Une défense autrichienne de l’euro. Par Jesús Huerta de Soto

Jesus Huerta de SotoJesús Huerta de Soto est un économiste espagnol et un docteur en droit représentant de l’école autrichienne qui enseigne l’économie politique à l’Université Juan Carlos à Madrid, en Espagne. Dans cet article, Huerta de Soto prend la défense de la monnaie unique européenne dans une perspective autrichienne, en soutenant l’idée que l’euro agit comme une procuration de l’étalon-or, qui contraignait à son époque les gouvernements à faire preuve de rigueur budgétaire. Cette défense autrichienne de l’euro passe par une défense du système des taux de change fixes, dont l’intérêt principal réside dans l’impossibilité de faire de la dévaluation monétaire et dans la capacité à contraindre les hommes politiques à mettre en place des réformes structurelles, des mesures de libéralisation économique et l’austérité budgétaire. Dans le contexte du Brexit et des controverses incessantes sur la monnaie unique, renforcées par le discours certains hommes politiques, il est intéressant de prendre connaissance de certaines vertus non négligeables de l’euro.

Cet article a été publié originellement le 22 juin 2012 sur le site du Mises Institute

Traduit par Marc Lassort, Institut Coppet


  1. Introduction : le système monétaire européen

Les théoriciens de l’école autrichienne ont fait un effort considérable pour imaginer le système monétaire idéal d’une économie de marché. Sur le plan théorique, ils ont développé une théorie globale du cycle économique qui explique que l’expansion du crédit non soutenue par une épargne réelle et orchestrée par les banques centrales via un système bancaire à réserve fractionnaire génère des cycles économiques répétés. Sur le plan historique, ils ont décrit l’évolution spontanée de la monnaie et ils ont montré que l’intervention étatique coercitive encouragée par des groupes d’intérêts puissants s’est distancée du marché et a corrompu l’évolution naturelle des institutions bancaires. Sur le plan éthique, ils ont révélé les exigences juridiques et les principes généraux des droits de propriété au regard des contrats bancaires, principes qui émergent de l’économie de marché elle-même et qui, à leur tour, sont essentiels pour son propre fonctionnement.[1]

Toute l’analyse théorique ci-dessus entraîne la conclusion que le système monétaire et bancaire actuel est incompatible avec une véritable économie libérale, qu’il contient tous les défauts identifiés par le théorème de l’impossibilité du socialisme, et qu’il est une source continue d’instabilité financière et de perturbations économiques. Par conséquent, il devient indispensable de profondément revoir le système financier et monétaire mondial, d’aller à la racine des problèmes qui nous assaillent et de les résoudre. Cette entreprise doit reposer sur les trois réformes suivantes :

  1. le rétablissement du principe fondamental de droits de propriété privée qu’est l’obligation de 100 % de réserves par rapport à tout dépôt à vue de monnaie et de ses équivalents ;
  2. l’abolition de toutes les banques centrales (qui deviennent inutiles comme prêteurs de dernier ressort si la réforme 1 ci-dessus est appliquée, et qui sont, en vertu de la nature d’agences financières visant à la planification centrale, une source constante d’instabilité) et la révocation des lois de court légal et de l’enchevêtrement de réglementations étatiques en constante évolution qui dérivent d’elles ; et
  3. un retour à l’étalon-or classique, le seul critère monétaire mondial qui fournirait une offre monétaire que les autorités publiques ne pourraient pas manipuler et qui pourrait restreindre et discipliner les aspirations inflationnistes des différents agents économiques.[2]

Comme nous l’avons dit, les prescriptions susmentionnées nous permettraient de résoudre tous nos problèmes à la racine, tout en favorisant un développement économique et social durable dont les bénéfices n’ont jamais été observés dans l’histoire. En outre, ces mesures peuvent à la fois indiquer quelles réformes incrémentales constitueraient une étape dans la bonne direction, et permettre un jugement plus solide sur les différentes alternatives de politique économique dans le monde réel. Ce n’est qu’à partir de cette perspective strictement possibiliste et circonstancielle que le lecteur pourra comprendre l’analyse autrichienne en « soutien » relatif de l’euro que nous cherchons à développer dans l’article présent.

  1. La tradition autrichienne d’un soutien des taux de change fixes face au nationalisme monétaire et aux taux de change flexibles

Traditionnellement, les membres de l’école autrichienne d’économie ont estimé que tant que le système monétaire idéal n’est pas atteint, de nombreux économistes, en particuliers ceux de l’école de Chicago, commettent une grave erreur de théorie économique et de praxis politique lorsqu’ils défendent les taux de change flexibles dans un contexte de nationalisme monétaire, comme si les deux étaient quelque part plus adaptés à une économie de marché. En revanche, les Autrichiens pensent que tant que les banques centrales ne sont pas abolies et que l’étalon-or classique n’est pas rétabli avec une obligation de 100 % de réserves dans le secteur bancaire, nous devons nous efforcer de rapprocher le plus possible le système monétaire existant de cet idéal, à la fois en termes de fonctionnement et en termes de résultats. Cela signifie limiter le nationalisme monétaire autant que possible, éliminer la possibilité que chaque pays puisse développer sa propre politique monétaire, et restreindre au maximum les politiques inflationnistes d’expansion du crédit, en créant un cadre monétaire qui discipline autant que possible les agents économiques, politiques et sociaux, et en particulier les syndicats et les autres groupes de pression, les hommes politiques et les banques centrales.

C’est uniquement dans ce contexte que nous devrions interpréter la position d’économistes autrichiens éminents (et de membres distingués de la Société du Mont-Pèlerin) comme Mises et Hayek. Par exemple, il y a l’analyse remarquable et dévastatrice du nationalisme monétaire et des taux de change flexibles que Hayek a commencé à développer en 1937 dans son ouvrage particulièrement remarquable Monetary Nationalism and International Stability.[3] Dans cet ouvrage, Hayek démontre que les taux de change flexibles empêchent une allocation efficiente des ressources au plan international, puisqu’ils entravent et déforment immédiatement les flux réels de consommation et d’investissement. En outre, ils rendent inévitable que des ajustements nécessaires réels des coûts à la baisse se produisent via un accroissement de tous les autres prix nominaux, dans un environnement chaotique de dévaluations compétitives, d’expansion du crédit et d’inflation, qui encourage et soutient toutes sortes de comportements irresponsables des syndicats en incitant des revendications salariales continuelles qui ne peuvent être satisfaites sans accroître le chômage si l’inflation est poussée encore davantage.

Trente ans plus tard, en 1975, Hayek résume son argument ainsi :

« Il est, je crois, indéniable que la revendication pour des taux de change flexibles a trouvé toute son origine dans des pays comme la Grande-Bretagne, dont certains de ses économistes voulaient ménager une marge plus importante pour l’expansion inflationniste (appelée « politique de plein emploi »). Ils ont malheureusement reçu plus tard le soutien d’autres économistes[4] qui n’étaient pas inspirés par le désir de l’inflation, mais qui semblaient avoir négligé l’argument le plus fort en faveur des taux de change fixes : qu’ils constituent une restriction pratiquement irremplaçable visant à contraindre les hommes politiques, et les autorités monétaires responsables devant eux, à maintenir une monnaie stable. »

Pour clarifier son argument plus loin, Hayek ajoute,

« Le maintien de la valeur de la monnaie et l’évitement de l’inflation demandent constamment de l’homme politique des mesures fortement impopulaires. Ce n’est qu’en montrant que le gouvernement est contraint de prendre ces mesures que l’homme politique peut les justifier auprès du peuple défavorablement affecté. Tant que la préservation de la valeur externe de la monnaie nationale est considérée comme une nécessité indiscutable, comme c’est le cas des taux de change fixes, les hommes politiques peuvent résister aux demandes constantes pour des crédits meilleur marché, pour éviter un accroissement des taux d’intérêt, pour davantage de dépenses dans les « travaux publics », et ainsi de suite. Avec des taux de change fixes, une chute de la valeur extérieure de la monnaie, ou des sorties d’or ou des réserves de change étrangères agissent comme un signal exigeant une action gouvernementale immédiate.[5] Avec des taux de change flexibles, l’effet d’un accroissement de la quantité de monnaie sur le niveau interne des prix est bien trop lent pour être généralement apparent ou pour être reporté sur ceux qui en sont finalement responsables. En outre, l’inflation des prix est généralement précédée par un accroissement bienvenu de l’emploi ; cela peut donc même être bienvenu car ses effets néfastes ne sont pas visibles jusqu’à une période tardive. »

Hayek conclut,

« Je ne crois pas que nous devrions regagner un système de stabilité internationale sans retourner à un système de taux de change fixes, qui impose aux banques centrales nationales la restriction essentielle pour résister avec succès aux pressions des avocats de l’inflation dans leurs pays – incluant généralement des ministres des finances. » (Hayek 1979 [1975], pp. 9-10)

Quant à Ludwig von Mises, il est bien connu qu’il s’est distancé de son disciple estimé Fritz Machlup quand en 1961 Machlup a commencé à défendre les taux de change flexibles à la Société du Mont-Pèlerin. En fait, selon R. M. Hartwell, qui était l’historien officiel de la Société du Mont-Pèlerin, « le soutien de Machlup pour les taux de change flottants ont conduit von Mises à ne plus lui parler pendant quelque chose comme trois ans » (Hartwell 1995, 119). Mises pouvait comprendre que les macroéconomistes avec une formation académique inexistante en théorie du capital, comme Friedman et ses collègues de Chicago et les keynésiens en général, pouvaient défendre les taux flexibles et l’inflationnisme qui leur est implicite, mais il n’était pas prêt à fermer les yeux sur l’erreur d’une personne comme Machlip, qui avait été son disciple et qui avait donc une connaissance réelle de l’économie, et qui pourtant s’était permis de s’emporter par le pragmatisme et les modes passagères du politiquement correct. En effet, Mises avait même fait remarquer à sa femme pourquoi il n’arrivait pas à pardonner Machlup : « Il était à mon séminaire à Vienne ; il comprend tout. Il en sait plus que la plupart et il sait exactement ce qu’il fait » (Margit von Mises, 1984, 146).

