Chronique (Journal des économistes, décembre 1906)

Chaque mois, entre  1881 et 1909, Gustave de Molinari a publié une chronique politique et économique dans le Journal des économistes, commentant lactualité française et internationale sous un angle résolument libéral. Au programme notamment, dans cette livraison de décembre 1906, la baisse de la natalité en France, la privatisation souhaitable de la téléphonie, les persécutions des Japonais aux États-Unis, et la proscription de l’opium en Chine.

 

Gustave de Molinari, Chronique (Journal des économistes, décembre 1906).

 

SOMMAIRE : L’indemnité parlementaire. — La convention commerciale franco-suisse. — Le mouvement de la population en 1905. — L’interdiction de l’emploi de la céruse. — Un résultat du rachat des chemins de fer en Prusse. — La garantie postale de l’État. — Comment l’État belge observe la loi sur les accidents. — Un vœu en faveur de la reprise des téléphones par l’industrie privée. — Une circulaire de la Société des industriels et des commerçants de France. — Le message de M. Roosevelt. — La réaction contre les trusts aux États-Unis. — Le monopole du coton. — La prohibition de l’opium en Chine.

 

 

La Chambre a inauguré ses travaux en portant de 9 000 francs à 15 000 francs le montant de l’indemnité parlementaire des députés et des sénateurs. Nous n’y trouverions rien à redire, si la valeur de leur travail de législation et de contrôle des dépenses publiques s’était élevée dans la même proportion. Ce n’est pas qu’on puisse leur reprocher de demeurer oisifs. Ils produisent des lois en abondance, et s’ils augmentent les dépenses au lieu de se borner à les contrôler, c’est à bonne intention ; c’est pour multiplier les richesses de la nation et les faire descendre jusque dans les couches les plus basses, en chargeant l’État lui-même, ce producteur par excellence, de les créer et de les distribuer. En accomplissant cette tâche, s’est écrié le ministre du travail, à qui elle incombe spécialement, nous aurons créé une accumulation de richesses qui rendra, sans limites, le double patrimoine de la patrie et de l’humanité. Cela compensera et au-delà, la compensation illusoire que promettent les religions aux pauvres de ce monde.

« Tous ensemble, par nos pères, par nos aînés, par nous-mêmes, nous nous sommes attachés dans le passé à une œuvre d’anticléricalisme, à une œuvre d’irréligion. Nous avons arraché les consciences humaines à la croyance. Lorsqu’un misérable, fatigué du poids du jour, ployait les genoux, nous l’avons relevé, nous lui avons dit que derrière les nuages il n’y avait que des chimères. Ensemble, et d’un geste magnifique, nous avons éteint dans le ciel des lumières qu’on ne rallumera plus ! »

Seulement, est-il bien certain que les richesses terrestres que créera en abondance l’État producteur et collectiviste de M. Viviani seront moins illusoires que celles dont il a entrepris de supprimer l’espérance, en éteignant, dans le ciel des lumières qu’on ne rallumera plus ?

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Maigre les gémissements des protectionnistes, le Sénat et la Chambre des députés sont tombés d’accord pour ne pas recommencer la guerre de tarifs qui avait, fait descendre, en 1893, notre commerce avec la Suisse de 418 millions à 185. Ils ont renouvelé la convention commerciale franco-suisse. Cette convention n’en exhausse pas moins des deux côtés le niveau des droits de douane. Car les traités de commerce manipulés par les protectionnistes servent aujourd’hui à empêcher le commerce.

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Nous publions le rapport sur le mouvement, ou plutôt sur l’absence de mouvement de la population en 1905, accusant un insignifiant excédent de 37 120 naissances sur les décès. Ce qui peut nous consoler, c’est que ce mouvement se ralentit actuellement, dans tous les pays civilisés, de 7% en Italie, de 12% en Allemagne, de 17% en Angleterre, etc. Comme toute autre production, celle de l’homme tendant, en vertu d’une loi naturelle, à se proportionner avec le débouché qui lui est ouvert, et l’augmentation toujours croissante des dépenses du militarisme et de l’étatisme ayant pour effet de diminuer les emplois des industries productives, ce ralentissement du mouvement de la population est inévitable et on peut prévoir qu’il subsistera et même s’accentuera aussi longtemps que la cause qui l’a fait naître.

