lorsque M. Charles Caroll me tenait ce langage, il habitait une terre sur laquelle il y avait trois cents noirs.

Je ne conclurai point de tout ceci que l’objection élevée contre le travail des blancs dans le Sud soit entièrement dénuée de fondement ; mais enfin n’est-il pas permis de penser que plusieurs États du Sud qui, jusqu’à ce jour, ont considéré l’esclavage comme une nécessité, viendront à reconnaître leur erreur, ainsi que le fait aujourd’hui le Maryland ? Chaque jour les communications des États entre eux deviennent plus faciles et plus fréquentes. La révolution morale qui s’est faite à Baltimore ne s’étendra-t-elle point dans le Sud ? Les États du Midi, autrefois purement agricoles, commencent à devenir industriels ; les manufactures établies dans le Sud auront besoin de soutenir la concurrence avec celles du Nord, c’est-à-dire de produire à aussi bon marché que ces dernières ; elles seront dès lors dans l’impossibilité de se servir longtemps d’ouvriers esclaves, puisqu’il est démontré que ceux-ci ne sauraient con­courir utilement avec des ouvriers libres. Partout où se montre l’ouvrier libre, l’escla­vage tombe. Enfin, ce qui demeure bien prouvé, c’est que (économiquement parlant) l’esclavage est nuisible lorsqu’il n’est pas nécessaire, et qu’il a été jugé tel par ceux qui auparavant l’avaient cru indispensable. Mais il se présente contre l’abolition de l’esclavage des objections bien autrement graves que celle du plus ou moins d’utilité dont le travail des nègres peut être pour les blancs.

TROISIÈME OBJECTION. — Supposez le principe de l’abolition admis, quel sera le moyen d’exécution ?

Ici deux systèmes se présentent : affranchir dès à présent tous les esclaves ; ou bien abolir seulement en principe l’esclavage, et déclarer libres les enfants à naître des nègres. Dans le premier cas, l’esclavage disparaît aussitôt, et, le jour où la loi est ren­due, il n’y a plus dans la société américaine que des hommes libres. Dans le second, le présent est conservé ; ceux qui sont esclaves restent tels ; l’avenir seul est atteint ; on travaille pour les générations suivantes.

Ces deux systèmes, assez simples l’un et l’autre dans leur théorie, rencontrent dans l’exécution des difficultés qui leur sont communes.

D’abord, pour déclarer libres les esclaves ou leurs descendants, l’équité exige que le gouvernement en paie le prix à leurs possesseurs : l’indemnité est la première con­dition de l’affranchissement, puisque l’esclave est la propriété du maître.

Maintenant, comment opérer ce rachat ?

Le gouvernement américain se trouve, dit-on, pour l’effectuer, dans la situation la plus favorable ; car la dette publique des États-Unis est éteinte : or, les revenus du gouvernement fédéral sont annuellement de cent cinquante-neuf millions de francs. Sur cette somme, soixante-quatorze millions sont absorbés par les dépenses de l’administration fédérale ; restent donc quatre-vingt-cinq millions qui, précédemment, étaient consacrés à l’extinction de la dette publique, et qui, maintenant, pourraient être employés au rachat des nègres esclaves [34].

J’ai souvent entendu proposer ce moyen pour parvenir à l’affranchissement général ; mais ici combien d’obstacles se présentent ! D’abord le point de départ est vicieux ; en effet, les États-Unis n’ont, il est vrai, plus de dette publique à payer ; mais en même temps qu’ils se sont libérés, ils ont réduit considérablement l’impôt qui était la source de leurs revenus. Il est donc inexact de dire que le gouvernement fédéral reçoive annuellement quatre-vingt-cinq millions, qu’il pourrait appliquer au rachat des nègres.

Mais supposons qu’en effet cette somme est à sa disposition, et voyons s’il est possible d’espérer qu’il en fera l’usage qu’on propose.

Il y avait aux États-Unis, lors du dernier recensement de la population, fait en 1830, deux millions neuf mille esclaves ; or, en supposant qu’il faille réduire à cent dollars la valeur moyenne de chaque nègre, à raison des femmes, des enfants et des vieillards, le rachat fait à ce prix de deux millions neuf mille esclaves coûterait plus d’un milliard de francs [35]. À cette somme il faut ajouter le prix de deux cent mille esclaves au moins nés depuis 1830 [36], dont le rachat ajouterait une somme de cent onze millions de francs au milliard précédent.

En supposant que le gouvernement fédéral pût et voulût appliquer annuellement au rachat des nègres une somme annuelle de quatre-vingt-cinq millions, il ne pourrait, avec cette somme, racheter chaque année que cent soixante mille esclaves ; il faudrait donc l’application de la même somme au même objet pendant quatorze années pour racheter la totalité des esclaves existants aujourd’hui. Mais ce n’est pas tout. Ces deux millions neuf mille esclaves existant en ce moment se multiplient chaque jour, et, en supposant que leur accroissement annuel soit proportionné dans l’avenir à ce qu’il a été jusqu’à ce jour, il augmentera annuellement d’environ soixante mille : quarante-sept millions de francs seront donc absorbés chaque année, non pas pour diminuer le nombre des esclaves, mais seulement pour empêcher leur augmentation ; or, ces quarante-sept millions font plus de la moitié de la somme destinée au rachat.

On voit que l’étendue et la durée du sacrifice pécuniaire que le gouvernement des États-Unis aurait à s’imposer ne peuvent se comparer qu’à son peu d’efficacité. Croit-on que le gouvernement américain entreprenne jamais une semblable tâche à l’aide d’un pareil moyen ?

Je ne sais si un peuple qui se gouverne lui-même fera jamais un sacrifice aussi énorme sans une nécessité urgente. Les masses, habiles et puissantes pour guérir les maux présents qu’elles sentent, ont peu de prévoyance pour les malheurs à venir. L’esclavage, qui peut, à la vérité, devenir un jour, pour toute l’Union, une cause de trouble et d’ébranlement, n’affecte actuellement et d’une manière sensible qu’une partie des États-Unis, le Sud ; or, comment admettre que les pays du Nord qui, en ce moment, ne souffrent point de l’esclavage, iront, dans l’intérêt des contrées méridio­nales, et par une vague prévision de périls incertains et à venir, consacrer au rachat des esclaves du Sud des sommes considérables dont l’emploi, fait au profit de tous, peut leur procurer des avantages actuels et immédiats ? Je crois qu’espérer du gou­vernement fédéral des États-Unis un pareil sacrifice, c’est méconnaître les règles de l’intérêt personnel, et ne tenir aucun compte ni du caractère américain, ni des principes d’après lesquels procède la démocratie.

Mais l’obstacle qui résulte du prix exorbitant du rachat n’est pas le seul.

Supposons que cette difficulté soit vaincue.