La défense de Mises des taux de change fixes est un parallèle de sa défense de l’étalon-or comme système monétaire idéal sur un plan international. Par exemple, en 1944, son ouvrage Omnipotent Government, Mises écrivait,

« L’étalon-or instaure un contrôle sur les projets gouvernementaux pour de l’argent facile. Il était impossible de donner libre cours à l’expansion du crédit tout en s’accrochant à la parité-or fixée de manière permanente par le droit. Les États devaient choisir entre l’étalon-or et leur politique – désastreuse sur le long terme – d’expansion du crédit. L’étalon-or ne s’est pas effondré. Les États l’ont détruit. Il était incompatible avec l’étatisme comme l’était le libre-échange. Les divers gouvernements se sont éloignés de l’étalon-or car ils étaient impatients que les prix domestiques et les salaires augmentent au-delà du niveau du marché mondial, et parce qu’ils voulaient stimuler les exportations et entraver les importations. La stabilité des taux de change était à leurs yeux de l’espièglerie, et non une bénédiction. Telle est l’essence des enseignements monétaires de Lord Keynes. L’école keynésienne défend passionnément l’instabilité des taux de change.  »[6]

En outre, ce n’était pas une surprise que Mises méprisait les théoriciens de Chicago lorsque dans ce domaine, comme dans d’autres, ils finissaient par tomber dans le piège du keynésianisme le plus vulgaire. De plus, Mises maintenait qu’il serait relativement simple de rétablir l’étalon-or et de retourner à des taux de change fixes : « La seule condition requise est l’abandon d’une politique monétaire accommodante et des comportements de lutte contre les importations par la dévaluation. »

En outre, Mises soutenait que seuls les taux de change fixes étaient compatibles avec une véritable démocratie, et que l’inflationnisme derrière les taux de change flexibles était essentiellement antidémocratique :

« L’inflation est essentiellement antidémocratique. Le contrôle démocratique est le contrôle budgétaire. L’État n’a qu’une source de revenus – les impôts. Aucune imposition n’est légale sans consentement parlementaire. Mais si l’État a d’autres sources de revenus, il peut se sentir libre de leur contrôle. » (Mises 1969, pp. 251-253)

Ce n’est que lorsque les taux de change sont fixes que les États sont obligés de dire la vérité aux citoyens. Par conséquent, la tentation de se reposer sur l’inflation et des taux flexibles pour éviter le coût politique d’une augmentation impopulaire des impôts est extrêmement forte et destructrice. Donc, même s’il n’y a pas d’étalon-or, des taux fixes restreignent et disciplinent l’arbitraire des hommes politiques :

« Même en l’absence d’un étalon-or pur, les taux de change fixes fournissent une certaine assurance contre l’inflation qui ne vient pas du système flexible. Dans un régime flexible, si un pays fait de l’inflation, il devient victime d’une crise de la balance des paiements. Si et quand il vient à court des avoirs de change étrangers, il doit dévaluer, un processus relativement difficile plein de danger pour les dirigeants politiques impliqués. Dans un régime flexible, au contraire, l’inflation ne provoque aucune crise de la balance des paiements, ni aucun besoin pour une dévaluation politiquement embarrassante. Au lieu de cela, il y a une dépréciation relativement indolore de la monnaie nationale (ou inflationniste) face à ses homologues étrangers. » (Block 1999, p. 19)

  1. L’euro est une « procuration » pour l’étalon-or (ou pourquoi les champions de la libre entreprise et du marché libre devraient soutenir l’euro lorsque la seule alternative est un retour au nationalisme monétaire)

Comme nous l’avons vu, les économistes autrichiens défendent l’étalon-or parce qu’il freine et limite les décisions arbitraires des hommes politiques et des autorités. Il discipline le comportement de tous les agents qui participent au processus démocratique. Il promeut des habitudes morales de comportement humain. En bref, il contrôle les mensonges et la démagogie ; il facilite et diffuse la transparence et la confiance dans les relations sociales. Rien de plus ni rien de moins. Peut-être que Ludwig von Mises l’a mieux exprimé :

« L’étalon-or rend la formation du pouvoir d’achat de la monnaie indépendante des ambitions et des doctrines changeantes des partis politiques et des groupes de pression. Ce n’est pas un défaut de l’étalon-or, c’est sa principale qualité. » (Mises 1966, p. 474)

L’introduction de l’euro en 1999 et sa culmination à partir de 2002 signifiait la disparition du nationalisme monétaire et des taux de change flexibles dans la majorité de l’Europe continentale. Plus tard nous étudierons les erreurs commises par la Banque centrale européenne (BCE). Mais ce qui nous intéresse pour le moment est de noter que les différents États-membres de l’Union monétaire ont complètement abandonné et perdu leur autonomie monétaire, c’est-à-dire la possibilité de manipuler leur monnaie locale en la plaçant au service des besoins politiques du moment. À cet égard, au moins par rapport aux pays de la zone euro, l’euro a commencé à agir et a continué d’agir beaucoup comme le faisait l’étalon-or à l’époque. Ainsi, nous devons concevoir l’euro comme une étape claire, véritable, même si imparfaite, vers l’étalon-or.

De plus, l’arrivée de la Grande Récession de 2008 a révélé encore davantage à tout le monde la nature disciplinaire de l’euro : pour la première fois, les pays de l’Union monétaire ont eu à faire face à une récession économique profonde sans autonomie de la politique monétaire. Jusqu’à l’adoption de l’euro, lorsqu’une crise frappait, les États et les banques centrales agissaient invariablement de la même manière : ils injectaient toute la liquidité nécessaire, permettaient à la monnaie locale de flotter à la baisse et de se déprécier, et retardaient indéfiniment les réformes structurelles douloureuses qui était nécessaires et qui impliquaient la libéralisation économique, la déréglementation, une flexibilité accrue des prix et des marchés (en particulier sur le marché du travail), une réduction de la dépense publique, et le retrait et le démantèlement du pouvoir des syndicats et de l’État-Providence. Avec l’euro, en dépit de toutes les erreurs, les faiblesses et les concessions que nous discuterons plus tard, ce type de comportement irresponsable et de fuite en avant n’a plus été possible.

Par exemple, en Espagne, en un an à peine, deux gouvernements consécutifs ont été forcés de prendre une série de mesures qui, bien que toujours assez insuffisantes, auraient été labellisées jusqu’à maintenant comme politiquement impossibles et utopiques, même par les observateurs les plus optimistes :

  1. l’article 135 de la Constitution espagnole a été amendé pour inclure le principe anti-keynésien de stabilité et d’équilibre budgétaire pour le gouvernement central, les communautés autonomes et les municipalités ;
  2. tous les projets qui impliquent des augmentations de dépense publique, des achats de votes et des subventions, des projets sur lesquels les hommes politiques ont régulièrement fondé leur action et leur popularité, ont été soudainement suspendus ;
  3. les salaires de tous les fonctionnaires ont été réduits de 5 % et ensuite gelés, tandis que leurs horaires de travail ont été étendus ;
  4. les pensions de sécurité sociale ont été gelées de facto ;
  5. l’âge légal de départ à la retraite est passé de 65 à 67 ans ;
  6. la dépense publique totale budgétée a diminué d’environ 15 % ; et
  7. une libéralisation significative a été réalisée dans le marché du travail, les heures d’ouverture, et en général, le nœud de réglementations économiques.[7]

En outre, ce qui s’est produit en Espagne a été également réalisé en Irlande, au Portugal, en Italie, et même dans des pays comme la Grèce, qui jusqu’ici représentaient le paradigme du laxisme social, le manque de rigueur budgétaire et la démagogie politique.[8] De surcroît, les dirigeants politiques de ces cinq pays, qui ne peuvent maintenant plus manipuler la politique monétaire pour garder les citoyens dans le noir quant au véritable coût de leurs politiques, ont été sommairement chassés de leurs gouvernements respectifs. Et des États comme la Belgique et en particulier la France et la Hollande, qui jusqu’ici avaient semblés ne pas être affectés par l’impulsion de réforme, commencent également à être forcés de reconsidérer les fondements mêmes du volume de leurs dépenses publiques et de la structure de leur État-Providence généralisé. Tout cela est indéniablement la conséquence du nouveau cadre monétaire introduit par l’euro : c’est pourquoi tous les champions de l’économie de la libre entreprise et de la limitation des pouvoirs de l’État devraient considérer l’euro avec réjouissance, excitation et optimisme. Car il est difficile de penser qu’on aurait pu mettre en œuvre de telles mesures dans un contexte de monnaie nationale et de taux de change flexibles : lorsqu’ils le peuvent, les hommes politiques évitent les réformes impopulaires, et les citoyens évitent tout ce qui peut impliquer du sacrifice et de la discipline. Par conséquent, en l’absence d’euro, les autorités auraient de nouveaux été amenées vers le chemin habituel – c’est-à-dire une fuite en avant consistant en davantage d’inflation : en dépréciant la monnaie pour recouvrer « le plein-emploi » et gagner en compétitivité sur le court-terme (en couvrant ses arrières et en reportant la responsabilité sur les syndicats comme les véritables générateurs du chômage) ; et en reportant indéfiniment les réformes structurelles nécessaires.