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Le gouvernement, soucieux de la santé des ouvriers, a voulu supprimer l’emploi de la céruse. Pourquoi de la céruse plutôt que du mercure et de bien d’autres produits bien autrement dangereux et insalubres, sans parler de la poudre et des explosifs ? C’est un mystère que M. Yves Guyot a dévoilé en dénonçant les menées du zinc contre ce concurrent préféré. Quoi qu’il en soit, le Sénat n’a sanctionné qu’à moitié l’interdiction de la céruse ; il ne l’a admise qu’à l’intérieur des appartements et l’a repoussée à l’extérieur. De plus, il a voté, contrairement à l’avis du gouvernement, une indemnité aux fabricants de céruse pour la privation d’une partie de leur débouché. Rien de mieux. Nous applaudissons volontiers à ce respect de la propriété, nous regrettons seulement qu’il n’ait pas été appliqué à l’enseignement libre des congrégations, considéré apparemment comme une industrie dangereuse et insalubre par l’État, qui l’a confisquée à son profit.

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Aux partisans du rachat des chemins de fer par l’État, M. Yves Guyot oppose, dans le Siècle, une statistique suggestive du nombre de vaches que les Berlinois sont obligés d’hospitaliser pour avoir du lait. Il n’y en avait pas moins de 10 567 en décembre 1904. Tandis qu’aux États-Unis, les chemins de fer des compagnies apportent à Boston du lait venant de 213 milles, à Philadelphie de 353 milles, à New York de 400 ; en Prusse, le tarif du chemin de fer de l’État est prohibitif au-dessus de 75 milles. Un autre inconvénient, et non le moindre des chemins de fer de l’État, c’est que l’exploitation subit l’influence perturbatrice de la politique.

« Quand le pouvoir politique est le maître des tarifs, dit M. Yves Guyot, il n’examine plus les intérêts économiques, il n’examine que les intérêts politiques. C’est la déviation fatale à laquelle aboutit toute intervention de l’État dans la vie économique. Les ministres, surtout d’un pays où ils sont à la discrétion d’une majorité, sont obligés, par la force des choses, de tenir compte du nombre des voix.Si un ministre des travaux publics voulait se soustraire à cette obligation, le président du Conseil et le ministre de l’intérieur lui rappelleraient, au nom de la solidarité ministérielle, qu’il n’a pas le droit de compromettre le cabinet en provoquant des adversaires redoutables, et qu’avant de s’occuper si telle ou telle mesure sert les intérêts généraux du pays, il doit se demander si elle est de nature à ébranler ou à consolider la majorité.

Un ministère, dominé par ces préoccupations, non seulement porte le plus grave préjudice à l’activité et à la prospérité du pays, il détruit les initiatives et il les remplace par des mœurs de quémanderie ; mais encore, en butte à ces sollicitations de détail, tiraillé entre de petits intérêts opposés, il perd de vue les intérêts supérieurs du pays auxquels il doit pourvoir ; il ne peut pas accomplir sa mission politique et il est condamné à se perdre dans des besognes infimes et à se débattre au milieu de querelles de ménage. Pendant qu’il y est absorbé, il néglige les fonctions essentielles du gouvernement : maintenir la sécurité à l’intérieur et à l’extérieur, et, en essayant de tout faire, il ne fait pas ce qu’il devrait faire. »

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Le vol d’une voiture de la poste à Toulouse a rappelé la mésaventure des victimes d’un vol analogue qui a eu lieu à Marseille, et pour lequel elles ont réclamé, jusqu’à présent sans succès, la garantie de la poste.

« Les auteurs furent arrêtés et condamnés, mais les valeurs dérobées sont toujours restées introuvables.

Cependant, les clients de la poste, victimes de cet acte de brigandage, n’avaient aucune inquiétude, du moins pour leurs expéditions faites régulièrement en valeurs déclarées ; ils étaient persuadés qu’ils n’auraient qu’à se présenter à la direction des Postes pour toucher les sommes portées sur leurs récépissés.

Aussi, grande fut leur surprise, lorsque l’administration des Postes déclina toute responsabilité et se refusa à tout remboursement en se basant sur la loi du 4 juin 1859, qui dit :

« L’administration des Postes est responsable, jusqu’à concurrence de 2 000 francs, sauf le cas de perte par une force majeure, des valeurs insérées dans les lettres déclarées, conformément aux dispositions des articles 1 et 2 de la présente loi. »

Un comité de dix membres fut formé par les victimes, afin de poursuivre, par toutes les voies, réparation du préjudice qui leur avait été causé. La question n’est pas encore résolue.

« Cette garantie, soi-disant donnée par l’administration des Postes pour les valeurs déclarées, nous fait remarquer notre collaborateur, M. Frédéric Passy, se trouverait, si l’administration persistait à arguer le cas de force majeure, aboutir à la négation absolue de la réalité de cette garantie, ou, du moins, la subordonner à tous les caprices du hasard. » Ce qui n’empêche pas les étatistes d’affirmer que la poste est seule capable de transporter les lettres et les petits paquets avec une entière sécurité pour sa clientèle.