QUATRIÈME OBJECTION. — Les nègres étant affranchis que deviendront-ils ? Se bornera-t-on à briser leurs fers ? Les laissera-t-on libres à côté de leurs maîtres ? Mais si les esclaves et les tyrans de la veille se trouvent face à face avec des forces à peu près égales, ne doit-on pas craindre de funestes collisions ?

On voit que ce n’est pas assez de racheter les nègres, mais qu’il faut encore, après leur affranchissement, trouver un moyen de les faire disparaître de la société où ils étaient esclaves.

À cet égard deux systèmes ont été proposés.

Le premier est celui de Jefferson [37], qui voudrait qu’après avoir aboli l’esclavage on assignât aux nègres une portion du territoire américain, où ils vivraient séparés des blancs.

On est frappé tout d’abord de ce qu’un pareil système renferme de vicieux et d’impolitique. Sa conséquence immédiate serait d’établir sur le sol des États-Unis deux sociétés distinctes, composées de deux races qui se haïssent secrètement et dont l’inimitié serait désormais avouée ; ce serait créer une nation voisine et ennemie pour les États-Unis, qui ont le bonheur de n’avoir ni ennemis ni voisins.

Mais, depuis que Jefferson a indiqué ce mode étrange de séparer les nègres des blancs, un autre moyen a été trouvé auquel on ne peut reprocher les mêmes incon­vénients.

Une colonie de nègres affranchis a été fondée à Liberia sur la côte d’Afrique (6edegré de latitude nord). [38]

Des sociétés philanthropiques se sont formées pour l’établissement, la surveillance et l’entretien de cette colonie qui déjà prospère. Au commencement de l’année 1834, elle contenait trois mille habitants, tous nègres libres et affranchis, émigrés des États-Unis.

Certes, si l’affranchissement universel des noirs était possible et qu’on pût les transporter tous à Liberia, ce serait un bien sans aucun mélange de mal. Mais le trans­port des affranchis, d’Amérique en Afrique, pourra-t-il jamais s’exécuter sur un vaste plan ? Outre les frais de rachat que je suppose couverts, ceux de transport seraient seuls considérables ; on a reconnu que, pour chaque nègre ainsi transporté, il en coûte 30 dollars (160 fr.), ce qui pour 2 millions de nègres fait une somme de 318 millions de francs à ajouter aux 1 200 millions précédents. Ainsi à mesure qu’on pénètre dans le fond de la question on marche d’obstacle en obstacle.

Maintenant je suppose encore résolues ces premières difficultés ; j’admets que d’une part le gouvernement de l’Union serait prêt à faire, pour l’affranchissement des nègres du Sud, l’immense sacrifice que j’ai indiqué, sans que les États du Nord, peu intéressés, quant à présent, dans la question, s’y opposassent ; j’admets encore qu’il existe un moyen pratique de transporter la population affranchie hors du territoire américain ; ces obstacles levés, il resterait encore à vaincre le plus grave de tous ; je veux parler de la volonté des États du Sud, au sein desquels sont les esclaves.

CINQUIÈME OBJECTION. — D’après la constitution américaine, l’abolition de l’escla­vage dans les États du Sud ne pourrait se faire que par un acte émané de la souve­raineté de ces États, ou du moins faudrait-il, si l’affranchissement des noirs était tenté par le gouvernement fédéral, que les États particuliers intéressés y consentissent. [39]

Or, j’ignore ce que pourront penser un jour et faire les États du Sud ; mais il me paraît indubitable que, dans l’état actuel des esprits et des intérêts, tous seraient oppo­sés à l’affranchissement des nègres, même avec la condition de l’indemnité préalable.

Il est certain d’abord que la transition subite de l’état de servitude des noirs à celui de liberté serait pour les possesseurs d’esclaves un moment de crise dangereuse.

Vainement on objecte que les nègres recevant la liberté n’ont plus de griefs contre la société, ni contre leurs maîtres, je réponds qu’ils ont des souvenirs de tyrannie, et que le sort commun des opprimés est de se soumettre pendant qu’ils sont faibles, et de se venger quand ils deviennent forts ; or, l’esclave n’est fort que le jour où il devient libre.

Il n’est pas vraisemblable que les Américains habitants des États à esclaves se soumettent de leur plein gré aux chances périlleuses qu’entraînerait l’affranchissement des nègres, dans la vue d’épargner à leurs arrière-neveux les dangers d’une lutte entre les deux races.

Ils le feront d’autant moins que, outre le péril attaché à cette mesure, leurs intérêts matériels en seraient lésés. Toutes les richesses, toutes les fortunes des États du Sud, reposent, quant à présent, sur le travail des esclaves ; une indemnité pécuniaire, quelque large qu’on la suppose, ne remplacerait point, pour le maître, les esclaves perdus ; elle placerait entre ses mains un capital dont il ne saurait que faire. Plus tard sans doute de nouvelles entreprises, de nouveaux modes d’exploitations, se formeraient ; mais la suppression des esclaves serait, pour la génération contemporaine, la source d’une immense perturbation dans les intérêts matériels.

On se demande s’il est croyable qu’une génération entière se soumette à une pa­reille ruine pour le plus grand bien des générations futures. — Non, il est douteux même qu’elle se l’imposât en présence de dangers actuels. Rien n’est plus difficile à concevoir que l’abandon fait par une grande masse d’hommes de leurs intérêts maté­riels, dans la vue d’éviter un péril. Le péril présent n’est encore qu’un malheur à venir : le sacrifice serait un malheur présent.

Mais, dit-on, ces objections sont évitées en grande partie, si, en déclarant libres les enfants à naître des nègres, on maintient dans la servitude les esclaves nés avant l’acte d’abolition. Dans cette hypothèse, ceux qui abolissent l’esclavage conservent leurs esclaves, et la génération qui souffre de l’affranchissement n’a point connu un état meilleur.

Ce système affaiblit sans doute les objections, mais il ne les détruit pas entière­ment. N’est-ce pas jeter parmi les esclaves un principe d’insurrection que de déclarer libres les enfants à naître, tout en maintenant les pères dans la servitude ? On s’efforce à grand’peine de persuader au nègre esclave qu’il n’est pas l’égal du blanc, et que cette inégalité est la source de son esclavage ; que deviendra cette fiction en présence d’une réalité contraire ? Comment le nègre esclave obéira-t-il à côté de son enfant, investi du droit de résister ?

C’est d’ailleurs attribuer aux Américains du Sud un égoïsme exagéré, que de supposer qu’en conservant intacts leurs droits, ils anéantiront ceux de leurs enfants. Autant il serait surprenant qu’ils fissent un grand sacrifice dans l’intérêt de générations futures et éloignées, autant il faudrait s’étonner qu’ils sacrifiassent à leur propre intérêt celui de leurs descendants immédiats ; car le sentiment paternel est presque de l’égoïsme. On est donc sûr de trouver dans les pères autant de répugnance à prendre une mesure ruineuse pour les enfants, qu’à faire un acte qui les ruine eux-mêmes.