Focalisons-nous maintenant sur les raisons fondamentales qui font que l’euro est unique. Nous allons lui opposer à la fois le système des monnaies nationales en lien avec les taux de change fixes, et l’étalon-or lui-même, en commençant avec ce dernier. Nous devons noter que sortir de l’euro aujourd’hui est bien plus difficile qu’il n’était de sortir de l’étalon-or en son temps. En fait, les monnaies liées à l’or conservent leur dénomination locale (le franc, la livre, etc.), de telle sorte qu’il était relativement aisé, au cours des années 1930, de les désancrer de l’or pour autant que les agents économiques, comme c’est indiqué dans le théorème de régression monétaire formulé par Mises en 1912 (Mises 2009 [1912], pp. 111-123), continuent sans interruption d’utiliser la monnaie nationale, qui n’était désormais plus convertible en or, en reposant sur le pouvoir d’achat de la monnaie juste avant la réforme. Aujourd’hui cette possibilité n’existe plus pour les pays qui souhaitent ou sont forcés d’abandonner l’euro.

Puisque l’euro est la seule unité monétaire partagée par tous les pays de l’Union monétaire, son abandon requiert l’introduction d’une nouvelle monnaie locale, avec un pouvoir d’achat inconnu ou bien moindre, et inclut l’émergence de perturbations immenses que le changement entraînerait pour tous les agents économiques dans le marché : débiteurs, créanciers, investisseurs, entrepreneurs, et travailleurs.[9] Au moins dans ce sens spécifique, du point de vue des théoriciens autrichiens, nous devons admettre que l’euro surpasse l’étalon-or, et qu’il aurait été très utile pour l’humanité si les différents pays impliqués avaient été obligés de conserver l’étalon-or dans les années 1930, puisque comme c’est le cas aujourd’hui avec l’euro, toute autre alternative était presque impossible à mettre en pratique car elle aurait affecté les citoyens d’une manière bien plus préjudiciable, douloureuse et évidente.

Par conséquent, dans une certaine mesure il est amusant (et presque pathétique) de noter que la légion d’ingénieurs sociaux et d’hommes politiques interventionnistes qui, conduits à l’époque par Jacques Delors, ont conçu la monnaie unique comme un outil de plus dans leurs projets grandioses de réaliser une union politique européenne, regardent maintenant avec désespoir une conséquence qu’ils ne semblent jamais avoir été capables de prédire : que l’euro a fini par agir de facto comme l’étalon-or, en disciplinant les citoyens, les hommes politiques et les autorités, liant les mains des démagogues et révélant les groupes de pression (conduits par les syndicats indéfectiblement privilégiés), et même mettant en question la soutenabilité et les fondations mêmes de l’État-Providence.[10]

Selon l’école autrichienne, c’est précisément l’avantage comparatif principal de l’euro comme critère monétaire en général, et contre le nationalisme monétaire en particulier – des arguments qui ne sont pas des plus prosaïques, comme « la réduction des coûts de transaction » ou « l’élimination du risque de change », déployés à l’époque par les ingénieurs sociaux du moment, toujours dans une optique de court-terme.

Nous pouvons maintenant tenter de comprendre les différences entre l’euro et un système de taux de change fixes par rapport au processus d’ajustement qui se produit lorsque des degrés différents d’expansion du crédit et d’intervention émergent entre les différents pays. Dans un système de taux fixes, ces différences se manifestent évidemment dans des tensions considérables sur le taux de change qui finissent par déboucher sur des dévaluations explicites, qui entraînent heureusement des coûts élevés et une perte de confiance auprès des autorités politiques correspondantes. Dans le cas d’une monnaie unique comme l’euro, de telles tensions se manifestent dans une perte générale de compétitivité, qui ne peut être retrouvée que par l’introduction de réformes structurelles nécessaires pour garantir la flexibilité du marché, la déréglementation de tous les secteurs et des réductions et des ajustements nécessaires dans la structure des prix relatifs.

De plus, tout cela finit par affecter les revenus de tous les secteurs publics, et donc de leur notation de crédit. En fait, dans la conjoncture actuelle de la zone euro, la valeur actuelle de la dette publique souveraine de chaque pays dans les marchés financiers reflète les tensions qui se révèlent généralement dans les crises de taux de change, alors que les taux étaient plus ou moins fixes dans un environnement de nationalisme monétaire.

Par conséquent, à cette époque, le rôle principal n’était pas joué par les spéculateurs sur la monnaie étrangère mais par les agences de notation, et en particulier par les investisseurs internationaux qui, en achetant de la dette souveraine ou non, fixaient sainement le rythme de la réforme tout en disciplinant et en déterminant le sort de chaque pays. Ce processus peut être dit « non-démocratique », mais c’est en fait l’exact opposé. Dans le passé, la démocratie a souffert chroniquement et était corrompue par des actions politiques irresponsables fondées sur la manipulation monétaire et sur l’inflation, véritable impôt aux conséquences dévastatrices, qui s’impose en dehors du cadre parlementaire sur tous les citoyens d’une manière graduelle, cachée et sournoise.

Aujourd’hui, avec l’euro, le recours à un impôt inflationniste a été empêché dans tous les pays, au moins au niveau local, et les hommes politiques ont été soudainement obligés à dire la vérité et à accepter la perte correspondante de soutien. La démocratie, si elle veut fonctionner, requiert un cadre qui discipline les agents qui y participent. Et aujourd’hui, dans l’Europe continentale, ce rôle est joué par l’euro. Par conséquent, la chute successive des gouvernements en Irlande, en Grèce, au Portugal, en Italie, en Espagne et en France, loin de révéler un déficit de démocratie, manifeste le degré croissant de rigueur, de transparence budgétaire et de santé démocratique que l’euro encourage dans ses sociétés respectives.

  1. La « coalition anti-euro » diverse et hétéroclite

Afin d’illustrer tout cela, nous allons maintenant commenter, au moins brièvement, l’amalgame divers et hétéroclite formé par les ennemis de l’euro. Ce groupe inclut dans ses rangs des éléments disparates comme des doctrinaires de la droite et de la gauche extrême ; des keynésiens nostalgiques ou inflexibles comme Krugman et Stiglitz ; des monétaristes dogmatiques en faveur des taux de change flexibles, comme Barro et d’autres ; des avocats naïfs de la théorie de Mundell des zones monétaires optimales ; des chauvinistes terrifiés du dollar (et de la livre) ; et pour résumer une légion de défaitistes confus qui « en face de la disparition imminente de l’euro » proposent la « solution » de le faire sauter et de l’abolir aussi vite que possible.[11]

Peut-être que l’illustration la plus claire (ou plutôt l’élément de preuve le plus convaincant) du fait que Mises était entièrement correct dans son analyse de l’effet disciplinant des taux de change fixes, et en particulier de l’étalon-or, sur la démagogie politique et des syndicats, repose sur la manière dont les dirigeants et partis politiques de gauche, les membres des syndicats, les faiseurs d’opinion « progressistes », les « indignés » anti-système, les hommes politiques d’extrême droite, et en général tous les défenseurs de la dépense publique, des subventions publiques, et de l’interventionnisme, se rebellent ouvertement et directement contre la discipline que l’euro impose, et en particulier contre la perte d’autonomie de la politique monétaire de chaque pays que cela implique : une dépendance tant honnie à l’égard des marchés, des spéculateurs et des investisseurs internationaux lorsqu’il s’agit de placer, de conserver ou de vendre la dette publique souveraine croissante qui est nécessaire pour financer les déficits publics constants.

Il suffit de jeter un œil aux éditoriaux de la plupart des journaux de gauche[12], ou de lire les déclarations de la plupart des hommes politiques démagogiques[13] ou des syndicats dirigeants pour se rendre compte que cela ressemble énormément à une version actuelle des années 1930 face à l’étalon-or, lorsque les ennemis du marché et les défenseurs du socialisme, de l’État-Providence, et de la démagogie syndicale protestaient à l’unisson, à la fois en public et en privé, contre « la discipline rigide que nous imposent l’euro et les marchés financiers », et exigeaient la monétisation immédiate de toute la dette publique, sans aucune contre-mesure sous la forme d’une austérité budgétaire ou de réformes qui renforceraient la compétitivité.

Dans la sphère universitaire, mais aussi dans les médias de masse, les théoriciens keynésiens contemporains montent une offensive majeure contre l’euro, avec une belligérance qui n’est comparable qu’à celle que Keynes prodiguait lui-même contre l’étalon-or dans les années 1930. Un  cas particulièrement paradigmatique est celui de Krugman[14] qui raconte la même vieille rengaine quasiment chaque semaine dans sa chronique au New York Times : l’euro serait une « camisole de force » pour la reprise de l’emploi ; et il va même plus loin en critiquant le gouvernement américain (pourtant dispendieux) pour ne pas être suffisamment expansionniste et pour ne pas être allé assez loin dans son ensemble de mesures (pourtant considérables) de relance budgétaire.[15] Plus intelligent et savant, bien que pas moins erroné, est l’opinion de Skidelsky, puisqu’il explique au moins que la théorie autrichienne du cycle économique[16] offre la seule alternative à son Keynes bien-aimé et puisqu’il reconnaît clairement que la situation actuelle implique en fait une répétition du duel entre Hayek et Keynes dans les années 1930.[17]

Encore plus étrange est la position prise sur les taux de change flexibles par les théoriciens néoclassiques en général, et par les monétaristes et les membres de l’école de Chicago en particulier.[18] Il semble que l’intérêt de ce groupe pour des taux de change flexibles et le nationalisme monétaire prédomine sur leur désir (que nous supposons sincère) d’encourager des réformes de libéralisation économique. En effet, l’objectif principal est de maintenir une autonomie de la politique monétaire et de pouvoir dévaluer (ou déprécier) la monnaie locale pour « recouvrer la compétitivité » et absorber le chômage aussi vite que possible, et seulement alors, finalement, ils s’intéresseront à essayer d’encourager la flexibilité et des réformes libérales.