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Voici avec quel empressement l’État, propriétaire et exploitant des chemins de fer belges, remplit les obligations que lui impose la loi sur les accidents qu’il est chargé de faire observer :

« Quelques dates de procès entre l’État en matières d’accidents :

N… contre État belge : accident le 12 octobre 1900 ; introduction, 1903 ; jugement, 1904, et arrêt 20 novembre 1906 !

V… contre État : accident, 3 mai 1900 ; introduction, 1903 ; jugement en juillet 1904, et arrêt 20 novembre 1906 ! »

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Au moment où l’État se prépare a porter à 50 milliards et au-delà le chiffre de notre dette en reprenant les chemins de fer qu’il est particulièrement habile à exploiter, on lira avec intérêt les considérants d’un vœu de l’Union des syndicats patronaux des industries textiles en faveur de la reprise des téléphones par l’industrie privée :

« Considérant que le fonctionnement de jour en jour plus défectueux des services postaux, télégraphiques, téléphoniques, se traduit pour les commerçants et industriels textiles par des pertes matérielles d’autant plus graves, qu’à notre époque les affaires vont aux plus diligents et se traitent à longue distance, avec la plus grande rapidité, que dans l’Est, notamment, les industriels cotonniers, après avoir garanti, il y a un an, la totalité des intérêts d’un emprunt de 650 000 francs réalisé par le département des Vosges pour la construction d’un fil direct d’Épinal au Havre, n’ont pu encore obtenir la mise en service de ce fil qui, qualifié « direct », passe par Nancy et la Somme pour aboutir au Havre ;

Que, pendant l’époque des villégiatures, dans les stations balnéaires et thermales, les lignes de Normandie, du Nord et des Vosges sont inaccessibles aux industriels des régions intermédiaires qui, cependant, en ont fait les frais ;

Que, dans la région du Nord et de la Normandie, malgré les sacrifices consentis par les chambres de commerce, les industriels et commerçants, l’organisation du service téléphonique est extrêmement défectueuse et ne répond pas aux besoins des régions de la France où l’activité industrielle est la plus intense ;

Que, entre Paris et Lyon, de continuelles réparations mettent hors de service trois lignes sur quatre et qu’à Saint-Étienne, plusieurs commerçants et industriels ont dû renoncer au téléphone ;

Considérant que si le personnel et le matériel téléphonique sont insuffisants, les services postaux et télégraphiques ne laissent pas moins à désirer ;

Que le trajet d’une lettre atteint souvent quarante-huit heures de Marseille à Paris et trente-six heures de Saint-Étienne pour la même destination, les télégrammes ne subissent pas moins de retard que les courriers postaux et que les choses en sont venues à ce point que des filateurs des Vosges, au moment où les marchés cotonniers étaient agités, ont jugé nécessaire de se rendre au Havre, voyant que leurs réponses aux offres télégraphiques des courtiers ne parvenaient pas toujours dans une même journée de bourse ;

Considérant que des améliorations immédiates sont indispensables puisque le développement des transactions commerciales et industrielles est intimement dépendant de l’outillage national, dont les postes, télégraphes et téléphones, constituent l’élément le plus indispensable ;

Considérant que s’il faut reconnaître, comme le remarquait M. Poincaré, ministre des finances, à la tribune de la Chambre, à la séance du 13 juillet dernier, que l’État exploite ses monopoles de « moins en moins bon marché », il y aurait lieu d’envisager, au point de vue des intérêts supérieurs de l’activité nationale, le retour de l’exploitation téléphonique à l’industrie privée, système qui a donné de si bons résultats en Angleterre et aux États-Unis… »

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Entrée dans sa onzième année d’existence, la Société des industriels et des commerçants de France vient d’adresser à ses membres une circulaire dans laquelle elle rappelle les efforts, parfois heureux, qu’elle a faits pour enrayer les progrès du protectionnisme. « C’est grâce à l’union et aux efforts persévérants de ses membres, dit-elle, que notre Société a pu rendre de réels services à la cause commerciale et industrielle, soit en faisant entendre ses protestations quand on a voulu établir des droits d’entrée sur les matières premières ou élever l’impôt des patentes, soit en étudiant les conventions commerciales avec l’Italie, l’Espagne, la Russie, le Portugal et, dans ces dernières semaines, avec la Suisse. » Les membres du bureau, MM. Gaston Menier, Pinard, Yves Guyot, vice-présidents ; Julien Hayem, secrétaire général, engagent leurs collègues à redoubler d’efforts pour replacer la France au rang que la réaction protectionniste lui a fait perdre. Le moment est favorable, car les victoires du protectionnisme ressemblent à celles de Pyrrhus. Elles épuisent ses forces. En ce moment même, son organe attitré, la République française, vient de passer entre des mains libérales et son autre organe, la Réforme économique, dénonce avec inquiétude les manœuvres des libre-échangistes. L’opinion commencerait-elle à se fatiguer de celles des protectionnistes ?