Ici cependant l’on m’oppose l’exemple des États du Nord de l’Union qui ont aboli l’esclavage pour l’avenir, c’est-à-dire pour les enfants à naître, en laissant esclaves tous ceux qui l’étaient avant la loi ; et l’on demande pourquoi les États du Sud ne feraient pas de même.

À cet égard, la réponse semble facile. D’abord il est constant que l’esclavage n’a jamais été établi dans le Nord sur une grande échelle. Lorsque la Pennsylvanie, New-York et les autres États du Nord, ont aboli l’esclavage, il n’y avait dans leur sein qu’un nombre minime d’esclaves. Pour ne citer qu’un exemple, New-York a aboli l’esclavage en 1799, et, à cette époque, il n’y avait que trois esclaves sur cent habitants : on pouvait affranchir les nègres, ou déclarer libres les enfants à naître, sans redouter aucune conséquence fâcheuse d’un principe de liberté jeté subitement parmi des esclaves. Les possesseurs de nègres ne formaient qu’une fraction imperceptible de la population ; alors l’intérêt presque universel était qu’il n’y eût plus d’esclaves, afin que rien ne déshonorât le travail, source de la richesse. En abolissant la servitude des noirs pour l’avenir, les États du Nord n’ont fait aucun sacrifice ; la majorité, qui trouvait son profit à cette abolition, a imposé la loi au petit nombre, dont l’intérêt était contraire. Maintenant, comment comparer aux États du Nord ceux du Sud, où les esclaves sont égaux, quelquefois même supérieurs en nombre aux hommes libres [40], et où, d’un autre côté, la majorité, pour ne pas dire la totalité des habitants, est intéressée au maintien de l’esclavage ?

On voit que la dissemblance est, quant à présent, complète ; mais n’est-il pas permis d’espérer dans l’avenir quelque changement dans la situation des États du Sud, et ne peut-on pas admettre qu’intéressés aujourd’hui à conserver l’esclavage, ils aient un jour intérêt à l’abolir ? J’ai la ferme persuasion que tôt ou tard cette abolition aura lieu, et j’ai dit plus haut les motifs de ma conviction ; mais je crois également que l’esclavage durera longtemps encore dans le Sud ; et, à cet égard, il me paraît utile de résumer les différences matérielles qui rendent impossible toute comparaison entre l’avenir du Sud et ce qui s’est passé dans le Nord.

Il est incontestable que le froid des États du Nord est contraire à la race africaine, tandis que la chaleur des pays du Sud lui est favorable ; dans les premiers elle languit et décroît, tandis qu’elle prospère et multiplie dans les seconds.

Ainsi la population noire, qui tendait naturellement à diminuer dans les États où l’esclavage est aboli, trouve, au contraire, dans le climat des pays méridionaux, où sont aujourd’hui les esclaves, une cause d’accroissement.

Dans le Nord, l’esclavage était évidemment nuisible au plus grand nombre ; les habitants du Sud sont encore dans le doute s’il ne leur est pas nécessaire. L’esclavage dans le Nord n’a jamais été qu’une superfluité ; il est, au moins jusqu’à présent, pour le Sud, une utilité. Il était, pour les hommes du Nord, un accessoire ; il se rattache, dans le Sud, aux mœurs, aux habitudes et à tous les intérêts. En le supprimant, les États libres n’ont eu qu’une loi à faire ; pour l’abolir, les États à esclaves auraient à changer tout un état social.

L’activité, le goût des hommes du Nord pour le travail, le zèle religieux des pres­bytériens de la Nouvelle-Angleterre, le rigorisme des quakers de la Pennsylvanie, et aussi une civilisation très avancée, tout dans les États septentrionaux tendait à repous­ser l’esclavage. Il n’en est point de même dans le Sud ; les États méridionaux ont des croyances, mais non des passions religieuses ; plusieurs d’entre eux, tels qu’Alabama, Mississippi, la Géorgie, sont à demi barbares, et leurs habitants sont, comme tous les hommes du Midi, portés par le climat à l’indolence et à l’oisiveté. Ainsi l’esclavage n’est, jusqu’à présent, combattu dans le Sud par aucune des causes qui, dans le Nord, ont amené sa ruine.

Les États du Sud sont donc loin encore de l’affranchissement des nègres.

Cependant, tout en conservant le présent, ils sont effrayés de l’avenir. L’augmen­tation progressive du nombre des esclaves dans leur sein est un fait bien propre à les alarmer ; déjà, dans la Caroline du Sud et dans la Louisiane, le nombre des noirs est supérieur à celui des blancs [41], et la cause de l’augmentation est plus grave encore, peut-être, que le fait même ; la traite des noirs avec les pays étrangers étant prohibée dans toute l’Union, non seulement par le gouvernement fédéral, mais encore par tous les États particuliers, il s’ensuit que l’augmentation du nombre des esclaves ne peut résulter que des naissances ; or, le nombre des blancs ne croissant point, dans les États du Sud, dans la même proportion que celui même des nègres, il est manifeste que, dans un temps donné, la population noire y sera de beaucoup supérieure en nombre à la population blanche. [42]

Tout en voyant le péril qui se prépare, les États du Sud de l’Union américaine ne font rien pour le conjurer ; chacun d’eux combat ou favorise l’accroissement du nom­bre des esclaves, selon qu’il est intéressé actuellement à en posséder plus ou moins. Dans le Maryland, dans le district de Colombie, dans la Virginie, où commence à pénétrer le travail des hommes libres, on affranchit beaucoup d’esclaves et on en vend autant qu’on peut aux États les plus méridionaux. La Louisiane, la Caroline du Sud, le Mississippi, la Floride, qui trouvent, jusqu’à ce jour, un immense profit dans l’exploi­tation de leurs terres par les esclaves, n’en affranchissent point et s’efforcent d’en acquérir sans cesse de nouveaux. Il arrive fréquemment que, effrayés de l’avenir, ces États font des lois pour défendre l’achat de nègres dans les autres pays de l’Union. Comme je traversais la Louisiane (1832), la législature venait de rendre un décret pour interdire tout achat de nègres dans les États limitrophes ; mais, en général, ces lois ne sont point exécutées. Souvent les législateurs sont les premiers à y contre­venir ; leur intérêt privé de propriétaire leur fait acheter des esclaves, dont ils ont défendu le commerce dans un intérêt général.

En résumé, quand on considère le mouvement intellectuel qui agite le monde ; la réprobation qui flétrit l’esclavage dans l’opinion de tous les peuples ; les conquêtes rapides qu’ont déjà faites, aux États-Unis, les idées de liberté sur la servitude des noirs ; les progrès de l’affranchissement qui, sans cesse, gagne du Nord au Sud ; la nécessité où seront tôt ou tard les États méridionaux de substituer le travail libre au travail des esclaves, sous peine d’être inférieurs aux États du Nord ; en présence de tous ces faits, il est impossible de ne pas prévoir une époque plus ou moins rappro­chée, à laquelle l’esclavage disparaîtra tout à fait de l’Amérique du Nord.