Leur naïveté est extrême, et nous nous y référons dans notre discussion sur les raisons du désaccord entre Mises, du côté de l’école autrichienne, et Friedman, du côté des théoriciens de Chicago, dans le débat entre les taux de change flexibles et les taux de change fixes. Mises a toujours compris très clairement que les hommes politiques ne sont pas capables de prendre des mesures dans la bonne direction s’ils ne sont pas littéralement obligés de le faire, et que les taux flexibles et le nationalisme monétaire brident pratiquement toute incitation à discipliner les hommes politiques et à faire disparaître la « rigidité à la baisse » des salaires (qui devient à son tour une sorte d’hypothèse auto-réalisatrice que les monétaristes et les keynésiens acceptent de plein cœur) et les privilèges dont jouissent les syndicats et les autres groupes de pression. Mises observait également qu’en conséquence, sur le long terme, et même en dépit d’eux-mêmes, les monétaristes ont fini par devenir les compagnons de voyage des vieilles doctrines keynésiennes : une fois que la « compétitivité » a été « retrouvée », les réformes sont retardées et ce qui est même pire, les syndicats deviennent accoutumés à subir les effets destructeurs de leurs politiques restrictionnistes continuellement masquées par des dévaluations successives.

Cette contradiction latente entre la défense du marché libre et le soutien du nationalisme monétaire et la manipulation « via » des taux de change « flexibles » est également évidente pour de nombreux partisans de la théorie de Robert A. Mundell des « zones monétaires optimales ».[19] De telles zones seraient celles dans lesquelles, pour commencer, tous les facteurs productifs seraient fortement mobiles, car si ce n’est pas le cas, il vaudrait mieux les compartementaliser avec des monnaies d’une plus faible étendue, afin de permettre l’utilisation d’une politique monétaire autonome en cas de « choc externe ». Cependant, nous devons nous demander : est-ce que ce raisonnement est correct ? Pas du tout : la principale source de rigidité dans les marchés du travail et des facteurs repose sur l’intervention et la réglementation étatique des marchés (qui est même recherchée), donc il est absurde de penser que les États et leurs gouvernements vont faire hara-kiri, renonçant ainsi à leur pouvoir et trahissant leur clientèle politique, afin d’adopter ensuite une monnaie commune.

Au lieu de cela, l’exact contraire est vrai : ce n’est que lorsque les hommes politiques ont joint une monnaie commune (l’euro dans notre cas) qu’ils sont forcés d’implémenter des réformes qu’il aurait été jusqu’à très récemment inconcevable pour eux d’adopter. Selon les mots de Walter Block,

« L’État est la principale voire la seule source d’immobilité des facteurs. L’État, avec ses réglementations […] est la raison première pour laquelle les facteurs de production sont moins mobiles qu’ils ne le seraient autrement. Dans une époque révolue les coûts de transport auraient été l’explication clef, mais avec tout le progrès technologique réalisé, ces coûts sont bien moins importants que dans notre « monde en contraction » moderne. Si c’était le cas, alors dans un régime de capitalisme libéral, il n’y aurait pratiquement aucune immobilité des facteurs. Étant donnée la vérité assez approximative de ces hypothèses, la région mundellienne devient alors le monde entier – précisément comme elle le serait sous l’étalon-or. »[20]

Cette conclusion de Block est également applicable à la zone euro, dans la mesure où l’euro agit, comme nous l’avons déjà indiqué, comme une « procuration » pour l’étalon-or, qui discipline et limite le pouvoir arbitraire des hommes politiques et des États-membres.

Il nous faut souligner que les keynésiens, les monétaristes et les mundelliens ont tous faux car ils raisonnent exclusivement en termes d’agrégats macroéconomiques, proposant avec de légères différences le même genre d’ajustement via la manipulation budgétaire et monétaire, le « peaufinage » et les taux de change flexibles. Ils croient que tout l’effort nécessaire pour surpasser la crise devrait être guidé par des modèles macroéconomiques et l’ingénierie sociale. Ainsi, ils méconnaissent complètement la distorsion microéconomique profonde que la manipulation monétaire (et budgétaire) génère dans la structure des prix relatifs et dans la structure des biens d’équipement. Une dévaluation contrainte (ou une dépréciation) est un « modèle unique pour tous », c’est-à-dire qu’elle entraîne une baisse linéaire en pourcentage du prix des biens et des services de consommation et des facteurs de production, une baisse qui est la même pour tout le monde.

Bien qu’à court terme, cela donne l’impression d’une reprise intense de l’activité économique et d’une absorption rapide du chômage, cela distord en fait complètement la structure des prix relatifs (car, sans manipulation monétaire, certains prix auraient chuté davantage, d’autres moins, et d’autres n’auraient pas chuté du tout et auraient même augmenté), conduit à une mauvaise allocation généralisée des ressources productives, et cause un traumatisme majeur que toute économie mettrait des années à traiter et à absorber.[21] C’est l’analyse microéconomique centrée sur les prix relatifs et la structure productive, que les théoriciens autrichiens ont développé de manière caractéristique[22] et qui, au contraire, est complètement absente de la boîte à outils analytique de l’assortiment des théoriciens économiques qui s’opposent à l’euro.

Finalement, en dehors de la sphère purement universitaire, l’insistance fatigante avec laquelle les économistes, les investisseurs et les analystes financiers anglo-saxons tentent de discréditer l’euro en prédisant un avenir plus sombre est dans une certaine mesure suspicieuse. Cette impression est renforcée par la position hypocrite des différentes administrations américaines (et également, dans une moindre mesure, du gouvernement britannique) dans le souhait sans enthousiasme que la zone euro « mette son économie en ordre », en omettant pourtant – fait intéressant – de mentionner que la crise financière a trouvé son origine de l’autre côté de l’Atlantique, c’est-à-dire dans les politiques expansionnistes insouciantes poursuivies par la Réserve fédérale pendant des années, dont les effets se répandent au reste du monde via le dollar, puisqu’il est toujours utilisé comme réserve monétaire internationale. En outre, il y a une pression presque insupportable sur la zone euro à introduire des politiques monétaires au moins aussi expansionnistes et irresponsables (« assouplissement quantitatif ») que celles adoptées aux États-Unis, et cette pression est doublement hypocrite, car un tel événement délivrerait sans doute le coup de grâce à la monnaie unique européenne.

Est-ce que cette position dans le monde politique, économique et financier anglo-saxon ne serait pas défendue afin de cacher la peur enfouie que le futur du dollar comme réserve monétaire internationale puisse être mis en danger si l’euro survit et soit capable de concurrencer efficacement le dollar dans un futur pas trop lointain ? Toutes ces indications suggèrent que cette question devient de plus en plus pertinente, et bien qu’aujourd’hui elle ne semble pas très politiquement correcte, on verse du sel sur une plaie douloureuse pour les analystes et les puissances publiques du monde anglo-saxon : l’euro émerge comme un rival potentiel extrêmement puissant du dollar à un niveau international.[23]

Comme nous pouvons le voir, la coalition anti-euro rassemble des intérêts assez variés et puissants. Chacun se défie de l’euro pour une raison différente. Cependant, ils partagent toujours un dénominateur commun : les arguments qui forment la base de leur opposition à l’euro seraient exactement les mêmes, et ils pourraient bien les répéter et les formuler de manière même plus emphatique, si au lieu de la monnaie unique européenne ils voulaient venir à bout de l’étalon-or classique comme système monétaire international.

En fait, il y a un large degré de similarité entre les forces qui se sont jointes dans une alliance dans les années 1930 pour pousser à l’abandon de l’étalon-or et ceux qui cherchent aujourd’hui (jusqu’ici sans succès) à réintroduire un nationalisme monétaire vieux et dépassé en Europe.

Comme nous l’avons déjà indiqué, techniquement, il était bien plus facile pour un pays d’abandonner l’étalon-or qu’il ne le serait aujourd’hui de quitter l’Union monétaire. Dans ce contexte, cela ne devrait pas être une surprise que les membres de la coalition anti-euro retombent dans un défaitisme des plus éhontés : ils prédisent un désastre et l’impossibilité de maintenir l’Union monétaire, et puis tout de suite après, ils proposent la « solution » de la démanteler immédiatement. Ils vont même aussi loin que de tenir des concours internationaux (au – où d’autre ? – Royaume-Uni, le pays de Keynes et du nationalisme monétaire) dans lesquels des centaines « d’experts » et de cinglés participent, chacun avec sa proposition, pour faire sauter l’Union monétaire européenne de la meilleure et de la plus inoffensive manière.[24]

  1. Les vrais péchés capitaux de l’Europe et l’erreur fatale de la Banque centrale européenne[25]

Personne ne peut nier que l’Union européenne souffre d’un certain nombre de problèmes économiques et sociaux sérieux. Néanmoins, l’euro tant calomnié n’est pas l’un d’entre eux. C’est plutôt le contraire qui est vrai : l’euro agit comme un catalyseur puissant qui révèle la sévérité des problèmes véritables de l’Europe et accélère ou « précipite » l’implémentation des mesures nécessaires pour les résoudre. En fait, aujourd’hui, l’euro contribue plus que jamais à la propagation de la prise de conscience que l’État-Providence européen géant n’est pas soutenable et qu’il a besoin d’être réformé de manière substantielle.[26] La même chose peut être dite des programmes globaux de subventions et d’aides, au sein desquels la politique agricole commune occupe une position centrale, à la fois en termes d’effets très dommageables et de son manque total de rationalité économique.[27]

Par-dessus tout, on peut dire que la culture de l’ingénierie sociale et de la réglementation oppressante, sur le prétexte d’harmoniser la législation des différents pays, fossilise le marché unique européen et l’empêche d’être un marché libre véritable.[28] Maintenant plus que jamais, le véritable coût de tous ces défauts structurels devient évident dans la zone euro : sans une politique monétaire autonome, les différents gouvernements sont forcés de reconsidérer (et quand c’est possible, de réduire) tous les objets de la dépense publique, et de tenter de recouvrer et de gagner de la compétitivité internationale en déréglementant et en accroissant autant que possible la flexibilité de leurs marchés (en particulier celle du marché du travail, qui a traditionnellement été très rigide dans de nombreux pays de l’Union monétaire).