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Dans le message qu’il a adressé au Congrès, à l’occasion de l’ouverture de la session, M. Roosevelt a fait preuve d’un courage bien rare en s’attaquant aux préjugés et aux mauvaises passions du peuple américain, au risque de perdre sa popularité. Il n’a pas craint de condamner en termes énergiques l’exclusion des enfants japonais des écoles primaires en Californie, de flétrir le lynchage, de se prononcer contre l’intervention de l’État au service des prêteurs aux gouvernements à finances avariées, et finalement, de dénoncer les démagogues qui provoquent la haine contre les riches.

« On fait preuve d’un cynisme insensé en prétendant que toute action gouvernementale vis-à-vis de l’étranger est et doit être basée sur le seul égoïsme. Nous devons non seulement traiter honnêtement toutes les nations, mais nous devons aussi traiter avec justice et bienveillance tous les immigrants qui viennent ici en se conformant aux lois, qu’ils soient catholiques ou protestants, juifs ou païens, qu’ils viennent d’Angleterre, d’Allemagne, de Russie, du Japon ou d’Italie. La seule chose dont nous ayons le droit de nous occuper, c’est la conduite de l’individu. C’est une marque de civilisation et de moralité inférieures que de molester ou d’offenser un étranger qui est venu ici légalement et qui se conduit convenablement.

Je suis amené à dire cela par l’attitude hostile prise vis-à-vis des Japonais sur différents points de ce pays-ci. Cette hostilité fait beaucoup de tort à notre nation et peut avoir pour elle de graves conséquences. L’amitié réciproque des États-Unis et du Japon dure depuis plus d’un demi-siècle et n’a jamais été interrompue.

Les Japonais, ajoute-t-il, sont venus en grand nombre chez nous. Ils sont les bienvenus socialement et intellectuellement, dans tous nos collèges et établissements d’instruction supérieure, dans tous nos milieux professionnels et sociaux. La très grande majorité de notre nation a une haute estime pour le peuple japonais ; dans presque toutes les parties de l’Union, l’étranger, originaire du Japon, est traité comme il le mérite, c’est-à-dire qu’il est traité comme un étranger venant de n’importe quel pays de l’Europe civilisée est traité et mérite d’être traité.

Mais sur quelques points des États-Unis des sentiments tout à fait indignes se sont manifestés à l’égard des Japonais, je veux parler des sentiments dont on a fait preuve en les excluant des écoles primaires de San-Francisco et en murmurant contre eux dans un ou deux autres endroits à cause des bonnes qualités qu’ils possèdent comme ouvriers. Les exclure des écoles primaires est une sottise méchante, vu qu’il n’y a pas dans le pays de collèges de première classe, y compris les universités et collèges de la Californie, qui n’accueillent avec joie les étudiants japonais et auxquels les étudiants japonais ne fassent honneur. Dans tout le Japon, les Américains sont bien traités et, chaque fois que les Américains commettent la faute de ne pas traiter ici les Japonais avec la même courtoisie et avec la même considération, ils avouent, pour ainsi dire, l’infériorité de leur civilisation. »

« La cause la plus fréquente du lynchage est, dit-il, la perpétration du crime de viol, crime plus abominable que l’assassinat. La populace punit souvent le viol ou en torturant et tuant l’auteur, mais elle venge ainsi d’une façon bestiale un acte bestial et se met par là au niveau du criminel qui l’a commis.

Après avoir lynché pour le crime de viol, la populace lynche pour d’autres raisons, de sorte que les deux tiers des lynchages n’ont pas lieu pour punir l’auteur d’un viol et, de plus, une grande partie des personnes lynchées ne sont coupables d’aucun crime. »

Le Président appelle ensuite, comme il l’a déjà fait en 1900, l’attention du Congrès sur les embarras que peut causer au gouvernement des États-Unis l’affirmation, de la part de nations étrangères, du droit de recouvrer par la force des armes les dettes contractées par des républiques américaines envers des citoyens de ces nations étrangères.