Mais comment s’opérera cet affranchissement ? Quels en seront les moyens et les conséquences ? Quel sera le sort des maîtres et des affranchis ? C’est ce que personne n’ose déterminer à l’avance.

Il y a en Amérique un fait plus grave peut-être que l’esclavage ; c’est la race même des esclaves. La société américaine, avec ses nègres, se trouve dans une situation toute différente des sociétés antiques qui eurent des esclaves. La couleur des esclaves américains change toutes les conséquences de l’affranchissement. L’affranchi blanc n’avait presque plus rien de l’esclave. L’affranchi noir n’a presque rien de l’homme libre ; vainement les noirs reçoivent la liberté ; ils demeurent esclaves dans l’opinion. Les mœurs sont plus puissantes que les lois ; le nègre esclave passait pour un être inférieur ou dégradé ; la dégradation de l’esclave reste à l’affranchi. La couleur noire perpétue le souvenir de la servitude et semble former un obstacle éternel au mélange des deux races.

Ces préjugés et ces répugnances sont tels que dans les États du Nord les plus éclairés, l’antipathie qui sépare une race de l’autre demeure toujours la même, et, ce qui est digne de remarque, c’est que plusieurs de ces États consacrent dans leurs lois l’infériorité des noirs.

On conçoit aisément que, dans les États à esclaves, les nègres affranchis ne soient pas traités entièrement comme les hommes libres de couleur blanche ; ainsi on lira sans étonnement cet article d’une loi de la Louisiane, qui porte :

« Les gens de couleur libres ne doivent jamais insulter ni frapper les blancs, ni prétendre s’égaler à eux ; au contraire, ils doivent leur céder le pas partout, et ne leur parler ou leur répondre qu’avec respect, sous peine d’être punis de prison, suivant la gravité des cas. » [43]

On ne sera pas plus surpris de voir prohibé dans les États à esclaves tout mariage entre des personnes blanches et gens de couleur libres ou esclaves. [44]

Mais ce qui paraîtra peut-être plus extraordinaire, c’est que, même dans les États du Nord, le mariage entre blancs et personnes de couleur ait été pendant longtemps interdit par la loi même. Ainsi, la loi de Massachusetts déclarait nul un pareil mariage et prononçait une amende contre le magistrat qui passait l’acte. [45] Cette loi n’a été abolie qu’en 1830.

Du reste, lorsque la défense n’est pas dans la loi, elle est toujours la même dans les mœurs ; une barrière d’airain est toujours interposée entre les blancs et les noirs.

Quoique vivant sur le même sol et dans les mêmes cités, les deux populations ont une existence civile distincte. Chacune a ses écoles, ses églises, ses cimetières. Dans tous les lieux publics où il est nécessaire que toutes deux soient présentes en même temps, elles ne se confondent point ; des places distinctes leur sont assignées. Elles sont ainsi classées dans les salles des tribunaux, dans les hospices, dans les prisons. La liberté dont jouissent les nègres n’est pour eux la source d’aucun des bienfaits que la société procure. Le même préjugé qui les couvre de mépris leur interdit la plupart des professions. On ne saurait se faire une idée exacte des difficultés que doit vaincre un nègre pour faire sa fortune aux États-Unis ; il rencontre partout des obstacles et nulle part des appuis. Aussi la domesticité est-elle la condition du plus grand nombre des nègres libres.

Dans la vie politique, la séparation est encore plus profonde. Quoique admissibles en principe aux emplois publics, ils n’en possèdent aucun ; il n’y a pas d’exemple d’un nègre ou d’un mulâtre remplissant aux États-Unis une fonction publique. Les lois des États du Nord reconnaissent en général aux gens de couleur libres des droits politiques pareils à ceux des blancs ; mais nulle part on ne leur permet d’en jouir. Les gens de couleur libres de Philadelphie ayant voulu, il y a quelque temps, exercer leurs droits politiques à l’occasion d’une élection, furent repoussés avec violence de la salle où ils venaient pour déposer leurs suffrages, et il leur fallut renoncer à l’exercice d’un droit dont le principe ne leur était pas contesté. Depuis ce temps, ils n’ont point renouvelé cette prétention si légitime. Il est triste de le dire, mais le seul parti qu’ait à prendre la population noire ainsi opprimée, c’est de se soumettre et de souffrir la tyrannie sans murmure. Dans ces derniers temps, des hommes animés de l’intention la plus pure et des sentiments les plus philanthropiques ont tenté d’arriver à la fusion des noirs avec les blancs, par le moyen des mariages mutuels. Mais ces essais ont soulevé toutes les susceptibilités de l’orgueil américain et abouti à deux insurrections dont New-York et Philadelphie furent le théâtre au mois de juillet 1834. Toutes les fois que les nègres affranchis manifestent l’intention directe ou indirecte de s’égaler aux blancs, ceux-ci se soulèvent aussitôt en masse pour réprimer une tentative aussi auda­cieuse. Ces faits se passent pourtant dans les États les plus éclairés, les plus religieux de l’Union, et où depuis longtemps l’esclavage est aboli. Qui douterait maintenant que la barrière qui sépare les deux races ne soit insurmontable ?

En général, les nègres libres du Nord supportent patiemment leur misère : mais croit-on qu’ils se soumissent à tant d’humiliations et à tant d’injustices s’ils étaient plus nombreux ? Ils ne forment dans les États du Nord qu’une minorité imperceptible. Qu’arriverait-il, s’ils étaient, comme dans le Sud, en nombre ou supérieur aux blancs ? Ce qui de nos jours se passe dans le Nord peut faire pressentir l’avenir du Sud. S’il est vrai que les tentatives généreuses faites pour transporter d’Amérique en Afrique les nègres affranchis ne puissent jamais conduire qu’à des résultats partiels, il est malheureusement trop certain qu’un jour les États du Sud de l’Union recèleront dans leur sein deux races ennemies, distinctes par la couleur, séparées par un préjugé invincible, et dont l’une rendra à l’autre la haine pour le mépris. C’est là, il faut le reconnaître, la grande plaie de la société américaine.

Comment se résoudra ce grand problème politique ? Faut-il prévoir dans l’avenir une crise d’extermination ? Dans quel temps ? Quelles seront les victimes ? Les blancs du Sud étant en possession des forces que donnent la civilisation et l’habitude de la puissance, et certains d’ailleurs de trouver un appui dans les États du Nord, où la race noire s’éteint, faut-il en conclure que les nègres succomberont dans la lutte, si une lutte s’engage ? Personne ne peut répondre à ces questions. On voit se former l’orage, on l’entend gronder dans le lointain ; mais nul ne peut dire sur qui tombera la foudre.

Tableaux comparatifs de la population libre et de la population esclave aux États-Unis depuis 1790 jusqu’en 1830.