En plus des péchés capitaux évoqués de l’économie européenne, nous devons ajouter un autre, qui est peut-être même plus grave, à cause de sa nature étrange voire sournoise. Nous faisons référence à la grande facilité avec laquelle les institutions européennes, souvent à cause d’un manque de vision, de leadership ou de conviction quant à leur propre projet, se permettent de se confondre dans des politiques qui sur le long terme sont incompatibles avec les exigences d’une monnaie unique et d’un véritable marché unique libre.

D’abord, il est surprenant de noter la régularité croissante avec laquelle les nouvelles mesures réglementaires étouffantes en plein essor sont introduites en Europe à partir du monde universitaire et politique anglo-saxon, en particulier des États-Unis[29], et souvent même lorsque de telles mesures se sont déjà montrées inefficaces ou extrêmement disruptives. Cette influence malsaine est une tradition de longue date. (Rappelons-nous que les subventions agricoles, la législation anti-concurrentielle et les réglementations concernant la « responsabilité sociale des entreprises » ont trouvé leur origine, comme de nombreuses autres interventions manquées, aux États-Unis.) De nos jours de telles mesures réglementaires surgissent de manière répétée et sont renforcées à chaque étape, par exemple en ce qui concerne la supposée « juste valeur marchande » et le reste des normes comptables internationales, ou les tentatives (jusqu’ici manquées, heureusement) de mettre en œuvre les soi-disant accords de Bâle III pour le secteur bancaire et Solvabilité II pour le secteur de l’assurance, qui ont tous les deux souffert de déficiences théoriques insurmontables et fondamentales autant que de sérieux problèmes en relation à leur application pratique.[30]

Un second exemple de cette influence anglo-saxonne malsaine peut être trouvée dans le plan de relance économique européen, que la Commission européenne a lancé à la fin de 2008 sous les auspices du sommet de Washington, avec le leadership d’hommes politiques keynésiens tels que Barack Obama et Gordon Brown, et avec le conseil de théoriciens économiques qui sont des ennemis de l’euro, comme Krugman et d’autres.[31] Le plan recommandait aux pays membres une expansion de la dépense publique autour de 1,5 % du PIB (quelques 200 milliards d’euros à un niveau agrégé). Bien que certains pays, comme l’Espagne, ont fait l’erreur d’accroître leurs budgets, le plan – merci à Dieu et à l’euro, et au grand désespoir des keynésiens et de leurs acolytes[32] – a vite débouché sur rien, une fois qu’il est devenu clair qu’il servait uniquement à accroître les déficits, à entraver la réalisation des objectifs du traité de Maastricht, et à déstabiliser sévèrement les marchés de la dette souveraine des pays de la zone euro.

Encore une fois, l’euro a apporté un cadre disciplinaire et un frein précoce au déficit, à la différence de l’insouciance budgétaire qui a caractérisé les pays victimes du nationalisme monétaire, notamment les États-Unis et en particulier le Royaume-Uni, qui ont fini avec un déficit public de 10,1 % du PIB en 2010 et de 8,8 % en 2011 – qui à l’échelle mondiale était seulement dépassé par la Grèce et l’Égypte. En dépit de ces déficits conséquents et des mesures de relance budgétaire, le chômage au Royaume-Uni et aux États-Unis restent à des niveaux record (ou très élevés), et leurs économies respectives n’ont tout simplement pas redécollé.

Troisièmement, et par-dessus tout, il y a une pression montante pour une union politique européenne totale, que certains suggèrent être la seule « solution » qui pourrait permettre la survie de l’euro sur le long terme. En dehors des « euro-fanatiques », qui trouvent toujours une excuse pour justifier davantage de pouvoir et de centralisme à Bruxelles, deux groupes coïncident dans leur soutien de l’union politique. Un groupe est constitué, de manière paradoxale, des ennemis de l’euro, en particulier ceux d’origine anglo-saxonne : il y a les Américains, qui, aveuglés par le pouvoir centralisé de Washington et conscients que cela ne pourrait peut-être pas être dupliqué en Europe, savent qu’avec leur proposition ils injecteraient un virus mortel pour l’euro qui introduirait une immense discorde ; et il y a les Britanniques, qui font de l’euro un bouc-émissaire (injustifié) sur lequel ils déchargent leurs frustrations (totalement justifiées) d’avoir à subir l’interventionnisme croissant de Bruxelles. L’autre groupe est composé de tous ces théoriciens et de tous ces penseurs qui pensent que seule la discipline imposée par une agence publique centrale peut garantir les objectifs de déficit et de dette publique établis par Maastricht. C’est une croyance erronée. Ce même mécanisme de l’Union monétaire garantit, tout comme l’étalon-or, que les pays qui abandonnent la rigueur budgétaire et la stabilité verront leur solvabilité menacée et seront forcés de prendre des mesures urgences pour rétablir la soutenabilité de leurs finances publiques s’ils ne souhaitent pas suspendre les paiements.

En dépit de ce qui vient d’être dit, le problème le plus sérieux ne repose pas sur la menace d’une union politique impossible, mais sur le fait incontestable qu’une politique d’expansion du crédit effectuée d’une manière soutenue par la BCE durant une période de prospérité économique apparente est capable d’annuler, au moins temporairement, l’effet disciplinaire exercé par l’euro sur les agents économiques de chaque pays. Ainsi, l’erreur fatale de la BCE consiste dans le fait de ne pas avoir réussi à isoler et à protéger l’Europe contre une plus grande expansion du crédit orchestrée à une échelle mondiale par la Réserve fédérale américaine depuis 2001.

Depuis plusieurs années, dans un échec flagrant pour se conformer au traité de Maastricht, la BCE a permis à la masse monétaire M3 de croître de plus de 9 % par an, ce qui excède largement l’objectif de croissance de 4,5 % de l’offre monétaire, un objectif initialement fixé par la BCE elle-même.[33] En outre, bien que cet accroissement était sensiblement moins inconsidéré que celui provoqué par la Réserve fédérale américaine, la monnaie n’était pas répartie uniformément entre les pays de l’Union monétaire, et elle a eu un impact disproportionné sur les pays périphériques (Espagne, Portugal, Irlande et Grèce), qui ont vu leurs agrégats monétaires croître à un rythme beaucoup plus rapide, entre trois et quatre fois plus, que la France ou l’Allemagne. Des raisons variées peuvent être données pour expliquer ce phénomène, de la pression appliquée par la France et l’Allemagne, qui cherchaient une politique monétaire qui ne soit pas trop restrictive pour eux pendant ces années, à la myopie extrême des pays périphériques, qui ne voulaient pas admettre qu’ils étaient au milieu d’une bulle spéculative, comme c’était le cas de l’Espagne, et qui ne pouvaient également pas donner d’instructions catégoriques à leurs représentants au sein du conseil de la BCE pour défendre une conformité stricte aux objectifs de croissance monétaire établis par la BCE elle-même.

En fait, au cours des années qui ont précédé la crise, tous ces trois pays, à l’exception de la Grèce[34], ont respecté facilement les limites de déficit à 3 %, et certains comme l’Espagne et l’Irlande ont même clôturé leurs comptes publics avec de larges excédents.[35] Par conséquent, bien que le cœur de l’Union européenne ait été tenu à l’écart du processus américain d’exubérance irrationnelle, le processus a été répété avec une virulence intense dans les pays européens périphériques, et personne, ou bien très peu de gens, n’a posé un diagnostic correct du grave danger qui guettait.[36]

Si les autorités politiques et universitaires des pays touchés et de la BCE, au lieu d’utiliser les outils analytiques macroéconomiques et monétaristes importés du monde anglo-saxon, avaient utilisé ceux de la théorie autrichienne du cycle économique[37] – qui est après tout le produit de la pensée économique continentale la plus authentique – ils auraient réussi à détecter à temps la nature largement artificielle de la prospérité de ces années, la soutenabilité de la plupart des investissements (notamment en ce qui concerne la croissance du secteur immobilier) lancés à cause du grand assouplissement du crédit, et pour faire vite, ils auraient compris que l’afflux surprenant de la hausse des recettes publiques serait de très courte durée.

Pourtant, bien que dans le cycle le plus récent la BCE n’a pas respecté les critères, dont nous pourrions même qualifier la politique de « grave tragédie », les citoyens européens avaient heureusement le droit d’attendre que la logique de l’euro comme monnaie unique prévale, exposant ainsi les erreurs commises et obligeant tout le monde à reprendre le chemin du contrôle et de l’austérité. Dans la section suivante, nous allons brièvement évoquer la manière spécifique dont la BCE a élaboré sa politique durant la crise et comment et sur quels points cette politique diffère de celle suivie par les banques centrales des États-Unis et du Royaume-Uni.

