Finkielkraut met en doute la thèse de Michéa

Jean-Claude Michéa était l’invité d’Alain Finkielkraut dans son émission Répliques du 02/06/2012 pour présenter son dernier livre Le complexe d’Orphée.

2012.06.02 Jean-Claude Michéa, Le complexe d’Orphée

J.C. Michéa développe l’idée que le libéralisme, dans sa logique propre et non dans ses principes, conduirait à un monde sans limites ni frontières, contraire aux intentions des premiers libéraux. C’est ce qu’il appelle la “logique libérale”. Le libéralisme produirait quelque chose qui finirait par lui échapper : la libération des pulsions et des passions, le nihilisme moral et culturel.

La pensée des premiers libéraux (selon Michéa) est que le gouvernement des hommes n’exigerait aucun modèle de la vie bonne et pourrait être remplacé par l’administration des choses, le marché. Cette intuition originelle aboutirait au monde dans lequel nous vivons, un monde relativiste, où tout se vaut, où aucune valeur n’est au dessus des autres, où il n’y a ni morale ni « common decency » qui puisse poser légitimement des limites. L’économie et le marché tiendraient lieu de morale… Le projet d’une société axiologiquement neutre, dans laquelle le gouvernement des hommes céderait la place à l’administration des choses, serait l’axe fondateur de la logique libérale, une logique qui aboutit au monde actuel.

Partant de là, Michéa plaide pour un conservatisme de gauche, un socialisme non progressiste (Orwell) : transmission de valeurs communes, respect pour le passé et pour la tradition.

Finkielkraut, s’il est d’accord avec le constat d’un vide moral et culturel de nos sociétés, conteste néanmoins la généalogie de Michéa. Et c’est là que l’émission devient fort intéressante. En effet, explique Finkielkraut, il y a une autre logique qui se déploie sous nos yeux : la logique démocratique si bien analysée par Tocqueville et de nos jours par Pierre Manent. La démocratie est en principe un régime politique. Mais sa logique d’égalisation, de passion du semblable, conduit les hommes à refuser toute forme d’inégalité, de discrimination ou de différence. Dès lors, tout se vaut, le maître comme l’élève, le  père comme le fils, le bien comme le mal, le beau comme le laid etc. Il faut prendre acte d’une démocratie généralisée, une démocratie sortie de son ordre propre et appliquée à toutes les sphères de la société.

Or c’est cette logique politique du “tout égal” (la fameuse égalité réelle) qui détruit la décence et les valeurs communes et non l’économie de marché ou la liberté individuelle. Dans cette perspective, il n’y a pas de triomphe du libéralisme mais bien plutôt un effacement du libéralisme originel.

On peut ajouter à la critique fort pertinente de Finkielkraut, que l’erreur de Michéa est de ne pas considérer l’importance du droit naturel. Or il existe chez les libéraux classiques et contemporains (libertariens) une tradition de défense du droit naturel, non pas de manière théologique mais par la Raison. La Raison permet aux hommes de dégager une éthique objective et universelle. Le libéralisme est donc fondamentalement moral en ce qu’il veut respecter l’homme dans sa dignité. Pas une dignité concédée par l’État (sous condition) mais une dignité inhérente à sa nature, inconditionnelle.

Enfin, outre sa vision faussée du marché, Michéa semble ignorer que pour les libéraux la société civile est le lieu par excellence de la transmission des valeurs. Or, l’État centralisateur a été le fossoyeur de la société civile depuis l’anticléricalisme du XIXe siècle, le monopole de la Sécurité Sociale contre les sociétés de secours mutuels, le monopole de l’éducation contre le pluralisme scolaire etc. Cela, Michéa n’en parle évidemment jamais. Il occulte la croissance monstrueuse de l’État et sa logique de destruction de  la société civile

Dans une société libre l’État serait restreint à l’administration des droits. Par conséquent, il ne disposerait pas d’un système de protection sociale obligatoire, il ne ferait pas de lois anti-trust, ni de plans d’occupation des sols, ni de lois anti-drogue. Mais cela ne signifie pas qu’une société libre n’aurait pas de valeurs communes, ni d’assurance chômage ou de pension de retraite, ou qu’elle ne ferait pas de campagnes publiques visant à réduire l’usage de stupéfiants. Dans une société libre, les gens qui voudraient ces choses décideraient de les réaliser par des contrats individuels et des associations libres. Et personne ne tenterait de faire valoir ses préférences sur les autres par la violence de l’État.

7 Réponses

  1. Charotangi

    Comme même fou de nier la loi du plus fort qui empêche justement les dynamiques individuelle. L’état n’est pas parfait mais son but dans les lois anti-trust est de favoriser la création de chacun. Avec le succès de notre sécurité sociale qui ne consacre que 5% des primes en “gestions administratives” tandis que c’est 25 % (et même plus) aux USA dans les compagnies privés, voilà l’évidence que philosopher sur l’économie mène à des aberrations. Dans certains contextes, c’est très pragmatique de penser libéral mais dans d’autres pitié.