Nº 1 – 1790

Nom des États Population libre
en 1790
Population esclave
en 1790
Proportion des esclaves à la population libre.
Maine 96 549 « «
New Hampshire 181 855 158 11 1/2 sur mille
Vermont 85 542 17 2 s. 10,000
Massachusetts 378 787 « «
Rhode-Island 67 825 952 13 s. mille
Connecticut 235 187 2 759 12 s. mille
New-York 318 796 21 324 7 s. 100
New-Jersey 172 716 11 423 6 s. 100
Pennsylvanie 430 136 3 737 9 s. mille
Delaware 50 207 8 887 15 s. 100
Maryland 216 092 103 036 32 s. 100
Virginie 454 183 293 427 38 s. 100
Caroline du Nord 293 379 100 572 26 s. 100
Caroline du Sud 141 979 107 094 43 s. 100
Géorgie 53 284 29 264 35 s. 100
Alabama « « «
Mississippi « « «
Louisiane « « «
Tennessee « « «
Kentucky 61 847 11 830 26 s. 100
Ohio « « «
Indiana « « «
Illinois « « «
Missouri « « «
Dist. de Colombie « « «
Floride « « «
Michigan « « «
Arkansas « « «
TOTAL 3 231 429 * 697 807

* Dans ce chiffre, sont compris les gens de couleur nés libres ou affranchis.

OBSERVATIONS :
En 1790, les États qui ont le plus d’esclaves sont :
1. — Caroline du Sud 43 escl. sur 100 hab.
2. — Virginie 38 escl. sur 100 hab.
3. — Géorgie 35 escl. sur 100 hab.
4. — Maryland 32 escl. sur 100 hab.
5. — Caroline du Nord 26 escl. sur 100 hab.
6. — Kentucky 26 escl. sur 100 hab.

Déjà, en 1790, il n’y a plus d’esclaves dans le Massachusetts, dans le Maine ; et l’on n’en compte plus que 7 sur 100 dans l’État de New-York, et 9 sur 1 000 dans la Pennsylvanie. À l’égard des États du Sud, où l’on n’en voit point figurer, leur absence tient à deux causes : la première, pour quelques-uns, c’est le défaut de documents statistiques, par exemple, pour la Louisiane, qui alors ne faisait pas partie des États-Unis ; la seconde pour certains autres, c’est le manque d’habitants, comme pour Missouri, Arkansas, etc.

C’est ici le lieu de faire observer qu’à cette époque l’esclavage, qui s’éteint dans le Nord, n’est pas encore né dans quelques pays du Sud. On le verra bientôt paraître et se développer dans ces derniers, tandis qu’il a disparu dans les autres pour n’y plus revenir.

Nº 2 – 1800

Nom des États Population libre
en 1800 *
Population esclave
en 1800 **
Proportion des esclaves à la population libre.
Maine 151 719 « «
New Hampshire 183 850 8 4 sur 100,000
Vermont 154 465 « «
Massachusetts 422 845 « «
Rhode-Island 68 741 381 5 s. 1,000
Connecticut 250 051 951 3 s. 1,000
New-York 565 707 20 343 3 s. 1,000
New-Jersey 198 727 12 422 6 s. 100
Pennsylvanie 600 839 1 706 3 s. 1,000
Delaware 58 120 6 153 10 s. 100
Maryland 240 189 105 635 30 s. 100
Virginie 534 404 345 796 37 s. 100
Caroline du Nord 344 807 133 296 28 s. 100
Caroline du Sud 199 440 146 151 43 s. 100
Géorgie 103 282 59 404 36 s. 100
Alabama 5 361 3 489 37 s. 100
Mississippi « « «
Louisiane « « «
Tennessee 92 118 13 584 13 s. 100
Kentucky 216 925 40 348 18 s. 100
Ohio 45 365 « «
Indiana 4 516 135 3 s. 100
Illinois 215 « «
Missouri « « «
Dist. de Colombie 10 849 3 244 22 s. 100
Floride « « «
Michigan 551 « «
Arkansas « « «
TOTAL 4 412 884 *** 893 041
  • De 1790 à 1800, la population libre a augmenté de 1 181 455, c’est-à-dire de 36% en dix ans, ou 3,5% par an.

** De 1790 à 1800, la population esclave a augmenté de 193 162, c’est-à-dire de 28% en dix ans, un peu moins de 3% par an.

*** Dans ce chiffre sont compris les gens de couleur nés libres ou affranchis.

OBSERVATIONS :
Classement des États qui ont le plus d’esclaves.
1. —  Caroline du Sud 43      escl. sur 100 hab.
2. —  Virginie et Alabama 37      escl. sur 100 hab.
3. —  Géorgie 36      escl. sur 100 hab.
4. —  Maryland 30      escl. sur 100 hab.
5. —  Caroline du Nord 28      escl. sur 100 hab.
6. —  Dist. de Colombie 22      escl. sur 100 hab.
7. —  Tennessee 13      escl. sur 100 hab.
8. —  Delaware 10      escl. sur 100 hab.
9. —  New-Jersey 6         escl. sur 100 hab.
10. —          New-York 3         escl. sur 100 hab.
11. —          Indiana 3         escl. sur 100 hab.
12. —          Kentucky 2         escl. sur 100 hab.

Progression du nombre des esclaves dans les différents États :

La Caroline du Nord de 1790 à 1800, a gagné 2 esclaves sur 100 habitants. La Géorgie 1 sur 100 habitants.

Le nombre des esclaves est stationnaire dans la Caroline du Sud et dans le Nouveau-Jersey.

Il est en déclin dans les États suivants :

Le Kentucky en a perdu 8 sur 100 habitants,

Le Delaware 5 sur 100 habitants,

L’État de New-York 4 sur 100 habitants,

Le Maryland 2 sur 100 habitants,

La Virginie 1 sur 100 habitants.

NOTA. On voit paraître des esclaves dans trois nouveaux États, Alabama, Tennessee et Indiana ; mais on ne peut faire à leur égard aucune observation, attendu que le chiffre de population de 1790 est inconnu.

Nº 3 – 1810

Nom des États Population libre
en 1810 *
Population esclave
en 1810 **
Proportion des esclaves à la population libre.
Maine 228 705 « «
New Hampshire 214 460 « «
Vermont 217 895 « «
Massachusetts 472 040 « «
Rhode-Island 76 828 103 13 s. 10 000
Connecticut 261 632 310 11 s. 10 000
New-York 944 032 15 017 15 s. 1 000
New-Jersey 238 706 10 851 4 s. 100
Pennsylvanie 809 296 795 10 s. 10 000
Delaware 68 497 4 177 6 s. 100
Maryland 273 044 111 502 29 s. 100
Virginie 582 104 392 518 40 s. 100
Caroline du Nord 386 676 168 824 30 s. 100
Caroline du Sud 318 750 196 365 47 s. 100
Géorgie 147 215 105 218 41 s. 100
Alabama et Mississippi 23 270 17 088 42 s. 100
Louisiane 41 296 34 660 45 s. 100
Tennessee 217 192 44 535 17 s. 100
Kentucky 325 950 80 561 19 s. 100
Ohio 230 760 « «
Indiana 24 283 237 9 s. 1 000
Illinois 12 114 168 13 s. 1 000
Missouri 16 772 3 011 15 s. 100
Dist. de Colombie 18 628 5 395 22 s. 100
Floride « « «
Michigan 4 762 « «
Arkansas 1 062 « «
TOTAL 6 048 850 *** 1 191 394
  • De 1800 à 1810, la population libre a augmenté de 2 035 566, c’est-à-dire de 45% en 10 ans, ou 4,5% par an.