  1. L’euro face au dollar (et à la livre) et l’Allemagne face aux États-Unis (et au Royaume-Uni)

L’une des caractéristiques les plus frappantes du dernier cycle, qui a abouti dans la Grande Récession de 2008, a été sans doute le comportement différent des politiques monétaires et budgétaires de la zone anglo-saxonne fondées sur le nationalisme monétaire, et celles poursuives par les pays membres de l’Union monétaire européenne. En effet, à partir du moment où la crise financière et la récession économique a frappé en 2007-2008, la Réserve fédérale et la Banque d’Angleterre ont adopté des politiques monétaires qui ont consisté à réduire le taux d’intérêt à presque zéro ; à injecter d’énormes quantités de monnaie dans l’économie (euphémisme connu sous le nom « d’assouplissement quantitatif ») ; et à monétiser de manière continue, directe et sans vergogne la dette publique souveraine à une échelle massive.[38] À cette politique monétaire extrêmement laxiste (pour laquelle les recommandations des monétaristes et des keynésiennes convergent) s’est ajoutée la relance budgétaire puissante impliquée dans le maintien, à la fois aux États-Unis et au Royaume-Uni, de déficits budgétaires proches de 10 % de leur PIB respectif (que les keynésiens les plus récalcitrants, comme Krugman et d’autres, considèrent néanmoins comme loin d’être suffisants).

À la différence de la situation du dollar et de la livre, dans la zone euro, la monnaie ne peut heureusement pas être injectée aussi facilement dans l’économie, et le budget ne peut pas être maintenu indéfiniment dans une telle insouciance et dans une telle impunité. Au moins en théorie, la BCE n’a pas le pouvoir de monétiser la dette publique européenne, et bien qu’elle l’ait acceptée comme garantie pour ses prêts considérables au système bancaire et qu’à partir de l’été 2010, elle ait même commencé sporadiquement à faire des achats directs d’obligations des pays périphériques les plus menacés (Grèce, Portugal, Irlande, Italie et Espagne), il y a certainement une différence économique fondamentale entre le comportement des États-Unis et du Royaume-Uni et la politique suivie par l’Europe continentale : alors que l’agression monétaire et l’insouciance budgétaire sont délibérément entreprises sans vergogne ni réserves dans le monde anglo-saxon, en Europe de telles politiques sont menées à contrecœur, et dans de nombreux cas après de nombreux « sommets » consécutifs sans fin. C’est le résultat de négociations longues et difficiles entre de nombreuses parties, des négociations dans lesquelles les pays avec des intérêts très différents doivent parvenir à un accord.

En outre, ce qui est encore plus important, lorsque de la monnaie est injectée dans l’économie et que le soutien est apporté à la dette des pays qui ont des difficultés, de telles actions sont toujours équilibrées par, et prises en échange de, réformes fondées sur l’austérité budgétaire (et non par des mesures de relance budgétaire) et par l’introduction de politiques de l’offre qui encouragent la libéralisation du marché et la compétitivité.[39] De plus, bien qu’il aurait mieux valu que cela se produise plus tôt, la suspension de facto des paiements par l’État grec, qui a annulé 75 % de sa dette contractée auprès des investisseurs privés qui ont eu à tort confiance dans les avoirs de dette souveraine grecque, a clairement signalé aux marchés que les autres pays en difficulté n’ont pas d’autre alternative que de mener toutes les réformes nécessaires sans délai, avec fermeté et rigueur. Comme nous l’avons déjà vu, même des États comme la France, qui jusqu’ici semblaient intouchables et confortablement nichés dans un État-Providence généralisé, ont perdu la notation de crédit la plus élevée sur leur dette, ont vu leur écart avec l’État allemand se creuser, et se sont retrouvés de plus en plus condamnés à introduire de l’austérité et des réformes de libéralisation pour éviter de mettre en péril ce qui a toujours constitué leur appartenance indiscutable aux intransigeants de la zone euro.[40]

D’un point de vue politique, il est bien évident que l’Allemagne (et en particulier la chancelière Angela Merkel) a un rôle de premier plan pour exhorter tout ce processus de réhabilitation et d’austérité (et contre toutes sortes de propositions maladroites comme celle de l’émission « d’obligations européennes » qui élimineraient les incitations que les différents pays ont à présent d’agir avec rigueur). L’Allemagne doit souvent nager en amont. Car d’un côté, il y a une pression politique internationale constante pour des mesures de relance budgétaire, en particulier de l’administration Obama, qui utilise la « crise de l’euro » comme un écran de fumée pour cacher l’échec de ses propres politiques. Et d’un autre côté, l’Allemagne doit faire face à un rejet et à un manque de compréhension de tous ceux qui souhaitent rester dans l’euro uniquement pour les avantages qu’il offre, pendant qu’ils se rebellent violemment en même temps contre la discipline amère que la monnaie unique européenne impose sur nous tous, en particulier sur la plupart des hommes politiques démagogiques et des groupes d’intérêt privilégiés les plus irresponsables.

En tout cas, afin de donner une illustration qui va exaspérer les keynésiens et les monétaristes, nous devons souligner les résultats très inégaux qui ont été réalisés jusqu’ici avec les politiques américaines de relance budgétaire et « d’assouplissement quantitatif » monétaire en les comparant avec les politiques allemandes de l’offre et d’austérité budgétaire dans l’environnement monétaire de l’euro : déficit public en Allemagne, 1 %, aux États-Unis, plus de 8,2 % ; chômage en Allemagne, 5,9 %, aux États-Unis, près de 9 % ; inflation en Allemagne, 2,5 %, aux États-Unis, plus de 3,17 % ; croissance en Allemagne, 3 %, aux États-Unis, 1,7 %. (Les chiffres pour le Royaume-Uni sont encore pires que ceux des États-Unis.). Le choc des paradigmes et le contraste dans les résultats ne pourrait pas être plus marquant.[41]

  1. Conclusion : Hayek face à Keynes

Tout comme l’étalon-or en son temps, aujourd’hui une légion de gens critiquent et méprisent l’euro pour ce qui est précisément sa principale vertu : sa capacité à discipliner les hommes politiques extravagants et les groupes de pression. De toute évidence, l’euro ne constitue nullement la norme monétaire idéale, qui, comme nous l’avons vu dans la première section, ne peut être trouvée que dans l’étalon-or classique, avec une obligation de réserves à 100 % sur les dépôts à vue, et l’abolition de la banque centrale. Par conséquent, il est assez possible qu’une fois qu’un certain temps aura passé et que la mémoire historique des événements monétaires et financiers récents aura disparu, la BCE pourra recommencer à commettre les graves erreurs du passé, en promouvant et en accueillant une nouvelle bulle d’expansion du crédit.[42] Cependant, nous devons nous rappeler que les péchés de la Réserve fédérale et de la Banque d’Angleterre ont été bien pires encore et qu’au moins en Europe continentale l’euro a mis fin au nationalisme monétaire, et il agit pour les États de l’Union monétaire, même si ce n’est que timidement, comme une « procuration » pour l’étalon-or, en encourageant la rigueur budgétaire et les réformes visant à améliorer la compétitivité, et en mettant un arrêt aux abus de l’État-Providence et de la démagogie politique.

En tout cas, nous devons reconnaître que nous nous trouvons à un carrefour historique.[43] L’euro doit survivre si toute l’Europe veut internaliser, adopter et intégrer la stabilité monétaire allemande traditionnelle, qui en pratique est le seul cadre disciplinaire essentiel à partir duquel, à court terme et à moyen terme, la compétitivité et la croissance de l’Union européenne peuvent être davantage stimulées. À l’échelle mondiale, la survie et la consolidation de l’euro permettront, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l’émergence d’une monnaie capable de concurrencer efficacement le monopole du dollar comme monnaie de réserve internationale, et donc de discipliner la capacité américaine à provoquer de nouvelles crises financières systématiques qui, à l’instar de celle de 2007, mettent constamment en danger l’ordre économique mondial.

Il y a un peu plus de 80 ans, dans un contexte historique très similaire au nôtre, le monde était déchiré entre le maintien de l’étalon-or – et avec lui l’austérité budgétaire, la flexibilité du travail, et un commerce libre et pacifique – et l’abandon de l’étalon-or, qui visait à répandre partout le nationalisme monétaire, les politiques inflationnistes, la rigidité du travail, l’interventionnisme, le « fascisme économique » et le protectionnisme commercial.

Hayek et les théoriciens autrichiens conduits par Mises ont fait un effort intellectuel titanesque pour analyser, expliquer et défendre les avantages de l’étalon-or et le libre-échange, en opposition aux théoriciens qui, conduits par Keynes et les monétaristes, ont choisi de faire sauter les fondements monétaires et budgétaires de l’économie de laissez-faire, qui jusque-là avaient alimenté la Révolution industrielle et les progrès de la civilisation.[44]

À cette occasion, la pensée économique a fini par prendre une route très différente de celle que défendaient Mises et Hayek, et nous sommes tous familiers des conséquences économiques, politiques et sociales qui ont suivi. La conséquence, c’est qu’aujourd’hui, dans le XXIe siècle, le monde est toujours incroyablement affligé par l’instabilité financière, le manque de rigueur budgétaire et la démagogie politique. Pour toutes ces raisons, mais principalement parce que l’économie monde a urgemment besoin de cela, Mises et Hayek méritent enfin à cette occasion[45] de triompher et l’euro (au moins provisoirement, et jusqu’à ce qu’il soit remplacé une fois pour toutes par l’étalon-or) mérite de survivre.[46]

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[1] Les principaux auteurs et les formulations théoriques peuvent être consultées dans Huerta de Soto 2012 [1998].

[2] Ibid., chapitre 9.

[3] F.A. Hayek 1971 [1937].

[4] Bien que Kayek ne les cite pas directement, il fait référence aux théoriciens de l’école de Chicago, conduits par Milton Friedman, qui dans ce domaine comme dans d’autres serrent la main des keynésiens.

[5] Plus tard, nous verrons qu’avec une monnaie unique comme l’euro, le rôle disciplinaire des taux de change fixes est pris par la valeur actuelle du marché de la dette souveraine et de la dette des entreprises de chaque pays.