Passant enfin à la question du capital et du travail, M. Roosevelt parle des hommes qui cherchent à provoquer une violente haine contre les riches. Il dit qu’ils sont les pires ennemis de la cause qu’ils prétendent défendre. Il fait remarquer que la corruption n’est jamais aussi grande que là où le démagogue et l’agitateur prédominent, parce que tous les liens de la morale y sont relâchés. Il ajoute qu’on ne saurait faire un choix entre le réactionnaire et l’agitateur, qui montrent tous deux le même mépris égoïste des droits des autres et qui s’unissent naturellement pour combattre chaque mouvement entrepris par ceux qui veulent être justes envers tout le monde. »

M. Roosevelt doit s’attendre à la revanche des démagogues. Il ne sera probablement pas réélu Président des États-Unis. Mais il aura donné un exemple salutaire de courage et d’honnêteté aux politiciens du nouveau monde et même de l’ancien.

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L’opinion publique commence à se soulever aux États-Unis contre le monopole des trusts. Un démagogue ne jouissant que d’une mince considération, M. Hearts, a failli être nommé gouverneur de l’État de New York, pour leur avoir déclaré la guerre, et son concurrent, M. Hughes, ne l’a emporté que grâce à l’appui d’un autre ennemi des trusts, M. Roosevelt. L’United States Circuit Court vient d’ouvrir des poursuites contre le plus puissant de ces monopoles, la Standard Oil Company, accusé de méfaits variés, corruption des agents des chemins de fer, des femmes des contremaîtres de ses concurrents, menace de ruiner les épiciers, qui s’approvisionnent ailleurs, etc. Les poursuites et le redoublement des rigueurs de la réglementation seront certainement impuissants à détruire les trusts aussi longtemps qu’ils seront protégés par le tarif ultra-protectionniste de l’Union.Or, le tarif est intangible.

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Les poursuites contre la Standard Oil n’ont pas empêché les producteurs de coton de former un nouveau trust destiné à accaparer cette matière première indispensable à l’industrie textile et à en élever le prix à leur guise. Les filateurs anglais viennent de prendre leurs précautions contre ce monopole, en achetant dans les États du Sud de vastes plantations de coton. Mais est-il nécessaire d’ajouter que ce trust, en admettant, chose douteuse, qu’il parvienne à se constituer, n’aura d’autre effet que d’encourager ailleurs la culture du coton.

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Le gouvernement chinois a entrepris d’interdire l’usage de l’opium par un édit dont voici la substance :

« Toute nouvelle plantation de pavots est suspendue ; les plantations privées actuelles devront être réduites d’un dixième par an.

Tout fumeur d’opium devra être inscrit sur un registre spécial indiquant les quantités d’opium qu’il consomme ; les divers débits d’opium seront également enregistrés, et seuls les acheteurs inscrits pourront recevoir de l’opium.

Les fumeries d’opium seront fermées dans un délai de six mois ; tous les débits seront fermés graduellement.

Les autorités donneront des ordonnances médicales à ceux qui sont adonnés à l’habitude de fumer ; personne ne sera autorisé dorénavant à commencer à fumer l’opium ; les fumeurs actuels devront diminuer leur consommation de 20%.

À défaut de le faire, les magistrats seront révoqués, les gradués dépouillés de leurs diplômes ; les autres contrevenants seront également punis et, au bout de dix ans, les noms des coupables seront affichés.

Les fumeurs âgés de plus de soixante ans seront traités avec indulgence, mais les fonctionnaires devront cesser de fumer dans un délai de six mois ou démissionner.

Les professeurs, les lettrés, les soldats et les marins devront se guérir de leur habitude dans un délai de trois mois ; quant aux princes, ducs, vice-rois, généraux et autres hauts dignitaires, ils devront informer le trône de leur intention de cesser l’usage de l’opium dans un délai donné. En attendant, ils seront autorisés à employer des adjoints pour ne reprendre leurs fonctions qu’après leur guérison.

Les sociétés contre l’usage de l’opium seront invitées à relever toutes les infractions aux dispositions ci-dessus.

L’article 10 dit qu’au sujet des importations d’opium de l’Inde, de la Perse, de l’Indo-Chine française et des colonies hollandaises, les ministres de ces diverses nations seront pressentis pour obtenir que l’importation d’opium cesse dans un délai de dix ans. »

Quoique nous n’ayons qu’une faible confiance dans l’efficacité de ce paternalisme du gouvernement chinois, il nous paraît cependant préférable à celui du gouvernement russe, qui tire le plus clair de ses ressources du monopole de l’eau-de-vie, cet opium des pauvres Moujiks.

G. de M.

Paris, 14 décembre 1906.

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