** De 1800 à 1810, la population esclave a augmenté de 298 323, c’est-à-dire de 33% en 10 ans, un peu plus de 3% par an.

*** Dans ce chiffre sont compris les gens de couleur nés libres ou affranchis.

OBSERVATIONS :
Classement des États qui ont le plus d’esclaves.
1. —  Caroline du Sud 47 escl. sur 100 hab.
2. —  Louisiane 45 escl. sur 100 hab.
3. —  Alabama, Mississippi 42 escl. sur 100 hab.
4. —  Géorgie 41 escl. sur 100 hab.
5. —  Virginie 40 escl. sur 100 hab.
6. —  Caroline du Nord 30 escl. sur 100 hab.
7. —  Maryland 29 escl. sur 100 hab.
8. —  Dist. de Colombie 22 escl. sur 100 hab.
9. —  Kentucky 19 escl. sur 100 hab.
10. —          Tennessee 17 escl. sur 100 hab.
11. —          Missouri 15 escl. sur 100 hab.
12. —          Illinois 13 escl. sur 100 hab.
13. —          Delaware 6 escl. sur 100 hab.
14. —          New-Jersey 4 escl. sur 100 hab.

De 1800 à 1810, la Géorgie, Alabama et Mississippi ont gagné 5 esclaves sur 100 habitants,

La Caroline du Sud et le Tennessee 4 sur 100 habitants,

La Virginie, 3 sur 100 habitants,

La Caroline du Nord 2 sur 100 habitants,

Le Kentucky 1 sur 100 habitants.

Le nombre des esclaves est stationnaire dans le district de Colombie.

Il décroît dans les États suivants :

Le Delaware en a perdu 4 sur 100 habitants,

Le New-Jersey 2 sur 100 habitants,

Le Maryland 1 sur 100 habitants.

L’esclavage disparaît presque entièrement des États de New-York et de Pennsylvanie, où il ne figure plus que pour quelques fractions imperceptibles.

NOTA. À cette période, on voit naître deux nouveaux États, Illinois et Missouri. L’esclavage qui s’établit dans les deux s’éteindra presque aussitôt dans le premier, mais il va s’étendre dans le second. En même temps on voit paraître sur la scène l’État d’Ohio, qui, presqu’à sa naissance, a déjà 230 760 habitants et pas un esclave. La loi de l’État a dès l’origine proscrit l’esclavage. Le Missouri, qui pouvait aisément se passer d’esclaves, regrettera longtemps de n’avoir pas imité l’Ohio.

Nº 4 – 1820

Nom des États Population libre
en 1820 *
Population esclave
en 1820 **
Proportion des esclaves à la population libre.
Maine 208 335 « «
New Hampshire 244 161 « «
Vermont 235 764 « «
Massachusetts 528 287 « «
Rhode-Island 83 011 48 5 sur 10 000
Connecticut 275 151 97 1 s. 10 000
New-York 1 362 724 10 088 7 s. 1 000
New-Jersey 270 018 7 557 3 s. 100
Pennsylvanie 1 049 102 211 2 s. 10 000
Delaware 68 240 4 509 6 s. 100
Maryland 299 952 107 398 26 s. 100
Virginie 640 213 425 153 39 s. 100
Caroline du Nord 433 812 205 017 32 s. 100
Caroline du Sud 244 266 258 475 51 s. 100
Géorgie 201 333 149 656 44 s. 100
Alabama et Mississippi 126 656 76 693 37 s. 100
Louisiane 84 343 69 064 45 s. 100
Tennessee 340 696 80 107 19 s. 100
Kentucky 437 585 126 732 22 s. 100
Ohio 564 317 « «
Indiana 146 988 190 12 s. 10 000
Illinois 55 211 917 16 s. 1 000
Missouri 26 662 10 222 15 s. 100
Dist. de Colombie 56 164 6 377 19 s. 100
Floride « « «
Michigan « « «
Arkansas 12 656 1 617 11 s. 100
TOTAL 8 100 067 *** 1 538 064
  • De 1810 à 1820, la population libre a augmenté de 2 051 617, c’est-à-dire de 33% en 10 ans, ou un peu plus de 3% par an.

** De 1810 à 1820, la population esclave a augmenté de 346 700, c’est-à-dire de 29% en 10 ans, un peu moins de 3% par an.

*** Dans ce chiffre sont compris les gens de couleur nés libres ou affranchis.

OBSERVATIONS :
Classement des États qui ont le plus d’esclaves.
1. —  Caroline du Sud 51 escl. sur 100 hab.
2. — Louisiane 45 escl. sur 100 hab.
3. — Géorgie 44 escl. sur 100 hab.
4. — Virginie 39 escl. sur 100 hab.
5. — Alabama, Mississippi 37 escl. sur 100 hab.
6. — Caroline du Nord 32 escl. sur 100 hab.
7. — Maryland 26 escl. sur 100 hab.
8. — Kentucky 22 escl. sur 100 hab.
9. — Tennessee, Dist. de Colombie 17 escl. sur 100 hab.
10. —          Missouri 15 escl. sur 100 hab.
11. —          Arkansas 11 escl. sur 100 hab.
12. —          Delaware 6 escl. sur 100 hab.
13. —          New-Jersey 3 escl. sur 100 hab.
14. —          Illinois 16 escl. sur mille hab.

De 1810 à 1820, la Caroline du Sud a gagné 4 esclaves sur 100 habitants,

La Géorgie et le Kentucky 3 sur 100 habitants,

La Caroline du Nord et le Tennessee 2 sur 100 habitants.

Le nombre des esclaves est stationnaire dans la Louisiane, le Missouri et le Delaware.

Le nombre des esclaves décroît dans les États suivants :

Alabama et Mississippi en ont perdu 5 sur 100 habitants,

Le Maryland et le D. de Colombie 3 sur 100 habitants,

La Virginie et le New-Jersey 1 sur 100 habitants.

Il apparaît dans l’État naissant d’Arkansas.