[6] Pour souligner l’argument de Mises encore plus clairement, je dois indiquer qu’il n’y a aucun moyen d’attribuer correctement à l’étalon-or l’erreur qu’a commise Churchill à la suite de la Première Guerre mondiale, lorsqu’il a fixé la parité-or sans tenir compte l’inflation importante des billets de banque en livre sterling émis pour financer la guerre. Cet événement n’avait rien à faire avec la situation actuelle de l’euro, qui flotte librement sur les marchés internationaux, ni avec les problèmes qui affectent les pays de la périphérie de la zone euro et qui proviennent de la perte de compétitivité réelle dont souffrent leurs économies durant la bulle (Huerta de Soto 2012 [1998], 447, 622–623 dans l’édition anglaise).

[7] En Espagne, les différents économistes autrichiens, dont moi-même, ont pendant des décennies réclamé sans succès l’introduction de ces réformes (et de nombreuses autres) qui ne sont devenues politiquement réalisables que maintenant, et qui ont été faites soudainement, dans une urgence surprenante, en raison de l’euro. Deux observations : tout d’abord, les mesures qui constituent une étape dans la bonne direction ont été souillées par l’augmentation des impôts, en particulier sur le revenu, les revenus du capital mobile et la richesse (voir le manifeste contre l’augmentation des impôts que j’ai signé, avec 50 autres universitaires, en février 2012) ; deuxièmement, les principes de stabilité et d’équilibre budgétaire sont une condition nécessaire mais pas suffisante pour un retour sur le chemin d’une économie durable, puisque dans le cas d’un autre épisode d’expansion du crédit, seuls des excédents budgétaires conséquents durant les années prospères rendront possible, une fois que la récession inévitable se produira, d’éviter les graves problèmes qui nous touchent maintenant.

[8] Pour la première fois, et grâce à l’euro, la Grèce fait face aux défis que son propre futur lui pose. Bien que les keynésiens récalcitrants et les monétaristes blasés ne veulent pas le reconnaître, une déflation interne est possible et n’implique pas de cycle « pervers » si elle est accompagnée par des réformes majeures pour libéraliser l’économie et regagner de la compétitivité. Il est vrai que la Grèce a reçu et reçoit toujours une aide substantielle, mais il n’est pas moins vrai qu’elle a la responsabilité historique de réfuter les prédictions de tous ces prophètes du déclin qui, pour des raisons différentes, sont déterminés à voir l’échec de l’effort grec pour qu’ils puissent maintenir dans leurs modèles l’hypothèse rebattue (et intéressée) que les prix (et les salaires) sont rigides à la baisse (voir également nos remarques dans la note de bas de page 9 sur les effets désastreux de la dévaluation tant vantée de l’Argentine en 2001). Pour la première fois, l’État grec traditionnellement corrompu et en faillite a pris des mesures draconiennes. En deux ans (2010-2011) le déficit public a chuté de 8 points ; les salaires des fonctionnaires ont été réduits de 15 % initialement et encore de 20 % après cela, et leur nombre a été réduit de 80 000 employés et le nombre de conseils municipaux par presque de moitié : l’âge de départ à la retraite a été augmenté ; le salaire minimum a été abaissé, etc. (Vidal-Folch 2012). Cette reconstruction « héroïque » contraste avec la décomposition économique et sociale de l’Argentine, qui a pris la route opposée (keynésienne et monétariste) du nationalisme monétaire, de la dévaluation et de l’inflation.

[9] Nous sommes donc heureusement « enchaînés à l’euro », pour utiliser l’expression appropriée de Cabrillo (Cabrillo 2012). Peut-être que l’exemple contemporain le plus acculé qu’offrent les keynésiens et les monétaristes pour illustrer les « mérites » de la dévaluation et de l’abandon des taux fixes est l’exemple de l’Argentine à la suite du gel des avoirs bancaires (« corralito ») qui s’est produit à partir de décembre 2001. Cet exemple est sérieusement erroné pour deux raisons. D’abord, au mieux, le gel des avoirs bancaires est simplement une illustration du fait qu’un système de banque à réserve fractionnaire ne peut sans doute pas fonctionner sans un prêteur de dernier ressort (Huerta de Soto 2012 [1998], 785–786). Deuxièmement, à la suite de la dévaluation tant vantée, le PIB par habitant de l’Argentine a chuté de 7 726 dollars en 2000 à 2 767 dollars en 2002, perdant ainsi les deux tiers de sa valeur. Cette chute de 65 % de la richesse et du revenu argentins devrait contraindre au silence tous ceux qui de nos jours manifestent grossièrement et violemment, par exemple en Grèce, pour protester contre les sacrifices relativement bien plus faibles et la chute des prix entraînée par la déflation interne saine et inévitable que la discipline de l’euro requiert. En outre, tout le baratin sur les taux de croissance « impressionnants » de l’Argentine, de plus de 8 % par an depuis 2003, devrait très peu voire pas du tout nous impressionner lorsqu’on considère le point de départ extrêmement bas après la dévaluation, autant que la nature chaotique, la paralysie et la pauvreté de l’économie argentine, où un tiers de la population a fini par dépendre des subventions et de l’aide publique ; le taux réel d’inflation excède 30 % ; et la rareté, les restrictions, les réglementations, la démagogie, le manque de réformes et le contrôle gouvernemental, (et l’insouciance) sont devenus comme allant de soi (Gallo 2012). Dans le même, Pierpaolo Barbieri énonce, « Je trouve vraiment incroyable que des commentateurs sérieux comme l’économiste Nouriel Roubini donnent l’Argentine comme modèle pour la Grèce » (Barbieri 2012).

[10] Même le Président de la BCE, Mario Draghi, est allé jusqu’à énoncer expressément que le « modèle social du continent est « révolu » » (Blackstone, Karnitschnig, et Thomson 2012).

[11] Je n’inclus pas ici l’analyse de mon disciple et collègue estimé Philipp Bagus (La Tragédie de l’euro, Paris, L’Harmattan, 2013 [2010]), parce que du point de vue de l’Allemagne, la manipulation à laquelle la Banque centrale européenne assujettit l’euro menace la stabilité monétaire dont l’Allemagne bénéficiait traditionnellement avec le mark. Néanmoins, son argument que l’euro a renforcé des politiques irresponsables via un effet typique de tragédie des biens communs me semble plus faible, car au cours de l’étape de la bulle, la plupart des pays qui ont maintenant des problèmes, avec la seule exception possible de la Grèce, arboraient un excédent de leurs comptes publics (ou en étaient très proches). Ainsi, je crois que Bagus aurait été plus exact s’il avait intitulé son autrement excellent livre La Tragédie de la Banque centrale européenne (et non de l’euro), en particulier à la lumière des graves erreurs commises par la Banque centrale européenne durant la période de la bulle, des erreurs que nous étudierons dans une section plus tardive de cet article (merci à Juan Ramón Rallo pour m’avoir suggéré cette idée).

[12] La ligne éditoriale du journal espagnol défunt Público était paradigmatique en ce sens. (Voir également par exemple l’exemple de Estefanía 2011, et de sa critique de la réforme susnommée de l’article 135 de la Constitution espagnole pour établir le principe « anti-keynésien » de stabilité et d’équilibre budgétaire.)

[13] Voir par exemple les déclarations du candidat socialiste pour la présidence française, pour qui « le chemin de l’austérité est inefficace, mortel et dangereux » (Hollande 2012), et celles de la candidate d’extrême droite Marine Le Pen, qui pense que les Français « devraient revenir au franc et amener la période de l’euro à sa fin une fois pour toutes » (Martín Ferrand 2012).

[14] Un exemple parmi de nombreux articles est celui de Krugman 2012 ; voir également Stiglitz 2012.

[15] Le déficit public américain a résisté à entre 8,2 et 10 % sur les trois dernières années, en contraste avec le déficit allemand, qui était de seulement 1 % en 2011.

[16] Une explication récente de la théorie autrichienne du cycle peut être trouvée dans Huerta de Soto 2012 [1998], chapitre 5.

[17] Skidelsky 2011.

[18] Une légion d’économistes appartiennent à ce groupe, et la plupart d’entre eux (surprise, surprise !) viennent d’une zone dollar-livre. Parmi d’autres dans ce groupe, je pourrais mentionner par exemple Robert Barro (2012), Martin Feldstein (2011) et le conseiller du Président Barack Obama, Austan Goolsbee (2011). En Espagne, bien que pour des raisons différentes, je pourrais citer des économistes éminents comme Pedro Schwartz, Francisco Cabrillo, et Alberto Recarte.

[19] Mundell 1961.

[20] Block 1999, 21.

[21] Voir l’analyse excellente de Whyte (2011) des dégâts sérieux que cause la dépréciation de la livre au Royaume-Uni ; et quant aux États-Unis, voir Laperriere 2012.

[22] Huerta de Soto 2012 [1998].

[23] « L’euro, comme monnaie d’une zone économique qui exporte davantage que les États-Unis, qui a des marchés financiers bien développés, et qui est soutenue par une banque centrale de calibre international, est à de nombreux égards l’alternative évidente au dollar. Bien qu’il soit actuellement à la mode de formuler des discussions sur un euro condamné, le fait que l’euro compte pour 37 % du marché des changes renverse cette vision. Il compte pour 31 % de toutes les émissions obligataires internationales. Il représente 28 % des réserves de change dont la composition monétaire est divulguée par les banques centrales » (Eichengreen 2011, 130). Guy Sorman, de son côté, a commenté « l’attitude ambiguë des experts financiers et des acteurs américains. Ils n’ont jamais aimé l’euro, car par définition, l’euro concurrence le dollar : suivant les ordres, les supposés experts américains nous ont expliqué que l’euro ne pouvait survivre sans un gouvernement économique central et un système fiscal unique » (Sorman 2011). En bref, il est clair que les champions de la concurrence entre les monnaies devraient diriger leurs efforts contre le monopole du dollar (par exemple en soutenant l’euro) plutôt que de défendre la réintroduction et la concurrence entre des « petites monnaies locales » d’importance mineure (le drachme, l’escudo, la peseta, la lire, la livre, le franc et même le mark).

