Frédéric Passy – Discours contre la colonisation française au Tonkin

Les habitants du Tonkin ont leur pays, leurs terres, leur nationalité, à laquelle ils tiennent comme nous-mêmes aux nôtres. Ce n’est pas, de plus, par la force du canon ou sur des ruines fumantes qu’on bâtit la prospérité commerciale, et l’on n’échange pas fructueusement avec un peuple qu’on terrorise, qu’on pille méthodiquement après l’avoir violenté, et dont la clientèle nous coûte des millions. Si la nature, enfin, n’a pas permis que toutes les cultures puissent être entreprises partout, c’est pour forcer l’humanité à coopérer ; ce n’est pas pour que deux ou trois peuples parmi tous les opèrent de leurs mains sous toutes les latitudes, dans des pays dont le climat leur est hostile, et où, sans adaptation, ils languissent et ils meurent.

L’abbé de Saint-Pierre, par Gustave de Molinari (1857)

Pour les libéraux qui, au milieu du XIXe siècle, organisent en Europe la propagande de la paix, l’abbé de Saint-Pierre fait partie des figures notables que l’on se plaît à citer et avec qui l’on revendique une lointaine parenté. Mais devant la difficulté de dégager concrètement le programme du pacifisme, Gustave de Molinari comprend qu’un précurseur doit être davantage qu’une ombre, et il fait le pari de questionner en détail ce pionnier du pacifisme. Dans ce qui fut alors la première étude d’envergure sur l’abbé de Saint-Pierre, Molinari accomplit le projet de résumer l’ensemble de la production, très riche et variée, de ce philosophe et moraliste « papillonneur ». S’engage alors un dialogue entre deux figures et deux moments du libéralisme et du pacifisme, pour le plus grand profit d’une autre, plus lointaine époque : la nôtre.

Réflexions sur le journalisme libéral, à propos de «Contrepoints»

Le journalisme libéral est un métier exigeant. Il est très difficile de le faire seul, et déjà assez risqué de s’y aventurer avec une belle équipe de rédacteurs aguerris. La ligne éditoriale est une question de mesure : la rigueur absolue est impraticable, et le journaliste intelligent sait « mettre de l’eau dans son vin » sans se renier ; mais l’ouverture aussi doit avoir ses bornes, car sans cela l’identité propre du journal serait perdue de vue. Elle dépend aussi de l’état du marché, du nombre et de la qualité des contributeurs potentiels, et des idées du consommateur. On peut être innovateur, et aussi on peut ne pas l’être. Mais il faut toujours avoir des capacités managériales, au-delà même du journalisme pur, car la production de cette denrée immatérielle qui s’appelle une idée, ou en pratique un article, un journal, requière la collaboration de multiples personnes, qu’il faut savoir conduire.

Gustave de Beaumont – L’Irlande politique, sociale et religieuse

Au siècle de la démocratie montante — dont Gustave de Beaumont, comme son ami Tocqueville, analyse et guide tout à la fois la marche — deux grands phénomènes frappent la vue. C’est, en Amérique, l’esclavage et le racisme, qui préparent pour les futures générations des embarras communs à toutes les tyrannies, sur une terre où l’on aurait pu vivre d’emblée libres et égaux. C’est encore, en Irlande, une aristocratie étrangère et au culte différent, qui tient la masse du peuple sous le joug, sans se mêler à elle. Aussi, après avoir consacré un roman fameux, Marie (1835), au sort des esclaves émancipés aux États-Unis, Gustave de Beaumont publia sur l’Irlande deux volumes importants, qui faisaient suite à ses études sur place, en 1835 et 1837. Contre l’aristocratie, la persécution religieuse, l’oppression d’un peuple sur un autre, dont il présente les maux avec chaleur, Beaumont fait valoir les enseignements du libéralisme, auquel il joint, selon sa personnalité, une grande portée morale et une signification profonde de justice.

Gustave de Molinari – La morale économique

Parti à la recherche des fondements de la morale d’après les principes du libéralisme, Gustave de Molinari aboutit à l’explication des droits et des devoirs de l’homme sur des aspects fort divers, comme l’union matrimoniale, la parentèle, ou même vis-à-vis du règne animal. Avec l’audace qui le caractérise, il retrace l’histoire de la civilisation et la transformation des conceptions morales, jusqu’à l’avenir dont il s’attache aussi à présenter les menaces et les potentialités.

Gustave de Molinari – Religion

La religion a toujours été un point de tension dans le libéralisme français. Tandis que les Idéologues, Jean-Baptiste Say, Yves Guyot — pour citer les plus célèbres — donnaient au public leurs doutes ou leurs sarcasmes, tout au contraire, Benjamin Constant décrivait le sentiment religieux comme inaltérable et Frédéric Bastiat présentait la liberté comme un acte de foi en Dieu. Pour Gustave de Molinari aussi, le bilan des religions et positif, et les croyances sont nécessaires, ainsi qu’il l’explique dans ce petit livre.