Nº 5 – 1830

Nom des États Population libre
en 1830 *
Population esclave
en 1830 **
Proportion des esclaves à la population libre.
Maine 399 955 2 1 sur 200 000
New Hampshire 269 328 3 1 s. 100 000
Vermont 280 652 « «
Massachusetts 610 408 1 1 s. 600 000
Rhode-Island 97 199 17 1 s. 10 000
Connecticut 297 650 25 8 s. 10 000
New-York 1 918 533 75 3 s. 100 000
New-Jersey 318 569 2 254 7 s. 1 000
Pennsylvanie 1 347 830 403 3 s. 10 000
Delaware 73 456 3 292 4 s. 100
Maryland 344 046 102 046 23 s. 100
Virginie 741 654 469 654 38 s. 100
Caroline du Nord 492 386 245 601 33 s. 100
Caroline du Sud 265 784 315 401 54 s. 100
Géorgie 299 292 217 531 42 s. 100
Alabama 191 978 117 549 37 s. 100
Mississippi 70 062 65 659 48 s. 100
Louisiane 106 151 109 588 51 s. 100
Tennessee 540 301 141 603 20 s. 100
Kentucki 522 704 165 213 24 s. 100
Ohio 937 903 « «
Indiana 343 031 « «
Illinois *** 157 455 « «
Missouri 115 364 25 081 17 s. 100
Dist. de Colombie 33 715 6 119 15 s. 100
Floride 19 229 15 501 44 s. 100
Michigan 31 607 32 1 s. 1 000
Arkansas 25 812 4 576 14 s. 100
TOTAL 10 856 988 **** 2 009 031
  • De 1820 à 1830 la population libre a augmenté de 2 756 922, c’est-à-dire de 34% en 10 ans, ou un peu plus de 3% par an.

** De 1820 à 1830, le nombre des esclave a augmenté de 470 967, c’est-à-dire de 29% en 10 ans, un peu moins de 3% par an.

*** Il y a dans l’Illinois 747 noirs en état de domesticité légale, c’est-à-dire loués à vie, mais ils ne sont pas esclaves.

**** NOTA. Sont compris dans ce chiffre 319 599 personnes de couleur affranchies, ou nées de parents affranchis.

OBSERVATIONS :
Classement des États qui ont le plus d’esclaves.
1. — Caroline du Sud 54      escl. sur 100 hab.
2. — Louisiane 51      escl. sur 100 hab.
3. — Mississippi 48      escl. sur 100 hab.
4. — Floride 44      escl. sur 100 hab.
5. — Géorgie 42      escl. sur 100 hab.
6. — Virginie 38      escl. sur 100 hab.
7. — Alabama 37      escl. sur 100 hab.
8. — Caroline du Nord 33      escl. sur 100 hab.
9. — Kentucky 24      escl. sur 100 hab.
10. — Maryland 23      escl. sur 100 hab.
11. — Tennessee 20      escl. sur 100 hab.
12. — Missouri 17      escl. sur 100 hab.
13. — Dist. de Colombie 15      escl. sur 100 hab.
14. — Arkansas Terr. 14      escl. sur 100 hab.
15. — Delaware 4         escl. sur 100 hab.
16. — New-Jersey 7         escl. sur mille hab.

De 1820 à 1830, le Mississippi a gagné 11 esclaves sur 100 habitants,

La Louisiane 6 sur 100 habitants,

La Caroline du Sud et Arkansas 3 sur 100 habitants,

Le Kentucky et le Missouri 2 sur 100 habitants,

La Caroline du Nord et le Tennessee 1 sur 100 habitants.

Le nombre des esclaves est stationnaire dans Alabama.

Il décroît dans les États suivants :

Le district de Colombie en a perdu 4 sur 100 habitants,

Le Maryland 3 sur 100 habitants,

La Géorgie et le Delaware 2 sur 100 habitants,

La Virginie 1 sur 100 habitants.

Pour la première fois nous possédons sur la Floride un chiffre statistique qui nous donne pour cet État 44 esclaves sur 100 habitants.

En parcourant les divers tableaux qui précèdent, on voit l’esclavage faire d’inutiles efforts pour s’établir dans le Nord. Il décroît rapidement dans tous les États situés au-dessus du 40degré de latitude. Dans les États situés entre le 40et le 36degré de latitude, il est presque stationnaire ; cependant là encore il est en déclin. Il se développe au contraire et s’accroît rapidement dans la plupart des États situés entre le 34et le 30degré. Déjà dans la Caroline du Sud et dans la Louisiane le nombre des esclaves surpasse celui des hommes libres.

_______________

[1] V. Brevard’s Digest of South Carolina, vº Slaves, p. 238.

[2] V. Digeste des lois de la Louisiane, 1828, vº Code noir, § 38.

[3] V. Statute Laws of Tennessee, 1831, vº Slaves, p. 316 et 318. Lois de 1788 et de 1819.

[4] « And wheras the having of slaves taught to write, or suffering them to be employed in writing, may be attended with great inconveniences ; be it inacted, that all and every person and persons whatsoever, who shall hereafter teach or cause any slave or slaves to be taught to write, every such person shall, for every offense, forfeit the sum of one hundred pounds current money. » (V. Brevard’s Digest, t. II, vº Slaves, § 53.)

       « And if any person shall, on a sudden heat and passion, or by undue correction killhis own slave or the slave of any other person, he shall forfeit the sum of three hundred and fifty pounds current money. And in case any person or persons shall wilfully cut out the tongue, put out the eye, castrate, or cruelly scald, burn or deprive any slave of any limb or member, or shall inflict any other cruel punishment, other than by whipping, or beating with a horsewhip, cowskin, switch, or small stick, or by puting irons on, or confining or imprisoning such slave ; every such person shall for every such offence forfeit the sum of one hundred pounds current money. » (V. ibid., § 45.)

                  La loi s’efforce de dégrader l’esclave ; cependant un instinct de dignité lui fait haïr la servitude ; un instinct plus noble encore lui fait aimer la liberté. On l’a enchaîné ; mais il brise ses fers, le voilà libre !… c’est-à-dire en état de rébellion ouverte contre la société et les lois qui l’ont fait esclave.

                  Tous les États américains du Sud sont d’accord pour mettre hors la loi le nègre fugitif. La loi de la Caroline du Sud dit que toute personne peut le saisir, l’appréhender, et le fouetter sur-le-champ (a). Celle de la Louisiane porte textuellement qu’il est permis de tirer sur les esclaves marrons qui ne s’arrêtent pas quand ils sont poursuivis (b).

                  Le code du Tennessee déclare que le meurtre de l’esclave sommé légalement de se représenter est une chose légitime (it is lawful)  (c).

(a) V. Brevard’s Digest, t. II, vº Slaves, § 12, p. 231.

(b) V. Digeste des lois de la Louisiane, Code noir, t. I, § 35.

(c) V. Lois du Tennessee 1831, t. I, p. 321.

[5] « For any person whatsoever and by such ways and means as he or she shall think fit. » (V. ibid.)

[6] V. Lois de la Louisiane, Code noir, art. 27 et 36, t. I, p. 229. — Lois du Tennessee, t. I, p. 321, § 28. — Lois de la Caroline du Sud, Brevard’s Digest, t. II, p. 232, § 16.