[24] Tel est le cas, par exemple, du concours tenu au Royaume-Uni par Lord Wolfson, le propriétaire des magasins Next. Jusqu’à maintenant, ce concours n’avait attiré pas moins que 650 « experts » et cinglés. Si ce n’était pour l’hypocrisie crasse et évidente de telles initiatives, qui sont toujours tenues en dehors de la zone euro (et en particulier dans le monde anglo-saxon par ceux qui craignent, haïssent ou méprisent l’euro), nous devrions saluer le grand effort et l’intérêt montré dans le sort d’une monnaie qui, après tout, ne leur appartient pas.

[25] Il pourrait être intéressant de noter que l’auteur de ces lignes est un « eurosceptique » qui maintient que la fonction de l’Union européenne devrait être limitée exclusivement à garantir la libre circulation des personnes, du capital et des biens dans un contexte de monnaie unique (si possible l’étalon-or).

[26] J’ai déjà mentionné, par exemple, les changements législatifs récents qui ont retardé l’âge de départ à la retraite à 67 ans (et même l’ont indexé aux futures tendances de l’espérance de vie), changements qui ont déjà été introduits ou qui sont sur le point de l’être en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Portugal et en Grèce. Je pourrais aussi citer l’établissement d’une « franchise » et l’accroissement des zones de privatisation en lien avec le système de santé. Ce sont des petites étapes dans la bonne direction qui, à cause de leur coût politique élevé, n’auraient pas été prises dans l’euro. Elles contrastent également avec la tendance opposée indiquée par la réforme de santé de Barack Obama, et avec la résistance évidente au changement lorsqu’il s’agit de s’attaquer à la réforme inévitable du Service de santé national britannique (National Health Service, NHS).

[27] O’Caithnia 2011.

[28] Booth 2011.

[29] Voir par exemple “United States’ Economy: Over-regulated America: The home of laissez-faire is being suffocated by excessive and badly written regulation,” The Economist, 18 février, 2012, p. 8, et les exemples cités ici.

[30] Huerta de Soto 2003 et 2009.

[31] Sur le soutien hystérique des mesures grandioses de relance budgétaire de cette période, voir Fernando Ulrich 2011.

[32] Krugman 2012, Stiglitz 2012.

[33] Spécifiquement, la hausse moyenne de la masse monétaire M3 dans la zone euro entre 2000 et 2011 a dépassé 6,3 %, et nous devrions souligner les augmentations qui se sont produites lors des années de bulle en 2005 (de 7 à 8 %), 2006 (de 8 à 10 %), et 2007 (de 10 à 12 %). Les données ci-dessus montrent que comme nous l’avons déjà indiqué, l’objectif de zéro déficit, bien que louable, est une condition nécessaire mais insuffisante pour assurer la stabilité : durant la phase expansionniste du cycle induite par l’expansion du crédit, les engagements de dépense publique peuvent être basés sur une tranquillité fausse qui génère des excédents ; pourtant lorsque se produit la récession inévitable, ces engagements sont totalement insoutenables. Cela démontre que l’objectif de zéro déficit requiert également une économie qui ne soit pas sujette aux hauts et aux bas de l’expansion du crédit, ou au moins que les budgets soient clôturés avec des excédents bien plus larges durant les années expansionnistes.

[34] Par conséquent, la Grèce serait le seul exemple auquel nous pourrions appliquer l’argument de la tragédie des biens communs que Bagus (2010) développe à propos de l’euro. À la lumière du raisonnement que j’ai présenté dans le texte et que j’ai déjà mentionné, je crois qu’un titre plus approprié pour l’ouvrage remarquable de Bagus, La Tragédie de l’euro, devrait être La Tragédie de la Banque centrale européenne.

[35] Les excédents en Espagne étaient les suivants : 0,96 %, 2,02 %, et 1,90 % en 2005, 2006, et en 2007 respectivement. Ceux de l’Irlande étaient de 0,42 %, 1,40 %, 1,64 %, 2,90 % et 0,67 % en 2003, 2004, 2005, 2006 et 2007 respectivement.

[36] L’auteur de ces lignes pourrait être cité à titre d’exception (Huerta de Soto 2012 [1998], xxxvii).

[37] Ibid.

[38] À cette époque (2011_2012), la Réserve fédérale achète directement au moins 40 % de toute la dette publique américaine nouvellement émise. Une déclaration similaire peut être faite à propos de la Banque d’Angleterre, qui est la détentrice directe de 25 % de toute la dette publique souveraine du Royaume-Uni. En comparaison de ces chiffres, la monétisation (directe et indirecte) appliquée par la Banque centrale européenne semble être un « jeu d’enfant » innocent.

[39] Luskin et Roche Kelly se sont même référés à la « révolution de l’offre de l’Europe » (Luskin et Roche Kelly 2012). Également très significatif est le « plan pour la croissance en Europe », qui était préconisé le 20 février 2012 par les dirigeants de 12 pays de l’Union européenne (incluant l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas, la Finlande, l’Irlande et la Pologne), un plan qui comprenait uniquement des politiques de l’offre et ne mentionnait aucune mesure de relance budgétaire. Il y a également le manifeste « Initiative pour une Europe libre et prospère » signé à Bratislava en janvier 2012 par, entre autres, l’auteur de ces lignes. En résumé, un changement de modèles semble une priorité dans des pays qui, comme l’Espagne, doivent évoluer d’une économie spéculative « chaude » basée sur l’expansion du crédit à une économie « froide » basée sur la compétitivité. En effet, aussi longtemps que les prix déclinent (« déflation interne ») et que la structure des prix relatifs est réajustée dans un environnement de libéralisation économique et de réformes structurelles, de nombreuses opportunités pour le profit entrepreneurial émergent des investissements soutenables, qui, dans une zone monétaire aussi extensive que la zone euro, vont attirer des financements. Cela ainsi qu’il faut provoquer la réhabilitation nécessaire et assurer la reprise tant attendue de nos économies, une reprise qui encore une fois devrait être froide, durable et basée sur la compétitivité.

[40] Dans ce contexte, et comme je l’ai expliqué dans la section dévouée à la « coalition hétéroclite anti-euro », nous ne devrions pas être surpris par les déclarations des candidats à la présidence française, qui sont mentionnées dans la note de bas de page 13.

[41] Données estimées à partir du 31 décembre 2011.

[42] Ailleurs j’ai mentionné les réformes incrémentales qui, comme la séparation radicale entre les banques commerciales et les banques d’investissement (comme dans la loi Glass-Steagall), pourraient améliorer l’euro quelque peu. Dans le même temps, c’est au Royaume-Uni où, de manière paradoxale (ou non, à la lumière des préjudices sociaux dévastateurs qui ont résulté de sa crise bancaire), mes propositions ont suscité le plus d’intérêt, au point qu’une loi a même été présentée au Parlement britannique pour compléter le Bank Charter Act de Peel en 1844 (curieusement toujours en vigueur) en étendant l’obligation de 100 % de réserves aux dépôts à vue. Le consensus atteint ici de séparer la banque commerciale et la banque d’investissement devrait être considérée comme une étape (très insuffisante) dans la bonne direction (Huerta de Soto 2010 et 2011).

[43] Mon oncle par mariage, l’entrepreneur Javier Vidal Sario de Navarre, qui reste parfaitement lucide et actif à l’âge de 93 ans, m’assure que dans toute sa vie, il n’a jamais vu, même lors des années du plan de stabilisation en 1959, un tel effort collectif vers la disciplinaire budgétaire et institutionnelle et la réhabilitation économique. Le fait que cet effort ne se produit également pas dans un seul pays (par exemple l’Espagne), ni par rapport à une monnaie locale (par exemple l’ancienne peseta), mais est davantage répandu à travers toute l’Europe, et est réalisé par des centaines de millions de personnes dans le cadre d’une unité monétaire commune (l’euro), est historiquement significatif.

[44] Dès 1924, le grand économiste américain Benjamin M. Anderson écrivait : « La vie économique, une politique financière prudente, la réduction plutôt que la création de dettes – toutes ces choses sont impératives si l’Europe veut être restaurée. Et toutes ces choses sont consistantes avec un niveau de vie grandement amélioré en Europe, si l’activité réelle veut être relancée une fois de plus. L’étalon-or, ainsi que les taux d’escompte et les taux d’intérêt naturels, peuvent apporter le fondement le plus solide possible pour un tel cours des événements en Europe. Clairement, une fois de plus, l’histoire se répète (Anderson 1924). Je suis reconnaissant à mon collègue Antonio Zanella pour avoir porté mon attention à cet extrait.

[45] En outre, cette situation historique est maintenant revisitée dans toute sa sévérité en Chine, dont l’économie est à ce temps sur le bord d’un effondrement expansionniste et inflationniste. Voir “Keynes versus Hayek in China,” The Economist, 30 décembre 2011.

[46] Comme nous l’avons déjà vu, Mises, le grand défenseur de l’étalon-or et de la banque libre à 100 % de réserves, dans les années 1960, est entré en collision frontale avec les théoriciens qui, menés par Friedman, soutenaient des taux de change flexibles. Mises dénonçait le comportement de son disciple Machlup, quand ce dernier avait abandonné la défense des taux de change fixes. Maintenant, 50 ans après et à cause de l’euro, l’histoire se répète encore. À cette occasion, les avocats du nationalisme monétaire et de l’instabilité des taux de change ont gagné, avec les conséquences que l’on connaît. Cette fois-ci, rappelons-nous que la leçon a été apprise et que les idées de Mises vont prévaloir. Le monde en a besoin et le mérite.

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