Yves Guyot – Étude sur les doctrines sociales du christianisme

La religion a toujours été un point de tension dans le libéralisme français. Tandis que Benjamin Constant décrivait le sentiment religieux comme inaltérable, que Frédéric Bastiat présentait la liberté comme un acte de foi en Dieu, et que Gustave de Molinari parlait du bilan positif des religions et de la nécessité des croyances, Yves Guyot se rattachait délibérément à un autre courant. Dans ce petit livre, publié initialement en 1873, il trace un portrait très noir de Jésus, raconte ses exploits avec scepticisme et médisance, et finit par dresser l’acte d’accusation du christianisme, religion d’abaissement de l’homme.

Gustave de Molinari – La viriculture

En 1897, les craintes sur le ralentissement de la natalité se faisant de plus en plus entendre, Gustave de Molinari décide de participer à la discussion publique en examinant les causes économiques de la reproduction humaine. Dans ce curieux livre, il étudie donc le contrôle de l’appétit sexuel aux différents âges de l’humanité, et les effets que promettent l’immigration ou le croisement des races sur la quantité et la qualité de la population. Repoussant les solutions étatistes ou autoritaires, il fonde toute son espérance sur la liberté, l’opinion publique et la science.

Pierre de Boisguilbert (1646-1714)

La tradition libérale française se résume essentiellement dans une expression : laissez-faire, qui n’est pas seulement une harangue, une protestation, mais une théorie fondée sur l’observation des faits et l’analyse de l’enchaînement des causes et des effets. Historiquement, le Normand Pierre de Boisguilbert en est son premier théoricien. Dans ses mémoires manuscrits et dans ses ouvrages publiés, il démontre que les richesses s’accroissent naturellement parmi le peuple, et coulent jusqu’au Trésor public pour les besoins de l’État, « pourvu qu’on laisse faire la nature, c’est-à-dire qu’on lui donne sa liberté, et que qui que ce soit ne s’en mêle que pour y procurer de la protection et empêcher la violence. » (Factum de la France, 1707 ; Écrits économiques, t. I, p. 177). Car telle est la conclusion inlassable qu’il indique aux ministres avec lesquels il peut s’honorer d’entretenir une correspondance, et qu’il fatigue pendant vingt ans de ses projets mirobolants : tout son système, toute la réforme qu’il préconise, revient, dit-il, non pas à agir, mais à « cesser d’agir ». (Lettre au contrôleur-général Chamillart, 14 janvier 1706 ; Écrits économiques, t. II, p. 91.)

Réconcilier les irréconciliables

Solutionner les haines nationales, raciales, religieuses, peut se faire en s’appuyant sur le témoignage de l’histoire. Plusieurs auteurs de la tradition libérale française ont œuvré, en leur temps, à la réconciliation entre catholiques irlandais et anglicans, entre Noirs et Blancs aux États-Unis, notamment, et peuvent nous fournir des idées.

Œuvres de Nicolas Baudeau – Volume 1 : Premiers travaux (1759-1765)

Nicolas Baudeau (1730-1792) est un physiocrate oublié, qui a pourtant joué un rôle considérable dans l’ « école », et dans le développement de la pensée économique en France au XVIIIe siècle. Fondateur des Éphémérides du Citoyen, et auteur de multiples brochures, il a défendu un libéralisme économique radical tout en restant fidèle à l’humanisme chrétien qui l’animait depuis ses plus jeunes années. — Dans le premier volume des ses Œuvres sont compilés ses travaux sur l’histoire, la fiscalité, le commerce, le soulagement de la pauvreté, qui précèdent le lancement des Éphémérides et sa conversion à la physiocratie.

Édouard Laboulaye – Histoire politique des États-Unis (3 volumes)

Pour fonder la liberté en France, étudier l’Amérique peut servir : non sans doute pour copier servilement un modèle qu’on répliquerait sans l’entendre, mais pour y chercher des exemples, des leçons. C’est l’entreprise que Tocqueville a accompli avec la Démocratie en Amérique, et à laquelle Édouard Laboulaye, animé par les mêmes préoccupations et les mêmes convictions libérales, a aussi participé, sans atteindre à la même célébrité. Dans les trois volumes de ses leçons américaines données au Collège de France, il étudie tour à tour les premières colonies américaines, les faits de la révolution, et la constitution. Avec un esprit critique et de synthèse, il raconte les espoirs d’une société fondée sur la liberté et le droit, qu’il est toujours question, aujourd’hui, de rendre réalité.

L’assimilation est-elle un concept anti-libéral ?

« L'assimilation a le grave défaut de s’opposer à la nature de l’homme. La nature a voulu l’inégalité : les individus naissent inégaux, leurs expériences de vie sont différentes, et les instruments par lesquels ils produisent leurs émotions et leurs idées, sont différents. (Ch. Dunoyer, Nouveau traité, etc., 1830, t. I, p. 92-93) On n’est pas maître d’aimer la musique de la majorité, ou les plats dont se régale la majorité, par un simple acte de la volonté. (G. de Molinari, Conversations sur le commerce des grains, 1855, p. 159 et suiv.) Tocqueville était convaincu de l’importance de la religion, mais il n’était pas libre de croire ce qu’il ne croyait pas. »

Le libéralisme est-il intrinsèquement l’adversaire des frontières ?