[7] Lois de la Caroline du Sud, ibid., p. 236, § 31.

[8] V. Brevard’s Digest, § 59, 60, 61 et 62, t. II, p. 245. Dans la Louisiane et dans le Tennessee, lorsqu’un esclave fugitif est arrêté, si son maître ne le réclame pas dans un délai fixé, on le met en vente sur la place publique ; on l’adjuge au plus offrant et dernier enchérisseur. Le prix de la vente sert à payer les frais de geôle et de justice. (Lois de la Louisiane, Code noir, § 29 ; et lois du Tennessee, t. I, p. 323.)

[9] « No person held to service or labour in one state under the laws thereof, escaping into another, shall in consequence of any law or regulation therein, be discharged from such service or labour ; but shall be delivred up on claim of the party to whom such service or labour may be due. » (V. Constitution des États-Unis, art. 4, sect. 2, § 3. — V. aussi les statuts révisés de l’État de New-York, t. II, chap. 9, titre 1er, § 6. — Pensylvania, Purdon’s Digest.)

[10] V. Lois de la Caroline du Sud, Brevard’s Digest, § 43 et 45, t. II, vº Slaves, p. 240.

[11] V. ibid., § 45.

[12] V. Digest des lois de la Louisiane, loi du 21 février 1814, t. I, p. 244.

[13] Environ 50 fr.

[14] Brevard’s Digest, vº Slaves. § 13 et 28, p. 231 et 235. V. aussi lois de la Louisiane, vº Code noir, § 15.

[15] V. 28, ibid.

[16] Vº Statute laws of Tennessee, vº Slaves, t. I, p. 315, loi de 1806.

[17] V. Digeste des lois de la Louisiane, vº Code noir, t. I, p. 248, et aussi lois de la Caroline, Brevard’s Digest, vº Slaves, t. II, § 23.

[18] V. Digeste des lois de la Louisiane, loi du 19 mars 1816, § 6, t. I, p. 246.

[19] V. Statute laws of Tennessee, t. I, vº Slaves, p. 315.

[20] V. Brevard’s Digest, vº Slaves. — Lois de la Louisiane, vº  Code noir. — Lois du Tennessee, vº Slaves.

[21] V. lois du Tennessee, t. I, vº Slaves, p. 346. — Brevard’s Digest, vº  Slaves. — Louisiane Code noir.

[22] Digeste de la Louisiane, acte du 19 mars 1806, sect. 3, t. I, p. 246. — Dans toute contestation entre un maître qui prétend droit sur un nègre et celui-ci qui se prétend libre, la présomption est contre le nègre, sauf à lui à prouver qu’il n’est pas esclave. — V. Caroline du Sud. Brevard’s Digest, vº Slaves, § 7, p. 230, t. II.

[23] V. Statute laws of Tennessee, vº Slaves, t. I. p. 385.

[24] V. lois de la Caroline du Sud, vº Slaves, t. II, § 28 et 34. — Voici l’expression générale de ces lois : « Shall suffer such corporal punishment not extending to life or limb as the justices of the peace or the free-holders shall, in their discretion, think fit. » V. aussi Digeste de la Louisiane, loi de 1807, t. I, p. 238.

[25] V. lois de la Caroline, Brevard’s Digest, vº Slaves, § 45. — Et Digeste de la Louisiane, vº Code noir, § crimes et délits, sect. 16, t. I.

[26] V. lois de la Caroline du Sud, Brevard’s Digest, vº Slaves, § 100.

[27] V. Notes sur la Virginie, Thomas Jefferson.

[28] V. Brevard’s Digest, t. II, p. 233, § 20.

[29] Lois de la Caroline, Brevard’s Digest, vº Slaves, § 46, t. II, p. 241. — Lois de la Louisiane, Code noir, art. 1er, sect. 3, t. I, p. 220. — Lois du Tennessee, t. I, vº Slaves, p. 321.

[30] V. table statistique à la suite de la note.

[31] Lois de la Caroline du Sud, Brevard’s Digest, t. II, vº Slaves, § 3, p. 229.

[32] Il n’existe dans le Maryland qu’une seule branche de culture pour laquelle on peut encore sans préjudice employer les esclaves, c’est celle du tabac. Cette culture, qui exige une infinité de soins minutieux, réclame un nombre immense de bras : des femmes, des enfants suffisent pour cet objet ; le point important, c’est d’en avoir un grand nombre, et les familles de nègres, en général si nombreuses, remplissent cette condition. Du reste, les nègres sont encore utiles pour cette culture, mais non indispensables ; la culture du tabac serait également bien faite par les blancs. On peut dire seulement que, faite par des esclaves, elle procure encore un bénéfice, tandis qu’elle a cessé d’être profitable appliquée aux autres industries agricoles.

[33] J’ai vu M. Charles Caroll à la fin de 1831, et l’année suivante il n’était plus. Il est mort le 10 novembre 1832, âgé de 96 ans.

[34] V. National calendar, 1833. Vº Public revenues and expenditures.

[35] 200 900 000 dollars ou 1 064 770 000 fr.

[36] Je dis 200 000 au moins, car on peut voir à la table statistique que la population esclave dans toute l’Union s’accroît de 30% tous les dix ans. Or, il s’est écoulé déjà quatre années depuis le recensement qui a constaté le nombre de 2 009 000.

[37] Notes sur la Virginie, p. 119.

[38] V. sur l’origine et les progrès de cette colonie, les rapports annuels de la société de colonisation.

[39] V. Constitution des États-Unis. Les pouvoirs du congrès sont limités aux cas énoncés dans la constitution. Parmi ces cas énumérés dans la section 8, ne se trouve point le droit d’abolir l’esclavage, dans les États où il est établi ; plusieurs articles de la constitution reconnaissent même formellement la servitude, entre autres le § 3 de la section 2, art. 4. Enfin, l’art. 10 du supplément à la constitution dit que tous les pouvoirs qui ne sont pas expressément attribués au gouvernement général des États-Unis sont réservés aux États particuliers.

[40] V. à la fin de la note la table statistique.

[41] Table statistique à la fin de l’Appendice.

[42] À la vérité, les États du Sud, tels que la Louisiane, la Caroline du Sud, le Mississippi, où se fait remarquer le plus grand accroissement des noirs, achètent des esclaves dans les États voisins, Tennessee, Kentucky, Virginie, Maryland. C’est une cause d’augmentation indépendante de la multiplication résultant des naissances. Mais ce qui prouve que cette source d’accroissement n’est point la seule, c’est que, dans les États voisins, le nombre des esclaves augmente aussi ; et ceux même où il diminue, tels que la Virginie, le Maryland, etc., ne le voient point décroître dans la proportion où il augmente ailleurs. V. Table statistique.

[43] V. Digeste des lois de la Louisiane, t. I, p. 231.

[44] V. Statute laws of Tennessee, t. I, p. 220.

[45] V. General laws of Massachusetts, t. I, p. 259.

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