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    • Romain Hery

      C’est quand même l’État qui maintient tous les monopoles que l’on connait : Poste, sncf, monnaie, sécurité, avant les télécoms, le transport aérien etc. Pour contraster en Allemagne il y a 3 services postaux privés sur le territoire.
      Aucun monopole (qui n’est pas été protégé par la loi) n’a duré et ce n’est pas grâce au gouvernement mais grâce à la dynamique du marché et des entrepreneurs.

      Ensuite je viendrais bien entendu nuancer (le mot est faible) le “succès” de la sécurité sociale, qui gaspille énormément de ressources car incapable d’équilibrer un budget, et qui vole 2000€ par mois aux smicards, si ça c’est de du “succès” … Le déficit expliquerait aussi pourquoi il n’y ait que si peu de primes… Parce qu’elle n’en a pas les moyens.

      Aux USA les compagnies sont certes privées, mais pas sur un marché libre, parce que les oligopoles ça prend racine avec la réglementation.

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  2. Chibounidia

    Bravo pour l’article. Comme d’habitude, on se dit qu’il est vraiment dommage que Finkielkraut ne connaisse pas (et ne cherche pas à connaître) la pensée libérale contemporaine, car sinon ce ne seraient pas seulement quelques objections qu’il opposerait à Michéa ! Voir //fr.liberpedia.org/Jean-Claude_Mich%C3%A9a

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  3. Didier

    Vous n’avez pas lu Michea. Il défend l’idée que les deux faces du libéralisme sont l’économisme basé sur le marché qui résout tous les problèmes humains et sur le socialisme qui aménage les aspects brutaux du marché par des aménagements sociétaux. Le tout se base sur une vision fort pessimiste de l’homme. C’est un loup pour l’homme.

    Cette idée a été mise en place à la suite des guerres de religion qui ont montré l’impossibilité de faire vivre ensemble des hommes de religions différentes. Il fallait avoir un autre paradigme. La science naissante du XVII a fourni cette nouveauté. Si les relations humaines peuvent être “scientisées” comme la nature l’a été par la physique, il devient possible de traiter les hommes de la même manière sans faire de discrimination.

    Cela inclut la thèse de Finkelkraut. Sa démocratie politique qui égalise tout rentre sans toucher les bords dans la théorie de la science des relations humaines établie depuis le XVIIe. Quoi de plus égalitaire et de moins discriminant que la loi de la gravitation. La démocratie en devient “se soumettre” aux lois de la nature.

    Les lois naturelles que vous avez l’air de négliger servent de base à la vision que Michea a du libéralisme. Il refuse (et je suis d’accord avec lui) de croire que les lois humaines sont celles de la physique. Vous, les libéraux, le croyez. Vous croyez que si les humains acceptent l’état de la nature, le bonheur, la prospérité etc… arriveront automatiquement. Le hiatus grave est que je peux me raconter des histoires. Cela n’est pas de la physique. Vous le pouvez aussi. Ce n’est pas non plus de la physique mais, pour faire court, vous le croyez.

    Finkelkraut, les socialistes et leurs opposants entrent dans la vision de Michéa du monde actuel sans y faire une bosse. Vous dites le contraire. Vous n’avez donc pas lu Michea.

    Vous devriez.

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    • Damien Theillier

      Vous dites : “le marché qui résout tous les problèmes humains”… c’est faux, d’entrée de jeu. Personne n’a jamais dit ça. Aucun penseur libéral censé ne dit cela.
      Vous dites : “Le tout se base sur une vision fort pessimiste de l’homme. C’est un loup pour l’homme.” Oui, ça c’est la vision de Hobbes (et de Joseph de Maistre, soit-dit en passant), mais pas du tout celle des libéraux. Car l’erreur de Michea, c’est de faire de Hobbes le père du libéralisme.

      Partant de prémisses aussi fausses, comment voulez-vous qu’on prenne la peine de lire le reste de votre diatribe ? Tout tombe à l’eau…

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  4. Della monica giovanni

    Merci monsieur Michel pour votre expose sur le libéralisme ,on voit le pedago de terrain dans le temps en primaire j avais un institut de votre trempe
    En parlant de trempe je pense a ostovski ce communiste romantique qui a cru aux valeurs dont vous faites part
    J ai bien aime la guitare de Georges Brassens
    Pourquoi pas la kalachnikov pour Tocqueville car tout le monde cache que c était un colonialiste de la pure espèce
    Son expose sur les indigènes de l Algérie je crois que je vous apprend rien
    Pour creuser plus loin lisez hugo matei plunder lui aussi s attaque aux droits de l homme c est un specialiste du droit internatinal
    Bon j arrêté en chantant les copains d abord
    Au plaisir de vous lire sur d autre sujet que la philo on a besoin de sortir de l’Agora de Platon et de ses potes avec son allégorie de la connerie

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