« Il ne faut pas se bercer d’illusions, ni proposer des chimères. L’immigration a ses inconvénients, si elle a ses avantages. Mais défendre la liberté de déplacement fait partie de notre héritage, et doit faire notre fierté. Sa reformulation au XXIe siècle doit faire l’objet de nos vœux et de nos travaux. C’est un drapeau que nous ne devons pas abandonner, quand déjà tous l’abandonnent. »

À quoi sert une constitution ?

« Si nous revenons aux auteurs, nous comprenons qu’une constitution est un acte politique essentiellement libéral. Ce n’est pas pour célébrer les vertus d’un État divin qu’on la compose et qu’on l’enregistre, mais tout au contraire par défiance, et pour protéger les droits individuels. (Œuvres complètes de Benjamin Constant, t. I, p. 502) Par conséquent, son langage et sa teneur doivent se ressentir de ce but : il faut y inscrire nettement les bornes du pouvoir, ses vraies attributions, et les droits politiques et individuels qu’on reconnaît et garantit ; mais il ne faut pas y ajouter des dispositions de détail, qui sortent de ce cadre. (Idem, t. XIII, p. 514) »

Laissez faire et laissez parler

Sans doute chacun a le droit d’offrir à autrui le véhicule qu’il souhaite pour sa pensée. S’il s’écarte trop de l’acceptable, il n’est pas compris : son langage est alors comme une marchandise qui ne trouve pas de débit. Mais dans ces bornes sa liberté est complète. Certes, celui qui se promène dans un costume traditionnel africain ou asiatique en plein centre d’une grande métropole occidentale, s’attire des regards : mais n’est-il pas libre ? Et n’est-ce pas de même sa liberté que de prononcer ou d’écrire une langue donnée à sa façon, pourvu qu’il obtienne que les autres le comprennent ?

Jean-Baptiste Say – Traité d’économie politique (1ère édition – 1803)

Avec la première édition de son Traité d’économie politique, parue en 1803, Jean-Baptiste Say a accompli une petite révolution. Non seulement il a organisé méthodiquement la science économique et a corrigé les erreurs conceptuelles d’Adam Smith et des physiocrates ses prédécesseurs, mais il a ouvert des perspectives nouvelles. En décrivant le protectionnisme comme une spoliation, où quelques-uns s’enrichissent aux dépens de la masse des consommateurs, il a préparé l’œuvre de Frédéric Bastiat. En parlant le premier en termes économiques de l’industrie de l’homme d’État, du juge, etc., il a légué une audace de langage dont Gustave de Molinari, par exemple, tira profit, avec son idée de la production de la sécurité et de l’industrie concurrentielle des gouvernements. Or tout ceci est déjà dans la première édition de 1803. C’est donc un ouvrage classique et influent, qui est ici réédité.

Gabriel-François Coyer – Chinki (Collection jeunesse)

Court roman défendant la liberté du travail, le Chinki de l'abbé Coyer, paru en 1768, connut en son temps un véritable succès. Parce qu'il résumait de manière simple et humoristique les critiques adressés par les économistes à l'encontre des réglementations et des corporations, il eut un débit bien plus important que le Mémoire sur les corps de métier de l'économiste Simon Cliquot-Blervache, sur lequel il se fondait. Relu aujourd'hui, alors que l'œuvre entière de Coyer a été éclipsée par celles de Diderot, Voltaire, Montesquieu, et tant d'autres, Chinki s'avère riche en enseignements. Le travail est la ressource la plus précieuse du pauvre, nous rappelle-t-il, et il est celui qui souffre le plus lorsque le travail est réglementé et enfermé dans des structures légales rigides. La liberté du travail : voici un noble idéal, qui n'a pas cessé de devoir être défendu, et qui fut le cheval de bataille de l'abbé Coyer.

En défense de l’islam

La liberté de circulation des personnes, la tolérance religieuse, sont des principes majeurs du libéralisme. L’immigration a ses inconvénients, si elle a ses avantages. Mais renier nos principes et nos valeurs historiques ne peut se faire qu’au prix d’un affaiblissement. — « L’autorité ne doit jamais proscrire une religion, même quand elle la croit dangereuse, écrivait Benjamin Constant. Qu’elle punisse les actions coupables qu’une religion fait commettre, non comme actions religieuses, mais comme actions coupables : elle parviendra facilement à les réprimer. Si elle les attaquait comme religieuses, elle en ferait un devoir, et si elle voulait remonter jusqu’à l’opinion qui en est la source, elle s’engagerait dans un labyrinthe de vexations et d’iniquités, qui n’aurait plus de terme. »