Préface à “Pacifisme et colonisation” de François Nicol

En 1908, fortement affaibli et à moitié aveugle, Frédéric Passy s’est retiré dans les Pyrénées atlantiques pour prendre du repos. Il y reçoit (malgré ses ordres contraires), le texte d’une brochure qu’on lui lit, sur la manière de rendre compatibles la colonisation et l’idéal de la paix. Sceptique, quant à lui, sur le bienfondé de la colonisation, Passy ne peut manquer de rappeler ses convictions dans la courte préface en forme de lettre, que son « collègue », François Nicol, insère en ouverture de son texte.

Préface à “Pacifisme et colonisation” de François Nicol

Pacifisme et colonisation, par François Nicol, secrétaire général du Comité d’action républicaine aux colonies françaises, membre de la délégation permanente des Sociétés françaises de la paix, précédé d’une lettre préface de M. Frédéric Passy, membre de l’Institut (Paris, Comité d’action républicaine aux colonies françaises, 1908).

 

Préface

Eaux-Bonnes, juillet 1908.

Cher collègue,

Votre envoi me parvient ici tardivement et en contrebande.

En partant pour prendre dans les montagnes un repos dont j’avais depuis longtemps grand besoin, j’avais interdit de la façon la plus expresse de me renvoyer quoi que ce fut, correspondance, brochuresou journal.

Et la consigne a été si bien observée que vous êtes le seul absolument qui ayez franchi, je sais comment, le cordon sanitaire.

Je me suis fait lirenéanmoins votre rapport au Congrès de la Rochelle, et j’en ai entendu la lecture avec beaucoup d’intérêt ; mais vous comprenez bien que, dans les conditions où je me trouve, et sans secrétaire, il m’est impossible de songer à vous donner une préface, qui, pour avoir quelque valeur, devrait marquer à la fois les points sur lesquels je n’ai qu’à adhérer à vos propositions, et ceux sur lesquels je pourrais avoir quelques observations ou quelques réserves à présenter.

Je me bornerai donc à vous dire que je crois très désirable que ce travail, qui a dû vous coûter de sérieuses recherches, soit répandu et discuté.

Et je n’ai pas besoin de vous redire combien j’estime avec vous qu’il est nécessaire dans l‘intérêt, non seulement de la paix extérieure, mais de la paix intérieure, trop souvent troublée par les mêmes erreurs que la première, de combattre cette fausse politique

coloniale que je serais tenté de qualifier après Michelet, d’anti-coloniale ; car, en même temps qu’elle entraîne les peuples soi-disant civilisés à se montrer trop souvent inférieurs à ceux qu’ils appellent des barbares,elle leur fait des ennemis de ceux qui pourraient leur être des coopérateurs et des amis, et, comme le dit encore Michelet, elle corrompt et trop souvent détruit la race qui était appropriée au sol et fait, à l’exemple de l’Espagne en Amérique, la ruine à la place de la richesse.

Je souhaite que la lecture de votre rapport, malgré les quelques objections quecertains passages pourront provoquer à tel ou tel point de vue, contribue à éclairer les hommes de bonne foi, et à modifier, dans une certaine mesure au moins, les errements pernicieux qui ont coûté et qui coûtent encore à la France comme à la plupart des autres nations, avec tant de sang et d’argent, une part trop considérable de leur véritable honneur.

Agréez, cher collègue, avec ces lignes trop imparfaites, la nouvelle assurance de mes sentiments distingués et dévoués.

Frédéric Passy

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